Claude Mazauric, Oeuvres de Robes Pierre - Introduction a La Reedition de 2007
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uvres de Maximilien Robespierre
Edition du Centenaire de la Socit des tudes robespierristes
Prsentation de Claude MAZAURIC
En rditant, en lan 2000, les dix volumes des uvres de MaximilienRobespierre dont la parution sest chelonne de 1912 1967, la
Socit des tudes robespierristes stait montre gale ce quellenavait cess dtre depuis sa fondation en 1907, digne delle-mme en
quelque sorte, fidle aux principes qui la fondaient et lui valaient,depuis 1935, dtre reconnue dutilit publique . En proposant en2007, loccasion de la clbration du centenaire de sa fondation, cetteseconde rdition, augmente dun trs prcieux onzime volumedindits, la Socit des tudes robespierristes, non seulement afficheun dynamisme que le renouvellement des gnrations et le changement
des quipes dirigeantes nont en rien entam, mais elle apporte unecontribution majeure la recherche et au dbat historique.
Republier luvre de Robespierre est en effet dun bien grandmrite ! Mesurons ce que reprsente la mise en circulation publique
dune telle masse documentaire de prs de 6 500 pages, dmentrfrence, annote, commente, difie par-dessus bien des alas
politiques et deux guerres mondiales, nonobstant une srie de
dvaluations montaires, travers les crises successives et rptes de
ldition franaise notamment de ldition scientifique et celamalgr linvitable disparition de tous les initiateurs de luvre et desprincipaux protagonistes qui lont mene bien, les brouilles et lesconflits qui ont pu lorigine les diviser, sans mme voquer la
mutation des sensibilits, lvolution des points de vue, des mthodesde la recherche documentaire et de lannotation scientifique : unegageure et un dfi ! Dfi relev, gageure tenue : cest que laconnaissance de la pense et de laction de Maximilien Robespierredemeure indispensable la comprhension du processus densemble de
la Rvolution franaise et quil tait donc des devoirs dune socit depense distingue, qui est aussi une compagnie internationale
dhistoriens de grande valeur et de grand renom, de le rappeler.Mritoire donc, linitiative de rditer un corpus de textes devenus pourla plupart introuvables mais absolument essentiels, dont la parution a
contribu depuis presque cent annes orienter une part de
lhistoriographie contemporaine de la Rvolution. Ajouter, qui plus est,au corpus initial, un onzime volume de textes, inconnus ou indits (ou
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encore ngligs par les premiers concepteurs), textes patiemment runis
grce la diligence de Florence Gauthier de lUniversit Denis Diderot
(Paris VII) et au soutien des chercheurs qui lont seconde, accrotlintrt et lutilit dune rdition quaucun historien, quaucun citoyendsireux de sinterroger sur les origines de la pense rpublicaine en
France, ne saurait sous-estimer.
Au dbut de ce sicle, le projet de publier les uvres compltes
de Maximilien Robespierre rpondait une double exigence
simultanment scientifique et idologique. Un contexte favorable, la
prsence de savants et drudits motivs et capables de sy consacrer:telles furent les conditions de construction du projet et de sa mise en
uvre initiale. Le contexte, nous le connaissons bien et des travauxrcents en ont ractualis loriginalit. Sous lautorit du grand matredes tudes rvolutionnaires, Alphonse Aulard, aprs avoir commmor
avec faste le Centenaire de 1789, la Rpublique, dsormais fermement
installe, encourageait leffort dexaltation de la Rvolution, tenue parlui et ses amis politiques, pour fondatrice de lide rpublicaine.Clbrer 1789 et 1792 contribuait toujours lgitimer les institutions
politiques et sociales peu peu consolides depuis 1877 et fcondait la
reconnaissance de lidentit rpublicaine de la nation dans le tempsmme o lon veillait stimuler la conscience patriotique du peuplefranais. Cependant, dans le choix des figures archtypales de la geste
rvolutionnaire, les rpublicains radicaux, bientt parvenus au fate du
pouvoir, exaltaient gnralement, plus que celle de tout autre
protagoniste de la Rvolution, la figure gnreuse et enflamme du
patriote rpublicain Danton. Aux attaques renouveles des idologues
anti-rpublicains, certes traditionnellement encore inspirs par les
penseurs de la contre-rvolution (De Maistre, Bonald et leurs pigones)
mais qui, depuis peu, se nourrissaient de luvre imposante et sipercutante dHippolyte Taine (Les origines de la Francecontemporaine), ils opposaient le patriotisme et lnergie de Danton. Le rpublicain Danton plutt que lincorruptible Robespierre : cest
que dans les milieux rpublicains, modrs ou radicaux, lon tenait lesecond pour lincarnation dune certaine forme de cagotisme et
dhypocrisie qui consistait (en paroles) condamner une violencepopulaire certes rcuse en son principe, mais dont on saccommodaitdans les faits, sous le prtexte des circonstances , pour mieux tablir,
sur la socit politique, un pouvoir dominateur et liberticide. Alphonse
Aulard, la Socit de lhistoire de la Rvolution franaise quil animait
depuis sa fondation et quil prsidait depuis 1904, sa revue (LaRvolution franaise), se distinguaient dans ce concert ininterrompu de
dvalorisation programme de limage de Maximilien Robespierre et de
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dnigrement, au moins partiel, de sa mmoire et cela, malgr les efforts
contraires de ceux qui, comme Ernest Hamel sous le Second Empire
(Histoire de Robespierre et du coup dEtat du 9 thermidor, 1865-1867,2 vol.), au risque de lhagiographie nave ou du compromis verbal,avaient persist exalter le souvenir de lIncorruptible. Aulardsingulirement, efficacement relay par Pierre Caron quon tenaitofficiellement pour un incomparable pilote dans lordre de la recherche
archivistique, mit toute son autorit dhistorien adul par lesrpublicains, tout son savoir qui tait effectivement considrable
quoique souvent approximatif, au service de cette entreprise. A la
diffrence des rpublicains des gnrations antrieures, linstar
dAlbert Laponneraye, premier diteur de textes de Robespierre en1833 ou de Louis Blanc, auteur dune tardive mais magnifique histoirede la Rvolution parue en 1865 (quoique commence dj huit ans plus
tt) qui, tous, taient plus ou moins robespierristes , les rpublicains
daprs le Second Empire et la Commune de Paris, influencs parluvre de Michelet (1848) et par celle de Quinet (1846 et 1866) ousubissant la pression des plus opportunistes dentre eux, ne se privaientpas de trier dans lhritage rvolutionnaire tout en prtendant la suite
de Georges Clemenceau, prendre la Rvolution comme un bloc .
Maximilien Robespierre et la plupart de ses compagnons ne faisaient
gnralement pas partie de ceux quon souhaitait tenir pourprsentables sinon honorables ; on ne consentait de lgre exception
que pour Saint-Just, le jeune homme ternel, l archange de laRvolution !
La contestation vint de deux horizons diffrents. Elle fut dabord lefait de jeunes historiens dcids y voir de prs. Mieux forms dans le
contexte dune rpublique plus assure de son avenir que ne ltait cellede leurs prdcesseurs, contemporains de Jules Ferry, bnficiant au
surplus, dailleurs grce Aulard, de sries documentaires publies ouen cours ddition comme les Actes du Comit de Salut public, ilstaient dautant mieux en mesure de dployer leur talent que le prestige
de lhistoire universitaire, fconde par les prceptes de l Ecolemthodique incarne par la vnrable Revue historique, leur assurait
considration publique et carrire potentielle dans une chaire dhistoireau sein dune Facult des Lettres. Parmi ces nouveaux venus, un espritparticulirement tincelant et combatif : Albert Mathiez.
Ce jeune franc-comtois dorigine modeste, n le 10 janvier 1874,bon lve puis brillant normalien (1893), condisciple et cothurne de
Charles Pguy dont il partagea lenthousiasme socialiste au cours de sesannes dcole, rue dUlm, se consacra, ds son agrgation dhistoireo il fut admis en 1897, lhistoire de la Rvolution franaise. Choix
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en lui-mme qui navait rien de trs original tant lobjet simposaitcomme un domaine de signification insurpassable pour un jeune
rpublicain convaincu, faisant profession de socialisme par surcrot et
quanimait la passion de la recherche dans ces archives immensesproduites par la Rvolution que les chartistes qui prsidaient leur
conservation semployaient inventorier et classer, Paris auxArchives nationales, naturellement, mais aussi, sagissant des Archives
dpartementales, en publiant les grands inventaires de la Srie L.
Mathiez tait en outre trs attentif explorer les voies nouvelles
offertes aux historiens proccups de construire des synthses fortes :
les approches thoriques et les mthodes de la sociologie qui, avec
Emile Durkheim, brillait alors de tous ses feux, orientaient une bonnepart de sa rflexion. Proche ses dbuts dAlphonse Aulard dont lepatronage paraissait simposer tous, Albert Mathiez sen dtacha peuaprs la soutenance de ses thses le 23 mars 1904, thses
significativement intitules, La thophilanthropie et le culte dcadaire
(thse principale) et aux Origines des cultes rvolutionnaires (thse
complmentaire). Las sans doute de subir lautorit bonasse quoiquetrs mandarinale (comme on ne disait pas encore) dAulard,Mathiez se montrait en ralit de plus en plus hostile aux pratiques de
recherche assez superficielles selon lui, peu exigeantes en tout cas,
approximatives assez souvent, en particulier sagissant de la publicationdesActes du Comit de Salut publicque mettaient en uvre Aulard etquelques-uns de ses premiers disciples comme Pierre Caron : raison
dont on prenait prtexte jusqu la Sorbonne pour commencer sedtourner du vieux matre ! Cest donc dabord sur le terrainprofessionnel et mthodologique que prit racine lopposition quientrana Mathiez se dresser contre Aulard.
Mais il y avait plus : partir de 1901 et jusquen 1904 avait paru,dabord sous forme de livraisons priodiques dansLe Petit Journal, cequi allait devenir lHistoire socialiste de la Rvolution franaise deJean Jaurs. Repense comme on sait, aux trois sources de lhistoire
romantique (Michelet), de lhistoire des hros (Plutarque) et de ladialectique matrialiste de Marx dont Jaurs montrait en outre la
filiation avec la pense de Barnave dont on avait rvl loriginalit enpubliant en 1848 le manuscrit de ses rflexions ultimes, lHistoire
socialiste de la Rvolution franaise (H.S.R.F.) bouleversa en
profondeur la reprsentation dominante quon se faisait de laRvolution la gauche de lopinion politique; lH.S.R.F. introduisaitdans la pense socialiste majoritaire, une nouvelle doxa cohrente,
inspire la fois par les lans de lhistoriographie socialis te (LouisBlanc), voire communiste (Buonarroti) en faveur du mouvement
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populaire urbain, des Jacobins et de Babeuf que les Guesdistes parmi
dautres avaient dj exalts, et reprenait dautre part les analyseslucides des historiens libraux de la Restauration, adeptes du fatalismehistorique (Thiers, Mignet) dont Marx avait comme nul autre, soulignla perspicacit critique. Fonde en outre sur lexploitation de sourcesnouvelles, les cahiers de dolances, les journaux et les pamphlets, les
documents conomiques et statistiques, lH.S.R.F. de Jaurs montrait
que lhistoire rvolutionnaire pouvait devenir un immense chantier dedcouvertes dont luvre, certes mritoire, dAulard et mme celle
boulimique et conservatrice de Taine, navaient fait quentreprendre untour partiel et orient. Albert Mathiez a lu Jaurs parmi les premiers et
il publia en 1904 un compte-rendu logieux et dirimant de lHistoiresocialiste de la Rvolution franaise dans la Revue critique dArthurChuquet (vol. LVII, p. 490).
Il serait donc de la responsabilit de la jeune gnration des
historiens rpublicains de gauche, notamment de ceux qui se
rclamaient du socialisme franais en voie dunification, dinvestir cechamp et de conduire bien cette entreprise de renouvellement. Avec
dautres de sa gnration, comme Georges Lefebvre, n, ainsi que lui-
mme, en 1874, Albert Mathiez prit sans faiblesse sa part du renouveau
historiographique qui se profilait. Cependant, la diffrence de
Mathiez, Georges Lefebvre, en homme du Nord attach son pays de
naissance, peut-tre galement en raison de la modestie de ses origines
provinciales et sociales, se fixa dans le dpartement o il tait n ; il y
entama une lente carrire, dabord de rptiteur, puis de professeuravant dtre admis lagrgation en 1899. Poursuivant, mais a parte,un projet fond sur une adhsion identique la pense de Jaurs, il se
tint longtemps lcart des cercles parisiens de normaliens de gaucheo Albert Mathiez stait impos assez vite, comme un jeune ma tre penser. A partir de 1905, Mathiez sengagea donc dans la voie dunlong combat qui fut la fois une bataille drudition conduite sur leterrain aride dune science historique produite partir de lexplorationexigeante des sources et, tout autant, un affrontement polmique
dimension politique et idologique, conduit contre les contempteurs de
la Rvolution franaise et les conciliateurs honteux du camprpublicain.
Dans ce combat qui, sur la lance de luvre de Jaurs, sereconstruisait ainsi sur de nouvelles bases au cours des annes 1900-
1914, la personnalit de Maximilien Robespierre, sa pense, sa parole
dorateur, son action politique (re)devenaient des enjeux dcisifs. Dansson volume intitul La Convention (Tome VI de lH.S.R.F.), JeanJaurs en avait lui-mme peru limportance; en historien autant quen
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parlementaire confront la permanente ncessit du choix politique, il
en avait soulign le caractre dramatique. Non sans avoir pralablement
exprim ses rserves sur le fond des motivations de Robespierre et
indiqu ses craintes lgard de ce quil fallait bien appeler lerobespierrisme, Jaurs avait cependant fait part sans quivoque de son
sentiment et de son choix : Ici, crivait-il, sous ce soleil de 93 qui
chauffe votre prebataille, je suis avec Robespierre, et cest ct de
lui que je vais masseoir aux Jacobins. Oui, je suis avec lui parce quila, ce moment, toute lampleur de la Rvolution (p. 194).
Ainsi, la figure de Maximilien Robespierre et le jugement quonporterait sur elle, deviendraient-ils la ligne de partage entre deux
manires de concevoir et dapprofondir lhistoire de la Rvolution danstoute son ampleur : ici, une recherche ambitieuse prenant bras-le-
corps les sources dans leur tendue et leur massive diversit dont
sortiraient magnifis contre toutes les dformations et mdisances, etla
Rvolution, et Maximilien Robespierre comme principal protagoniste
du gouvernement rvolutionnaire ; l, une histoire dulcore, rptitive
et toujours acadmique, mise au service des habitudes, des compromis
honteux ou des idologies ractionnaires.
La cration dune Socit des tudes robespierristes le 18 juin1907 est entirement sortie de ce contexte ; et la fin de lanne 1907,le 9 dcembre, parut Paris dans La Revue critique, priodique dirig
par un historien de lEmpire napolonien, Arthur Chuquet, et publi parlditeur rpublicain Ernest Leroux, lannonce de la constitution de laSocit. Loin de la prsenter de manire polmique comme une socit
rivale de ses concurrentes (la Socit de lhistoire de la RvolutiondAulard ou la Socit dhistoire moderne, cre depuis peu et passesous le contrle de Pierre Caron), le manifeste de prsentation insistait
sur sa vocation de socit de savants et sur le souci de mthode et
drudition qui animait ses initiateurs. Lintention cependant tait sansquivoque : la nouvelle charte que limpartialit absolue de leurtravail dhistorien apporterait la connaissance de la biographie deMaximilien Robespierre, conduirait la rhabilitation de ses ides
politiques , la comprhension de son influence jusquen plein
dix-neuvime sicle, lui qui incarnait le plus parfaitement laRvolution elle-mme . En effet, la Socit des tudes robespierristes,
disait le manifeste de prsentation, a pour but de rechercher, de
classer et de publier tous les documents historiques qui peuvent
apporter, dans la biographie de Robespierre, dans ltude de ses ides
politiques, dans lhistoire de son influence, une nouvelle clart. Elle sepropose de travailler par les mthodes les plus rigoureuses et les plus
prcises, dans une impartialit absolue, lanalyse dune poque qui,
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dfigure par la passion, demeure encore, sur bien des points, mal
tudie, mal connue, mal juge. Si elle considre Robespierre comme
celui qui, depuis louverture des Etats gnraux jusquau 9 thermidor,incarne le plus parfaitement la Rvolution elle-mme, elle tend par une
consquence naturelle, le champ de ses investigations jusqu laRvolution tout entire, et jusqu ses manifestations qui, au cours duXIX
esicle, ont marqu les dveloppements et lhistoire de la pense
rvolutionnaire .
Les protagonistes de la Socit des tudes robespierristes, comme
la Socit elle-mme leur suite, nont jamais cess de se signaler lafois par une exigence jamais dmentie de comptence intellectuelle et
scientifique et par lengagement civique et politique de lassociationainsi constitue, du ct dun rpublicanisme intransigeant. Parmi lesfondateurs, se distinguaient le dput Ferdinand Buisson, Prsident de
la Ligue des droits de lhomme, deux ans peine aprs la rhabilitationdu capitaine Alfred Dreyfus, Georges Renard, Professeur au Collge de
France, rdacteur de la Revue de 1848 et ancien Communard, Edouard
Herriot, normalien, auteur dune thse sur Julie Rcamier et qui taitdepuis deux ans le maire radical de Lyon ; remarquable galement le
fait de louverture internationale quon y dcelait : Ludo Hartmann,docent lUniversit de Vienne tait le fils dun Quaranthuitardallemand ; Otto Karmin tait un des premiers historiens de la
Rpublique helvtique ; John B. Thacher apportait depuis les Etats-
Unis, son soutien la nouvelle socit ainsi que Friedrich Kirchesen,
historien allemand de lEmpire de Napolon. Arthur Chuquet lui-mme, avant de sen sparer en 1909 sous la pression dAulard, staitengag aux cts des crateurs de la Socit des tudes robespierristes.
Deux noms cependant se dgagent vraiment du sein de cette confrrie
en voie de constitution : celui dAlbert Mathiez, videmment quirevenait linitiative de sa cration, et celui de Charles Vellay : eux deuxtaient les vritables inventeurs et initiateurs du groupe.
Charles Vellay stait dj fait un nom mais ce nest pas tout
naturellement quil fut lu secrtaire titre provisoire de la nouvellesocit. N Vienne en 1876, docteur dEtat en histoire depuis 1904
pour une thse dhistoire de lantiquit grecque soutenue devantlUniversit de Grenoble, Vellay stait tourn depuis 1905, dans lenouveau contexte dj dcrit, vers lhistoire de la Rvolution franaiseen adhrant la Socit de lhistoire de la Rvolution franaisedAulard. Associ ldition desActes du Comit de Salut public dontil critiquera peu aprs la mthodologie, Vellay dcouvrit la personnalit
de Saint-Just et, dans la prcipitation, se fit lditeur de ses uvrescompltes en deux volumes parus en 1908 dans la collection Llite
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de la Rvolution , inaugure par lditeur Fasquelle. Pierre Caron, sansdoute pouss par Aulard, agac de lesprit dindpendance de Vellay,
en fit une critique virulente et publique en avril lors de lAssemblegnrale de la Socit dhistoire moderne. Il nen fallut pas plus Albert Mathiez pour prendre avec vhmence la dfense de Vellay,
dnonant ceux qui travers lui, voulaient, en ralit, maintenir
lostracisme jet sur les robespierristes et cest donc de manire trs
dmonstrative et dans un vident souci de riposte que Vellay fut
propuls la charge de secrtaire de la Socit des tudes
robespierristes; cest lui que bientt fut confie la responsabilit deprparer ldition des uvres compltes de Maximilien Robespierre
puisque telle avait t affiche, ds lorigine, la raison dtre de laSocit.
Trs vite cependant, le torchon brla entre Mathiez et Vellay : ce
dernier prtendait entirement contrler ldition des uvres deRobespierre, exigeant mme den imposer la forme et den fixer le prix.Dcid dautre part acclrer la publication des premiers volumes
consacrs la prsence de Maximilien Arras, Vellay stait associ un savant rudit dArras, Victor Barbier, membre de la Socit, lequel,sans grand souci dexhaustivit recherche et dapprofondissementdocumentaire, nhsitait pas brler les tapes. Cette manire de faire,si contraire aux prceptes de la nouvelle cole mthodique ,
tellement ressemblante ce que prcisment Mathiez reprochait
Aulard et Caron, mit le feu aux poudres. Il fallut moins de deux ans
pour que la rupture soit consomme entre Mathiez et Vellay. Avant la
fin de lanne 1909, alors mme que leffectif dadhrents de la Socitparaissait stagner aprs leuphorie de llan initial, Charles Vellaydmissionnait de ses quadruples fonctions de secrtaire gnral, de
trsorier, de membre de la commission des publications et de membre
du comit directeur ! La Socit des tudes robespierristes aurait pu en
mourir : lnergie communicative dAlbert Mathiez, sa capacit maintenir le cap initial lui permirent cependant de surmonter lpreuve,de retrouver dynamisme et autorit, surtout de relancer le vaste projet
de collecte et ddition des uvres compltes de Robespierre.
De quels volumes de textes de Robespierre disposait-on dailleursen 1909 ?
Aprs avoir recueilli sous sa dicte, les mmoires de Charlotte
Robespierre, la sur de Maximilien et dAugustin, Albert Laponnerayeavait entrepris en 1833 la publication, sous forme de livraisons
priodiques, dune anthologie de textes de Maximilien, mais ni annots
ni accompagns dun appareil critique. Son entreprise, trs mritoire, ne
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fut que partiellement conduite son terme sous la forme de trois
volumes in 8 de 512, 503 et 740 pages, parus en 1840, le tome II
contenant les prtendusMmoires de Charlotte ; une prface dArmandCarrel ( Considrations gnrales ) replaait la pense et laction deRobespierre dans la filiation rpublicaine et dmocratique. Un projet
ddition plus ambitieux fut annonc en 1849 dans le contex te de lapousse dmocratique de la seconde phase de la Seconde Rpublique :
de ce projet dont la paternit revint Arthur Guillot, seule aboutit la
publication dun Avant-propos complt dextraits (8 de 32 pages). En1865, paralllement la sortie de la biographie monumentale dErnestHamel, A. Vermorel rpondit lattente des rpublicains en publiant
chez Cournol Paris, une slection de textes, prcde dune forteintroduction de 160 pages (in 12 de 347 pages, rdite en 1867).
Trente ans plus tard, dans le contexte du radicalisme triomphant, le
libraire Jean Schemit (1907) et Charles Vellay lui-mme dans la
collection Llite de la Rvolution de lditeur Fasquelle,proposrent des recueils de morceaux choisis respectivement de 182
pages et de 430 pages partir du mme corpus dorigine. En sorte queluvre de Robespierre, si elle ntait videmment pas dcouvrirtotalement, tait fort loin dtre connue en son entier, dautant plus queles volumes parus en 1840 taient devenus pratiquement introuvables,
cinquante annes plus tard. On mesurera cette seule indication quel
point linitiative de la jeune Socit des tudes robespierristes taitncessaire et combien elle rpondait la fois un besoin scientifique et
lattente des milieux rpublicains avancs.Cest au cours de lanne 1907 que fut tabli le plan gnral
dditer les uvres compltes de Maximilien Robespierre quonimaginait faire pouvoir tenir en huit volumes, les deux premiers tant
consacrs aux crits et lactivit de Robespierre Arras jusqu sonlection comme dput du Tiers Etat de lArtois pour les Etats gnrauxde 1789. Pour ces deux premiers volumes qui devaient tre les plus
neufs, Charles Vellay, comme on la dit, avait fait appel VictorBarbier, Secrtaire gnral de lAcadmie dArras, lequel avait peu peu constitu une vaste collection de luvre arrageoise, littraire,
philosophique et judiciaire, de Maximilien Robespierre. Victor Barbiermourut le 23 fvrier 1908 mais ses collections demeurrent acquises
par le Dpartement du Pas-de-Calais si bien que Charles Vellay,
nonobstant son dpart lanne suivante de la Socit des tudesrobespierristes, put y recourir pour diter en 1910, sous sa seule
responsabilit et sous le couvert de laRevue historique de la Rvolution
franaisequil avait fonde en 1909, un tome premier des uvres
compltes de Maximilien Robespierre (702 pages), consacr aux
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uvres judiciaires (1782-1789) : lentreprise, dailleurs imparfaite,ne put aller au-del. En tant que fondateur de la Revue de laRvolution
franaise, Charles Vellay la dirigea jusquen 1918 ; aprs trois annesde suspension la direction de la revue passa ensuite son disciple et
ami Gustave Laurent, avant de fusionner en 1924 avec les Annales
rvolutionnaires, organe de la Socit des tudes robespierristes depuis
1908, pour donner les actuelles et prestigieuses Annales historiques de
la Rvolution franaise, seule revue au monde, depuis lors, entirement
consacre lhistoire de la Rvolution, son historiographie et son
influence sur le cours de lhistoire universelle.A partir de 1911 restait donc la Socit que dirigeait Mathiez le
soin de conduire bien le projet de publication des uvres compltesselon un ordre chronologique et mthodique.
Le plus urgent tait lvidence de prparer ldition de lapremire partie du corpus envisag, la plus neuve assurment,
constitue par les deux premiers volumes projets, runis sous le titre
gnriqueRobespierre Arras. Aprs le dpart de Charles Vellay et le
dcs de Victor Barbier, la Socit confia Eugne Deprez, Archiviste
du Pas-de-Calais et bibliothcaire de la ville dArras, auteur dunimportant travail paru en 1908 qui avait pourtant fait lobjet dassezmchantes critiques dArthur Chuquet (Les volontaires nationaux.1791-1793. Etude sur la formation et lorganisation des bataillonsdaprs les archives communaleset dpartementales) le soin de runiren deux volumes spars les uvres dites littraires et les mmoireset plaidoyers de style judiciaire, avec leurs dossiers annexes. Mais
Deprez, savrant incapable dassurer la prparation du manuscritdfinitif, sur la proposition de Mathiez, la Socit lui adjoignit lun deses membres, docteur en droit, Emile Lesueur, lequel finit par
remplacer compltement Deprez. La dcision savra judicieuse. Lepremier volumeRobespierre Arras: les uvres littraires en prose eten vers (409 pages) parut en 1912 chez Ernest Leroux ; le second
volume suivit de peu, Robespierre Arras: les uvres judiciaires
(plaidoyers et mmoires) (409 pages) chez le mme diteur.
Grce la persvrance de la Socit des tudes des robespierristes
et lunification des forces ralise en 1922-1923, linitiativeconjointe de Mathiez et de Gustave Laurent, la publication commenceavant la premire guerre mondiale, se poursuivit cahin-caha jusquauxlendemains de la seconde, le dixime et dernier volume paraissant en
1967 aux Presses Universitaires de France sous lgide de la Socit etde la VI
esection de lEcole des Hautes Etudes, devenue depuis lors
lE.H.E.S.S. Jusquen 1932, date de sa mort brutale, cest sous la
houlette dAlbert Mathiez que fut conduite bien la prparation des
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volumes de correspondance et la publication des journaux : le
tome III consacr la correspondance active et passive des Robespierre
(Augustin et Maximilien) parut en 1926 sous la responsabilit de
Georges Michon, docteur s-Lettres, ouvrage suivi en 1941 par un
supplment devenu rarissime de quatre-vingt-un documents, paru
chez Nizet et Bastard (182 pages) mais antrieurement cette date mis
au point par le mme auteur. Les tomes IV et V, monuments
drudition consacrs aux deux journaux de Robespierre, Le dfenseurde la Constitution et Lettres ses commettans, parurent sous la
signature de Gustave Laurent qui Mathiez en avait confi la
prparation aprs la rconciliation de 1923 ; le premier parut en 1939
(XXIII pages dintroduction, 399 pages de texte), le second, aprs lamort de Laurent en 1961 (380 pages). Dsormais, ce fut sous le
magistre de Georges Lefebvre, contemporain de Mathiez, comme on
la vu, mais qui lui survcut 27 ans et devint son successeur laprsidence de la Socit des tudes robespierristes, que lentreprise futconduite son terme : cinq volumes des discours de Maximilien
Robespierre, prononcs ou crits par lui de 1789 au 9 thermidor, soit au
total prs de 2600 pages de textes, runis, somptueusement annots,
comments, introduits. Ils parurent entre 1950 et 1967 sous la
responsabilit dune quipe constitue et dirige par Lefebvre ds 1946au sein de lInstitut dhistoire de la Rvolution franaise de laSorbonne. Compos, outre de lui-mme qui, la retraite aidant, se
montra omniprsent jusqu sa mort en 1959, lquipe comprenait MarcBouloiseau, sa cheville ouvrire, Jean Dautry dont limagination dans letraitement crois des sources darchives et dimprims fit merveille,dAlbert Soboul enfin, dont la matrise historiographique et la capacit
de synthse simposrent tout particulirement, notamment lors de laprparation du dixime et dernier volume (Discours cinquime partie,
du 27 juillet 1793 au 27 juillet 1794, 656 pages, 1967). La
responsabilit lui en chut presque entirement.
uvres compltes de Maximilien Robespierre ? le projet taitambitieux, le titre prometteur mais, au vu de la publication dans son
ensemble, assurment excessif ! Malgr la massivit du corpusconstitu et lexigence dexhaustivit que la Socit des tudesrobespierristes stait impose en 1908 sous la pression dAlbertMathiez, les dix volumes duvres ainsi offerts taient encore loin deconstituer une collection duvres compltes. Observons les manquesflagrants et soulignons quelques lacunes visibles dans cet ensemble de
base de dix volumes.
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Le premier volume ( Les uvres littraires ) ne contient pas, parexemple, le discours trs important prononc par Maximilien devant
lAcadmie dArras le 27 avril 1786, Les droits et ltat desbtards :texte publi par lAbb Berthe et M. de Langre sous lgide delAcadmie des sciences, lettres et arts dArras en 1971 avec, encomplment, le discours de Lazare Carnot, Le pouvoir de lhabitude(160 pages). Le second volume ( Les uvres judiciaires ) ne
regroupe quune partie des plaidoyers et mmoires, prpars ouprononcs par Robespierre, avocat : au total 77 mais la collection
sachve en 1786; or Maximilien a continu plaider jusquen 1790 :cela reprsente 20 jugements rendus par le Conseil dArtois avant
recours, 8 causes perdues, 5 gagnes, soit au total 33 affaires traitespar Maximilien sur un total de 111 de 1782 1790, soit prs de 30% ! Il
faut donc complter ce deuxime volume des uvres judiciaires par ceque nous offre le recueil de Vellay et Barbier (soit sept mmoires et un
beau dossier dannexes) qui couvre toute la priode 1782-1789,quoique les manques pour les annes 1782-1786 soient ici trs
importants au regard de ce que contient le volume prpar par Lesueur
et Deprez, lequel nous propose des mmoires signals rechercher
dans la publication antrieure de Vellay et Barbier par exemple leMmoire pour Demoiselle Marie de Bardoultde fvrier 1782. De ceconstat, il rsulte quun important travail de compilation comparative,complt de nouvelles recherches, simposait absolument pour rendrecompte prcisment de ce que fut lactivit judiciaire et thorique deMaximilien Robespierre Arras. Cette tche de compilation critique a
t dsormais accomplie comme on le verra la lecture du nouveau
tome XI. Les lacunes portent galement sur de trs grands textes
politiques ignors des premiers rdacteurs des uvres compltes : lapremire version de lAdresse la Nation Artsienne sur la ncessit de
rformer les Etats dArtois du 8 aot 1788, le Cahier de dolances descordonniers-mineurs dont Maximilien fut leur demande, le rdacteur
vritablement inspir, et le pamphlet de 58 pages Les ennemis de la
patrie dmasqus par ce qui sest pass dans lAssemble du TiersEtatde la ville dArras, tous textes que lA.R.B.R. (Les Amis de
Robespierre pour le bicentenaire de la Rvolution franaise, associationfonde et prside par le regrett Matre Bleitrach, anime par Christian
Lescureux et sigeant Arras) a fait rcemment connatre par sa
publication priodique.
Sagissant des volumes de la Correspondance, publis par G.Michon, sans doute des complments se trouvaient-ils et se trouvent-ils
encore disperss dans plusieurs fonds darchives o il conviendra decontinuer les rechercher ; il ma t donn par exemple de le constater
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dans le fonds des Archives de la ville de Moscou o se trouve une lettre
inconnue dAugustin Maximilien, relative sa mission dans les
dpartements provenaux, dans lt de 1793. Le nouveau volume XIreproduit plusieurs lettres jusquici indites. Au surplus, lannotationdevrait dsormais mieux tenir compte de lavancement des recherches,notamment partir de lenqute conduite par Michel Biard sur lesReprsentants en mission (Missionnaires de la Rpublique. Les
Reprsentants du peuple en mission , Paris, 2002), et
simultanment introduire plus de rfrences ce que nous appelons la
correspondance passive, cest--dire dans ce qui est parvenu Robespierre, dont Courtois dailleurs sest beaucoup servi dans son
rquisitoire post-mortem pour essayer de compromettre la mmoire delIncorruptible.
Si les deux volumes consacrs aux journaux sont apparemment
exhaustifs, accompagns au surplus dun appareil critique excellent,bien des lacunes se rvlent lexprience dans les cinq volumes dediscours quil faut ici concevoir comme des textes, ventuellement
jamais prononcs mais en leur temps connus en substance, voire publis
en brochure. Cest ainsi que lAdresse de Maximilien Robespierre auxFranais, sorte de compte-rendu de mandat datant de lt de 1791, lorigine destin la nation artsienne , une sorte de manifeste,profession de foi qui claire toute laction de Robespierre laConstituante et aux Jacobins, aurait d se trouver dans le tome VII des
uvres Compltes; on en trouvait lessentiel dans mon recueildextraits choisis parus en 1988 (Robespierre, Ecrits). Il fallait, enoutre, reproduire les fameuses notes de 1794 et le carnet de
1793 de Maximilien que Mathiez avait publis : on en trouvera
dsormais la reproduction dans le nouveau volume XI. Sans doute
convenait-il daller plus loin en relevant mentions et tmoignages desinterventions, brves ou mieux tayes, dont nous font part tant de
procs-verbaux dorganismes au sein desquels Robespierre a sig : unenouvelle collecte tait donc entreprendre collectivement pour
complter ce corpus dj imposant des cinq volumes de discours. Le
travail entrepris en vue de la prparation du nouveau volume XI en
signale plusieurs de grand intrt. Les silences eux-mmes peuvent tresignificatifs de laction politique de Robespierre : son autorit fut telleen effet que son absence de la tribune alors quon le sait (ou quon lesuppose) prsent dans les traves, peut signifier aussi bien, selon le
contexte, ddain de sa part quapprobation tacite. Une intervention trop
voyante naurait-elle pas eu pour effet douvrir un champ inutile depolmiques, voire de divisions ? Ainsi en va-t-il peut-tre du silence
observ par Maximilien Robespierre lors de la discussion la
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Convention qui fut conclue le 16 pluvise an II par le vote unanime du
dcret portant abolition de lesclavage dans les colonies franaises.
Les dix volumes duvres, publis antrieurement, dj siabondants, mritaient donc dtre complts. Cest le destin de touteentreprise drudition scientifique que de devoir tre ainsi remisepriodiquement en chantier. Socit dhistoriens, scrupuleusementattentive tablir la vrit des choses, en commenant par celle des
sources de lhistoire, sous la houlette de son Prsident dalors, leProfesseur Michel Pertu, la Socit des tudes robespierristes avait
donc dcid en rditant la premire collection duvres de compltercette indispensable rdition par la mise en chantier simultane dun
onzime tome runissant les complments . Aux fins de prparer cevolume, le Conseil dadministration de la S.E.R. avait dsign unecommission dexperts, anime et dirige par Florence Gauthier, delUniversit de Paris VII-Denis Diderot. Cest ce volumesupplmentaire, le tome numro XI, trs attendu, si ncessaire et enfin
conduit son achvement, qui parat en adjonction aux dix volumes
dj rdits. Rien ne pouvait rjouir plus profondment le signataire de
ces lignes, auquel notre Socit avait fait appel pour rdiger la
prsentation succincte de la prcdente rdition.
Concluons ce premier point avec Albert Mathiez :
Ils se trompent [...] ceux qui ddaigneusement nous reprochent
de former une association cultuelle autour de lIncorruptible. Nous nefaisons brler de cierges en lhonneur daucune idole, morte ou vivante.Nous ne sommes pas tous robespierristes, et, en tout cas, nous ne
sommes pas tous disposs donner toujours raison en tout et partout
Robespierre [...]. Si nous avons choisi Robespierre et son groupe
comme sujet habituel de nos tudes, cest que Robespierre fut au centrede la Rvolution franaise et quil ny a pas de meilleur observatoirepour prendre de ce grand mouvement dides et de ce formidable chocde passions et dintrts, une connaissance sincre et complte.
Un sicle entier sest coul depuis la fondation de la Socit destudes robespierristes : malgr lusure que le temps infligeordinairement aux discours, laffirmation de Mathiez nous parat encore
tonnamment exacte et pertinente, et ce constat nous inspire unsentiment de confiance dans le juste travail de recherche et
dtablissement dune vrit historique, jamais atteinte, toujoursapproche, quoi nous consacrons notre existence.
Chacun en conviendra : au regard de lhistoire, rditer les uvresde Maximilien Robespierre comme un ensemble majeur de sources
pour lusage des chercheurs, cest faire uvre pie! Mais, quoiquen ait
dit Mathiez, ntait-ce pas simultanment faire acte de cagoterie ?
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Nest-ce pas sloigner, sous le vain prtexte de lrudition, de cettencessaireprise dedistancequimpliquent la gravit du regard historien
et le souci dobjectivit du chercheur? Quelle ncessit autrequidologique, y aurait-il en ce dbut de sicle redonner vieditoriale ce vaste corpus de textes que, pour la plupart, les
spcialistes pouvaient aisment consulter dans les bibliothques
publiques ?
La rponse ces lgitimes questions saffichera sans quivoque :pour ceux qui ont t les initiateurs de cette rdition, augmente et
complte, replacer le tmoignage crit de la pense et de laction deRobespierre au cur du dbat contemporain ne rpond pas seulement
en effet un souci drudition mais tout autant une exigence civique.Cest que devant le tribunal du temps qui est celui de lHistoire maisaussi celui de la mmoire reconstruite, Maximilien Robespierre doit
encore tre dfendu et, de ce fait, connu et reconnu pour ce quil futrellement et non au travers de la caricature calomniatrice quontdresse, ds 1794, ceux qui lont abattu. Renoncer ce combatquAlbert Mathiez et Georges Lefebvre nous ont laiss en partage,serait accepter que se prennise linjustice et profaner lquit : la
morale civique et la probit historienne ne sauraient sy rsoudre sansdchoir. Mais il y a plus : les ides philosophiques de Robespierre, ses
propositions politiques dans un temps de bouleversements jusqualorsinimaginables, ses projets, tout ce quon a qualifi aprs lui, sans douteabusivement, de robespierrisme jy reviendrai laisse entrevoirune perception profonde de la ralit sociale dans son essence
historique et une sensibilit aux formes de lengagement politique descitoyens dans la cit, dont la porte dpasse de trs loin le temps si bref
de sa vie, temps qui se confond pour lessentiel avec le momentdapprofondissement des contradictions, marches en avant et impassesde la Rvolution, de 1789 1794. Interroger cette pense, faonne
dans le moule exceptionnellement fcond de la philosophie des
Lumires et des pratiques culturelles du dix-huitime sicle finissant,
explicitement inspire par le dmocratisme plbien de Jean-Jacques
Rousseau, ne saurait tre un exercice vain au lendemain dun sicle qui
a tant mis mal, aprs lavoir sacralise, lirrsistible exigence dedmocratie !Sagissant de laction politique propre de Robespierre, le plaidoyer
en dfense est ais construire. Lhomme de la Dclaration desdroits de 1789, puis de la Constitution , fut en effet le premier et le
plus persvrant dnonciateur du risque de drive vers la violence
politique o conduirait lenclenchement dune guerre civile,
visiblement voulue et organise par tous ceux qui, ds lt de 1789,
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refusaient le nouveau cours des choses. Que quiconque semploie ternir la mmoire de Robespierre, nait garde de loublier! Pourfendeurtrs minoritaire du bellicisme patriotique de 1791 et de 1792,
impitoyable Cassandre face aux illusionnistes de la Croisade de la
libert , Robespierre devenu homme dEtat, a d assumer les
formidables consquences dune guerre, aux frontires et au sein mmede la Rpublique, contre laquelle il avait bataill de toute sa force de
conviction ; il devint alors lartisan dune victoire ncessaire maisquil voulait non moins mesure, respectueuse du droit des gens, et endisciple de Montesquieu, attentive prserver les nations et mme les
Etats produits par lhistoire, alors que la fivre annexionniste et
cocardire semparait de la plupart des autres dirigeants et desgnraux. Dans la discussion prparatoire au nouveau Code pnal,
tandis que la trs grande majorit des dputs lAssembleconstituante la tenait pour socialement ncessaire et moralement utile
alors que rien ne la justifiait en vrit, Robespierre avait combattu la
peine de mort contre lopinion de son matre penser Jean-Jacques
Rousseau qui lavait juge indispensable au maintien de lordre social :elle tait au contraire, ses yeux, corruptrice de toutes les valeurs
humaines sans prserver pour autant la sret due tout individu
humain vivant en socit. Mais, confront trois ans plus tard la
ncessit de la terreur dEtat dans le contexte inou de laffrontementpolitique et militaire entre rvolution des droits de lhomme et contre-rvolution aristocratique, il se soumit cette ncessit, assumant
ouvertement les consquences dune violence rvolutionnaire lgalise,dailleurs tenue pour invitable, voire ncessaire, par tous sescontemporains, y compris ceux qui en furent les victimes ; vrai dire,
hostile comme il ltait au fanatisme, cette Terreur , il la voulutcependant sans excs et, quoique sans faiblesse, dtache de tout
verbiage sacrificiel ou passionnel ainsi quil lnona au cours duprocs de Louis XVI : froide, silencieuse et temporaire, comme la
guerre dfensive elle-mme. Incorruptible en un temps o linfidlit se
monnayait tandis que lachat des consciences prparait compromis etcompromissions, Maximilien Robespierre se fit dtester par tout ce que
le monde politique comptait daimables compres, darrivistes de toutesorte, de joyeux drilles ou de penseurs subtils parfaitement loigns dessouffrances populaires ; mais cet homme quon a dit aigri et solitairevcut en amiti profonde, ds la Constituante, avec lun des patriotes les plus fortuns de France, Michel Le Peletier (de Saint-
Fargeau) 600 000 livres de rente assassin par un royaliste le 20janvier 1793 et ce fut Robespierre qui prsenta la barre de la
Convention lePlan dducation nationale de Le Peletier. Orateur froid
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nous disait-on, mais cest en larmes quil rendit hommage depuis latribune des Jacobins, au patriote parisien dorigine polonaise, Claude-Franois Lazowski, mort subitement le 23 avril 1793 au milieu de
laffliction de tout son quartier. Impopulaire, Maximilien Robespierre,quand tant de tmoignages nous le montrent respect des bourgeois
honntes comme le manufacturier en menuiserie, Duplay, chez qui il
logeait, entour ds 1789 de la ferveur affectueuse des petites gens
dArras puis des sans-culottes des ruelles et des faubourgs de Paris ?Non. Tout au contraire, il fut aim et respect pour la modestie de son
comportement, labsence dostentation, son attention vraie auxproccupations populaires.
Il arrive encore quon lui reproche de navoir pas t unrpublicain de la premire heure ; mais dune rpublique au service deloligarchie ou des gens bien ns, il ne voulait point, sattachant plutt promouvoir une constitution attentive prserver les droits de lhommeen socit, accordant galement tous les citoyens le droit de vote
contre la restriction censitaire qui contribue prenniser le pouvoir des
riches et des hritiers nantis. Quand la Rpublique finalement simposasur les ruines de la monarchie dfaite, il la voulut dmocratique, sociale
et redistributive dune part importante du produit net socialis. Il pritprcisment de lavoir exig trop fort ! Le personnage de Robespierre,depuis ce temps, incarne toujours le rpublicanisme social le plus
intransigeant en raison de sa solennelle proclamation du 2 dcembre
1792, selon laquelle le premier de tous les droits de lhomme est ledroit dexister.
En philosophe disciple de Rousseau, vritablement inspir par la
lecture mdite de la Profession de foi du vicaire savoyard au livre
IV dEmile ou de lducation, Robespierre combattit sans relche lasuperstition et le fanatisme des prtres irrdentistes, non la foi dans
lexistence dun principe organisateur de lunivers, un tre suprme ,mais il engagea non moins le fer contre le fanatisme des
dchristianisateurs , en qui il voyait des politiciens habiles,
antireligieux par calcul, dmagogues par esprit de supriorit. Adepte
dune rpublique qui placerait la vertu civique au premier rang des
valeurs sociales, lui qui connaissait par cur la Prosopope deFabricius , ce grand texte vocateur de Jean-Jacques Rousseau quiforme le cur de la premire partie du Discoursprim par lAcadmiede Dijon en 1750 sur cette Question propose par la mme
Acadmie : si le rtablissement des Sciences et des Arts a contribu
purer les murs, a rv son tour dunir en un mme acte de foidans lhumanit venir, un peuple de croyants priant lEtre Suprme et
admettant limmortalit de lme, fondements de la religion naturelle,
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peuple qui serait en mme temps un peuple de citoyens offrant au
monde le spectacle inou dune communaut libre et souveraine. La
pense dEmmanuel Kant se profile derrire la pratique politique deRobespierre : ntaient-ils pas contemporains, produits dune mmeculture claire ?
En moins de cinq annes de vie publique expose au regard de ses
contemporains, amis ou adversaires, il ny a donc rien dans laction de
Robespierre qui pourrait nous conduire lide quil aurait failli lhonneur dtre un mandataire du peuple intgre, en quoi rsident toutesa gloire et son destin ; rien donc qui puisse nous persuader quil auraitmanqu aux principes dont il avait lui-mme tabli le cadre dans cette
admirableDdicace aux mnes de Jean-Jacques Rousseau, rdige auxlendemains de son lection aux Etats gnraux de 1789 : Je veux
suivre ta trace vnre, duss-je ne laisser quun nom dont les sicles venir ne sinformeront pas : heureux si, dans la prilleuse carrirequune rvolution inoue vient douvrir devant nous, je resteconstamment fidle aux inspirations que jai puises dans tes crits.
Au del de son action publique et politique, la vie de Maximilien
Robespierre est mal connue, assurment moins bien par exemple que
celle de Mirabeau, de Condorcet, de Brissot, de Babeuf ou de
Bonaparte ; discret, pour ne pas dire muet, sur son existence intime
quand lHistoire le mit en scne, Maximilien na que raremententrouvert le chapitre des confidences. Lenfant et ladolescent quil futne nous sont rvls que par le tmoignage de sa sur Charlotte et lesmmoires, assez souvent hostiles, de quelques-uns de ses parents, de
ses matres du Collge Louis-le-Grand Paris ou de ses confrres
avocats. Les rcits et sources indirectes grce auxquels les historiens
ont reconstruit son itinraire de jeunesse sont si lacunaires quilsautorisent toutes les spculations et, bien entendu, les lectures
rtroactives. A en croire la plupart de ses biographes hostiles, le
protagoniste glac et ombrageux de la Terreur et du Salut public
pointait dj derrire laimable socitaire de la compagnie des Rosati
dArras: un aigri doubl dun hypocrite. Un homme rput sansfemme : insensible ! Au surplus, devenu dirigeant politique, si
Robespierre entreprit deffacer toute trace de sa vie personnelle, ctait,nous dit-on, pour mieux assouvir sa passion du pouvoir : on pouvaitdonc tout imaginer. Le conventionnel Courtois, auteur du rapport qui
accabla sa mmoire et son souvenir aux lendemains de sa chute et de sa
mort tragique, contribua le premier fixer la thmatique de la lgende
noire. Courtois crivit de lui, ceci : Robespierre, comme vous le
voyez, Citoyens, nadmet que la vertu qui rapporte. Orgueilleux etvindicatif, jamais il ne pardonna rien de tout ce qui pouvait tenir
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lamour-propre. Tous les auteurs qui avaient eu le courage de lesignaler, ceux mmes qui avaient t accuss ou souponns davoirpens lui, devinrent les objets de ses vengeances (Rapport fait au
nom de la Commission charge de lexamen des papiers trouvschezRobespierre..., Paris, Maret, an III, p. 27). Bref, une manire de
Raminagrobis.
En vrit, Maximilien Robespierre eut-il une vie ? Si lon entend
par l, lenchanement chronologique dpisodes vcus, logiquementembots les uns dans les autres, il serait assurment abusif de le
prtendre. Les historiens de nos jours sont ports dnoncer cette
illusion biographique qui conduit donner cohrence subjective
lexistence dindividus humains que le poids des structures objectives etdes habitus collectifs, le mouvement conjoncturel du temps, tirent hue
et dia, au gr des configurations changeantes de lhistoire. A fortiori, lillusion autobiographique, laquelle dailleurs na jamais cdRobespierre sauf le temps si bref de quelques soupirs, est-elle suspecte
de ne produire que des artefacts intresss : gardons-nous donc de
construire abusivement lautobiographie que Robespierre ne nous a paslaisse ! Mais voquons quand mme quelques mles rsistants.
Du fait de la carence paternelle faite dclipses et dabandon,Maximilien Robespierre devint onze ans, au sein dune famillerecompose unie par laffection de ses membres, le pre de substitutionde son jeune frre Augustin et de sa surCharlotte, avant mme dtreconsidr comme un fils majeur ; mais fils putatif de pres virtuels, il le
devint vraiment en se donnant un vrai pre idal : le philosophe, citoyen
de Genve, Jean-Jacques Rousseau. Sous son inspiration et en raison de
la prsence affectueuse de ses tantes et de sa sur, il exalta la fminitsensible et rassurante dont le portrait de Sophie dans Emile ou de
lducation, ou celui de Julie dans la Nouvelle Hlose, proposaient lemodle idal ; tel sera donc le pidestal psychologique sur lequel se
construira sa vie dadulte hautement responsable. Le brillant lveboursier du Collge royal Louis-le-Grand, devint Arras un avocat
renomm et cela jusquau bout de sa prsence au barreau, la fin de1789, quoiquon ait abusivement prtendu le contraire. Mais prenant au
srieux sa tche comme une manire dapostolat, il sentrana lui-mme stigmatiser puis refuser les iniquits structurelles et la forme desinstitutions qui rsultaient de la nature mme du droit et de
lorganisation des pouvoirs en Artois et, partant, dans tout le royaume :un contestataire. Comme tant de jeunes bourgeois de sa gnration
assoiffs de progrs, homme de la plume et du barreau, cest enfin laRvolution qui fit de Maximilien le rvolutionnaire Robespierre et non
linverse: il neut en ralit que linitiative de se proposer, non sans
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hsitation, aux suffrages de ses contemporains du Tiers Etat dArtois,puis de sen tenir, cinq ans durant, contre vents et mares, ce quimotiva son engagement premier dont il puisa lnergie et le principedans le mouvement mme du sicle qui lavait vu natre.
Au cours de son action publique, Robespierre na cependant jamaiscess de remettre en question les donnes fondamentales du corps de
principes dont il sest inspir ds 1789. Rappelons-le : contre Jean-
Jacques qui la tenait pour ncessaire, Maximilien a combattu la peine
de mort en matire pnale ; loppos des thoriciens de la dmocratiepolitique qui la jugeaient irralisable dans un grand Etat, il a admis la
possibilit dune dmocratie (en partie) reprsentative, mais,
Montesquieu lavait dclar sagissant de la Rpublique, il donna celle-ci, ds lorigine, la vertu pour fondement et la publicit des dbatscomme garantie. Hostile la loi agraire des partageux, cette
chimre selon lui, il nhsita cependant pas dsacraliser laproprit prive au profit dun solidarisme social, aussi loign delutopie communautariste dun Morelly (ou dun Rtif de la Bretonne)que du dogme libraliste des Girondins, lequel, sous largument derpondre lgitimement aux exigences des classes mitoyennes ,
faisait la part belle aux riches et aux puissants dont taient si proches
les membres du groupe dirigeant. Optimiste comme ltaient leshommes des Lumires quant aux effets bnfiques long terme des lois
justes et de linstruction publique sur les comportements sociaux venir, il affichait le plus total pessimisme sur les rsultats de lactionvolontaire des hommes quand cette dernire sinscrit dans le courtterme de la politique et des luttes de pouvoir : aussi offrit-il souvent sa
vie en sacrifice comme on le ferait dun gage pris sur lavenir ; la
manire dont il construisit sa fin nous interdit videmment dy voir unsimple effet de rhtorique.
Ainsi est-il juste de dire que cet homme sest chang lui-mme encontribuant changer le monde qui lavait fait, ce qui, au del desproclamations creuses, est prcisment la marque des rvolutionnaires
authentiques. Il eut en outre cette force et ce talent de penser, alors quilen tait lun des acteurs de premier plan, cette double transformation,
celle de son temps et celle de son tre subjectif : Le monde a chang,il doit changer encore. Quy a-t-il de commun entre ce qui est et ce quifut ? , scrie-t-il la barre de la Convention le 18 floral an II (7 mai1794). Ntait-ce pas ce constat qui lavait dj inspir le 5 nivse an II(25 dcembre 1793) quand, pour justifier lexistence du Gouvernementrvolutionnaire, il dclarait : La thorie du Gouvernement
rvolutionnaire est aussi neuve que la Rvolution qui la amen. Il ne
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faut pas la chercher dans les livres des crivains politiques qui nontpoint prvu cette Rvolution [...] ?
Dans cette capacit rflexive dinvention et de retour critique sursoi-mme, sur sa pratique et sur son jugement, et cela jusqulirrmdiable du devoir de dcider, rside le fondement de toutes lesdramaturgies que lvocation de la vie de Maximilien Robespierre apermis de construire, au premier rang desquelles se situe toujours,
comme un archtype, la romantiqueMort de Danton du pote allemand
Georg Bchner (1835). Mais quand aujourdhui, toute distance prise,nous nous essayons reconstruire dans le dtail des faits, le chemin
suivi par Robespierre en cette fin du XVIIIe
sicle, nous sommes
contraints de remplacer arbitrairement par des supputations venues delclairage que nous apporte la connaissance du temps rvolutionnaireet de ses rythmes collectifs, les points de suspension qui sparent des
lots de vie dans cet archipel existentiel o sest construit son itinrairebiographique, le sien dailleurs autant que celui de beaucoup dautressujets humains. Cest pourquoi il nous faut demeurer modeste et savoirque de Maximilien Robespierre, finalement, nous ne savons que peu de
choses. Du moins tiendra-t-on pour ncessaire de ne ngliger aucun
tmoignage, aucune donne, aucun nonc, qui puisse nous permettre
de construire un rcit approch et crdible de son existence. Car lenjeuest dimportance. Il nous faut en effet penser le comment des choses,cest--dire la manire dont ce philosophe qui fut en mme temps unhomme daction, tel que Georges Labica en a dress le portrait(Robespierre. Une politique de la philosophie, Paris, PUF, 1990), sestinsr dans le tissu complexe dun grand moment dhistoire, lequelrestera jamais celui dune crise traumatique, refondatrice de la
modernit contemporaine. Or cest prcisment pour cela et seule finde favoriser la frquentation intelligente et patiente des onze volumes
des uvres de Maximilien Robespierre que la Socit des tudesrobespierristes propose cette magistrale rdition, dite du
Centenaire .
En 1988, Arras, Michel Vovelle pronona une fort belle
confrence dont on trouvera le texte dans son recueil Combats pour la
Rvolution franaise (Paris, La Dcouverte, 1993, p. 349). Il lui donnapour titre Pourquoi nous sommes encore robespierristes ? Il faisait
videmment cho la prise de position dAlbert Mathiez du 14 janvier1920, rpondant dune manire faussement nave cette question quiparaissait dj insolite : Pourquoi nous sommes robespierristes ?
Mathiez y entreprenait de justifier le combat quil menait depuis 1907pour la dfense et la rhabilitation de lIncorruptible. Depuis 1907, il
sest toujours trouv des robespierristes ne dsarmant pas et il sen
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montre toujours de par le monde, qui savent sunir et se rencontrer. Desassociations robespierristes se sont cres : tout comme sexprime etprospre la Socit des tudes robespierristes, se manifeste lactiveAssociation des Amis de Robespierre pour le bicentenaire de la
Rvolution, dArras, qui a publi, en juillet 2007, le soixantimenumro de son modeste bulletin LIncorruptible ; nagure, uneAssociation Maximilien Robespierre pour lIdal dmocratique, stait
fait connatre. Parmi les fidles de ce combat en notre temps, il est des
patronymes qui ont valeur de symboles. De Georges Lefebvre
prononant le discours dinauguration du buste de Robespierre placdans la Mairie dArras en 1933 Guy Mollet, leader du parti socialiste
SFIO, Prsident du Conseil et maire dArras, dont on retiendra ici quilfut un robespierriste dclar, dAlbert Ollivier et Andr Malraux ou deJacques Duclos en 1939 Jean Bruhat en 1958, dAlbert Soboul qui
voyait en Robespierre la figure incarne des lans comme des limites et
contradictions dune rvolution qui tait, selon le mot de Jaurs,indissociablement bourgeoise et populaire, Michel Vovelle, grand
matre duvre de la commmoration historienne du bicentenaire de1989, du grand crivain et essayiste Henri Guillemin, mettant si
justement laccent sur les fondements religieux de la politique socialede Robespierre, labb Bernard Plongeron, saluant dans le promoteurde la Fte de lEtre suprme, lhomme politique qui a aid lecatholicisme franais ne pas basculer entirement du seul ct de la
contre-rvolution, peu dhommes politiques dautrefois ont ce pointsuscit une telle adhsionpost-mortem et tant de respect.
Ainsi des robespierristes, il en existe aujourdhui comme hier.Mais existe-t-il un robespierrisme situ hors du temps ? Assurment
non !
Gardons-nous en effet driger en doctrine intemporelle les vuessuccessives ncessairement volutives, adaptes aux situations
concrtes, que Robespierre et ses compagnons ont inventes en rponse
aux sollicitations dun temps de tourments o tout ce qui se
construisait, risquait de reconstruire ltat antrieur des choses !Gardons-nous de lire dans la politique de Robespierre le droulement
linaire dune idologie prconue et lapplication passive dun codethorique et pratique cohrent ou la ralisation dune utopie intangible :en historien habile replacer les choses dans leur configuration
singulire, il convient dobserver linteraction permanente des idesdun homme, construit par le meilleur de la culture de son temps,confront aux raideurs de la ralit, cette force des choses voque
par Saint-Just. Cest ainsi dailleurs quont raisonn les historiensrassembls Arras linitiative de Jean-Pierre Jessenne, en avril 1993,
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comme on pourra en juger en consultant les Actes de ce grand colloque
(Robespierre. De la Nationartsienne la Rpublique et aux Nations,
Lille III, 1994, 460 p.).
Le robespierrisme cependant a exist. En rponse la calomnie
thermidorienne puis loccultation de lide rpublicaine, il fut unereconstruction idologique laquelle sattachrent les rpublicains de1830, rapparus sur les ruines de la prtendue restauration impose
par les coaliss de 1815. Avant mme 1848 et la Seconde Rpublique,
les Laponneraye, Charles Teste, Voyer dArgenson, Armand Carrel,mais aussi Esquiros, Barbs, Godefroy Cavaignac, tout comme Ledru-
Rollin ou Louis Blanc, sans oublier sur lautre bord linclassable
Philippe Buonarroti, le compagnon de Babeuf, tous ceux quibataillaient pour une Rpublique vritable quand rgnait Louis-
Philippe, Roi des franais, tablirent en corps de principes et de
propositions, ce quils jugrent utile de retenir du combat qui fut celuide Robespierre. Ce combat des premiers hritiers, quand nous
lobservons depuis le belvdre de notre vingt-et-unime sicle
commenant, comment ne pas reconnatre quil fut hroque autant queprophtique ?
Croire cependant aujourdhui lactualit dun prtendu robespierrisme qui nous donnerait les clefs ncessaires la
rsolution thorique et pratique des problmes de notre temps, serait
une chappatoire nave, peut-tre une diversion. Entre les exigences
transformatrices du temps de Robespierre et celles du ntre, que de
changements essentiels ! La rvolution industrielle du capitalisme puis
la rvolution informationnelle ont pass ; le monde sest largi, seglobalise et sunifie au milieu des espoirs et des changes, des iniquitset des tourments, des risques et des potentialits neuves ; lexpriencedautres cycles de rvolutions a dchir le ciel des illusions candides,sans rduire cependant lespoir toujours actif de lmancipationhumaine ; les formes institutionnelles de la dmocratie politique se sont
diversifies, rvlant du mme coup la difficult de ralisation dunordre dmocratique juste et stable tandis que la recherche de la bonne
articulation du politique contractuel au social proccupant, puis du
social lanthropologique et lenvironnemental, ne cesse de rvler saprofonde complexit. Nous tendons lvidence vers la recherchepratique du mieux, mais nous y tendons dans la douleur et
asymptotiquement. Ce que Maximilien Robespierre annonait
prophtiquement dans son grand discours du 18 floral an II, conserve
plus que jamais sa part de vrit : Tout a chang dans lordrephysique ; tout doit changer dans lordre moral et politique. La moitide la rvolution du monde est dj faite ; lautre moiti doit
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saccomplir. Nulle recette cependant et nulle leon dans ce je ne saisquel robespierrisme hors dge qui se plaquerait sur notre monde etsur notre temps comme un alibi ou un masque.
Peut-tre entendons-nous, malgr tout, venant de Maximilien
Robespierre une manire de message philosophique qui se sera gliss
jusqu nous. Ce message nous le saisissons comme on le ferait dunpatrimoine authentique : un bien reu qui nous aiderait prolonger son
effet et renouveler son contenu, nous enrichir en somme de ce que
nous lui apporterons notre tour. Si ce message existe, il est celui-ci,
savoir que la fatalit du malheur nexiste pas, que lindignit de lapauvret sociale comme de lignorance entretenue ne sont point des
donnes intangibles de la nature humaine et que la politique, dans sagrandeur vraie, est prcisment constitue pour en rduire le champ.
Les arts, les sciences et les savoirs en eux-mmes, ny suffiront pas car,comme nous le disait Maximilien Robespierre : les rois qui font le
destin de la terre ne craignent ni les grands gomtres, ni les grands
peintres, ni les grands potes [... mais ils] redoutent les philosophes
rigides, et les dfenseurs de lhumanit .Si message robespierriste il y a, trouvons-le dans ces mots-l qui
sont tout la gloire dune politique qui, librant lindividu vivant ensocit, noublie jamais lhumanit dans son essence et qui, faisant delaction politique le levier ncessaire du changement, ne nglige jamais,par le rappel des fins, den fonder thoriquement et moralementlusage.
Voil ce que la lecture ou la consultation des milliers de pages des
uvres deMaximilien Robespierre pourra peut-tre nous conduire penser. A penser plus qu croire assurment, que cette terredlicieuse que nous habitons [...] est faite pour tre le domaine de la
libert et du bonheur (Discours du 18 floral an II sur les rapports
des ides religieuses et morales avec les principes rpublicains et sur
les ftes nationales).
Un grand merci donc Philippe Bourdin, Prsident de la Socit
des tudes robespierristes et tous ceux qui ont permis cette seconde
rdition augmente et complte, dtre conduite bien.
Claude MAZAURIC, Professeur mrite des Universitsancien membre de la Prsidence de la Socit des tudes robespierristes
Prsentation, tome I, uvres littraires, p. I-XXIV,uvres de Maximilien Robespierre, Paris, 2007, 11 volumes.Socit des tudes robespierristes, Les Editions du Miraval.