Cercle de Vienne (1929)

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Hahn,H. Neurath,O.,Carnap, R.,Schlick, M.,La conception scientifique LA CONCEPTION SCIENTIFIQUB DU MONDB du monde. Le Cercle de Vienne, in Antonia Soulez (dir.) Manifeste du Cercle de Vienne et autres crits, On a dcid qu' l'occasion de cette confrence serait publi le Paris : PUF, 1985, 108-129. [1929] prsent crit sur le Cercle viennois de la conception scientifique du monde . Il doit tre remis Schlick en octobre 1929, son retour de LA CONCEPTION SCIENTIFIQUE l'Universit de Stanford, Californie (o il occupe un poste de proDU MONDE fesseur invit), pour lui prouver combien nous lui savons gr et nous LE CERCLE DE VIENNE (1929)* nous rjouissons de sa dcision de rester Vienne.La deuxime partie de ce texte contient une bibliographie faite en collaboration avec les participants. Elle doit offrir une vue d'ensemble concernant les domaines de problmes sur lesquels se penchent les membres du Cercle de Vienne ou ceux qui s'en trouvent proches.PRFACB

Au dbut de l'anne 1929, Moritz Schlick reut une offre de poste trs tentante Bonn. Aprs quelques hsitations, il se dcida rester Vienne. Ce fut l'occasion, pour lui comme pour nous, de prendre conscience pour la premire fois qu'il existe quelque chose comme Cercle viennois de la conception scientifique du monde, dont la tche consiste poursuivre le dveloppement de cette manire de penser par la collaboration de tous. Ce Cercle ne connat aucune organisation rigide i il est compos de personnes que runit une mme attitude scientifique fondamentale; chaque individu s'efforce de se fondre dans le groupe; chacun met en premier plan les liens qui le rattachent aux autres; nul ne souhaite porter atteinte ces liens en faisant prvaloir sa particularit. Nombreuses sont les occasions d'change. Ainsi le travail de l'un peut-il tre poursuivi par l'autre. L'intrt du Cercle de Vienne est d'tablir le contact entre ceux qui suivent la mme ligne et d'tendre son influence ceux qui y sont encore trangers. Collaborer l'Association E.-Mach, c'est exprimer cet effort mme. Son prsident est Schlick, et son comit regroupe plusieurs membres du Cercle. Les 15 et 16 septembre 1929, la socit E.-Mach tiendra, de concert avec la Socit de Philosophie empirique de Berlin, une journe Prague sur la thorie de la connaissance des sciences exactes en temps et lieu mmes o est prvue la participation de la Socit allemande de Physique et l'Association allemande de Mathmaticiens. En dehors des questions relatives aux spcialits, on discutera galement de questions fondamentales. Ddicac Moritz Schlick.

Pour la Socit Ernst-Mach Hahn, Neurath, Carnap.

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Le Cercle viennois de la Conception Scientifique du Monde1. HIsTORIQUB

Que la pense mtaphysique et thologique reprenne aujourd'hui son essor, non seulement dans la vie mais aussi dans la science. est une opinion largement rpandue. S'agit-il d'un problme gnral ou / seulement d'un changement limit certains cercles? Un coup d'il sur les thmes des cours dispenss dans les universits et sur les titres des publications philosophiques suffit pour confirmer cette vue. A ' l'oppos, l'esprit des Lumires et de la recherche antimtaphysique applique aux faits se trouve galement renforce par la conscience qu'il prend de son existence et de sa tche. Nombreux sont les cercles / pour lesquels cette manire de penser, hostile la spculation et rive l'exprience, acquiert une vitalit qui s'alimente aux rsistances croissantes. Il n'est pas une branche de la science de l'exprience qui ne soit pas, dans son travail de recherche, anime par cet esprit de la conception scientifique du monde. Et pour ce qui est de le pntrer fond et de

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MANIfBSTB DU CERCLE DE VIENNE

LA CONCEPTION SCIENTIFIQUE DU MONDE

systmatique, on ne trouve gure que quelques penseurs d'avant-garde - encore sont-ils rarement mme de rassembler autour d'eux, en un cercle, des collaborateurs qui partagent leurs vues. En Angleterre surtout, nous voyons s'affinner des tendances antimtaphysiques. La tradition des grands empiristes y est encore vivante; les investigations de Russell et Whitehead sur la logique et l'analyse du rel ont acquis une porte internationale. Aux Etats-Unis, ces tendances prennent les formes les plus diverses jen un certain sens, James pourrait tre compt parmi leurs reprsentants. La nouvelle Russie se consacre tout entire la recherche d'une conception fique du monde, quoique en prenant partiellement appui sur des courants matrialistes anciens. En Europe continentale, Berlin surtout, on trouve une concentration de chercheurs dont les productions s'orientent vers la conception scientifique du monde (Reichenbach, Petzold, Grelling, Dubislav et d'autres), mais aussi Vienne. Que Vienne ait t un lieu particulirement propice un tel dveloppement d'ides s'explique par des raisons historiques. Tout au long de la deuxime moiti du xrx e sicle, le libralisme tait la tendance politique dominante Vienne. Les sources de son univers intellectuel sont les Lumires, l'empirisme, l'utilitarisme et le libre-changisme / 1 anglais. Des savants de rputation mondiale occupaient une place de premier rang dans le mouvement libral viennois. C'est l qu'on a cultiv un esprit antimtaphysique : qu'on se souvienne de Theodor G>mperz, traducteur des uvres de Mill (1869-1880), Suess, Jodl et d'autres. Cet esprit des Lumires plaait Vienne la pointe de l'ducation populaire scientifiquement oriente. Ainsi Victor Adler et Friedrich Jodl ont collabor la fondation de l'Association d'Education populaire et l'ont perptue; les cours populaires d'universit ) et le foyer du peuple ont t institus par Ludo Hartmann, historien bien connu dont toutes les activits portent la marque d'une position antimtaphysique et d'une conception matrialiste de l'histoire. Du mme esprit provient galement r Ecole libre , mouvement prcurseur de l'actuelle rforme scolaire. C'est dans cette atmosphre librale qu'a vcu Ernst Mach (n en 1838) du temps o il tait tudiant puis Privatdozent Vienne (1861-1864). Il n'y retourna qu' un avanc quand une chaire de philosophie des sciences inductives fut spcialement cre pour lui (1895). Il s'effora en particulier de purifier la science empirique. commencer par la physique. en liminant les penses mtaphysiques.

Rappelons sa critique de l'espace absolu qui a fait de lui le prcurseur d'Einstein. Rappelons son combat contre la mtaphysique de la chose en soi et du concept de substance, ainsi que ses investigations sur la construction des concepts scientifiques partir d'lments ultimes, les donnes des sens. Le dveloppement scientifique ne lui a pas donn raison sur certains points; par exemple sur sa prise de position contre l'atomisme et son espoir en un progrs de la physique passant par la physiologie des sens. En revanche, sur les points essentiels, sa conception s'est par la suite rvle positive. La chaire de Mach fut plus tard occupe par Ludwig Boltzmann (1902-1906), aux ides expressment empiristes. L'activit dploye par les physiciens Mach et Boltzmann en tant que titulaires d'une chaire de philosophie permet de comprendre le vif intrt suscit par les problmes de thorie de la connaissance et de logique, lis aux fondements de la physique. Ces problmes de fondement orientrent galement les efforts vers un renouvellement de la logique. C'est partir d'un point de vue tout diffrent que Franz Brentano (1874-1880, professeur de philosophie la Facult de Thologie, plus tard Dozent la Facult de Philosophie) s'est appliqu dfricher le terrain sur lequel se dveloppaient Vienne les mmes tendances. En tant que prtre catholique, Brentano entendait la scolastique ; il prit directement comme point de dpart la logique scolastique et les efforts de Leibniz pour rfonner la logique, tandis qu'il laissait de ct Kant et les philosophes idalistes systmes. Les affinits intellectuelles de Brentano et de ses tudiants pour des hommes tels que Bolzano (Wissenschaftlehre, 1837) et d'autres, qui s'appliquaient donner la logique de nouvelles fondations rigoureuses, paraissent de plus en plus videntes. C'est cet aspect de la philosophie de Brentano qu'Alois H/1er (1853-1922) a vigoureusement dfendu, lors d'un forum o se trouvaient fortement reprsents les partisans de la conception scientifique du monde, pntrs de l'influence de Mach et Boltzmann. De nombreuses discussions sur les questions poses par les fondements de la physique et sur les problmes de thorie de la connaissance et de logique que leur sont apparents, avaient lieu sous la direction de Hfler dans les locaux de la Socit de Philosophie l'Universit de Vienne. C'est cette Socit de Philosophie que nous devons la publication (1899) des Prfaces et Introductions aux travaux classiques sur la mcanique ainsi que certains crits de Bolzano (co-diteurs: Hfler et Hahn, 1914 et 1921). Le cercle viennois de Brentano (1870-1882) a abrit le jeune Alexis von

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MANIFESTE DU CERCLE DE VIENNE LA CONCEPTION SCIENTIFIQUE DU MONDE

MeinoDg (plus tard professeur Graz) dont la thorie de l'objet continue de prsenter sans aucun doute quelque affinit avec les thories modernes du concept, et dont le disciple Ernst Mally (Graz) travaillait galement dans le champ de la logistique. De mme, les crits de jeunesse de Hans Pichler (1909) prennent leur origine dans ce milieu d'ides. A peu prs en mme temps que Mach, travaillait Vienne son ami et contemporain Josef Popper-Lynkeus. Mentionnons, outre ses travaux physico-techniques, ses rflexions philosophiques de grande envergure quoique exprimes de faon non systmatique (1899), de mme que son plan d'conomie rationnelle (1878, Allgemeine Nahrpflicht) [1]. il servit en toute conscience l'esprit des Lumires comme en tmoigne galement son ouvrage sur Voltaire. Beaucoup d'autres sociologues viennois tels que Rudolf Goldscheid ont avec lui rejet la mtaphysique. Il est galement remarquable que le domaine de l'conomie politique ait t trait selon une mthode scientifique rigoureuse Vienne, dans l'Ecole de la doctrine d'Utilit Marginale (Carl Menger, 1871) [2] j cette mthode s'est implante en Angleterre, en France et en Scandinavie - mais pas en Allemagne. La thorie marxiste fut, elle aussi, l'objet Vienne d'une laboration particulirement pousse (Otto Bauer, Rudolf Hilferding, Max Adler et d'autres). Pareilles influences venues de divers cts eurent pour effet Vienne, en particulier aprs le tournant du sicle, d'attirer un nombre croissant de personnes pour discuter avec passion et sans relche de problmes plus gnraux en troite connexion avec la science empirique. il s'agissait en priorit des problmes que posent en physique la thorie de la connaissance et la mthodologie, par : le conventionnalisme de Poincar, la conception du but et de la structure des thories physiques de Duhem (son traducteur fut un partisan de Mach, le Viennois Friedrich Adler, alors Privatdozent de Physique Zurich) j mais il s'agissait aussi des questions poses par les fondements des mathmatiques, des problmes de l'axiomatique, de la logistique et d'autres du mme genre. Certaines lignes directrices qui ont particulirement marqu l'histoire de la science et de la philosophie se trouvent ici runies. On les dsignera par ceux de leurs reprsentants dont on a principalement discut les travaux.{( Devoir de subvenir aux besoins alimentaires de la population . Pre du mathmaticien K. Menger.

1. Positivisme et Empirisme : Hume, les Lumires, Comte, Mill, Richard Avenarius, Mach. 2. Fondements, buts et mthodes de la science empirique (hypothses en physique, en gomtrie, etc.); Helmholtz, Riemann, Poincar, Enriqus, Duhem, Boltzmann, Einstein. 3. La logistique et son application au rel : Leibniz, Peano, Frege, Schrder, Russell, Whitehead, Wittgenstein. 4. L'axiomatique : Pasch, Peano, Vailati, Pieri, Hilbert. 5. Eudmonisme et sociologie positiviste : Epicure, Hume, Bentham, Mill, Comte, Feuerbach, Marx, Spencer, Mller-Lyer, PopperLynkeus, Carl Menger (pre).2. LE CERCLE AUTOUR DE ScHLICK

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En 1922, Moritz Schlick fut appel de Kiel Vienne. L, il trouva un climat scientifique favorable ses activits qui s'explique par l'volution historique de la ville. Physicien lui-mme par sa formation d'origine, il ranima la tradition que Mach et Boltzmann avaient inaugure et que les ides antimtaphysiques d'Adolf Sthr avaient en un certain sens perptue ( Vienne se succdrent : Mach, Boltzmann, Sthr, Schlick, et Prague: Mach, Einstein, Ph. Franck). Autour de Schlick s'est form d'anne en anne un cercle dont ls membres ont joint leurs efforts pour s'orienter en direction d'une conception scientifique du monde. Cette concentration a suscit une mulation fconde. Les membres du Cercle qui ont publi figurent dans la bibliographie. Aucun d'entre eux n'est un soi-disant pur philosophe , mais tous ont travaill un domaine particulier de la science. De fait, ils viennent de diffrentes branches de la science, avec l'origine des attitudes philosophiques diffrentes. Mais, d'anne en anne, s'est affirme une uniformit croissante due une attitude spcifiquement scientifique: Ce qui se laisse dire, se laisse dire clairement )} (Wittgenstein). Un accord est finalement possible, en dpit de la diversit des opinions. Cet accord est donc par l mme requis. Il est devenu toujours plus manifeste que cette attitude, non seulement affranchie de la mtaphysique mais dirige contre elle, signe le but qui nous est commun tous. Quant aux attitudes face aux questions de la vie (LebensEragen), elles font galement l'objet d'un consensus remarquable, encore que ces questions n'aient pas t au premier plan des thmes discuts au sein du Cercle. Elles prsentent d'ailleurs plus d'affinit avec la concep-

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MANIFBSTE DU CERCLE DE VIENNE

LA CONCEPTION SCIENTIl'IQUE DU MONDB

don scienti6que du monde qu'il pourrait sembler de prime abord quand on les considre du point de vue purement thorique; ainsi les / efforts dploys pour rorganiser les relations conomiques et sociales, unifier l'humanit, rnover l'cole et l'ducation, sont intimement lis la conception scientifique du monde. En tmoignent l'approbation et la sympathie des membres du Cercle, sans compter la contribution \ active de certains d'entre eux. Le Cercle de Vienne ne se contente pas de produire un travail collectif, comme le ferait un cercle ferm. li s'efforce galement les mouvements vivants du prsent dans la mesure o s'y dessinent des dispositions favorables la conception scientifique du monde, loin de la mtaphysique et de la thologie. L'Association ErnstMach constitue aujourd'hui le lieu partir duquel le Cercle entend s'adresser un public plus large. Elle veut promouvoir et divulguer ce que son programme appelle la Conception Scientifique du Monde . Confrences et publications sur l'tat prsent de la Conception Scientifique du Monde lui permettront de rvler la porte de la recherche exacte en sciences sociales et en sciences de la nature. Ainsi devront tre forgs les outils intellectuels de l'empirisme moderne ncessaires pour donner forme (Lebensgestaltung) la vie publique et prive. En choisissant ce nom, l'Association entend caractriser , son orientation fondamentale : science affranchie de la mtaphysique. { Mais il ne faut pas en conclure que son programme se conforme aux doctrines particulires de Mach. En collaborant avec l'Association Ernst-Mach, le Cercle de Vienne est convaincu de rpondre l'appel prsent : faonner pour le quotidien les instruments du travail intellectuel, pour le quotidien des hommes