[Cancer du canal anal et du rectum] · Pr David AZRIA (CLCC Montpellier) Dr Eric DEUTSCH (IGR...

4
La lettre d'information aux patients La lettre d'information aux patients Nov. 2011 - n° 19 Comité Editorial : Pr David AZRIA (CLCC Montpellier) Dr Eric DEUTSCH (IGR Villejuif) Dr Jean GENEVE (R&D UNICANCER) Béata JUZYNA (R&D UNICANCER) Marie LANTA (LNCC) Dr Françoise MAY-LEVIN (LNCC) Conception-Réalisation : Franck FONTENAY, RCP Communication Impression : IDEM 41 Les résultats de deux essais L’association d’une thérapie ciblée au traitement standard semble trop toxique Deux essais ont été entrepris par le groupe UNICANCER, qui réunit les Centres de lutte contre le cancer, pour évaluer une thérapie ciblée dans le traitement du cancer du canal anal et du cancer du rectum. Ces deux essais visaient à déterminer si l’ajout de la thérapie ciblée permettait d’améliorer l’efficacité du traitement par rapport au schéma standard. Malheureusement, il a été constaté une toxicité importante dans l’un et l’autre essai qui a amené à leur arrêt. Ces données conduisent à ne pas recommander les traitements évalués chez les personnes présentant un cancer du canal anal ou du rectum localement avancé. [Cancer du canal anal et du rectum]

Transcript of [Cancer du canal anal et du rectum] · Pr David AZRIA (CLCC Montpellier) Dr Eric DEUTSCH (IGR...

Page 1: [Cancer du canal anal et du rectum] · Pr David AZRIA (CLCC Montpellier) Dr Eric DEUTSCH (IGR Villejuif) Dr Jean GENEVE (R&D UNICANCER) Béata JUZYNA (R&D UNICANCER) Marie LANTA (LNCC)

La lettre d'information aux patients

La lettre d'information aux patients

Nov. 2011 - n° 19

Comité Editorial :Pr David AZRIA (CLCC Montpellier)Dr Eric DEUTSCH (IGR Villejuif)Dr Jean GENEVE (R&D UNICANCER)Béata JUZYNA (R&D UNICANCER)Marie LANTA (LNCC)Dr Françoise MAY-LEVIN (LNCC)

Conception-Réalisation :Franck FONTENAY, RCP Communication

Impression :IDEM 41

Les résultats de deux essaisL’association d’une thérapie ciblée au traitement standard semble trop toxiqueDeux essais ont été entrepris par le groupe UNICANCER, qui réunit les Centres de lutte contre le cancer, pour évaluer une thérapie ciblée dans le traitement du cancer du canal anal et du cancer du rectum. Ces deux essais visaient à déterminer si l’ajout de la thérapie ciblée permettait d’améliorer l’efficacité du traitement par rapport au schéma standard. Malheureusement, il a été constaté une toxicité importante dans l’un et l’autre essai qui a amené à leur arrêt. Ces données conduisent à ne pas recommander les traitements évalués chez les personnes présentant un cancer du canal anal ou du rectum localement avancé.

[Cancer du canal anal et du rectum]

Page 2: [Cancer du canal anal et du rectum] · Pr David AZRIA (CLCC Montpellier) Dr Eric DEUTSCH (IGR Villejuif) Dr Jean GENEVE (R&D UNICANCER) Béata JUZYNA (R&D UNICANCER) Marie LANTA (LNCC)

Qu’est-ce que le cancer du canal anal ?Le canal anal est la partie terminale du tube digestif. Situé entre le rectum et la partie extérieure de l’anus, il mesure de trois à quatre centimètres. Les cancers qui se développent au niveau du canal anal sont rares puisqu’ils représentent de 1 % à 2 % de l’ensemble des cancers de l’appareil digestif. Il semble cependant en augmentation, notamment chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes. Toutefois, ce type de cancer reste globalement plus fréquent chez les femmes. Le cancer du canal anal survient le plus souvent chez des personnes âgées de plus de 60 ans, deux tiers des patients ayant plus de 65 ans.Le cancer du canal anal est fortement associé à l’infection par le papillomavirus (HPV), puisque ce virus est retrouvé dans 80 % à 85 % des cas. Les autres facteurs de risque principaux sont l’infection par le virus du sida (VIH) et le tabagisme.

Quels sont les traitements standards du cancer du canal anal ?Jusqu’au milieu des années 80, le principal traitement du cancer du canal anal reposait sur une intervention chirurgicale visant à retirer la tumeur. Ce type d’intervention n’était pas sans répercussion, puisque la majorité des patients ainsi opérés devait subir une colostomie, c’est-à-dire l’implantation d’une dérivation partant du colon et aboutissant sur la paroi cutanée dans la région abdominale, afin de permettre l’évacuation des matières fécales. De plus, les récidives étaient fréquentes. A l’heure actuelle, la chirurgie est pratiquée uniquement chez les patients présentant une tumeur de petite taille.Aujourd’hui, le traitement standard repose sur l’association d’une radiothérapie locale et d’une chimiothérapie générale. La radiothérapie est habituellement réalisée sur plusieurs semaines. La chimiothérapie, qui est délivrée pendant la radiothérapie, associe deux médicaments, le 5-fluorouracil (ou 5-FU) et soit la mitomycine C, soit le cisplatine. Ce traitement peut notamment s’accompagner d’une inflammation des muqueuses (mucite) de la région anale nécessitant des soins locaux. Ces effets indésirables se résorbent généralement dans les semaines qui suivent l’arrêt du traitement.Ce type de traitement permet d’obtenir une rémission prolongée chez une majorité de patients.

[ UNE

PRÉSENTATION

AU CONGRÈS

DE L’ASCO ]

L’essai ACCORD 16/0708 était un « essai de phase 2 évaluant l’efficacité et la tolérance d’un traitement associant une radiochimiothérapie par cisplatine et 5-FU à un traitement par cétuximab, chez des patients ayant un cancer anal localement avancé ».

Ces résultats ont fait l’objet d’une présentation au congrès de l’American Society of Clinical Oncology qui s’est tenu à Chicago (États-Unis) du 1er au 5 juin 2011.

RectumCanal anal

ACCORD 16/0708 – Cancer du canal analUne trop forte toxicité

Pourquoi l’essai ACCORD 16/0708 a-t-il été entrepris ?Si les traitements standards actuels sont efficaces, ils ne le sont pas à 100 % chez toutes les personnes atteintes d’un cancer du canal anal. Dès lors, les recherches se poursuivent pour tenter d’améliorer l’efficacité des traitements. C’est dans cet esprit qu’a été conçu l’essai ACCORD 16/0708.

Quel était l’objectif de l’essai ?L’essai ACCORD 16/0708 visait à évaluer si l’adjonction d’une thérapie ciblée à l’un des schémas thérapeutiques standards permettait d’améliorer l’efficacité du traitement. La thérapie ciblée reposait sur l’administration d’un médicament appelé cetuximab. Il s’agit de ce que l’on appelle un anticorps monoclonal : c’est un médicament qui imite le fonctionnement des anticorps naturels de l’organisme et qui agit sur une cible spécifique. En l’occurrence, la cible du cetuximab est le récepteur EGFR (récepteur de croissance des cellules épithéliales). Ce dernier est naturellement présent à la surface de toutes les cellules du corps car il participe au bon fonctionnement de celles-ci. Il a été montré dans plusieurs formes de cancers que le nombre de ce récepteur est augmenté sur les cellules tumorales. Cette « surexpression » de l’EGFR favorise la croissance de ces cellules et donc de la tumeur. En bloquant le récepteur EGFR, les anticorps monoclonaux tels que le cetuximab contribuent à empêcher les cellules cancéreuses de proliférer.Dans des cancers de la sphère ORL, des essais ont mis en évidence que l’ajout du cetuximab à une radiothérapie et une chimiothérapie permet d’améliorer l’efficacité du traitement. L’objectif de l’essai ACCORD 16/0708 était de voir si un effet similaire pouvait être obtenu chez des personnes atteintes d’un cancer du canal anal.

Page 3: [Cancer du canal anal et du rectum] · Pr David AZRIA (CLCC Montpellier) Dr Eric DEUTSCH (IGR Villejuif) Dr Jean GENEVE (R&D UNICANCER) Béata JUZYNA (R&D UNICANCER) Marie LANTA (LNCC)

Qui a participé à l’essai ?L’essai ACCORD 16/0708 s’adressait à des patients présentant la forme la plus fréquente de cancer du canal anal, celui-ci devant être à un stade dit « localement avancé ». Cela signifie que la taille de la tumeur était relativement importante, mais que cette dernière ne touchait pas les ganglions environnants et qu’elle ne s’était pas étendue à d’autres localisations à distance (métastases).L’essai, qui a débuté en mars 2009 dans une quinzaine de centres hospitaliers en France, prévoyait d’inclure au total 77 patients. Une analyse des données recueillies auprès des 35 premiers participants était prévue qui devait permettre de déterminer si l’essai pouvait ou non se poursuivre. En réalité, l’essai a été interrompu après l’inclusion de 16 patients (14 femmes et deux hommes).

Quel traitement ont-ils reçu ?Le traitement proposé était le suivant :- La thérapie ciblée par cetuximab pendant 6 semaines, administrée une fois par semaine par

perfusion intraveineuse.- Une radiothérapie pendant 5 semaines, administrée 5 jours par semaine.- Une chimiothérapie par 5-FU, administrée pendant 4 jours à deux reprises, et par cisplatine,

administré deux fois. Ces deux médicaments sont injectés par perfusion intraveineuse.La thérapie ciblée commençait une semaine avant la radiothérapie, puis se poursuivait pendant la durée de celle-ci. La chimiothérapie était elle aussi administrée pendant la radiothérapie, lors de la première et de la dernière semaine de celle-ci.Seulement la moitié des patients inclus ont reçu la totalité de ce traitement.

Pourquoi l’essai a-t-il été arrêté prématurément ?La tolérance au traitement proposé a été médiocre. En effet, l’essai ACCORD 16/0708 a été interrompu une première fois en juillet 2009 après l’inclusion de 10 patients lorsqu’il a été constaté que trois d’entre eux ont présenté des effets indésirables graves. Après analyse des dossiers des participants, les responsables de l’essai ont décidé de diminuer la dose du 5-FU, dans l’espoir d’améliorer la tolérance du traitement expérimental, et de reprendre les inclusions en décembre 2009. Six patients supplémentaires ont alors été inclus, dont trois ont présenté à nouveaux des effets indésirables sévères. Les inclusions ont dès lors été suspendues en mai 2010, puis l’essai définitivement arrêté en novembre 2010.Les effets indésirables les plus sérieux ont été une baisse importante de certaines cellules du sang, exposant à un risque élevé d’infections, des diarrhées et des troubles cutané sous forme d’acné ou de rougeurs s’apparentant à des coups de soleil. Chez trois patients, des effets indésirables ont persisté pendant plusieurs mois.

Que faut-il penser de ce résultat ?La conclusion à tirer de l’essai ACCORD 16/0708 est malheureusement évidente : le traitement évalué, à savoir l’ajout d’une thérapie ciblée par cetuximab au traitement standard, ne peut être recommandé pour traiter les personnes atteintes d’un cancer du canal anal localement avancé. Même s’il est peut-être efficace (ce que l’essai ne peut montrer compte tenu du faible nombre de patient inclus), ce schéma thérapeutique expose à trop d’effets indésirables et présente donc trop de risque pour les patients.Un tel résultat n’est jamais une bonne nouvelle ! C’est néanmoins une information importante qui permettra d’éviter qu’à l’avenir d’autres patients se voient proposer le traitement évalué et soient donc exposés à des risques d’effets indésirables graves. D’où l’importance de faire connaître ce résultat auprès des médecins et des patients.

[ LEXIQUE ]

• Chimiothérapie : thérapie comprenant un ou plusieurs les médicaments qui visent à détruire les cellules cancéreuses ou à les empêcher de se multiplier, entraînant leur mort. Ils peuvent être administrés par perfusion ou par voie orale.

• Effet indésirable : réaction nocive et non désirée liée à un médicament.

• Radiothérapie : traitement local du cancer à l’aide d’un appareil qui émet des rayons. Ces rayons, dirigés vers la tumeur, vont la détruire. Ce traitement se fait dans un service spécialisé de radiothérapie. On parle aussi de rayons ou de séance de rayons.

• Récidive : réapparition des signes ou des symptômes signalant la présence du cancer après une rémission. Une récidive peut survenir très tôt après les traitements, mais aussi après une longue période de rémission apparente.

• Rémission : diminution ou disparition des signes et des symptômes d’une maladie.

ACCORD 14 et ACCORD 16 étaient des essais pilotes évaluant des traitements expérimentaux auprès d’un nombre limité de patients. De tels essais sont indispensables au progrès médical. Si les résultats sont prometteurs, ils permettent de pouvoir évaluer les nouveaux traitements auprès d’un nombre beaucoup plus important de patients. Dans le cas contraire, de tels essais permettent d’éviter d’exposer un grand nombre de patients à des traitements insuffisamment efficaces ou trop toxiques. Comme tous les essais cliniques, ces essais pilotes font l’objet d’une surveillance très précise, permettant de détecter rapidement les éventuels problèmes qui pourraient survenir. Pour chaque essai, des professionnels spécialistes de la recherche clinique (Assistants de Recherche Clinique et Département de pharmacovigilance) contrôlent en permanence les données recueillies, notamment pour détecter tout événement susceptible de remettre en cause l’intérêt de l’essai. C’est ce qui s’est produit pour ACCORD 14 et ACCORD 16.

Page 4: [Cancer du canal anal et du rectum] · Pr David AZRIA (CLCC Montpellier) Dr Eric DEUTSCH (IGR Villejuif) Dr Jean GENEVE (R&D UNICANCER) Béata JUZYNA (R&D UNICANCER) Marie LANTA (LNCC)

ACCORD 14/0604 – Cancer du rectumToxicité importante et efficacité insuffisante

Quel était l’objectif de l’essai ?L’essai ACCORD 14/0604 visait à évaluer un traitement associant une thérapie ciblée par cetuximab à une radiothérapie et une chimiothérapie avant intervention chirurgicale pour le traitement du cancer du rectum. La chimiothérapie associait deux médicaments, la capécitabine et l’oxaliplatine. Une fois l’opération réalisée, le traitement était complété par une nouvelle chimiothérapie par folfox4 (qui combine le 5-FU et l’oxaliplatine) associée à la même thérapie ciblée.Le traitement standard du cancer du rectum repose sur une radiothérapie et une chimiothérapie par un médicament appelé capécitabine. L’objectif de l’essai ACCORD 14/0406 était notamment de voir si l’intensification du traitement, notamment par l’ajout de la thérapie ciblée, permettait d’obtenir une plus grande efficacité pour réduire la taille de la tumeur et ainsi favoriser les chances de succès de l’intervention chirurgicale.

Qui a participé à l’essai ?L’essai ACCORD 14/0604 s’adressait à des patients présentant un cancer du rectum dit « localement avancé » avec des localisations secondaires (métastases) se situant à proximité de la tumeur initiale et qui pouvaient a priori être retirées en même temps que cette dernière lors de l’intervention chirurgicale.L’essai a démarré en octobre 2007. Il était prévu de réaliser une analyse des données recueillies auprès des 12 premiers patients avant de décider de la poursuite ou pas de l’essai.Le recrutement des patients a ainsi été suspendu en novembre 2009, après l’inclusion de 19 patients, dont 12 ont reçu la totalité du traitement prévu. Il s’agissait de 14 hommes et de 5 femmes, dont l’âge médian était de 60 ans.

Quel traitement ont-ils reçu ?Le schéma thérapeutique prévu était le suivant :Avant l’intervention chirurgicale- Une radiothérapie, 5 jours sur 7, pendant 5 semaines.- Une chimiothérapie administrée une fois par semaine par perfusion intraveineuse pour

l’oxaliplatine et pris par voie orale 5 jours sur 7 pour la capécitabine.- Une thérapie ciblée par cetuximab administrée une fois par semaine par perfusion

intraveineuse.La chimiothérapie et la thérapie ciblée étaient administrées pendant les 5 semaines de la radiothérapie.Après l’intervention chirurgicale- Une thérapie ciblée par cetuximab administrée une fois par semaine pendant 6 semaines.- Une chimiothérapie par folfox4 administrée toutes les deux semaines pendant 12

semaines.

Quels ont été les résultats observés ?L’analyse des informations recueillies auprès des 19 patients inclus a montré une fréquence importante d’effets indésirables graves. Neuf participants ont ainsi présenté des effets indésirables sérieux, en particulier des diarrhées importantes, conduisant à un arrêt du traitement pour 5 d’entre eux. Par ailleurs, l’efficacité a été jugée insuffisante. Même si 13 patients ont pu être opérés, 7 ont ensuite présenté une progression de leur maladie au cours des 12 mois qui ont suivi l’intervention.

Que faut-il penser de ces résultats ?Au vu des résultats de l’analyse, les responsables de l’essai ont décidé l’arrêt de l’essai en raison de la toxicité observée du traitement. Cette décision est justifiée également par le manque d’efficacité constaté. Il apparaît ainsi clairement que le traitement proposé ne peut pas être recommandé pour la prise en charge des personnes atteintes d’un cancer du rectum localement avancé avec des métastases à proximité.

Ligue Nationale Contre le Cancer14 rue Corvisart75 013 Pariswww.ligue-cancer.net

UNICANCER101 avenue de Tolbiac75 013 Pariswww.unicancer.fr

Pour toute demande d’exemplaires de ce numéro, s’adresser à Corinne GametR&D UNICANCER101 rue de Tolbiac75 654 Paris cedex [email protected]

Adresses utiles