CAIlAR.A LAYE C:1s~le Virginie nCOD A thesis Bubmitted to the ...

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CAIlAR.A LAYE &III' ET LA TRADITION AFRICAINB / by Virginie nCOD c: A thesis Bubmitted to the Fac u1 ty 0 f Grad uate Studie sand Researc h in partial fu1fi11ment of the requirementB For the degree of , Ma ste r 0 f Ar t s o !!Ir Department of French Language and Literature' McGill University" Montreal Novem ber, 1986 ( o Giaè le Virg inie KACOU, 1986

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CAIlAR.A LAYE &III'

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LA TRADITION AFRICAINB

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C:1s~le Virginie nCOD

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A thesis Bubmitted to the

Fac u1 ty 0 f Grad uate Studie sand Researc h

in partial fu1fi11ment of the requirementB

For the degree of

, Ma ste r 0 f Ar t s

o !!Ir Department of French Language and Literature'

McGill University" Montreal

Novem ber, 1986

( o Giaè le Virg inie KACOU, 1986

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J Permission has been granted to the National Library of Canada to - microfilm this thesis and to lend or sell copies of the film.

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\

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'L'auteur (titulaire du droit d' auteur) se réserve les autres droits de publication: ~ ni la thèse ni de longs extraits de celle-ci ne

ndoivent être imprimés ou autrement reproduits sans son autorisation écrite.

-ISBN 0-315-38304-6

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Gisèle Virginie KACOU

Mal tri se è s Ar t s Université McGill~ Département de langue e t 1 i t té rat ure f r a nç ais e s

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CAMARA LAYE ET LA TRADITlpN AF~ICAINE

RES UME

Visiblement, Camara Laye a été marqué par la tradition afri-• caine, c'est ce que l'on constate en étudiant s~s quatre prin-

cipaux 'romans. Dans ,cette thèse, nous voulons, sans la prétention d'y arriver, cerner la problématique' de la èradition africaine en insistant sur L'Enfant noir, un roman autobiographique (publié en 19_53, et qui reçut la même année le prix ,international du roman français et l'année suivante le prix Charles Veillon); sur Le Regard du roi, un roman symbolique (publié' en 1954); ·sur DramousS: un roman engagé qui s'apparente, lui auss"-, au roman autob4.o-graphique et .qui poursuit l'oeuvre -entreprise dans L'Enfant noir (publié en 1966); et enfin sur Le Maitre de la parole - Kouma La{ôlô Koums, (publié' en 1978), un recueil d'éléments tradition-

-nels cO.ntés relataOnt l'histoire du peuple Mandingue ••

Selon cette pe~spective, noua avons tenté d' tégration du "moi" dans le contexte socio~culturel un e é po que d e cha ng em e n t a a 0 c i a ux ra pi des .

ana1yaer_l~' in­de l'auteur à

A partir des éléments majeurs de cette tradition nous avons essayé de dégager la vision d'ensemble du romancier afin d' y déceler derrière les signes et cû-ncepts, la r"éalité en mouvement, en même temps que les inquiétudes de l'auteur face à une évolution menaçante par certains côtés, fasc·inante par d'autres.

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Gi8~le Virginie KAC()U

~tero of Arts Mc Gill Un iv er s i t Y Department of French Language and Literature

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CAHARA LAYE ET LA TRADITION AFRICAINE ,

AB.STRACT ..

-. Clearly, Cama,ra Laye was influe,nced by afriean tradition. We '8h8ll attempt to establish this influence in his four major novels. We shall further attempt to describe the problematieai di­lemma of aftican trad ition, wit:h' ~ particu1ar emphasis on the fa 1-lowing novels: L'Enfant noir (an autobiographiea1 novel publishE!d in 1953, which reeeived this sume year "le prix international du rom"an français" and the fo11owing year the Charles Ve,illon) prize); Le Regard du roi (a symbolie nove1, published in 1954); DramousD, published 1966~, an "engagé" novel similar in style to the autobiographieal novel genre, and whieh persues the same theme. as L'Enfant noir; and final1y, Le Maitre de la earole'- Kouma Laf8lô Kouma, published in 1978,"a collection of traditiona1 elements, in tale form, whieh relate the history of ,Mandingue pe a pl e •

Within "this frame work, we have tried ta analyse the inte­gration of the "me" in the soeio--cultural eontext of the author in a perlod of rapid social change.

From the major elements of this tradition we have attempted to find the novelist' s overa11 view of~he afriean tradition, ,and we have tried to uncover the -lt1ovinuJealities behina the symbols . . and concepts, while pointing out the wort:ies of the author faced with a threatening evolution on the one hand,' but fascinating on the other.

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~, JUSKBllCtlHBRTS

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La réalisation de cette thèse a été rendue po'saible grâ~e au cadre privilégié que m'a offert la, prestigieuse université McGlll au Canada à laquelle'je puis par­ticul ièrement reconnaissante.

Qu'il me soit permis d'exprimer, icti, ma profonde gratitude envers tous ceux dont le soutie,p a permis la concr'é-tisation de ce projet:

1\

Aux professeurs Russel G. McGillivray et Giuseppe Di Stef'arfo pour leur dévouement et Leur aide hautement appréciable"

Au Professeur Axel Maugey, mon directeur, pour avoir accepté d'encadrer avec compétence les différeCltes étapes de cette thèse.

A Madam.e Paule Samson-Finidori pour ses nombreux conseils et sa cordiale sympathie.

1

A mes chers parents pour leur aide inestimable.

A la mémoire de mon cher oncle Jean-Marcel Yacé, -mon p~re­

nouI\.ricier; &~adresse mes déférents hommages posthumes. Sa générosité personnelle et son grand intérêt pour cette thèse Qnt marqué le début de mes recherche~. Sa d iapa r1tion brutale le prive hélas! de voir le résultat de ce modeste travail. Je réitère à son endroit l'expression de ma grati­tu'de et de mon affection fq. iale.

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4 •

.IN'TRODUCTION

CHA PI TRE l

C~API TRE II

\ TABLE DES IIATIERES

, ~ . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . .................. .

L 'AUTOB IOGRAPHIE • • • • • • • • • • • • • •• III: •••••••

L'Enfant noir: Une enfance heureuse et non troublée par l'infuence

1

17

étrangère ............. ~...... .......... 22

Dra~~~~: vers tlIn engagement poli-tique .. . . .. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . -24

LE,S ELEMENTS MAJEURS DE LA TRADITION AFRICAINE DANS L'OEUVRE DE CAMARA LA YE ••.••.•...•..•..•.•••••••

L 'aspec t des rites initiatique s dans L'Enfant noir ..••..••.•.••.•.•..•.

,1

La prééminence de 1.a religion et de la magie (serpent - totem - boule blanche ... ) ............................ .

1.

La danse et le chant': symb..o.Les de la joie d u cor~p8 .......................... .

Le rôle des griots et des conteurs ..

Les gestes de convenance, les gestes familiers: Symboles'de la perpétua-

29

30

J.

44

46

ti'on du passé ..••••••••.....•••.•••••••• "1.. 52 , 1

L'importance du rôle de la famille ••• .1 ...... 55

CHA PI TRE III - THEME DE L'INSTINCT MATERNEL EN MILIEU MATRILINEAIRE •••••••••••••••••••••••••••••

Camara ~aye et sa mère ............. ~ ...... . Cam ara La ye maternelle

et sa famille , . . . . . . ... . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . .

63

64

70

CHAPI TRE IV

..

CHAPITRE V

CHAPITRE - VI

C ONC LUS ION

- 1 l -

TRADITION AFRICAINE ET INFLUENCES ETRANGERES .••••..•••..••••••.•••••••••••••

L ' e f f rit em en t d u m il i eut rad i t ion­ne 1 dan s: - L' En fan t no i r ••••.•••

Dramouss

FUS ION HARMONIEUSE DE LA TRADITION AFRICAIN~ ET DES RELIGIONS D'ORIGINE ET R A N GB RE •••.•••••.•••.••.•••••••••••••••••

Les croyattces a~ciennes symbolisées dl? ans L' E n fan t n 0 i r •.. . • • . • . • . . • • • • . . • • • • • •

La "consc ience" chré tie.nne dans

73

75

76

84

85

Le. Regard du r.o~ ...••.•..•.•..•••••••••••• 86

Les moeurs islamiques dans Dramouss

LE MYSTICISME DE CAMARA LAYE FACE ft.. LA VIE TRADITIONNELLR AFRICAINE ...........

69

94 ..

Mystici.~me et écrfture ..................... 95

(

Rituel symbolique à la forge - , ..............

, )

101

110

~ BIO GR A PH l E DE L'A UT E UR .. . . . . . . . . . . . . .................... . 119

B lB LlO GR A PH lE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ...................... . 120

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1 --

-~ . (f

INTRODUCTION

. ,

L'Afrique ne possêde pas en1!"oÎ'e d'histoire écrite. Les griots se transmettaient oralement et hé­~êditairement lois et, tradition. Mais, la trai'te des ~oirs puis la colonisation les" ,ont décimé!i' Cama ra- Laye a décidé, avant qu' il ne 'S 0 i t t r 0 p ta rd. der e ~ r 0 u ver 1 e s val e urs d e_ l r' A f r i que t r a -ditionnelle (1).

L'écrivain guinéen Cama ra Laye(2) quI est issu dû peu-

,

P l eMali n k é ( 3 ), des c end plu s pré ci s é men t de la tribu Man-

dingue (.4) lns tallé e en Af r ique Occide/n tale su b-sahé rienne .

/ Son existence fut visiblemént marquée par un pprpétue1

dilemme. En e f f et, l' é cri v a i n s' a v ère san s,::., ces s e é C il rte 1 li

en t re, d'une pa r t , son amou r pour la tradition de s cs

ancêtres qu 1 il te nt e de retrdcer travers 'l'élan

nos t a 1 g i que des e S sou ven i r s d' e n f 'a ne e; el d' a u t r e p il r t, s a

, destinée "d'occidentalisé" vers laquelle .1' histo i re et les

c ire 0 n s tan ces pa r tIc u 1 i ère sI' 0 n t pré c i pit é .

(1) Dédica"cc des Editions .Plon (cf. Camara, Laye, ~~

Ma t tre de la E.~.!~~~_"_=-"" __ K~~~~" _ ~~X~l? _"!< ~_~tp_~ , Pa ris. Plo n, 197 8, 28 5p • ) .

( 2) Vp i r no t r e" b Ù gr a phi que; p. 1 1 9 .

(3) Peuple de la savane 8oudano-guinéenne cantonnê plus spécil3,lement dans le plateau de Kankan en "Guinée (c_f. G los Bai r e de la s é rie .. Lit té rat ure A f ric.a i n e 2", Pa. ris, Fernand Nat.!!é!..n, 1964, p.62).

IJ '

(4) ,Groupe ethnique de l'Afrique Occidentale qui constitua l'empire du Mali aux XIVe-Xyle s1ècle. (cf. Pl uri- d i c t ion nai re La rOU8 8 e , d} c t_~on_n_~_~r~ __ ~!.1_~ y"~li pé d~q u,e _~e l'enseignement, Paris, Larouase, "1975, p.845).

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- 2 -

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. Dana cette thèse, nous voulons cerner·, 1es phénom'ènes

. dominants de la tradition africaine et sa problématique que

nous révèlent les quatre princiI?aux romans de-Camara Laye.

Pour rev ivre 1 e' réal isme et la nostalgie d~ s?n mil ieu

- -traditionnel, n a u s ln sis ter 0 n s sur certaines caractéristi-

<lues propres à L'Enfant noir(1); au Regard du roi(Z-), un

rom!ln symbolique; sur ,Dramouss(3), un ,roman engagé qui s'-

) , apparente, lui aussi, au roman autobiographique et poursuit

l ' oe uv r e e Fl t r e pr i Je dan s L'Enfant noir; et enfin sur Le

Maitre de la 'parole-Kouma lafôlô Kouma(4), u Il r e c ue il d' é-

léments ~raditionnéls contés.

L'Enfant noir. le premier roman, de Camara Laye, est né

de la profonde nostalgie que l'auteur 'éprouvait CY

milieu africain traditionnel:

,,-

v i van t à Par i a, loi n de m a Gu in é e \

natale, loinrde mes parents, et y vivant depuis des années dans un isolement rarement interrompu, je me suis transporté, mille fois par la pensée dana mon pays, près des

.. - ------- ----- -------,

pour son

...

{)

(1) Camara"Laye, L'Enfant 221p., (Prix international du

noir, Paris. Plon, roman franç,'ais, 1953;

1953; , Prix

Ch a rIe s V-t! Illon, l 95 4 ) •

( 2) Cam a ra, L~ ye. Le Reg a r d dur 0 i. Par i s, Il Ion , 1 9 5 4 , 25 2p.

(3) G-amara,Laye", Dramouss', Patis, Plon, 1966, 245 p.

(4) Camara,Laye, Le Maitre de la parole - Kouma lafô16 Kouma Paria, Plon, 1978, 285p.

\. \

• f 3 - ..

mIe n s • Et pu i s , un'j 0 ur. j'a i ,penaé que ces souvenil's,o qui à l'époque étaient dans toute leur fra!clreur, pourraient, avec le' temps, sinon s'eefacer - comment pourraient-il sJeffacer? du moins s'af-faiblir, et j'ai com­menc~ de les écrire(1).

Dans cette oeuvre, considér{\e comme un classique de ;a

littérature négro-'africaine, , l'on retrouve racontés sous

une forme personnelle, les souvenirs d'une enfance et d'une .'t'

adolescence.

Grâce à la double présence de l'enfant no;l.r, qui" est

à la fo i s le narrateur et le pe r sonna ge, l'auteur peut

revoir son univers alors qu'il était enfant, et, en même

temps, y jeter un regard d'adulte.

En ou~re, l'ouvrage lais'se transparattre, à t rave r-s

les rites et initiations, quelques aspects édifiants du

" 'mysticisme ancestral et de la dynamique' 60ciale de la

famille africaine.

Le Regard du roi, second oeuvre de Camara Laye est un

roman fictif \

et symbolique de type kafka!en dans lequel

l'itinéraire du héros expri.p!e une quête spirituelle et

mysticisme.

-------~ -------------,

(1) Actes du Colloque sur la -"littérature afr.icaine d'-expression frança)se, Dakar, 26-29 Mars, 1963, lJ Langues et littérature~ N° 14, Dakar, 1966, pp.121-122,,'

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- 4 -

Clarence, le protag oniste, un europé en rej eté par son

41 1!l il ieu d' ot'ig ine, décide de vivre en Afrique avec l'espoir

de trouver ~ne sltuafion meilleure aup't'ès d'un

don t il a en tend u loue rIa bon té.

Ro i nè gre ,

To ut 1 e symbolisme de l'oeuvre re po se sur 1 e c hem i-,,~ - ..... ,

nelaent physique et l'initiation sociale du héros, qui, pour "

a t t e i nd rel e but ultime de sa quête, d ev ra 0 b 1 ig a toi r e-

ment connaltre 'une évolution In'térieure.

c-

Dramouss, 1 e t roi s i ème rom and e Ca m a r a La ye, est c e

que l'on appelle un roman engagé qui n' en demeur~ pas moin~

un roman autobiographique poursuivant l'o~uvre déjà entre-

pr i 8 e dan s L' E n fan t no i r .

Après une absence de six ans, Fatoman, le héros- nar-

.rateur, retrouve son pa ys e t sa fia n c é e à qui 11. raconte

l e 8 mille d é t a il s -d ê s a vie d' é tu dia nt: aussi bien les '\

d HUc ul tés, que les joiel'l qu'il a connues durant son exil

Pour évoquer le phénomène de l'engagement, le

héros-narrateur utilisera des ~cènes allégoriques, mettant

en 'évidence un rêve prémonitoire qui permet de décrire à la'

fois les exac t"ions commise6 paf' le régime' ,en vIgueur dans

-" son~,pays et les souffrances subie's par le peuple affamé. j

Quant au Maitre de la parole - Kouma lafôlô Kouma, le .,

quatrième et dernier ouvrage de Camara Laye, il vient, une

fois de plus, con f i rm ers 0 n t ale n t d e co 1\ t e ur. Ce livre

transcrit i'hlstolre de la prestigieuse épopée Mandingue,

"

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- 5 -

qui est racontée pa r un gr i 0 t de la Haute-Guinée, depuis

l'empereur Soundjata KeIta (XIVe et XVIe siècles) jusq'u' à

nos jours.

""

Cet ouvrage évo q ut! avec beaucoup de fidélité le s

différentes cérémonies d'allégeance, de mariage, d'éloges

circonstancielles, toutes chan~ées depuis des g~nGrJlions.

Le, symbolism,e et léur signification sont

b~aucoup d'emphase.

expliqués avec

En nous intéressant à Camara Laye et il ses oeuvres,

nous n'avons nullement l'intention de relancer le débat sur

la tradition africaine dans la littérature négra-afrIcaine.

Notr~ objectif est de nous appuyer sur la vision du monde

apcestral ainsi que s~r ses valeurs révélées par l'auteur,

pour tenter de définir le rôle du romdn dfricain face 3 fa ~

problématique, de la cOexistence circonstancielle de la

culture occidentale et de la culture dfricdine si âp~ement

défendue par Camara Laye à travers son oeuvre.

Si l'un des traits caractéris~iques de la' .poésie

af,ricaine par rapport au roman nègre cherche 'li susciter

l'éveil de la con,~cience de l' homme Noir d 60n origindlité, , ,

cette expression, elle, essentiellement mét~PhY-~ sique.

Le roman, 1 u..i , par con t r e, . a! lem é rit e der é v é 1er ,/', ~

/ . ,

d'une part, la conscience de l'identité culturelle suggérée

par la poésie; ,et d'autre part, de r:è,con.stituer. à partir de

"

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6 -

tableaux descriptifs réalistes, les éléments majeurs de

cet t e trad i t ion, ainsi que les implications nouvelles nées

de l'avènement de la c,ulture occidentale.

Maintenant que nous vous avons présenté ,les quatre ou-

vrages que nous allons utiliser pour mener à bien notre

thèse, nous pensons qu'il s'avère important de montrer

l'accueil que 1 ui réservèrent les critiques Français et

Af r ic ai ns •

, A la sulte de la publicatio'n de L'Enfant noir, en

,_ tJ ., If- •

1953, qui reçut la même année le prix international du 1'0-

man françats, et l'année !juivante"le prix Charles Veillon, 1

Camara Laye sut conquérir un large public; il fut at'ldé en

, cela par des ,critiques louangeuses.

Emile Henriot'de'l'Académie fli'ançaise ne découvre -t­

~ -­sentiment profond il pa s jus t em en t che z 1 e no uV e i au t eu r un

\d ' a t tac hem en t à " ses ra~ines,?(l)

" Dans l'ensemble, la presse 'française fut très récep-

, t ive à un tel r om an.. Par ex-em pl e ,

souligne la limpidi~té de l'oeuvre

Gé ra rd .. Bau e r d u Fig a ra

tout en 1'gettant l'accent

'-sur le style éloquedt et expressif de l'au~eur:

-----------------~--

(1) cf. jugement.s et critiques dans SériË "Littérature Africaine 2" commentaires de R.Mercier et M. - - et 's. Battestif!i, Paris, Fernand Nathan, 1964, ~.60.

,',

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- 7 , .

On ne saurait écrire en français ~vec plus de sim pl. icJ,té , de pû-/ r e t éd' ex pr e s s ion e t d 4! sen t. i -ment(l).

\

Franz Hellens (représentant respeçté' des lettres bel-

ges, faisant partie du jury du prix Vei1lon) ,quant .li lui', 1

est séduit par la sincérité de 1 fi dé m arc he dur om an cIe r et

~

par la haute qualité littéraire de l'oeuvre qu·il considère

comme un apport appr~ciab1e à la prose française:

En ,d é pi t

" , Ce q u.1 fait le mérit.e princip3l de'c.e- beau livre c'est l'atmos­phère qu'on y respire, faite

~ d'amour fiLial, de trav'ail ••• L'Enfant.noir fait honneur à 1 • A f r i que Q Ù i 1 est "n é , e t à '1 a 1 a ng ue f r a nç ais e , saI a og ue d'ad q pt .i 0 n (2 ) •

. de 1 • e~ al ta t ~ 0 n et de l'en t ho us 1 a sm e pre s-

que ,unao..im e, de la cri t 1 q ue franç aise, 1 es -cri t i que s a fr I-

ca r n s, eux, lui r.éservent un accueil mitigé. Notamment,

l'écrivain Alexandre B'iyidi qui lui reproche de ne pas être

suffl!'I:iamment engagé. Pour lut, écrit':'il:

~

,-

Laye se complalt dans l'anodin et le pittoresque le plus facile ••• '

o

(1) Oupoh, Cnaoré, "Hommage à Camara Laye" in Frater­nt'tê matin, 12 Février, 1980, p.20.

( cf. ca l ne ti ni ,

(2) in "la dernière heure de Bruxelles", 3 Mai 1954 jugement~ et critiques dans Série "Littérature Afrl-2" commentaires de R.Mercier et M. et S. Battes-

\. l "1

Pa ris: 0 p . ci t • , P .60 ) . ' .

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- 8

-Car ajoUI:~-t-i1 en substance: /1

N'a-t-il donc 'rien vu d'autre qu'un e Af r i que, p ais i b 1 e , b e Il e , maternelLe? Est-il possible que pas une seule fo is, Laye nt ait é1;é témoin d'une seule petite exaction de l'administration co­loniale(l)

Il

-D e son c ôté , Da v id Di op soutient, Biyidi et dénonce

avec lu1 l'absence de militantisme ant1-~lonial de Camara

La'ye. Il n' hésite même pas à accuser l'oeuvre de connivence

avec l'ennemi(2). JQua1\,t à Cnaoré Oupoh (natif de la Côte ~

'/ dllvoi-re), il exp-lique "l'enthousiasme de la'critique fran-

ça i9 e à, cau Be deI eu r s pré j ug é seo Ion 1 aux favorables à la

d om i n a t ion ( 3 ) • 'l,

En fait, il faut replacer -les critiques de Biyidi dans

..i 1 e ~ 0 nt ex te hi s to r i que qui ma r qua i t 1 a fin deI' ère col 0-

oiale. Cette période troublée était largement reflétée dans •

les oeuvres de plusieurs romanciers africains qui s'éver-

tuaient, à dessein" à dépeindre l'.incidence de la coloni­l

satio'O sur leur peuple, et, à souligner les exactions,d-"s"'"

(1) Biyidi, Alexandre, "L'Enfant noir de Camara Laye" in Présence africaine, N° 16, 1957, p.419 sq.

(2) Diop, David, "L"Enfant noir", in Prése,nce afri-caine, N° 16,1957, p.419 sq. \

(3) Oupoh, Gnaoré, "Hommage à cakara Laye," ln Frater­nité matin, op.cit., p.20.

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- 9 -

lors sous de s fo rmes variées. Si 'bièn que dans un te 1

c.ontexte, --'\

L'Enfant noir de Camara Laye scmbldit ~chdpper ~

la tendance générale. encourageant l' engJgement.

En dépit des nombreuses critiques négdtives fdites pdr

des Af rie a in s, ce premier rO}dn de CarnJrd Laye fut cepen-

dant apprécié p'J r Lé 0 P ~l d S éd a r Senghor qui lui conSdcrd

une série d'articles, souligndnt les qualit6s esth~t~qucs

deI' 0 e uv r e ( 1 ) .

En outre, dans un Jrticle de la revue [rançdise pdru o

dans le volume Liberté 1, sous le t i t r e .. N é g rIt II cl l' C t h u -

mdnisme". le mêmf~ Senghor rejcld, les accusdliollS de Biyidi

9 ,sur l'oeuvre de Laye:

Il est inexact de dire que Laye n'a "pa s fa l tIc pro C è s duc 0 -

• lonialisme, il la fait de la façon la plus efficace car peindre le monde négra-africain sous les couleurs de l'Enfance, c'était la façon la plus, sug-gestive de condamner le monde capitaliste de l'Occident èuro-péen(2).

--, L ' lm pa c t de L' En f a,I'l t noir et la polémique <;} laquelle

,

on as sis t a à l'époque montrent en effet que "nul n'est ,

D prophète en son-pays •

----~---------------

(1) Senghor, Léopold Sédar, "Laye Camanl et Lamine Dia k h a té 0 u l'a r t n' est pa s d' un pa r t i ..... , in Lib e r tél, "Négritude et humanisme", Paris, Seuil, 1964, pp.15S-158.

(2) Ibidem, p.lS7.

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\

(,

- 10 -

Comme pour raviver la controverse, Gn a 0 r é 0 u po h s' in-

8urge contre l'approbation de la critique f r a nç ais e qu' il

accuse de complicité tendancieuse. Po ur lui, l'oeuvre ne

semble pas cadrer avec les aspirations légitimes des peu-

pIe a a f rie ai na e n cet t e é po que colon i ale; de plu s, les th è-

mes d é ve l 0 pp é s p <l! La ye son t den a t ure à sa t i s fa ire las i m -

pIe curiosité d'un auditoire en mal d'exotisme(l).

l

Deux raisons fondamentales \ d'ordre historique, selon \

noua, semblent être à l'origine (le cette polémique. La pre-,!

mière relèv!? tout simplement de l'engouement de la critique

,française à l'égard de l'oeuvre;

de l'administration.coloniale d' inclure_ un roman écrit par

un Africain dans les programmes scolaires.

Aujourd'hui, L'Enfant noir a fait son chemin, puiaque

depuis plua de vingt ans, il est inscrit dans les program­

mes sc 0 1 air es a f r i ca i n s. (De nom br e ux ex t rai t s fur e nt m êm e

utilisés lors de divers examens et con~our8 qui eurent lieu

dans toute l'Afrique francophone.

Si l'on étudie l'oeuvre de ,Camara Laye, deux tendances

majeures apparaissent:

L'une qui exprime le sentiment d'un "paradis perdu", souli-

___________ ..J _ _ _ _ _ _ _ _ • __

(1) Oupoh, Gnaoré, "Hommage à Camara Laye" in Frater-

c nité m~tin. op.ciL, p.20.

h

Il

'gné par son Indéfec"ible attachement à lac ho 9 e • t rad 1 t lon-

nélle à laquelle il croit, et que l'auteur s'emploie à ren~

dre ou à restituer dans 90n essence la plus pure:

Ma pl um e cou rai t ~ Le 8 sou ven i r 9

affluaient, j'étais débordé de souvenirs; et il arrivait que ma pl um e bru s que men t ces S d t d e courir (sur le papier, parce que je ne savais plus il quel souvenir don n e r a ud i e n ce, par c e q uc j'a ur a i 8 vou 1 u cl on ne r a ud i en c e à tous les souvenirs à la fois(1).

L'a u t r ete nd ,a n f e, non fi 0 i n s m a r q u é e , est celle qui, peul-;-

être, à cause de la force inexorable de l' hlsto ire, le f'J

tient e ng ag é da na un réseau complexe de cons.ldéralions

politiques contemporaines(2) notamment dans Dramousa où ses

convictions l'am'ènerpl\t à opter pour le développement mO-

derne de l'A f r i q ue en g é né ra 1 el d,e sa n pa ys ~ n pa r tic u-r

lier. .,"/

Î

La problémat ique de la tradition africaine est manl-

festement,présente duns les aspirations opposées que vit

Cam ara La ye •

En effet, sans drrêt, elle ravive le débat qui oppose

deux points de vue: A savoir que l'Afrique possède son

(1) Cam a r a La ye, .. L r âm e deI' A f r i q ue", in Act e B du Colloque sur la littérature africaine d'expression fran-çaise, op.cit.,p.122.

(2) Va i r no te b i a g ra ph i que, p. Il 9.

"

(

c

- 12 -

histoire, sa tradition et sa culture en vertu desquelles,

~ Il e pe ut ~'organiser en s'appuyant sur ses valeurs in-

trinsèques; l'autre point de vue, 1 ui , s'articule autour

a'une vision progressiste et moderne de l'Afrique qui doit

s'ouvrir au~reste du monde pour mieux essayer de maîtriser

la destin~ dans laquelle elle est résoluement engagée. \.<

Par ailleurs, l'histoire de l'humanité nousla enseigné

l'évolution lent~ mais certaine de toutes les structures

humaines dans un processus his\oriq~e dynamique, dominée

par les rapports entre les peuples. L'Afrique s'inscrit,

elle aussi, -""'j ,

dans cet-te perspective et se s rapports avec

l'Occident contribuent à valider ces prémisses. Dès lors,

les influences 1

ou apports peuvent la ' transfomer plus ou

moins profondément. Ains i, la 'çolonisation, avec

séquences,' va iflexorablement ent/ratner l'Afrique '. >

SeS con-.

vers des

horizons J la fois nouveaux et diff~rents.

Aborder~ le thème de la tradition dans l'oeuvre' de

" \ 1

.Camara Laye, c'est évoquer l'épineux débat sur les cultures"

africaines et le circonscrire par rapport à la négritude et

au nationalisme et cela dans le rodJan africain en général.

( En outre, il faut essayer de cerner chez l'auteur, d'une

par t 1 l'inquiétude qui se cache derrière cette apparence

fière et sereine avec laquelle il décrit son Afrique d'au-·

trefois dans L'Enfant noir et ~ramous_~; et d'autre part,

comprendre sa désillusion face à ce futur auquel il a acti-

\

\.

- 13 -

vement pris part à certains moments précis de son existen-'

ce, et qui est durement illustrée dans Dramouss.

Pour éclairer no t re propos, nous tenterons de nOU8

réfé rer à la défin~tion du concept de tradition(l) donné

A pa' r t 1 r de cet t e dé f i -

nit ion no~s constatons que le .

concep't de trad'i t io'-n es t, lié <1<

à l'idée de valeurs, de patrlmoin~ culturel, de transmis-

sio.n et de continuité.r? )

En Afr.ique, même aujourd' hui, les tra,ditions sont plus

que des r~férences", elles sont une réalité agi~sante qui

caractérise et stigmatise sa spécificité dans le concert

des peuples. ~Elles ne s'opposent nullement au progrès et

au modernisme; au contraire, Id culture dynamique qu,'elles

engendrent les ouvre au reste du monde:

Pour 'pénétrer l'univers de Camara Laye, noub'-' ut Il ise-

rons u!le double, approche: l'une socio-littéraire, proposée

(1) La tradition repose sur le principe -de "trans-,mission" d'une génération d une autre de goUts, croyances et valeurs. Elle jour comme une idéologie qui détermine lu spécificité du groupe. Elle en assure la continuité, la stabilité et la vénérabilité. Il ne faut pas confondre la tqldition qui est une' réalité sbciologique avec le' tra­ditionalisme qui est le r2pport de l'individu à cette der­nière. (cf. M?hamadou Kàne, Roman africa)_~,_et tradition_. Dakar, N.E.A., 1982, p.23, l'auteur nous donne la

'définition de l'Encyclopoedia Unive!saJi?). . '

"

,

c

\

c

14 -

par MOhamaàou Kane(1),

gration du \'MOi'

vre de Cama a Lay à une , \

p ide a; 1 a a e '!n d e a ÎJ'R.r 0" che, au t 0 b i 0 g r a phi que , -, philippe Lejeu e(2~, nous permettra d~ ~€crypter l'oeuvre

de l-auteur ... \ ~~c'rivant. les différentes caractéristi­

ques de la BOC~KqUel1eS Il appartient,

qui noua aer.vira à analy~er l'inté-

contexte socio-cult~rel ~e l'oeu-

" êpoque de changements sociaux ra-

élabor€e par

) Cette ~e approche nous

concepts de la

permettra d'abord d'ippré-. .. . ' . vécu autobiographi~ hender les r€alité du

qu~ de l'auteur dans L'Enfant noir et Dramouss ainsi que le

symbolisme illustré dans Le Regard pu roi; ensuite de d€ce-

1er inquié tudes du romancier face à 't.me "évolution me-~

naçante .. pa r certains côt€s; fascinante pa r d'autres.

'" '" Nous diviserons no t re travail e'n six chapitres qui

cerneront progressivement le thème de la tradition afri-

caine dans l'oeuvre de Camara Laye.

" Le premier chapitre pr€sentera les aspects autobiogra-

phi que s de L' E n fan t n ol. r et Dra mou S s , en.nous appuyant sur

l~ méthode élaborée par Philippe Lejeune dans Le pacte au-

, (1)

519p. Roman africain et tradition, Dakar, N.E.A., 1982, -,'

'1

(2) Je est un autre, J'autobiographi~ de la littira-ture aux médias, collection poétique, Paris, Seuil, 1980* 33 2p •

o

t 0 b_i 0 g r a phi que ( 1 ) ._

15

r \

Le deux ième chapitre seFa consacré à la 'description

dës éléments majeurs de la tradition africaine retrouvés

dans l'oeuvre de l'auteur. Ici. nous analy,serons chaque é-

1émen..t à la lumière de la perception de l'auteur.

Le t roi S i ème cha pl t r e é c 1 air e raI eth ème d e l' in s tin c t

mat e r n e 1 en m il i e-u mat r fI i né air ete 1 que pré sen t é p il r l' au-

teur. Les S,el'ltiments particuliers de Camara Laye

mère se ront notamment abordés. ainsi que les rapports avec

sa famille maternelle.

- Le quatrième chapitre mettra en é v id en c e 1 a t rad i t ion

africaine fac~ à l~influence étrangère. Dans L'Enfant ,noir

et' Dramouss, nous analyserons l'effritement du milieu tra-

ditionnel, conséquence de cette incidence.

Le c inqui ème chapitre montrera la rencontre ha rm 0-

- nieuse de cer,talns aspects de la tradition africaine con-

frontée aux relig'ions d'origine- étrangère. La question de

la croyance ancienne, de la rel,igion f,

judéo-chrétienne et

des m 0 e urs i sIam i que s sera présentée à travera L'Enfant

noir, Le Regard du roi et Dramouss.

Le sixième chapitre s'intéressera à la conceptlon

mystique de l'auteur face à la tradition africaine. Deux'"

(1 ) Phi 1 i P pe , Le jeun e , Le pacte autobiosraphique, Paris, Seuil, 1975, 357p.

...

" ~,

16

thèmes seront évoqués ici: \ celui des relations entre le

mysticisme et l ' écriture; et celui' du rituel symbolique du

travail à la forge.

Dans notre conclusion, nous essaierons d' un'e part, de

,souligner, il la lumière de la démarche de l'auteur, i' a1-

" ter n a n c e d'un e pa i s i b 1 e

~ . ~~----- . "\ qui, ê tu d e qui d' 0 n n e n t ~ existence de son enfance et l' in-

80n oe uv're un se nt im en t d'am er t Uf!l e

à(de dési11udion J' t.

pa r t , n 0 us t e n ter 0 n s ,

, face au destin de l'Afrique; et d'autre

sans pr~tention aucune, ( de donn~r

notre perception sur la recherche d'un no.uvel équilibre;., ou

1 ' es sai d e co e x i ste n c e ha rm 0 nie use· en t rel a t rad i t i 0 ri. e t 1 e

<

modernisme dans le contexte africain.

" ,

c o •

o

1-

L •

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~ 1

CHA PIT R E 1

AUTOB,I o G R A PHI E

(0

'. "0

..

(

c

o •

Selon la méthode utilisée par Philippe Lejeune, l'au.! "

tobiog ra phie se ra! t:

(un) récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propr~ exis tence. lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa pe rsonnal1.té. (1 ) ,/ :'<~l

Dans son 1 Iv re intitulé Le pacte autobiographique,

l'auteur met en lumière quatre groupes distJncts qui vont

." nous servir à dégager les principales caractéristiques con-

te nue s dan s L' E n fan t no ire t Dra mou s s . Se Ion son exem pl e,

nous insisterons sur la forme pa IÇ'tic ul ière du (ang ag e ut i-

1isée par l'auteur;, sur le sujet traité, généralement rat-

taché à la v·ie individuelle ou à

na li té; sur 1 d sI t ua t ion met tan t

l'histoire d'uQe person-

en cause,l'auteur et sa \

relation avec le narrateur; et enfin sur l'a po s i t ion d u "

narrateur par rapport à son protagoniste.

Dans le récit de 1

L'Enfant no~r,' remarqu~ns tout d' a- ~

borë:l que l'identité de l'enfant, le protagoniste, est con-

,~ fondue avec celle du narrateur. Nous d'écouvrons en effet, à

travers l'énonciati~n <' "

faite par l'auteur, l'une' des ca-

tégorie que suppose l',autobiographie. 11-· s'agit de l'emploi

de la première pérsonne, qui est, ~p

pré ci son s- 1 e , l'un e des

formes dominantes utilisée dans cette oeuvre:

(1) Le pacte autobiographi9ue, op.cit., p.14.

---

' .. Dans le ch,apitre intitulé "Le réei t d'enfance iro-

, l'

niq ue : Valles"(2), Philippe Lej~une nous ppsera le-s quris-r

tions suivantes au sujet Q;.e ce pronom personnel "Je"'qui

est le centre même de l'énonciation autobiog{dphique, là ,où

la l'rem'ière personne devient un pur, signifia'nt"

/ '"

" '

Qui parle? Est-ce la, voix d/un enfant, celle d'un adu~te ? D'un adulte ..... mimant la voix d'un enfant? Et transformant un b"n mot en mot ... d'enfa,nt ?(3)~

Selon ce t t'e pe r s p e è t Lv e , 11 ap.paraît clairement que , L' En fan t no ires t un récit pa rse mé de- tableaux exprimant

des souvenirs d'enfance. Mais, de façon intéreS8unte', c'est

la' vo ix du narrateur adulte qui prédomine et orchestre le

~

tex te.,. ca r "l' en fan ce" ne se fait sentir qu! à travers III

mémoire de l'adulte. En effet, "on parle (de l' cnfance),

on le fait éventuellement un peu parler., -mais elle ne parle

(1) Camara, Laye, L.'Enfant noir, op.cit., p.9.

(2) Philippe, Lejeune, Je est un autre, l'Autobiogra-phiê $le, la littérature aux médias, op.cit., p.10.

(3) Ibidem.

1

\

.•

..

. "

(

(

h

"

pas d 1rec te~ent': (l).

Dans L'Enfant noir, nous avons donc un dédoublement de

li l'idenotité du protagoniste.' Si Camara Laye a vo~'6lu que

l'enfant noir soit un héros-narrateur, il lui ace pe n<;l an t

rie rm i s d e v 01 rIe m on d e à 1 a foi s à t r a ver s' les' ye ux d'un

en fan t, etc eux d'un ad u 1 te.

\

Le ' , ré c i t dan s L' E n fan t n 0 i r se confond nettement avec

l'au to bio g ra phie • ~

Comme nous l'avons souligné, le "Je" J

8'a-

vère parfaitement transparent; il prédomine tout le long du

texte. Ce récit,"compo'rte, en outre, un décalage temporel.

En ef.fet, si l'auteur, - le narrateur êt le -personnage prin-

" cipal sont une seule et même pe r SÇ> n ne, en m êm e t em p s', 1 e

personnage et le narrateur se situe'nt à de,s -moments dis-

t1ncts de l' histo ire: ce qui Signifié que les idées et ,les

sentim'ent's de l'enfant noir sont à la fois des, souvenirs de

Camara Laye et des objets extér,ieurs détachés de lui, qu'il

" .a~alyse et juge par rapport à l'écoulement du temps.

Les deux principaux temps employés, pour la narration

d em e ure nt l' lm pa r fa i t et le pr é s e'n t; l' im pa r fa i t qui est

sur to ut ut il isé po ur rel a ter l'hist,oire et les s,ouvenirs

passés, et le présent, qui vise à relancer le dialogue

Si tôt a pr è s 1 e r e pa ~ d u BO i r ••• je commençai,s'par le questionner

(1) Philippe. Lejeune, Je, est un autre, l'autobiogra::. phie de. la littérature aux'médias, op.cH-, p.~O.'

"

\ 1

, ,,1 1

, '

/

Si l'on

- 20 -

, ..

à tort et 1l trav~, comme font 1 es enfants, et s~r tous les sujets qui s'offraient -1l mon esprit ••. ••. Père, quel est ce petit ser-

v pen t q u fi t-e fa i t vis i te? • •• De que l se r pe n t pa r le s- tu ? , ••• Eh bien du petit serpent noir que ma mère me défendait de tue r( l ) •

, \

,

ti~nt compte de la dÜtnition de l' autoblo-

l , graphie que nous avons proposée au d ê-bu t de ce cha pL t r cet

no tre a na lys e des éléments la caractérisant dan 'g L '-E n fan t ,

noi r, cet te tendance autobio-gra phique a pp.) f'.) 1 t net t cm en t \

dans l'oeuvre. Au fil des pa g es, l' a il te ur n 0 us, r c s t i tue

a.v-ec bea ucoup de-réalisme et sous lIne formè personnelle,

son enfanc-e e( sa vie d'écolier dans son milieu tradit[on-

nel afrle.ain.

A b i en y pen se r , l'as-peC-f: àutobipg raphique de Drdmouss

.. se confirme à la fois par son caractère éminemment rétros-

" pe c t if et sa continuité apparente a\L.eC I:.'Enfant noir. --------,

Dans Dramouss, Camara Laye usera également du proRom ,

pe rsonnel "je" de l'imparfait de narration pour marquer"le

r'e c ul dan s le t cm ps , ainsi que le présent de l'indicat'ff

pour souligner la forme verbale des scènes; Et, ce n'est

pas tout, nous trouverons aussl~ entre autres, le futur u-

tilisé, à dessein, po'ur traduire son rêve prémon~toire:

-- -- ..... --- - --_\"",,-- - ----

(l) Camara, Laye~ L'Enfant noir, op.c-it., pp. 1'6-17.

:

1

'1 1

!

c

c

L'anonymat du héros-narrateur auquel nous étions habitués

dans L'Enfant noir cède désormais la place à Fatoman dans

Dramouss, encore que le récit ne concède guère une identite

particu~ière au personnage principal et au narrateur.

Cela dit, la continuité-dans les deux romans est mani-

feste notamment à la suite du lien évocateur exposé lors d·e

1 a scène final e qui a lieu dans L'Enfant-noir. Ne 1 ai s-

sait-elle pas présager,une suite l!>gique?

Quand l'av ion se po sa à Da ka r , Ma rie m e dit :

Tu rev fend,dB ? Ou i, d:i. s - je; 0 u i . . . ( 1 )

pans Dramouss" on reconnalt l'évidence de ce'tte suite

1.ogique dès les~premières lignes du roman:

.. J'avais quitté Orly en d'août·· • Après six années. je e n fin m on pa ys ( 2 ) •

Dans l' ensem hIe. la démarche

plein mois

i

regagna,is

ré a li ste d e Cam a ra Le se revèle à travers la structuration et la forme du contenu

roman~sque des deux oeuvres où deux facteurs pr~ncipaux re-

tiennent notre attention: d'une part, l'utilisation de la

(1) ,Camara, Laye. L'Enfant n.oir, op.cit., P .221-o

(2) Camara, Laye, DramQuss, op.cit., p:9.

-J

A

- 22 -

forme autobiographique; et d'autre part, l'adoption du hé-

ros-narrateur comme élément actif dans la signification de

l' oeuvJ;;e.

Le sen s dur é al i sm ete l que pe rçu chez Camara Laye,

procède de la révélation des injustices, des méfaits de la

colonisation, des inégalités sociales, et du ~égime pol1ti.-

que en vigueur dont les atr<;!cités seront décrites comme une

expérience "historiquement" vécu; d'où le souci de lt au -

teur de transcender l' im ag Ina 1re et de don ne r une impres-

sIon d'authenticité en inséra'nt l' histoire du roman dan~ un

c ad r eau t 0 b i 0 g ra phi que •

"L'Enfant n'oir: Une enfance heureuse et non .troublée

par l'influence é t:rangère.

Je ne saurais mieux aborder ce sujet, et le mieux traiter qu'en parlant de moi-même, je veux dire, en revenant à mes souvenirs d'enfance, et en expliquant peut­être comment, et pourquoi, Ils furent éèrits{l).

_ ....

Comme pour apaiser l'intensit,é de sa nostalgie, dans

(l) Cam a ra, La ye , " L ' âme deI' A f r i que dan B sap art i e' Gu in é en'n e", in Act e s due 0 Il 0 que BU rIa 1 i t t é rat ure A f r i­ca i n e d' exp r es s ion Fra nç al se, Da ka r ,26 - 2 9 Mar s , 1963, La ng ue set 1 i t t ~ rat ure s, N 014 , Da ka r • l 965, p. 122 •

'\

(

(

- 23 -

ce roman, Camara Laye nous dévoile l'enfance heureuse qu'il

\ a vécue, entouré de son père et de sa mère:

Ha mère était dans l'atelier près ? de mon père, et leurs voix me

parvenaient, rassurantes, tran­quilles, mêlées à celles des clients de la forge et au bruit d e \ l' en c 1 um e ( 1 ) .

.'

Si l'on en croit les descriptions qu'il en fait, ses

com pag non s d'enfance étaient to uj 0 ur s présents dans ses

souvenirs, et leur amitié lui rappelle l'ambiance cha1eu-

reuse de la vie africaine empreinte de gaité saine.

La nature était toujours au centre de son admirat,ion,

nature africaine diverse, comblée d'êtres visibles et invi-

sibles, de soleil abondant, d'oiseaux qui voltigent en ,

chantant, d'eau qui coule dan'g ~es rivières, de forêt 1u-

x ur i an tee t 0 d 0 r a n te, ete n fin des t am - ta m, des cha nt set

des' clam e ur s •

, ; Cette enfance, aime-t-il à rappeler, baignait dans une

ambiance particu1 ière d.' amour .et de fraternité sincère, et è

cel a, il l'ex pr im e b i e n à travers le sens communautaire

ainsi qu'à t ra ver sI' ho spi t al i t é dé bo rd an t e des hab i tan t s

d e Ko ur 0 us sa, son vIII ag e :

(1) Gudijiga, Christophe, "quatre thèmes dans l'oeuvre de Camara Laye", in Congo-Afriq~e, N°3, Mars, 1966, p.141.

- 24

Je parle de cet Amour qui nous unit si étrol'tement les uns aux autres, qui faisait de nos fam il­les, de nos tribus, nos très grandes tribus, des groupes com­pacts qui, à la campagne, faisait nos villages si accordés, si pai­sibles, si solidaires(l).

Dra_ouss: ,Vers un engagement politique.

Une fois rappelés certains éléments autobiographique!}

contenus dans L'Enfant noir, continuons il évoquer la suite

d'une a uss i Intéress;nte ex.périence en retrouvant dix ans

après, le héros. çette fois, il se présente 80U9 le nom de

Fatoman, lequel personnage,poursuit son inItiation pari-

sienne.

A l'occasion, ce roman évoque la oituation 8ocio-po-

litique de son pays peu après l'indépendance. Par ceLa mê-

me n'annihile-t-il pa sIe s !! ecu s a t Ion s ~ e c e r t a t n s cri t 1-

ques -de la littérature négro-africaine d'alors, qui lui re-

prochait jusque-là son absence d'engagemenp 1

La ye fe rme obstinément les ye UK sur les réa Il tés les plu s cruciales, celles justement qu-' on s'est toujour s gardé de révéler a u pub 1 le fr a nç ais (2 ) .

(1) Camara, Laye, "L'âme de l'Afrique dans sa partie Guinéenne", in- Actes du Colloque Bur la littérature Afri­caine d'e'xpression FrançaiseH op.cit., p.126.

(2) Mongo, Bé ti, Trois caine, Série 1, N° 16 (cf. Laye", in Fraternité matin,

i' 1

écrivains noirs, Présence Af rl­Oupo h Gnaoré, "Hommag e à Cam ara op. c i t " p. 20 )

(

c

- 25

Dans un tel contexte. Dramouss se pr é sen tee om m e tUn e

() e uV r e e ng ag é e , v i r ~l en tee t \

ne cachant pas la tyr a nni è -

d'alors. En effet, \camara Laye dénonce fo r t em en t

àtrocltés, la misère eC 1 a déso lation; <'

Notre i'égime fusille nos enfants pour un oui, pour un non." Il n' y il plus de viand e ni un g ra in der i z dan s ce pa ys (1 ) •

les

Le héros- narra t eur, Fatoman, de retour dans (90n pays

na t al •

mouss"

bo l ique

nous fait revivre dans Vépisode intitulé "Dra-

urt véritable cauc hemar épique. métaphorique et sym-

Un homme taillé en colosse, si grand que je paraissais minuscule 'à ses côtés, se tenait debout à l'entrée d'une maison. Cette mai­son, très sombre, était entourée d'une muraille circulaire. -Et cette muraille qu'elle semblait avec le ciel(2).

était si haute se confond re

Dans ce rêve prémonitoire, celui qu'il désigne comme

(1 ) Cam a ra, La ye, Dra mou s s. 0 p • c i t • , 'p • 24 2 .

(2) Ibidem, pp.196-197. Camara Làye vise son pro~re paysf La Guinée', Nous signalerons que la signification de DramOUS9 ne réside pas t{lnt dans son authenticM~é quant à la situation de la République de Guinée, que dans l'évolution qui s'est effectuée dans l'esprit de l'auteur. (cf. Jingiri J. Achiriga. La révolte des romanciers noirs, 2ème éditi.on, Sherbrooke, (Québec, Canada), Naaman, 1978, p.186).

26 -

étant "un homme taillé en ·colosse",. n'est autre que l'Etat

omnipuissant qui s'est arrogé tous les droits inimagina-

ble s . .. L a ha ut e mur a i Il e ... , qua nt II elle, r e.p rés e nt e 1 e

"parti unique" qui, par son omnipotenc'e, a subjugué tout le

dynamisme du peuple, affaiblissant ainsi la condition hu-

maine: "sombre" , "aff~mé" et "déguenillé" cbmmc nous le ,

précise l'auteur ghanéen Jingiri J. Achlriga(l). La phrase

tirée du contexte suivant "J 1 atterrissdis sur lél route non

loi n de la muraille" , se m bIc exprimer Id néc~ssité de

l'exil qui découle de la vive oppression ~ la que 1 l e~o t r e

narrateur-rêveur étai!: confronté.

t'épisode "bramouss" comporte dussi d'autres' sc è ne s

nO,tamment fantas tiques, où, tour ;J tour, le personnage BC

transforme tantôt en ser,pent, ta nt ô t ~ n fan t ô m e b l a Il c g é -

ant, tantôt enfin en femme extr.lOrdinairemcnt belle:

. ,

Accroche-toi 11 moi bien" vite. Je suis venu te il.

sauver, cria-t-

Devant moi, apparaissait, non plus un gros serpent noir, mais hne femme belle, extraordinai-

.. rement, dont les cheve u~, cou-vraient les ép.aules" le dos et,

descendaient jusqu'aux chevil-les.

Mon nom est DraPlouss! disait- , elle(2).

(1) Jingiri J. Achiriga, La révolte des romanciers noIrs, op. cit., p.186.

(2) Camara, Laye, Dramousa, pp.cit., pp. 217-219 •

. , ..

"

c

1

- 27 -

••

Da n s cet te 'v is io n co sm ique , le narrateur-rêveur se

confond au "Lion no i r': ' "juste humain et sage" q oi po ur-

rai t guid er son pe upl e " vers un avenir; de progrès.

Pa rIa sui te, nous apprenons que Fatoman se marie,

puis repart à Paris avec son épouse afin d'achever ses étu:-

de s • A son retour au pays natal, son pè re 1 ui annonce 1 es

douloureuses réalités vécues sous le régime po li tique du

pays, bref, la suite conséquente de sa vision cauchemard·es-

que sur son pays

Depuis ton départ, beaucoup de tes c am a rad e son t été a bat tus. • • Beaucoup de gens sont e-n prison.· Beaucoup d'autres aussi ont fui, vers le Sénégal, vers la Côte­d'Ivoire, le Libéria, la Sierra-Léone et d'autres p.1'yS limi-trophes(l ),

Profondément ému, Fatoman a du mal à contenir sa brus-

que révolte intérieure. Pensif, il se dit:

Po ur q u.o i sui s - je r e ven u ? Mo:l aussi, je sera.1 tué comme

les autres(2).

Ces pensées autobiographiques tirées de Dramou s s re-

flètent de plus en plus, l'amertume, la déception, et sur-

(1) Camara, Laye Dramouss, op.cit., p.241.

(2) Ibidem, p.242-.

,1

• C

"

- 28 -

.'

tout l'impuissance de '1' auteur devant 1 e spe c tre deI' hor-

reur qui agite son pays.

Finalement, Camara Laye montre sans ambiguité ce, qu'un '/

tel régime po litique II fait pour réduire l t homme à sa pl us (

simple expression .. N'est-il pa.s d ev enu un monstre im pi- - ;; l'

C om met t r e ~~ , ou les oblige à toya.ble qui dévore ses sujet~,

les pires atrocités?

L ' E n fan t no ire t Dra mou a s son t v é rit ab 1 em en t de a t' 0-,.--

mana autobiographiques car'actérisés par l'ex pr e 6 s io n - du

vécu de "L'auteur dont l'identité 'est hab-ilement confondue ~

. cel lIi du na rrateur . L' em plo i du pronom personrtel .. ~ e"

con è è de aux d if f é r en t S r é 'c i t s une dimension rétrosp'ective,'

intimement liée aux souvenirs de l'-auteur.

Al 0 r s que L' E n fan t n 0 i r no usd é v 0 i 1 el" a t tac _ hem en t d e

-l'a ut e ur à 60 n mil i eut rad i t ion ne l , Dramouss con firme s'on

e ng ag em en t 1 dan 00 l' a ct ion po 1 i t i que t 0 ut en met tant ,un

accerrt particulier sur la difficile émergence c!es' pays

africa,ins nouvellement indépendants confontés aux choix de,

.modèles de développement. Ce dernier_ roman met en évidence

la s,ituation si og u l i ère d e so n pa ys à travers so n . ex pé- ,

rience personnelle._ Même présenté"doulçureusement-, Camara

Laye nous permet d'appréhender tout le problème de l,a con-"

ditio,n humaine à un. tournant marqué de l' histoire de son .. • pays.

'-

/

-"

r ,

(

,C H A P 'J T 'R E II

,

L E S BLE M E N T S M A J B U R S ;

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rA D . ,. T 1 T 1 0 N A F R 1 C A 1 N E

D A N S t

. -- L' • 0 E U V R E D'E C A M A R A L A Y E

, ..

" .

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ft

o

Il n 'y a pa s d e c 1.. v 11 i s a t ion san s u~e littérature qui en exprime et ill us t r e ,1 e s v al eu r s, c om m e 1 e bijoutier les joyauX-d'une cou­ronne ........ Et sans littétature écri­te" pas de civilisation qui ai~le au-delà de la simple curiosité et hnog ra phique • (1)

,

Prise dans son ensemble, l'oeuvre de Camara Laye offre

un reflet fidèle des moeurs et CQuturnes de l'Afrique noire

trad i't ionnelle. Ce cad re rie he des i~ ni f ie at ion sape rm ls 11

l'auteur de construire son décor autobipgraphlque.

Rien d'étonnant alors à ce que l'on retrouve dans

L'Enfant noir, le témoignage symbolique "grâce au ritualisme

à fond mag ico-religieux et ,g râce aux traits pac$Jticul lers du

c om po r t em e n t t rad i t ion n e 1 qui car a c té ris e n t 1" e s c r 0 yan ces

ancestrales.

Par exemple ,"dans Dramcfu~s, ,le héros-narrateur s'éfige ,

en défenseur farooche de la traçl;ft ion q'u' il trouve menasée

dans son i ntégri té et son authenticité deva~t .l'apparition

de nouvelles 'dlmeqsions urbaines.

'~

De so n cô té , L e Reg a r d dur 0 i met e Il é v id e n cel a

splendeur et 1 a permanence de la philosophie africaine', \ l'

âinsi que la vision du monde du héros saDS 'oublier poul" au-

tant d t'évoquer ce qui 'touche à l'au-delà.

_________________ "J __ _

(1) Senghor,Léopold Sédar, Liberté I, .. Nl!gritude et humanisme" Paris ,Seuil, 1964,p .19 •

...

(

- ,.,'

co.

o

- 30 -

Quant au Mattre de la parole-Kouma laf8lo Kouma, il

s'agit d'un éloge destiné à cette même tradition mais par

le truchement ,de l'oralité incarnée par les griots.

Au fur et à mesure que nous' cernerons les princi,paux

éléments trad itionnels contenus dans l'oeuvre de Camara La-

ye, nous tenterons également de circonscrire sa vision d'-

, r ensemble et d'en dégager les aspirations légitimes.

L'aspect des rites initiatiques dans L'Enfant "noir.

Les rites d'initiation qui s' accom~lissent selon les

traditions du pays Malinké(l) symbolisent le passage de

l'initié à travers les différentes étapes de sa vie. Elles o

forment un véritable enseignement. Les rituels quI les ac-

compagnent, eux, ont une signification toute particulière--; • G

puisqu'Us sont exécutés d'une manière à la fois pr~c'ise et

sé cu1,a ire.

>J

Par-delà sa ferveur nostalgique, l'auteur remontera

g'raduellement le flot de ses d

souvenirs en SI appuy-ant cons-

tamment sur lés imagea que lui suggère son univers trad i­

'-+ tionnel.

(1,) op •. cit., tion.

il la première pa"'e de notre introduc-

\

.~ :..J'

..

.,. 31 -

Dans L'Enfant noir, les-cérémonies rit ue 1 1 e 8 et in t-,~

tlatiques nous sont dévoilées sous- tro'1s aspects essen-

tieis: En premier li~u, sous l~aspect de la relation homme-

màtière', illustré par le travAil du forgeron; en secQ$ld

lieu, sous l'aspect de la lelatton homme-nature, symbolisé

par la 'moisson; en dernier lieu, sous l'aspect de la re-

lation homme-vie, exprimé grâce au rit ue 1 de l' in i t i a t io n

d el' erl fan t •

, Le premier aspect des rites et initiations a'avère ca-

caè térisé , avons-nous dit, pa rIe t r a v ail d u p~ r e d el' -

auteur, dans sa forge. Camara Komady exerçait, cn effet, le

m~tier de forgeron-orfèvre. Pe n dan t qu' il ex e rç ait so n

habileté manuelle, il prononçait des incantations verbales

lesquelles étaient acc'ômpagnées de gestes rituels sacrés et

précis. Il faut savoir que I_e sens de ces mystères en pays

Mal.inké fait appel au "Dieu Métal" à qui l'on d'\emande aide-

et fo rce po ur opérer la transmutation de la matière au

cours de cette opération:

Mon père'" remuai't les lèvres! ces' paroles que nous n"entendions. pas, ces paroles secrètes, ces incanta­tions qu'il ad ressait à cè que nous ne pOuvions ni voir ni entendre c'était là l'esse-qtiel.(1)

--,---:------------ ~--- ".

\

(1) Cam a ra, La ye, L' E n fan t no i r, 0 p • c iet " p. -3'1 • _

1 0

..

..

(

(

32 -

--ee travail à la forg~ 8uit, en e f f et, un r 1 t ue 1 8 ym-

bolique qui" retrace 1 es étapes de l'initiation hum a 1'-

ne" ( l ) . Le feu" élément essentiel dans cette métamorphose

d'u m Inerai, " co n s t 1 t ue 1 e t rai t d' ,un ion 1 e plus sensible . entre les vivants et les morts"(2). Nous analyserons d'ail-

le ~~ s pl UB end é ta 11 ce thème du rituel s!f1llbolique à la

f 0 rg e dan sIe s:! x i ème cha pit r e den 0 t r eth è sc.

Venofls-en d pr é sen t , a u deux i è ni e a, s p e c t des in i t i a-

tlons et rites. p

Pour cela, accompap,no,ns le p~rsonnage-nar-,\

rateur, qui nous conduit jusqu'au villa~e ~e sa mèr~, nommé

Tindlcan, et qui est situé non loin d~ Kouroussa où il ha-

bi te • Là, gril'ce au jeu d,e la mémoire, i 1 no u s ra con t e' so n

• merveilleux souvenir de la "moisson à la campagne

La sc è ne deI a moi s son dans,L'Enfant noir se' présente '. , .

comme un spectacle agréable -e't harmonieux~ La "grande et

joyeuse fête"(3) de la moisson du riz dont nous parle 1'-in-

nocent enfant; comporte à travers ses chants et danses, la

fils 1'0 n s ym b 0 11 que et sac rée deI a \

vie.

--------------------. .

no t ion dut em p set d è l a

(l) ,Bourgeacq ,---Jacques, L'E'nfant 'noir de Camara Laye, 1

sous le signe de l'éterul!l retour, Sherbrooke (Québec, , Canada), Naaman, p .. 21.

(2) Zahan, Dominique, .Religion, spiritualité et pensêe africaines, Paris ,Payot ,1970,p .• 52.

( 3) Cam a ra,. La ye. L ' E n fan t no i r, 0 p • c i t " p. 55 •

. '

"

- - 33 -"

, "

La moisson dlJ riz ne tombait guèr'e à la m'ème date de

'l'année. E Il e cl é pen d il l t deI a mat ur L t é du r' L z, s ym bol' e m ê-

me du calendrier agricole des paysans, qui, est' l'expres-

S ion d e l a 00 t 1. 0 n cl u t'em p s, .

C'est aussi l'occasion de remercier 1es- génies bien~

faiteurs, re'sp?nsab1es de la moisson et- pr 0 tec telir s)d e 1 a

récolte:

~s énies 1)ous avalent cons~am­

ment secondés: pas un de nouS ' qui eût été mordu par les ser­,pents que notr~ piétinement daos

-, les champs avait clé1ogés(l).

La graine ensemencée clev,ient la récolte futur'e,

"

1 ' ex-__ ~

t> pr e s s ion m èm e deI il no t ion cl e vie, g ym bol i san t a i n s l, t 0 ut e ,

1 a sig nif i ca t ion cl e la continuité grdce à la procréation.

Cet t e moi s son é, tan t une a c t i vit é es sen t leI l em en t c om m un .J u-

taire, on retrouve d travers elle le thème de'la solidarité'

qu:I:'est, au demeurant, une 'qua.lité exc_eptionnel1e chez Îes

pa ys a 0 S :

) "" ,

"

••• ils moissonnaient ensemble: leurs voix s'accordaient, 1eur,s .~este.s s'accordaient; ils étaient ensemble! - u,nis dans un même travail, unis par un m,ème chant(2). '

('1) Camara, Laye, L'Enfant noir, op.cit., p.67.

(-2) Ibidem, p.63.

(

c

tt

-' 34

Finalement, l'aspect de la relatidn homm,e-nature, -sym-

bolisé à la perfection p~r la moisson du riz, s' af f i rm e

comme un rite qu,i p'ermet une communion spirituelle entre

les paysans et leurs ancêtres disparus :"( ils) ne sont ja-

mais partis: ils sont dans l'arbre qui fré mit , ils sont

dans le bois qui gémit"(l).

Le t roi s l ème .a s p e ct, la relat Lon homme-vie, nous est

dévollé 'par la cérémonLe de l'initiation de l'enfant. Cette

cérémonie comprend deux grandes étapes: d'abord l'épreuve

, des lions, con n il e - sou s 1 e' nom des cérémonies de "Kondén

Dlara"(2), qui "rassemblait tous les enfants',· tous les in-

circoncis de douze, treize ou qU,atorze ans ..... (3). C' es t il

ce moment-là que l'on apprend à l'initié qu'il doit affron-

t,er plus~eurs phases. La première partie de la c~rémonte

eX,ige que les.enfants soient physiquement sép'arés du monde.

En outre, ils d 0 .L ven t ses 0 um et t t"e à un j e û ne e n gui s e d e

purification, avoir le crâne rasé(4), et s' afstenLr de tout

contac t physique avec Leur mère.

---~---------------- -~

(1) Diop, Birago, .. souffles", Leurres et Lueurs,' Pa-ris, Prése~ce Africaine, 1967,p.64.

- . -(2) Delafosse,Maurice, La langue mandingue et ses d:ia-

lect~s, Pa.ris ,Geuthner,l929; cf. lexique ("Kondén Diara" -Kono-de "enfant du ventre'~ dyara ou dya'ta "lion); à ce propos, voir Bourgeacq,Jacques, L'Enfant noir de Camara­La ye ,op. ci t • , P • 26 •

(3) Camara,'Laye,'~Enfant noir, op.cit., p.102.

'(4) "Les hommes qui conduisent nous avoir rasé la tête: .... (cf. ~, op.cit., p .. 132).

cette initiation,.après Ca m a r a La y~, . L' E n f a'n t

J

o

--------------,

.. - 35

L'élément crucial de la seconde étape de la cérémonie"

survienç avec la circoncision, qui pe rme,t il l'enfant de

"rena!tre, (bref d' ) abandonner l'enfdnce et l'innocence

pour devenir un 'homme". (1)

1 " 1/ • ..

Au travers de cette cérémonie, transparaissent sous un

langage symbolique évident, trois états qui doivent habiter

1 ., peu à peu l'initié: ceux de 'la préparation, de la mort et

de la renaissance.

Le premier éta't: "la prépardt{on" ~omporte le symbo-

llsme dit de l'épreuve du lion; Elle consiste cn une puri-

ficdtion indispensable où l'ini'tié doit vaincre. la peur qui

l'étreint au cours d'une .cér~monie essentiellement domln6e

par le'suspense et la, frayeur. Àu cours de cette inltia-

t ion., i 1 .e 's t c e n s é r ~ n con t r cru n lIon mythique évidem-

m e IWt, ce qu' i 1 ne sai t pa s . Quant il la sépdrdtion dvec sa

mè re , ell e signifie la rupture ~ le plan métaphysique

d"une relation initiale ou 'privilégiée cntre' ,la mète et le

f11s(2).

------~------------~

(1) Camara, Laye, L'Enfant noir" op.cit., p.124.

(2) "Après l'opération, -l'initié, sur le ~plan spiri-tuel, est devenu un autre ~tre. L'entrevue en~re mère ct fils signifie d'ailleurs clairement que sur le pla~ mé­taphysique, tout ~u moins, la relation initiale mère na~

turelle-fils n'existe plus, que l'initié cst dé sormais fils de- la ,Terre." (cf. Bourgeacq.Jacques, "InitIation et é ter ne 1 r e t 0 ur" , L' E n f a ~ t; n 0 i r d e Cam a r a L ,a y e ~ Sou sIe s i -gne fe l'éternel retour, op.cit., p.,36).,

-d ..

"

(

- 36 -

Le second ~ta:t: "la mort initiatique" est, ici repré-

sen té, par le séjour de l'enfant dans une case hermétique-

ment close et séparée du reste du monde.

La céré-menie de ,la circoncision en r~pandant 1 e sa ng

hum ai n, symbolise, e Il e, cette séparation, en même temps

qiÎ" elle renvoie au sacrifice divin figuré par le dépècement

mythique(l).

Le troisième état: "la renaissance" est représenté par

l'intégration de l'enfant à la coll ec t i v ft é à l'oc cas ion ,

d'une fête populaire, symbole du fondement cosmogonique qui

lie toutes les générations.

Cette cérémonie oO,nstituée de ~

trois actes, comme une

pièce de théâtre dure une semaine et se termine dans une

ambiance de fête populaire et de bonne chère où, la généro-'

sité des uns et des autres prend une dimension exception-

ne Il em en t sou t en ue .

A traver.s le pass,age de ces trois étapes symboliques, 1

nous prenons pe'u à peu conscience de l"univers spirituel et

mystiqul' évoqué d'ans l'oeuvre de Camara Laye, lequel nous

(1) "Le sang doit couler, dit le "séma", s'il ne cou-lait pas ... , ' se hasarde à suggérer le guéris/seur, S'il ne coulait pas, il n'y aurait pas mort initiatique, l'opé-rat ion é t ses con s é q'u e n ces s e rai e n t v ai ne s • Lo r s que 1 e cas se ',produit, l'opérateur incise soit la cuisse. soit l'o­reille en compensation. cf. Dieterlen,Germaine', Essa;i su.r la religion bambara, Parls,P.U.F.,195l,p.185, (à ce lJrOpos, voir Bourgeacq, Jacques, L'Enfant noir de Camara Laye, op. ci t • P .36 ) •

-~-~--,---

-, . , ..,.'

-·,n -

- 37

permet de mieux comprendre le monde traditionnel africain . "

Par ailleurs, le dévoilement de la perception côsmogonique.

de l'auteur nOus permet d'explore'r son sentiment religieux,

ainsi que sa 'notion du sacré.

Dans L'Enfant noir, l'auteur sait, nous faire apprécier

la prééminence des croyances ancestrales, ainsi que leur

interaction structurelle dans la cosmogonie J[ricaine.

D'une façon générale, le monde invisible -L't les forces

qu'il engendre :1 travers, cette ontologie des relations mys-

tiques entre l'homme et l'univers ont permis d'dsscolr des

règles et un code de vie qui se sont trdnsm!s depuCs des

générations. (

, .'

Dans un tel miJieu, l'imporldnce de la famille lrans-'

parait d son' plus haut point pour constituer le cadre édu-

cationnel privilégié où sont enseign'i!es les valeurb lrcldi-

tionnelles, symboles de continuité enlre les générdlions.

Aussi, dans l'oeuvre de Camara Laye, cinq poInts nous

paraissent-i~s essentiels. ,Nous 'allons les présenler car

ils qécrivent bl en le s élémenl~ maj~urs de la 't rad i t ion

africaine: il s'agit de la prééminence de la religi-on et de

la magie: de la danse et du chant; du rôle des griots et

des conteurs; des gestes de convenance; et en fin de' l' i m-

portance de la fam ille . '

..

(

- 38 -

" '/' ...

.. La p~6êmlnence de la ~ellg1on et de la magie.

La _cosmogol)ie africaine décrit globalement le compor­(/

tement humain comme dépendant des 'forces supra-naturelles

quI nous gouvernent. Ce symbolisme africain permanent est

-renforcé par l'intrusion du sacré danS l'existence grâce

aux nombreux génies, qu'ils soient bons ou mauvais. Repré-

sentations ou manifestations matérielles si l'on veut de

ces forces occultes, ils prennent "l'aspect des minéraux,

v~gétaux ou animaux~(l).

L'Enfant noir offre maints témoignages de cet univers 1

peuplé de génies." Trône d'abo'rd, le serpent, qui nous .1'a-

vons souligné est le génie tutélaire de son père,

sa race qui leur procure bonheur el: réussi te:

C'est en tqnt que génie de ,ta race que je me pré~ente il toi comme au ,plus digne... car je t'apporte le succès(2).

celui'de

_ -(1) Nicolas, Guy, Ex~raits du chapitre IV "La société africaine et ses réactions à l'impact occidental" de l'ou­vrage l'Afrique Noire Comtemporaine,Paris,Armand Colin, coll.U, 1968"p.14.(voir il ce propos le collectif sous la direction de Marcel Merle, série Société et Politique, coll.U, 1968,455p.)

(2) Camara, Laye, L'Enfant noir, op.cit., p'.19.

"

· .

o

39 -

~

Après qubi, la moisson du ri z, activité cyclique et

vitale pour les paysans, est l'occasion appropriée ppur im-

plo r e rIe S g é nie s a fin que c e 8 ,d e r n "i ers p e r met t e n t des con -

ditions climatiques favorables d une bonne récolt~(l).

Les préceptes li é s il la vénération des gêilies no u~

conduisent à nous intéresser aU.Jll.Onde des totems(2) propres

à certain's clans. En effet, ces totems sont Id représen-

tation matérielle des gé nie s et demeurent exclusivement ,.

t ra n sm i s s i b 1 e s gril ce a u xli 2 n s pa tri l i fi é air e sou :l las u i te

d'alliances spécifiques. La possession d'un totem implique

lt'observance de certaines restrictions idoines [lUX puJHHdn-

ces qu'il est sensé conférer d son possesseur. Il en 'dé-

cou 1 e qu' en t rel' ide n t i té dut 0 te met son po s ses se url,' é ta-

b 1 i t al 0 r s ~ un e é t roi ter e 1 a t ion il u point que le totem ne

-p eut, en au 'C un cas, 1 u i cau s e r pré j u d i ce.

Par exemple, Camara Laye explique les vertus du totem

de sa mère, figurant un crocodile, ce qu i lui permet de

puiser, sa n s d il n g e r , l'eau du fleuve Nig~r; le héros--nùr-=-

rateur, lui ne bénéficie pas de, cetle prote,ction, puisque

les ~ertus du totem, répétons-le, 8on~ seulement dpplica~

(1) Camara, Laye, L'Enfant noir, op.cit.,

(2) Ibidem, p.79.

~ -p. 67.

(

c

- 40 -

bles é'ntre parents de descenqance patrilinéaire:

/ /

je la regardais puiser l'eall à proximité des crocodiles., Bien entendu, je la regardais de loin, c~r mon to t'em n'est pas celui de de ma mère .•. ( 1 )

V(~djuration des génies, faite de rites secr,ets et dé

Céréfonl0S aux contours myatérieux. est une des pratlque,s

qui découle de ces croya·nces. De telles pratiques on,t pour

but de gt.ir.der un contact \ privilégié avec les "entités invi-

aibles \

a fin d'en l

obtenir, ,

1 e m om e n t ven u , des fav'cur s.

'-

Au fil des pages, .VEnfant noir nous,fait revivre 1'-

intimité de la famille du héros à 1.' ombre de. ces, puissan-'

ces à qui ils voue nt un cul tes é cul air e • En e ffe t " les

génies du feu sont constamment con j ur é spa 'r 1 e pè L'e du

héros qui trav'aille à la forge, et s' efforc~ d'éloigner les

mauvais csprits(2).

Dans cette invocation, le "verbe" est usé pa·r le for-

geron pou~ l'amener à tran'sformer l'essence des choses. Ce

"verbe" opère et produit 1 e m i ,r a cIe. d e ~ end 11 e n ~ e s ses

il pc ut ainsi transmuy à jlonté la aspira-tions' profondèsj

matière qu'il domine.

(1) Camara" Laye, L'Enfant noir, o.p.çit., p. 79.

(2) Ibidem, p.31.

41

Cette réali-ti§ '. du nÏystic.lsme ancestral •

dmènera Camara

L a ye à. cr é e r .1 e m y the Dra mou s s -. g é nie d 1 il foi s j a 1 0 u x e t

protec,teur - qui symbolise l'aVénir de son pdyS.

Mais dans tous les cas, Id "manipulation" des forces

occultes requiert les services de personnes qUdlifiées: ~es

sor~iers. GrJce ~ la présence des sorciers ddnb l'oeuvr~ de

Camara Laye, no us nous intéressons :l Id prdlique la plus

courante de l'o~cu1tlsme ddns l'univers magico-religieux

négro-africain. ~e11e_de l'adhési~n dUX vdleurs dncestra-.. les.

Deux grdndes cdtégories de sorciers peuvent ~lre dis-

tinguées: la première accueille ceux ~ue l'on désigne com-

me des "sorcIers na lu re l s" , d cause de Id ....

forme inpée dl'

leur pouvoir. 'Da n S L' En f il nt no i r, le h fi ~ 0 s - n il rra t eu r s' em-'

ploie à

Meaux:

en souligner la présence lorsqu'il pdrle

(lIs) naissaient plus les autres enfants et sorciers,(1')4

.' "

subtils que qua si men-t

de s J u-.

Quo i qu' il. en soi t, ces 0 n l des ê t r e s qu' i 1 f a'u t b eau -

cou p m é n cl g e r e t pou rIe 's que 1 son se g a r cl e r' cl de c réer r une

----~--------------~

(1) Camara, Laye t L'Enfant noir, op.cit., p.75 •.

j

(

c

- 42 -

"

discrimination apparente, car "ils obt droit à une êgalitê

plus 81:ricte q'ue les autres enfants •.• "(1..)-. '~

J,

En 'ef f et, leur pouvoir de sorcellërie leur perme€ de

ressentir plus intensément les choses s':lbtiles. En outre"

ils sont capables de jeter des sorts lorsqu'ils se sentent

comp~omis ou menacés.

Cette éaractéristique propre aux jumeaux se re trouve

notamment da ns Le Regard du roi oa 1'auteur met

c~l{~re~ent l'accent sur leur pouvoir surnaturel. De sur-

croit, leurs puînés sont cons'idé'rés comme ayant, eux aussi,

. 'une prédisposition particulière pour la chose occulte.

C'est pourquoi la mère du héros, Dû'man' , cadette immédiate

des jumeaux, po s s è cl e un pou v 0 i r s 0 'r cie r qui 1 are n d a pte à "

recevoir des révélations diverses'durant son sommeil. Grâc~

II cette force, elle ep profitài,t pour intercepter et dénon­

cer'les jeteurs de sorts. Avec .de tels pouvoirs, elfe réus-

, siss{l~t .

ac corn pli r des ex t r cl 0 rd in air es dans

L',Enfant noit, comme lors de la scène pdthétiqlle qui met en

veœette urt c~eval insoumis auque'l' elle intima l'ordre d'o­

béir, aprè~ l'avoir conjuré.

La deuxième catégorie, de sorc~e~s comprend ceux qui

ont appris les connaissance~ de .,.

la sorcellerie auprès d'un

martre.

v (1) Camara, 'L .. aYe, L'Enfa,nt -noir, op.cit., I?76.

o

l.-

0

- 43 -

Dans l'exercice" de leur art magique, de tels personna-

ges confectionnent des "gris-gris"(l)_:-- à l'instar du sca-

pulaire de la religion judéo-chrétienne -- destinés à pro-

curer des vertus diverses bu sp~c~fiques pour les posses-

seurs.

L'Enfant noir dédie des passages exhaustifs à ce ri-

tualisme à fo n d s , ma g i c 0 - rel i g i eux en soulignant notamment

l'existence des au tel s où trônait la "marmite à gris-

gris"(2), que possédait son père -et qui conten,1it des subs-

t@nces mystérieuses ,. dont il

" s'enduisait le

• corps,

soirs-

Autre. exemple pris cette fois, dans DramouBs:

to us le s

cel ui

où le père de Fatoman lui confie une "boule blanche"'(3) -qui

allait lui permettre d'augurer sur l'avenir cal ami te ux, de

s on pays_

Enfin, Dioki, la sorcière aux serpents, pe r son n age du

Regard du roi, est un autre témoignage des ~royances de 1'-, , ,

aute,ur en la pérennit~ des valeurs 'ancestrales(4). Là enco-o ' , re, la sorcière consulte ses oracles ~e8 .,serpents pour pré-

dire l'avènement du roi attendu.

, --------------------

(1) Objet ma~ique rappelant l'amulette et auquel on attribue le pouvoir d'écarter tous les év~nement8 mal­heureux. (cf. Camara, Laye, L'Enfant noir, op.cit.,p.ll).

( 2 ) Ibidem. :-

( 3 ) Camara, ,

~_a,ye , Dramouss, op-cit., p.236.

( 4 ) Ca,mara, Laye, Le Rega rd du roi,op.cit.,pp.205-227.

, . l'

1 • - 1

44

La d~e et le chant.

S i la pe n s li e négro-africain~ s' exprime principalement

par le symbolisme; les émotions, elles, sont r")ndues vivan-, .

tes dans l'eKpression du rythme et de la danse.

"

Rappelons-nous que dans la dédicace qu'il a faite au

début de Dramouss, .Camara Laye affirme qu' i~ faut "libérer

cette extraordinaire puissance de sympathie qui est au plus

'profond de chacun de nous"(l).

Pour l'auteur, cette puissance se . tro,uve, au coeur du

mysticisme africain; elle e~prime notamment chez le Négro-

africain, la sensibilité au rythme grâce auquel il crée une

atmosphère de communication, rehaussée par le mouvement qui

,l'accompagne.

Dans l'ensemble, il faut reconnaître que" les 4 ;

les danses sont de, nature diverse et en général,

.~ chants et

la rgement

tributaires des circonstances. Par 'le rythme, le cultiva-

t eur coordonne et

r yt hme che z

so ut i en t ses efforts; tout !

l ' i nit i é pou r mie u X • ex aIt e r

Finalement, c-

ce rythme s' affirme toujour's comme

importante pour atteindre un é ta t second où 1

comme

sa foi.

une étape

l'émotion

engendre la communion profonde avec les' autres forces

cosmiques.

-----~--------------

(1) Camara, Laye, Dramouss, "op.cit.,p.8'.

"

"

:t " e:.

\

- 45 '"!

En plusieurs endroits, Î,

L'Enfant noir fa i t r e v ivre d e

remarquables scènes de danse: Le "g rio l" ( 1) ex écu t e b r [1-

,r".

lamment la danse du "Douga"(2) en présence du forgeron-or-

fèvre en signe de remerciements et de louanges à l' isSli'e de

l'habile transformation de la poudre d'or en bijou; quant il

1 ~ ~a cl a n'se du" So li" ( 3 ) , on la retrouve d l' occaslon des cé-

rémonies préparatoires de l'épreuve :1

de la circon.cision; la

'danse du "Coba"(41', elle, anime la velllée des futurs cir-

concis pendant la nuit qui précède le jour fatldique; par

contre ,'la dan~e du "Fady fady"(S) est d éd i é e à la br av. 0 u-

re des jeunes initiés dans leur quête et s 0 ul ig ne le co u-)'

ronnement de cette longue cérémonie d'e circoncision. l"

De ce qui 'précède, on peut conclure ~

que c ha que a c'te

semble corre~pondre il une ch,orégraphie -précise, à' un' 1an-

gage gestuel spécifique visant il traduire un cer"taln état

d'âme et son émotion.

Par ex em pl e, dan s' Le Reg q. r d du" roi, C 1 are n ë e, 1 e h ê TO S -..

(1) En' Afr,ique Noir'e, sorte de poète et de musicien' ambulant auquel on attribue souvent des pouvoirs ~urnatu­re 1 s. (cf. Plu 'r i - d i c t i 0 Il n a i'r e L Il r 0 iJ s se, d i ç t (0 n n Il ire e n c y­clopédique de l'enseignement, op. cit."p.640).

, ,

'. ..

(

(

~- \

- 46 -

. europêen, est partic"ul ièrem,ent étonné alors qu'il vo.f.t pour

la première fois une horde de jeunes Noira exécuter allè-~

grement des danses du pays: "La nouveauté\ et' l'étrangeté un

pe u ~ a r bar e d u spectacle, avait de quo i arrêter se s - . reg'ard s"(l )'. - ,~ .

'Dai1.S l'oeuvre de Camara Laye,. la musique ~t la dans,e

sont donc des attribl!t~ ·indissoc--iables du verbe en suppor-

tant grâ~e à leur pouvoir magique, toute l'existence du né-

gro-africain. Da n sun tel, con tex te" no usa 1 Ion s, ce r n e r à

pr,é se n t "1 a s Ig ni fic '!- t io n et la noblesse du rôle joue par

le grIot.

Le rôle"des griots et des conteurs_

\

, ' Issus des ré?ions sub-sahéliennes fie l'Afrique Noire,

les . g rio t s a ppa r t i e n n ê n t 1:1 un ~ ca g tes p é c if i qye • Leur 6

fonctions diverses les prédisposen,t en effet, il pe r pé,tue r

la trad iHon oral e à travers 1 es générations(2).

En règle'gé'néral.o,' leur sacerdoce exige d'·eux d'abord

une connaissance parfaite de lthiStoire transmise, ensuite,

,1 ' ~ c qui s i t ion cl' un . art 0 rat 0 ire con sac ré, et enfin des ta-

l? leI1ts d~ musiciens. To ut e 1 e ur ex i ste n cee B t m a r q ué e pa r'

Q

une extrême mobl1'rté qui détoule 'de's sOllicitation,s nom-

. . --~-----------------

(1) Cam a ra, La ye, Le Reg a rd dur 0 i, 0 p • ci t • ,p . 13.

{ 2 ) Nic 0 l a à , Gu y , " l a fi 0 c i été a f r i c a i ne e t ses réa c-tions à l'impact occidental", op',cft., p.13.

, \

/

"

47 -

bre use s 1 iées aux -ac t iv itJé s sociales ( baptêmes, mariages.

funéraillès et fêtès d iverses)(l).

Se Ion .ca ma r a La ye, deux ca té go rie s de g rIo t s m é rit e n t

notre attention: la première, la moins a,heottque,

po s'e d e ;Il ~ r cha ncl s d e mus i que qui e r r e n t dan s l e fi

qe com-

g (a nd es

villes et, qui, généralement, méconnaissent et déformel1t l':"

hi s t ,0 ire " au gré de leur auditoire; la deuxlèm(' catégorie,

la plus intereGsante, connue sous le nom de Béll\n Tlgui ou

maîtres de la parole, 1 •

qui se déplacent peu, restent atta-

ch é ~ 'â leu r t rad i t ion et à 1 e urt e r r end ta 1 e ( 2 ) . L'ohteur

déc rit es sen t i el l èm e n t 1 a der n i ère ca t é go ri e. :'1 la q ue lIe i 1

con c è de plu sie urs r ô If 's cl e pre m i ère i m po r tan ce:

L

Le g rIo t, bis t 0 r i' en.

, Pour restituer l' histoire dont il ,eat le dépositaire.

le véritable griot dIssimulera son message à travers 'd' amu­

santes f~,rmes allégoriques, lt>gendaires, destinées ;)l,I; pro-

fanes. Le pl us sa 1,1 v ent, le contenu du l1essage s'adressera

aux e. s p t 1 t s ,p ers pic ace s, c a pa b 1 e s cl' e,n déc e 1 e r lat en e ur.

(1 ) NIc 0 las , Gu y , .. l a réactions à l"iIppact occlden'tal",

société africaine et op.c i t., P .13.,

se 8

(2) Cam a ra, La te Kouma, op.cit.,p.21.

Le- Maitre ,de la parole-Kouma !.afôlo,

C' ;

c,

48 , '

Nous avons Cl;'U devoir bon de réàumer, ici.' la très

~ -19 ng--ue hi 9 ta i r-e dur 0 ya ùm e du Ma 1 i, fond ~ a u XI Ile - 6 i è cIe

par l'empereur Soundlata Keltfl et qui résIsta aux envahis-

seur s jusqu'au XV Ile si è cIe, Ra ppel é pa rIe g rIo t Ba 10 u

Condé, personnage de Kouma lafôlo Kouma. ce récit est por-

teur d'un discours métaphorique, où se mêlent

ment, proverbe-g, hyperboles et mythes.

Le c é 1 è br e g rio t no usd é cri t a v e c for cel e sor i gIn e s

et la destinée de ce grand homme: pré ci san t que l a ,m ère de

Soundiata, laide ct bosf}ue, fut proposée en mariage au roi

Maghan Kon Fatta(l) du Mandén, par deux valeureux chasseurs

- \

q ut l'aval t r e ç ue e n c ad eau, après avoir accom'pl.i un ac te

de bravoure da~s un ,royaume voisin. D'une telle union na-

quit un prince hélas! atrophié qui' connut une enfance d If-

fleUe et une évolution exceptionnellement lente, Il appa-1

1

rut même dén~é, d'intelligence. Jusqu'au jour où, le prince

retrouva soudainement la vig'ueur de ses membres, une intel-,

llg ence sans faille et une confiance accrue pa r ce ria i n s

, po uv 0 i r s qui l'ui pe rm ire n t d e con ci ué r 1 rIe s r 0 ya um es vol-

slns pour bâtir son empire ,sur lequel il régna avec-'justi-

ce •

Si l'on analyse l'histoire racontée par le griot Balou

Co nd é, il s'avère,que le contour légendaire def} origines et ,

de la naissance de l'empereur Soundiata présente un contenu

-----~--------------

(1) Camara, Laye, Koums.op.clt.,p.'69.

.,

Le Maitre de la parole-Kouma lafôlo

'1

-

7),. , , -

- 49 ...

, ,";?

\co do ub 1 e d e,sens: fe, premier met en évidence l' haQileté en-

voûtante des récits qui se r ven t à am use r les e s p rit s sim-1

pIes tàujouTS happés par la légende comme un enfant vivant'

un conte de fée. Sur ce point, Camara Laye n'a-t-il pas dé-

cla ré que pour l'Africain toute science veritable est

secrète"(l )? 9

Led' eux i ème a s p e ct, 1 u i, ré v è 1 el' es sen c e d u

m essag t:;: outre l'histoire telle que livrée à un premier

nI v ea u, Il exprime la philosophie africalne où se loge,hl

veritable souffrance. En elle se cache la force nécessaire

à la réussIte à laquelle on a c c è des e u 1 em e n t g rd ce à l' ,e f -

fort et à l' humilité,. Bref, une invitation à ,la méditation.

Le gr i 0 t, PQ_'è te.

FabullSte(2); chansonnier êpique; louangeur(3); réci-

tant des ,devises patriotiques; illustrant de légendes ro-

cambolès~que~ les g~andes dynasties familiales o'u même cel-

1 e s des g en s duc 0 mm un, l e g rIo ~ , tantôt ironique, tantôt

cynique, s'emble posséder le moryopole du maniement de la pa-

ro le.

-------~-----~------

(1) Cam ar~, La ye , Kouma, op. cit.,p.ll.

Le Mattre de la parole-Kouma lafôlo

(2) Camara, Laye, DramousB, op.cit.,pp.127-156.

( 3) Cam a ra, La ye, L' E n fan t no i r. O\p. C 1 t • , p • 25. .

...

(

(

50 -

Que ce so~t Pilr la parolel.'':-·oy le chant, ,

so n ~a u dit 0 Lr e

est toujours séduit par trbis éléments: d'abord"l'art ora-

toire indéniable qui se dé roule grâce à .la magie des mots

et def; idées qu'il suggèà; ensui te, l'harmonie du rythme

qui prend son envol dans la répétition savante et agréable

des versets et des couplets; enfin, le se n s

leçons, qu '11 propose à l' esprit( 1).

D li n s L ' E n fan t no i r " on retrouve la' présence du ,griot

auprès du père du héros" forgeron de son état. " ,

Plusieurs

passages de l'ouvr~ge confirment, en effet, que le rituel

du travail à la forge de Kouroussa baigne dans une atmos-

phère mystique engendrée par la psalmodie et les chants du

griot autour du feu où ·s' opè re la transform'ation du mine-

ra.i(2).

De so n cô té ., Ba lIa Fas s a l i Kou y a t é ( 3 ) , griot attitré

d u p r i n c e Dia ta, br i 1 l id t pa {' sap r é fi e n cel 0 r s que, 1 e p r i, n c e

paralysé se le v a et Se mit à ma r che r ID ira cul eus e men t •

L'émotion aidant, le célèbre griot improvisa alors un chant

de circonstance dont l'éloquence particulièrement émou,vante

lui permit d'occuper, par la suite, une place de choix

(1) Camara, Laye, Dramouss, op.cit.,pp.137-i38.

(2) Camara, Laye, L'Enfant noir, op.cit.,pp.24-37.

(3) Camara. Laye, Kouma,op.cit.,p.144.

Le Maître de la parole-Kouma lafôlo

" .

) r

- SI

parmi les griots mandén:

Niama, Niama, Niama, Fén Bè bi idon na Niama, lé Kôrô Niama tè don naa fén Kôrôl

Or dur e, Or d ur e, Or dur e Tout s'abrite sous l'ordure Et toi, ordure, rien ne te sert d'abril (1)

•• .u.

Les paroles'de ce chant marquent la victoire de Dlata

sur les fot;ces obscures qui l'ont maintenu impuLqs'ant tout , ' ,

eri' offrant à 50gol'on, la mère du prince, l' oC<èaslol) de re-::

lever l'affront et les-offenses de sa CO-ép0use Fatoumata

Bé ré té.

,Au j ourd ' hu i, - ce chant célèbre entre tous est repris , ,

par les griots lorsq-u' ils sont conviés à c~lébrer soit une

victoire, 89it à participer:à ,un-e grande cérémo·nie.

L,e griot:, aédiateur'.

Le g rio ta, e, n 0 ut r e, une f 0 n c t ion b i e n é ta b Ile d e m é-

diatellr d,ans la socié té. D'abord, i 1 f a v 0 r 1 sel e dia log ue

e n t r e se ê d if f é r en t s m em br es, e n sui te, i Ile ur ra pp e Il e, en

(1) Camara, Laye Le Maitre de la parole-Kouma lafôlo Kouma,6p.cit.,p.144. (),l'auteur en référence ajoute à pro-pos de ce- chant célèbre, qu'il est interprété de nos jours, p01-lr les hommes derrière lesquels leurs peuples trouvent r e fug e) •

'.

(

c

-

- 52

l'enjolivant, leur propre his to ire. Au se n f? pr 0 pr e et au J

sens figuré, la société profite de ses va-et-vient à l'in-

térieur de la cité, comme de son rôle de conciliateur et de

\ div i 8 e ur po te n t i el. En e f fe t , il est 1 e s a ;ng qui c i r c ul e

dans le corpa de ses semblables et qu' il pe ut s'o i t gué ri r ,

soit rendre malade selon la ten~ur de ses discours.

Da ns un passag e de Kouma Lafôlô Kouma, Cam ara La ye

co'nfirme ces états de faits lorsqu'il souligne la présence

du griot au moment où les deux chasseurSI viennent se con-

. fIer au roi, Maghan Kon Fatta et lui offrir So g 010 n en m a-

ri'age(l). Le griot, Doua, confident et porte-parole du roi, ',-

s'était sirrgulièrement illustré lors du brûlant et décis'i!

d i al og ue, au t e rm e d uq ue 1 il accepta l'offre des braves

chasseurs avant même que le roi n'en fut saisi.

Les gestes de convenance, les gestes fa!lliliers.

Le s g est e s d e con ven a n c e a o.n t à }. a t rad 1 t ion 0 raI e ce

que l'écriture est à la civilisation écrite. Il s r e pr é s en-

tent un c~de de bienséance, de bon usage, et dénotent chez

l'A f ,r i c a i n qui 1 e sut i 1 i se, une bonne éduca t ion. On 1 es . reconnaît parce qu'ils sont exécutés avec retenue et -élé-

gance, contrairement aux gestes familiers souvent empreints

de gaieté voire de désinvolture.

--------------------

(1) Cam a ra, La ye , Kouma,op.cit.,p.88.

Le Maitre de la parole-Kouma lafôlo

· , - 53

En rè g1 e géné raIe, les gestes de convenance sont en-

sè igné s au sel n deI a fa m ill e i mm éd i a te. Ils se traduisent

par un ensemble de gestes conventionnels se rapportant il

des situations et il des circonstances sociales variées:

co m me l a po lit e s se, 1 e bon usa g e deI a p,a roI e • les règles

qui régissent les rapports avec les ainés et la déférence il

l'égard ,des personnes à "allégeance partlculière"(l).

Tout c.omme l'ensemble de la littérature négro-africai-

ne, l' oe\lvre de Cama ... a laye renferme, elle aussi, de nom-

br eus e s des cri pt i 0!1 s d e g est es, d'attitudes sociales et

conventionnelles. Dans L'Enfant nol!:, plus préclsément, le

héros-narrateur, alors fort' jeune, est '-i,nltlé à la pratL-

que tles gestes de convenance relatLfs il une bonne tenue il

ta b 1 e .

Parmi les règles d'usage qu'on lui apprend, il faut se

r a pp é l e r que l' en fan t n o. i r n" a v a l t g uè re le d ro i t deI ev er

le regard sur un convive plus âgé(2)i et que le silence é-

tai t der ig ue ur .

\

(1) En Afrique, des règles partlcul',ières régissent les rapports et les comportements sociaux entre beaux-parents et alliés claniques. (cf. Nicolas, Guy, Extraits du cha­pitre IV "La société africaine et ses réactions il l'impact occidental", o,p.cit., pp.1l-12).

(2) Camara, Laye, L'Enfant noir, op.cit.,p.72.

--

\

- 54

c l

'En o'utre. chacun-, il tour 'de rôle, devait prend re la poignée

de nourriture qui lui était nécessaire dans 1 e pl a t pr i n-

ci pal cam m un ( 1 ) . Précisons avec Camara Laye que l' enfa nt

,noir pouvait seulement prend re quelque chose dans 1 e pl a t

central, il condition qu'il se trouvât à sa portée. A 1 a

fin dur e pa s • a u 9 8 i b i e nIe hé ras - na rra t e' u r que 1 e 13 a ut r e s

convives devaient remercier solennellement le père de fa-

mille et la mère nourricière. To ut g est e bru s q ue 0 u t 0 ut

manquement à la règle é ta i t ra pi d em en t ré pr i m é . Po litesse

obI ig el

Le bon usage de la parole est également. présent dans'

les règles de civilité fort nombreuses. Camara Laye en sou-

ligne d'.ailleurs quelques:aspects ,

end é cri van t, par ex em-

pl e • certains usages lorsque les hôtes se saluent. Un tel

évé nem en t lm pl i qua 1 t deI a ng set c am pl ex es d i al og ue set

gestes auxquels, disait-il, la tradition exigeait qu'on y

répondent en respectant leur ordre d' intervention(2).

Les règles d'usage mettant en relief une· situation d'-

allégeance particulière sont également présentes dans Dra-

mouss et mettent bien en évidence, la relation de Mimie, .

\l'épouse~:gu héros-narrateur, avec sa belle-famille. Ces

~ el a t ion s son t t rad i t ion ne Il em en t r é g i.e spa r un e n se ID b 1 e d e ~

~-------------------

( (1) C a ID a ra, La ye, L ' Eni a n t no i r, p. 7 1 •

( 2) C a ID a r à , . La ye, Dra mou s s. 0 p • c 1 t • , pp. 52 - 5 3 • .

- 5?

com'portements empreints dt:! retenue et dont l'extrême déli-

catesse rappelle la "timidité"(l). Ces usages sont il1us-

tr,és à la perfection,lorsque la belle-tante Awa et Mimie se

rencontrent(,2). , Cet t ,e de t n i ère, qui su bit 1 a t a q ~ i n e - rie

d'A wa n'a r r ive pa s il d'une timidité teintée

que 1 que p'e u . de g ê ne.

• 1

Ce f 0 n d e men t cul t ure 1 qui a i m pré g n é M i mie, con s t i tue-

ra la trame de fond de son profil psychologique pendant- son

séjour dans sa belle-famille. No,us retrouverons ce même ty-

pe de comportement chez le héros-narrateur lorsqu" il rendra

visite à sa belle-mère pout obtenir la permission d'emmener

en voyage Mimie(J).

L 'f m po r tan c e dur ô 1 e deI a fa m 1'11 e •

(

La notion d'enqt,é fa~iliale en Occident ne pc rme t

pas de saisir facilement la dimension de la famille trudi-

tionnelle africu'ine. A pp cl rem men t co m pIe x e pa r son ex ten-

sion, elle n'en assure pas moins, la socialisation de tous

ses membres.

(1) Nicolas, africaine et ses

Guy, Extraits du chapitre IV "La société réac.t ions à l' impact o'ccid~ntal", op.

cit., p.12.

(2) Camara, Laye, Dramouss, op.cit.,pp.41-43.

( 3) lb 1 d em, pp. 44- 45 •

..

.. --'

!

- 56 -

Enueffet, l e g r 0 u p e f ami 1 i a 1 'a f r i c a in ace u e i Il e d' a-

bord le's pa r e n t sim m é d ~-a t s; e n sui te, 1 a pa r en té é la r g i e ,

voire la comm'llOauté, pour peu qu'il y'ait un lien marquant. ~

Dans l'ensemble, L'Enfant noir présente mieux qu'aucu-

n,e'autre oeuvre de Camara Laye un cadre typique qui permet

" 'de ,tr~duire et d'expliquer l'importance de la famille tra-

ditionnelle africa:i.ne à travers la dynaplique qui l'anime:

Ma mè-re était dans l',atelier, prês de mon père, et' leurs voix me parvenaient, rassurantes, tran­'quilles, mêlées, à celles des clien.!=s de la forge et;.'au bruit de l'enclume(l).

La parenté immédiate.

1 La parenté immédiate de l'enfant noir s'identifie, el-

le, aux frontières de la concession familiale de Kouroussa.

Entouré de son pè re, de sa mè re et dE" sa soeur, Camara Laye

con s e r ver a un' so uv en i r ma r q u é d~ ce qui fut, son premier ,

e'nvironnement social.

L'Enfant noir, 1

véritable autobiographie de l'auteur,

démontre les sentiments affectifs particuliers qu'il nour-

rissait il l'endroit de sa mèle.

(1) Camara, Laye, L'Enfant noir, op • c i t . , P • 9 •

'1> '

) /

,

!

- 57 -

Cet amour prend même toute sa dhnension à travers la dédi-

cace

, ' -

é mo uv an t e q ù' il l ui con sac l'e :

o toi Dâ m a TI) ô ma m ère, toi qui essuyais mes larmes, toi qui me ~ré­joùi,ssais le coeur, toi qui, patiem-ment supportais meS caprices, comme 'j'aimerais encor.e ~tre près de toi, .... être enfant près de toi! Femme simple; femme de la rési-g n a t ion', ô toi, m a m ère, j e pe n se à toi ... (l) 0

r En idéalisant sa mère Caillara Laye fera revivre toutes

les,valeurs afJ."icai,nes qu'on trouve dans l'oeuvre': 1 a fa-

mille élargle(2}, le to témlsme(3 ) , les pouvoJrs mystl-

que s ( 4) et 1 e? ra P po r t sen t rel es sexes(5). D'ai11~ur's,

dans 1!:J chapitre suivant, nous analyserons plus en det~l\

le sentiment p1a't~rnel exprimé par l'auteur. _____ ...... f'/

, ParalJ-èlemen~, un tel amour, n'-empêche pas l'auteur'de

, ' nous dir'e l'estime qu' 1;1 porte à son"pè-re. Comme nous l' a-

VOQS ~u, toute son enfa-nce, fut,marquée à la foi_s par le mé ...

tier de forgeron que sOn p~re exerçait et ... ,par ses 'quali-

(1) Cam a ra, La ye , LIE n fan t no 1 r, 0 p ... c 1 t'. , pp. 7'" 8 • _

(2) Ibidem,' pp-.38-54.

(3) cf. le présent chapitre 80U8 le titre "préémi",en'c~ de la religion et de la magie", pp.39-40.

(4) Ibidem, p.44.

( 5) L' E n fan t no i r. 0 p • c i t • 1 pp. 38 - 54.

"

-.58. \

( t ê 8, de che f cl e fa m 111 e •

N'oublions pas que la forge, lieu symbo1iqu,e 8iO impor-,

tant, a contribué d'une partf à subvenir aux besoins maté-

riels de la famille et d'autre pa r t , à être le creuset de

80n ,

valeurs ancestrales. incl i na t ion profonde pour le s o

Peut-êtré a-t-elle joué un tel rôle à cause surtout de son

caractère héréditaire et rnystique~

Ce père chanté par Camara Laye appaya! t toujours fier

de ses enfants, lui Qui en est le responsable. C'est bien

, , lui qui prit l' heureuse décision d'envoyer son fils à 1'é-

cole des Blancs alors qu'il ~~rait pu l'initier tout sim-

p.lement au travail de la forge auquel il était prédestiné.

La parenté élargie.

Dans l'oeuvre de Camara :-Laye, on r e t ra ce ais 'é me. nt la

parenté élargie qu'elle habite Kouroussa, tindican ou Con'a-,

kry. Ce s t roi s si tes, von t, t 0 ur à t 0 Il r , permettre à l'en-

fant de r e c e v o' i r une é cl u ca t ion familiale ancrée? ,dans les

valeurs traditionnell~s africaines.

A Kouroussa, le s nombreus e s ex pé rie nc'es )0 ciaie s fa i-

tes' à l'école française do~ne à l'auteur l'occasion d' ap-

préci~r une au t r 'e d i men s ion de la vie: l'amitié dont il

garde un vivant souvenir. C'est encore dans son .village que

c l'enfant franchira deux grandep étapes de son existence en

subissant des initiations.

" \

, ,

, ,

- 59 -

.' C' es t en se remém,Qrant son pds'sage ~ Tind'l~a~o le

.h' é ro 8 - na r r,a te ur: éprouve la 'force du sentIment m,1tril,iné-,

aire qui habite' èhàque Africain. Là, en uÎl tol" lieu, 'BU fa-

m'lIlé maternelle ne lui a-t-elle pas,per'm,is d'être au con-'

tact de la 'natu-re et des me ~ ~~ i Il es qu' e 1~ l e n' t'I fer me? l.à 1 •

encore s il (ut initié ilUX travaux champêtres pdr son oncle

"pr,emier né des jumeaux",

t i 0 ol, 'et qui, t r ès tô t', lu.! dévoilerd III sens.de ,Id vie

commuOdutaire chez les pa y s <1 n s de Tin d i c d n . ~ " Grace, d s'on

sec 0 n don cIe j ume a U sur nom m é .. B ô " ( l ), l'e n f d n t r e s l e rd' LI s -

ciné et émervèillé par les réctts de se~ nombreuses dven-

tures qu'il se plaisai~,à ).ui rdconter, h~ soir, comme pour"

tfupler ses rêves.

En outre, en pensant de nouveau d Tindic8n, il n' ol~-:

b lie pa s que sa grand-mère est l'être qu'il chérissait le ~ , '

pll,ls parmi ,les membres de sa famille mdternelle. Ne 1 u i

par ais sai t -,e Il e pa s lorsqu'il ava'lt , r,

l'oc-toujours \ jeune

\

casio~ de la ~etrouver da~s sOn vi'lldp'e? ,1 Le 8 e cr é t des a - .

verdeur"(2), dit-il, à son,propos, rési"d,dit probdblement

dans le dyna~isme qu'elle dégagedit en pd r tic i p d n t - a c t ive

ment aux trava'ux de la ferme. Elle débord,I1t -tuujours de

, j 0 i e fa r s ~ u e son -p e t i t - fil s qu' e Ile a v fi i t 8 U r nom m fi m 0 'ri

(1) Camara, Laye, VEnfan,t noir, op.cit.',p.2-S.

C\

(2) Ibidem, p.38.

'~ , ,

, ,

(

(

'"

- 60 -

" .' "petit époux"(l) devait arriver chez elle. Elle l'entourait'

al 0 r s, d t un e ex t r ê m e a t t e n t ion a f f e c t ive e t a i mai t se pré-

occuper particulièrement de, sa santé physique, allant jus-

qu'à insinuer que les parents de Kouroussa ne nourrissait

pas suffisamment leur progéniture.

L'une des caractéristiques dominan'tes de la,tradition

afr'icaine se retrouve dans le "sens communautaire" où 1'-

ex Is tence du groupe et l'~sprit de Bolidari,té ag is sant e

tiennent une place de choix. Ce .. sens communautaire" cons-

titue essentiellement le tissu des rapports humains et la

bas e 'd el' é th 1 q ue de la société africaine. Un ..LeI témoi-

gnage se retrouve- fréquemment dans la littérature né gro-

africaine d'expression française.

Il faut donc remarquer - que l'éducation traditionnelle .' ~ ,

de l' enfant n~ir 'est orientée même insid ieusemcJiJ-' J(' r

lui in'culq\;~r "l'esprit de groupe" et lui permet~tre a fin de'

de pa r-

ticipér li la vie collective. Très tôt, on lui ens,,:dgne 1'-

(' im pO r tan ce? el' ho spi t al i t é qui est, a u d em eu r a nt, '" 1 a v e r-

h

tu cardinale de la vie"(2) et qu.i relègue l'individualité

/ au second plan .. au profit du groupe social. \

')

.'

L'exemple du don de soi s'avère pakticulièrement élo-

(1) Cam a ra, La ye " L' E n fan t no i r, 0 p • c i t • , P • 42 • <1

(2) Joppa, Francis Anani, L'engagement des écrivains noirs de langue française, du témoignage au dépassement, collection "Etudes" dirigée. par le ,professeur Antoine Naaman, Sherbrooke, Québec, Naaman, 1982, p.17S.

(

, /

- --------------,

- 61

quent lor-sque so,n père le convie cl la cueillette' des fruits

s ur la concession familiale de Ko u r 0 u s S d ;) 1.1 q UJ~ 1 le le s ..

co-

habitant~, \ . le s voisins et même les clients de 1..1 forge

par tic i pen t t 0 usd d n sun é la n des 0 l i d ,1 rit é m d nif L' ste .

L ' ho spi t il li, té atteint alo r s son ~omble lorbque l'en-

fant noir découvre l'ambiance familiale, reh..1ussée de l il

~

pré sen c e den 0 m b r eus e s p ers 0 n n e s 10 r s des r e p ,) li. Ch d C une 8 t

le bienv~nu ~ la concession:

L'homme est un peu comme arbre: tout v9ydgeur d ,son ombre(1).

un grdnd dr01 t il

Si bien que l'on peut. dire qu~ l'enfdnt noir découvre

la vie communautaire' chez les villageois de Tindlcdn,

notamment', 'à l'occasion de la moisson du riz où chclque pdr-

celle cultivée reçoit, d tour de rôle, l'a 1 d e d c t 0 u t e 1.1

communauté villageoise. 'Il s'agit d'une, véril.lble pdrtlc'i-

pation empreinte de bonne volonté et de frdLernlté dgls-

sante. A t r a ver 's les c 1 Li S ses xl' âge, d' i nIt i é set d' d'p P d r-

tenanée diverses, les villageois' reprébenlent un seul corps

on l'entreprise fndividuelle devient Lollee l ive l'l" bOLI.de

au point que nul ne porte réellement le poids bocidl de son

existence.

(1) Badian, Seydou" Sous l'orage, Paris, ,Présence Africaine, 1963, p.98. (cf. Francis Anani Joppa, 'L'engag~­

ment des écrivains africains noirs de langue fra~çaise, d~ témoignage au dépassement, op.cit.,p.17S).

, .

- 62

( Quand pn considère finalement l'oeuvre de Camara Laye,

deux -éléments majeurs se distinguent car ils semblent J,er-

mettre ~ l'auteur d'accro1tre sa perception de la tradi-

tion africaine:

Dans L'Enfant noir, le premier, é~ément, ~nsiste Bur le d~-

sir de réaffirmer l'estime et l'attachement que l'auteur é-

prouve à l'endroit de l'ordre traditionnel ancien, 'osten-,

-si b 1 em e n t dép e i n t a v e cIo ya ut é , sous des couleurs qui lui

sont favorables. Au paroxysme de ses sentiments; l'auteur

utilisera DramouBs pour marquer sa désaffe.ction devant la

, spoliation de ces valeurs qui subissent d'un côté, les

conséquences inéluctables des influences étrangères dont' la

colonisation; et de l'autre, {)e 8 m é fa i t s d'un ré g im e po 1 i-

tique écrasant. T

L'a ~ t r e é lé Jll e n t r e j o:f nt, i n con tes ta b l em en t une tendance gé-

néralement reconnue aux é cri v ai n s f ra n c 0 p ho ne s no i r s qui

cherchent à s~uver l'oralité: le caractère permanent et 1'-

originalité constituant l"héritage ~'un patrimoine qui se

me ur t • Le Maitre de la parole-Kouma Lafôlô Kouma s' 1ns-

cri t dan s cet te 0 pt i q ué et ,eontribue à immortaliser les

v es t ig es du pe upl é Ma nd i ng ue , d 0 r é na van t f i x é s dan sun e

histoire écrt'te.

:,~

)

c

- ----~-----------,

- 1

'c H A P.I T R E III

L I,NSTINCT MATERNEL

E N

MIL 1 E U MAT R 1 LIN E AIR E , '

, ,

.' ,t

.( 1

(

o Dâman, Dâman de la grande famil~

le des forgerons, ma pensée tou­jours se tourne vers toi, la tien­ne à chaque pas m'accompagne ... (l) ,

L'on ne saurait mieux situer, chez les Négro-africains, 1 ,

la notion qui trad-uit l'instinct maternel et sa prol0I'l;gatio,n,

en milieu matrilinéaire, qu'en l'observant à partir des phé-

nomènes qui la caractérise.

On c om pr end mieux qu'en pays malinké où l'esprit de

caste garde encore sa force l'auteur souligne avec fierté

l'appartenance de sa mère à la caste des forgerons. On sa i t

que cel an' au rai t pu ê t r e il ut rem en t, car, un mariage inter-

caste était fortement prohibé et était sanctionné de mésal- I

Uance( f ) .

Pour les Africains en général, la dévotion filiale pour

leu r m ère d é c'o u l e d e 1 are 1 a t ion utérine à laquelle ils ac- ~

cordent une importance capitale. Cette dévotion est souvent

renforcée par l'esprit de caste ou d'appartenance spécifi-

que qui l'anoblit à travers de nomb-reuses devises et hymnes

destinées à la renforcer.

Ces considérations naturelles et spécifiques réunies

(1) Dédicace de Camara Laye à sa mère (cf. Camara, Laye, L'Enfant noir, op.cit, p.8).

(2) Série "Littérature Africaine Fernand Nathan, 1964, p.3.

2" , Camara Laye, \

Pa ris,

-: ' f -

..:. 64 -

chez la mèr'e de l'auteur justifie une telle admiration comme

nous allons "le constater dans les pages suivantes.

Ca.ara Laye et sa aère.

"

o D â man , 0" m a m ère , toi q u 1. m e po r t a fi sur 1 e dos, toi qui m' a 1-laitas, toi qui gouvernas mes premi~rs pas, toi qui la pre-mièr,~' m'ouvris les yeux aux prodi­gés'de la terre, je pense à tol ..• (l)

Toute l'affectivité de l'auteur à l'endroit de sa mère '\

- s'appréhende parfaitement à l,

travers cette dédicace qu'il 1 ut.

consacre au début de son premIer ouvrage autoblog raphlque:

L'Enfant noir.

Rien d'étonnant à ce que ce sentiment d'attachement,

tout aussi Inné que profond, ait été nourri dè~ l'aube de

son existence; puis r~nforcé tout au long des cl ifférent,es

étapes qui ont marqué le passage de l'enfance à l'adoles-

cen ce.

Pour idéaliser sa mère et en perpétuer le souvenir,

l'a ut e ur d'un e pa r t , incarnera à travers elle et sa condi-

tion-maternelle, perçue dans l'oeuvre, les valeurs tradi-

t-tonnelles du monde négro-africain, face à l'avènement du

modernisme occidental; et d'autre part, symbolisera tou-

(1 )Dédicace de Camara Laye à sa mère (cf. Camara. Laye, L'Enfant noir, op.cit.,p.7).

(

- 65 -

jours à travers son personnage féminin, une Afrique impuis-

sante devant les menaces qui la privent peu à pè'u de Ses ra-

cine a •

C'est donc à sa mère chérie, celle qui a bercé sa pai-

aible enfance, que Laye dans ce roman autobidgraphique, ren'"

dra de façon éloquente, un témoignage de sa gra~itude.

Cet amour est consommé lorsque l'auteur en fait le sym-

bolè de l'Afrique maternelle, silencieuse, simple et tou-

jours présente par ses vertus domestiques, 'Sa bienveillance ;,

et sa tendresse. En outre, cette considération s'avère for-

, tement rehaussée lorsque Camara Laye choisira de revivre à

travers elle, toutes les valeurs traditionnelles telles que:

la famille élargie, le totémisme, les pouvoirs mystiqules et

les rapports sociaux entre les sexes(l).

Dans L'Enfant noir, l'auteur traduira les émotions de

sa mère lors des séparations douloureuses: d'abord, quand il J

quittera Kouroussa pour àl'ler au c,ollège à Conakry; ensuite,

10 r s de sn n dé part pour la France où il ira poursuivre ses

études.

Tout au long de, son enfance, l'auteur se remémorera 1'-

amour'de, sa mère protectrice, à ,l"occasion possessive, lors-

(1) Dictionnaire des oeuvres littéraires Négro-afric~~­~es de langue française, des origines à 1978, s~us la direc­tion de AmbroIse Kom, Sherbrooke, Québec, Cana'da, Naaman, p • 211. (cf.' ch api t r e II d e no t r e pré sen t e th è sei nt i tu 1 é "Les éléme~ts majeurs de la tradition africaine dans l'oeu­v,re~pe Camara Laye", pp:34-62).

, 4

...... 1 -

-- -----------------,

que

tre

- 66 -

mue par AJon noble désir de pr-éserver sa- 'progéniture, con­

tout'e)"ntrusi.on qui lui paraissait menaçante.

fouille globalement dans :es ijuvenirs de l'en­

fant noir, l'image de sa mè,r'e, est' celle qu'il 'recons"titue le

Si l'on

mieux pour évoquer son enfance heureuse à Kouroussa.

Garçonnet, il revoit encore la présence de sa mère surveil-

lant se~ "jeux dangereux". Par exemple, la scène de la chas-

se aux s~rpents qui rôdent aux alentours de la concession

familiale r:este ancrée dans sa' conscle'nce surtout lorsque sa

mère intervient pour le sermonner vivement et lui faire pro-

mettre de ne jamais plus recommencer. A partIr de ce moment,

>

il 1 ' in ter pe Il ait t 0 uj 0 urs dès q u '",i 1 v oya i t un serpent.

Prompte, elle accourait aussitôt pour le tuer, jusqu'nù jour

où elle lui fit découvrir l'existence d'un serpent qu'il de-

vai t m'énag e r : "Ce serp~nt ajouta ma m~ e" e s' t 1 e g é nie d e

ton père"(l). Une telle situation aiguisa évidemment la cu-

rios~té de l'enfant qui désirait en savoir plus.

Un autre exemple de cet attachement, fils-mère apparalt

lors.de la circoncision de l'enfdnt noir qui donne Ifoc~a-'

sion à Dâman d'exprimer toute l'affection qu'elle éprouve à

l'endroit de son fils. Une telle initiation imposait une sé-

paration, qui, au fil des jours, inquiétait cette der-

(1) Cam a ra, La ye, L' E n fan t, no i r, 0 p . c i t • , P • 15 •

. '

(

c

b

- 67 -

',n1:ère ,et la réndait perplexe malgré le's bonnes nouvelles que o '

80n mari lui donnait. Une fois conv~llescent, 1 e jeun e. ci r ....

concis eut alors le droit de revoir sa mère. Elle fut hau-,

tement rassurée; comme si elle avait douté de ce que l'on

aurait pu lui rapporter.

Une fois l'initiat'ion terminée, Dâman 1 ui ré serv il un

accueil émouvant, comme pour souligner secrètement la pri-

mauté des liens qui les unissaient.

En d'autres occasions, lorsque la séparation devait du-

rer davantage, sa mère était toujours en proie à de vives é-

motions. Deux fois, comme nous l'avons déjà noté, Dâmiln dut, 1

contre son gré, endurer des moments de séparati~n p'rolongée.

La première, .• on s'en souvient, r env 0 i e à l' é po que 0 Ù l' en-

fant noir a~yant achevé son cycle primaire fut admis au col-

lège Professionnel de Conakry. Dès l'annonce du départ immi-

1 nent de son enfant, tourmentée, elle décida de parcourir

toute la contrée, il la recherche de moyens occultes capables

de le protéger une fois rendu à Conclkry( 1).

'. Sa vive préoccupa~ion traduis,ait. en fait son impuissan-,

ce d'evant un tel événement, mais en même temps, sa confiance

e n ce qu' e Il e t r 0 uv ait ~ e mie ux , pour 6ùppléer son absence

en cette ville qu'elle méconnaissait.

(1) Camara, Laye, L'Enfant noir, op.cit., 'pp.156-l57.

(

- 68 -

Non sans pe i ne, elle s'accommodera finalement d'une telle

situation, pui,sque les visites de son fils lors des vacances

scolaires lui perme~tront d'en stiiv're l'évolution.

La second e séparation de son fils sera bien plus pénib'le.

pour Dâman(l). Elle se situe à la fin du roman, au moment où

l'enfartt noir, revenu à Kouroussa, après avoir obtenu Bon

, diplôme de fin d'études proteBsionnelles, 1 ui annonce Bon

intention d'aller continuer ses études en France.

Porte-parole de la vieille Afrique qui rejette-l'assi-

1 milation, la mère de Camara Laye dé~approuve cette décision

et oppose même un refus catégo'rique. A par tir d e c e m om e nt,

tout son instinct maternel est avivé. Elle affiche successi"-

vement sa colère, puis sa tristesse, reprochant à "l'école"

de lui avoir enlevé son fils; et au système colonial de vou-

loir, à présent, le sépart!r d'elle.

Pleine d'amertume, le coeur déchiré, Dâman a peur qu'il (

n' y ait personne en France pour s'occuper, comme ell e. de

son fils. Fin a 1 em en t, e Ile sec al me, a yan t les e nt i men t que

quoiqu'elle fasse, rie n n e po ur ra cha ng e rIa déc i s ion d e c e

dernier, et rien ne pourra changer le 'cours des événements. ~

1;a réaction du père,'elle s'avère fort différente. Plus \

compréhens,if et plus avisé, il voit le voyage de son fils

--~--------~---------

(1) Camara, Laye, L'Enfant noIr, op-cit.,pp.211-2l9.

. '

.\

(

(

- 69 -

/ \

en l"ranc;e ~amme uÏl symbole d'espoir et de meilleur I:Ivenir

po url e pa ys .

D'une façon générale le sentiment, d' attachement .. des, pa-

, , rents envers leur progéniture est très marqué dans L'Enfant

noir à t r a ver sIe s IJ am br eux sac ri fic e s propitiatoi'res aux-

que 1 s Dâ man sel i v r e à. l'ad r es se des an c ê t r es, pdur 'assurer

la protection et le bonheur de son fils bien-aimé(l).

Lors des vacances scolaires qui donnent à l'enfant noir

l'o.ccasiqn de renouer avec les siens à Kouroussa, là encore,

sa mère se signalera à son endroit par de nombreuses marques

d'attentio'n qu'ell'e lui témoi,gnera ~!. t 1

. Avec fierté, il consta-

te, e(!,.t're autres, que sa présence était constàmment entrete-i'/' •

nue par Dâman, laquelle améliorait soig'neusement sa case au

'1 '; sein de la concession familiale.

\

Toutes ses actions fournissent donc à 1.' enfant noir:

la preuve immédiate, immédiatement tangible de l'immense amOur (qu'­elle portait à son fils) "(2). '

\. A son tour, bien evidemment, Ca m a r a La ye l ui rend ait

-bi,en\ un tel amour en nour-rissant de pr(}f>onds sentiments d'-

affection à son endroit. \

-- - --~-- ----- - -- -,----, ,\ '- - -

( ) Camara, Laye, L" E ri f a ~ t n,o i r, 0 p • c i t • , pp. 15 6 -1 57 •

( ) Ibidem, p.l96.

\ \

.- 70 -

De -surcrolt~ il était foujours transporté d'admi-ration en la

voyant faire tant d,e"'choses utiles avec si peu de moyens.

N'avait··e1le pas réussi à transformer un lit, fait de bri­

ques séchées, en un .d ivan-li~-Ô.ù l' e~rant n 0 i r po u v ait se

permettre de recevoir ses amis avec fierté(l) ?.

Ca.ara Laye et sa fa.il1e _aterneILe.

La haute e~time que l'auteur porte à sa' mère débordera,

.peu à peu du noyau familial de Kouroussa po.ur englober tOute

'la famille. Cet élan particulier pour tous ses parents ma-

J- 'ternels remonte, on s'en souvient'à sa première évasion, si

• privJlégiée, qui l'ut lieu à Tindican. C'était sa première

sortie hors de la concession familiale de KOllroussa.

Avec un .,art consommé, l'auteur nous raconte que- les

fr,équents séjours qùe l'enfant noir effectuait au village de

sa mère 1 ui offrai't un cadre serein où il a pp ré ci ait v i v e-

ment l'attachement des membres de sa famil'le maternelle.

p~ rm i tan t d' au t r es, deux é lé men t s vie n ne nt cri s t aIl i-

s'er ses souvenirs de Tindican: son ad'miration pour la nature

et les relations qu'il entretenait avec ses par en t s mat e r-

ne 1 s . ussi'Camara Laye relate-t-il avec beaucoup d'émotion,

-------_ ..... _---

o Cam a ra, La ye, L' E n fan t no 1 ~ ,op. c i t • , pp. 197 •

(

(

71 -

les "merveil'leux" paysages qui existaient en un tel lieu,nen \ ~

~

déc"rivant la natùrc verdoyante des sites peuplés d'oiseaux,

et d'animaux aux espècEs variées, se mouvant daos leur mi-

lieu~turel. En outre, le spectacle des champs et celui des

paysdns. au travail le ravissait, d' autant 'plus que Kourous~a,

son village,natal, présentait déjà un visage de cité urbaine

dépourvue de pureté naturelle.

,Parmi sa parenté qui vivait à T:J"ndican, il vouait un

attaChement parliculier à sa grand-m~re. Un témoigna'ge à 1

80n sujet nous ... r~vèle l'extrême émi'ill Lv i té ~

de cette <!erni:-ère

if' l"égard des personnes dé funtes. En ef f,~ t, elle n'aimait Q

pas que l'on ,évoque en sa {t..:ésence' la mémoire de personnes

chères dispar'ues(l).

Outre sa grand-mèXe, il Y av a i i: ses deux oncles jumeaux Bô

et Lansana ;

qui lui étaient familiers èt à peine plus âgés

q'ue le héros-ndrrateur. Lansana Itar contrc;!, lui était parti-

Gulièrement attaché. Leurs rapports figurent au chapitre Il < 0

de, no t r e , lh ès e s 0 lfS le ti tre "l'importance du rô le de la

famille"(2).

Ces quelques exemples par~iculièrement révélateurs nous

permettent de conclure qu' eœ ~1lLeu patrilinéaire comme en

8 i tua t ion. mat r i 1 i né 11 ire, 1 a f e mm e - m ère j 0 u i~ d' une i m po r tan-

ce prépondérante dans les structures sociales traditionnel-l .

---------------------,

(1) Camara, Laye, L'Enfant noir'. op.cit.,pp.38-39.

(2) cf.' "l'importance du rôle de la famille", p.59.

",

f

-

r

- 72 ~

les car, l~Africain "sait lui reconnattre l'éminente valeur

de la fé,condité"( 1).

Cet~e attitude fondamentale 'semble supporter continuel-

lement l'auteur dans l'expression de ce. sentiment noble qui

le lie à sa mère. Ce sentiment, illustre bLen que l'AfrLcain

" n ' 0 u b lie ,1 j a mai s que l' é pou se (] Il , m ère) esl (la)

té"(2). Elle' seule en ef fet, donne le jour.

1

\.

(1) Dictionnaire des civilisations africaines, Fernand Hazan, 1968, p.165

" fécondi-

Paris,

(2) L'auteur souligne ici, la qualité féminine éminente qui est attachée à la maternité. Il ajoule do ce propos: "la femme stérile est un échec (social) total", (cf. Diction­naire des civilisatioRs africaines, op.cit., p.16S).

1

, \

1

. 1 ,

(

CHA PIT R E IV

TRADITION A ~ RIe AIN E

E T

INFLUENCES ETRANGERES •

-La conquête militaire d'une part, et l'école occidenta-

le d'autre part(l), ainsi que les religions étrangères vont

contribuer à l'éclosion d'un ordre culturel nouveau concé-

dant à la société trad itionnelle africaine un carac tère dé-

sormais vulnérable.

Mieux encore que l'us ag e terrible des canons meur-

triers, la pérennité de la conquête fut assurée par l'éco~e

imposé'e par le colonisateur. Elle allait laisse~ entrevoir

de nouvelles perspectives, tandis qu'elle provoquait la dls-

location deI' ordre traditionnel ancien.

Po ur te n ter de ré sis ter tan t bien que mal à,l'envahis-

seur, 1 ' é col e colon i ale fut f r é que n t é cd' ab 0 rd pa r 1 (!' s cl cs-

" cendants d'esclaves désignés par les notables. Ma i s , cette

(,

résistance ne fut que de courte durée puisque l' euphor"ie ga-

gna très indistinctement tous les enfants.

Si L'Enfant noir de Camara Laye ,ne fait pas l'unanimité

chez ses pa i r s( 3 ) qua nt à la véracité des si tua t ion s d é-

crites, le cheminement du héros-narrateur révèle incontesta-

blement l'incidence de la cohabita'tion des dellx cultures et

souligne la fragilité des valeurs traditionnelles africaines

(l) Kimoni, Iyay, Destin de la littérature négro-afri-caine ou problématique d'une cu1tur~, Sherbrooke,Naaman, 1985 (2ème édition) ,pp.178-lBO.

(2) Ibidem.

(3) Biyidi, Alexandre, \,"L'Enfant noir de Camara Laye", in Présence Africaine, N° 16. \1957, p.419sq.

\

c

c

- 74

devant la culture occidentale.

Tiré très tôt de sa paisible enfance en milieu tradi-

tionnel, l'enfant noir tel que déc rit dan sIe rom ans u b ira

insidieusement un ,v é rit ab le c ho c cul turel en fréquentant

successivement' l'~cole du village, puis c,elle de la ville

avant de terminer ses études en France où, s 0 ud a in, 1 u i ,

l'ex il é , il s'éveillera aux merveilles de sa culture qu'il

voudra immortaliser.

Mil par le désir de la préserver, Camara Laye s'emploie-

ra, non pas à la considérer à travers cette incidence, mais

plutôt à réhabiliter cette tradition si chère qui 1 ui ra p-

pe Il e 1 es souvenirs de son enfance dont il saura si bien

t i s se r des ta b l eaux ha rm 0 nie ux et pa i s i b les ( Ir.

L' é po que deI a jeun e s se del'a u t e urs ym bol i se bien la

transition des struc tures traditionnelles africaines qui, à

partir de ce moment, évolueront dans le sens d'une meilleure

coexistence avec, la culture occidentale. Dès lors, cette co-

existence prend ra un cheminement insoupç onné.

Parmi toutes les influences étrangères. deux importants

cou r Il n t s rel ig i e ux 0 nt sur tout marqué le continent No ire t

sa tradition(2):

(1) Achiriga, Jingiri, La révolte des romanciers noirs de langue française, Préface de Georges Ngal, Sherbrooke, Québec, Canada,Naaman,1978,( réédition), p .35.

(2) Gudijiga, Christophe, "Quatre thèmes dans l'oeuvre de Cam a r a La ye" , 0 p • ci t . , p • 147 •

! -

-,flÎ1 -

- 75 -

d'abord,la religion chrétienne, hé rIt é e de la colonisation

et symbolisée dans Le Rega rd du roi; ensui te, la religion

islamique dont les moeurs apparaissent dans Dramouss,

Dans le chapitre suivant, nous montrerons l'influence

que le s religions d'origine étrangère on t pu il V 0 i r su r la

tradition africaine telle que perçue dans l'oeuvre de Camara

Laye.

L'effritement du milieu traditionnel dans L'Enfant noir

Dans ce'tte autobiographie, la présence de l'école occi-

dentale, à Kouroussa s'avère un prélude au déclin d'une

culture, issue de la tradition ancienne africaine sur la-

quelle plane désormais l'ombre d'une civilisdtion étrdngère.

A vrai dire dé jà , le pè re de Cam d r a' L a ye pressentait,

quoique vaguement, les conséquences d'une telle innovation

~ociale et culturelle sur l'avenir de ~'enfant noir et sur

celui en généràl du cadre familial tradiltionnel. Non sans

amertume, il se résigne au destin comme en témoigne le

passage qui suit:

J'ai pe,!r, j'ai bien peur, petit, que tu ne me fréquentes jamais assez. Tù vas il l'école et, un jour, tu quitteras cette école pour une plus gr and e. Tu me qui t ter as, pet 1 t . •. (1)

(1), Camara, Laye, L'Enfant noir, ~p.cit.,p.20.

"

(

c

76 -

Ses appréhens.ions se confirmeront d'ailleurs lorsque

son fils lui annoncera plus tard, son départ pour la France.

Le jour venu, Komad y ré aU s e que son \ils ne lui succèdera

plus jamais à la forge. Et pa ria m ê m e 0 cc as ion, l'enfant

noi r , lui, rompra l'alliance qui le 1 i e à sa cas tee t qui

jusque-là le prédestinait au métIer de la forge:

1

Je savais bien qu'un jour qui tterais: le jour où tu pour la première fois mis le pied à 1 e le je le savais. Je t'ai vu étudier av~ tant de plaisir, tant de passion •.•

. 0 u i., d e p u i s c e j 0 u r - 1 à, j e sai s; e t

petit cl petit, je me suis résigné(l).

L'effri~ement du milieu traditionnel dans Dramouss. 1

Si la colonisation a apporté un essor technique con-

sidérable et un progrès matériel évident pour l'ensemble du

continent noir, elle a cependant profondément entamé les

structures traditionnelles qu'el~es soient culturelles, po-

litiques ,ou sociales. On pe u t cependaht l~i reprocher lors

du processus de décolonisation qui. a suivi, d'avoir d'abord

nié le rôle séculaire de la chefferie et d'avoir ensuite

trop encou~agé l'esprit de lucré et la soif du pouvoir, des

nouvelles élites issues, le plus souvent, de milieux sociaux ,

traditionnellement considérés, cl tort, commè infé-

(1) Cama ra Laye, L'Enfant noir, op .. cit.,p.2l3.

77

-' rieurs(l).'

A la suIte de la décoloniseltion, on verrel progressive-

ment le pouvoir des chefs et des roi 5 s' e f f r i le r pou r 1,1 i s-

ser place J. de nouvelles structures politIques

assurer Id -rel~ve: t.:ds les pdrtis politiquè&, 1 ... 5 dssu~LI-

tions de jeunesse etc •.. , tous cdiqués sur les modèll!s occl-

dentaux(2).

Par exemple, dJns Dramouss, LJ spul1.JLion du pouvoIr

des anci~ns chefs trdditH~nn,.ds s' dvère fort bieIl mOIlLrGe,

lorsque l'un des ordteurs de la r~union d-e comité"<.J) va II

d'une pd CL en ces ex-chefs. le spectre de l'impérLlllsme el

d'a u t r e pd C L ces derniers constituenL, 4 leurs yeux, un

frein il l'aclion politique nouvelie(4). Aus si, ne Llut-lL

pas s'étonner que les jeunes 0tdtS dfriedins Lndépl!nO,ll1ts,

opposés pour des rdisons ~videntes d Id chefferIe lrad {-

tionnelle, dient oeuvrés dussi fortement pour id [e1ire dis-

paraltre( 5).

(1) Pdgeard ,Roberl, "L.J vie Lrddit ionneilli d.lll!:> la lil-térature de l'Afrique Noire d'expression [cdnçdise", up. cit., p.440.

(2) Nicolas Guy, ExtraIts du chdpLtre IV' "La sociGlé africaIne et ses réactions cl l'impact occident,Jl" de L'ou-vrage l'Afrique Noire contemporain~,op.cit.,p.2S.

(3) Camara,Laye, Dramouss, op.cit.,pp.170-19S.

(4) Ibidem, p.182. ,

'~ \ (5) Nicolas, Guy, Extraits du chapitre IV "La société

africaine et ses r[actions à l'impact occidental" de l'ou-vrage "l'Afrique Noire contemporaine",op.cit.,p.25.

c

- 78

Dans Dramouss, le chapitre intitulé "Réunion de comité"

témoigne il. la pe r f e c t ion de l'existence de ces :louvelles

structures politiques qui ont émergé après la coloni,sation.

Da n s ce chapitre, les jeunes cadres et militants du

parti politique, dé sireux d'assumer l'avenir de leur pays,

n'a r r ê te n t pa s d'organiser des réunions pu b l i q t.1 es pé rio d i-

ques où sont débattues les nombreuses questions relatives au

dévr::loppement économique et social.

A cette époque, étant au service de son pays, le héros~

narrateur, Fatoman, accompagné de ses amis, Konaté et Bila-

1 i , assistent à ces réunions Où ils entendent des discours

fleuves et surtout les éloges faits par les responsables'du

parti R.D.A.(l) et du B. AG. ( 2 ) pour les ac t ivi té s émanci-

patrices de leur mouvement. J.

L'auteur nous montre que la construction d'un\ monde

nouveau qu'il fallait bâtir sur les ruines d'une société,

encore attachée à ses traditions. ne fu t pa sune oe uvre fa-

cile, tant il était ardu de combler le vide structurel lais-

sé par la destructipn fréquente d'une ins,titution aussi com-

plexe que le pouvoir traditionnel(3).

(1) Rassemblement Démocratique Africain, cf. p.17!.

Dramouss,

(2) Bloc Africain de Guinée, victorieux aux électi'ons du 22-01-56, ct'. Dramouss, pp.177-179.

(3) Nicolas, Guy, Extraits du chapitre IV "La société africaine et ses réactions à l'impact occidental" de l'ou-vrage l'Afrique Noire contemp'Orain_e,op.cit.,p.25.

1 d

','

- 79 -

-Pour en réduire l'influence, les moyens employés fu-

rent souvent: trop hâtifs et pro d u i sir e n t des rés u 1 tilt s pa r -

fois dé sas t reux,

L'ép:lsode si important du "rêve" de Fatoman dans Dra-

mouss décrit cette situation tragique dans laquelle se trou-

ve son pays. Fatoman n' évoque-t-il pas avec raison, le sym-

bole de l'Etat tout-puissant, en montrant un homme taillé

comme un colosse"? La "révolution écrasdnte" est symbolisée

par l' extraordinai re force du géant auquel rien n'échappe.

Pour mieux définir le parti unique, totdlitc.lire, Fatoman

verra dans so n r ê v e un e " ha u t e muraille" • En ou t r e , la

condition "sombre", l'homme "affamé'" et "déguenillé" en-

trevus dans la même scène dévoileront les exactions du régi-

me ainsi 'que la condition misérable du peuple assujetti.

1

Plusieurs images terribles, notamment celles d'exécutions.

sommaires, transformeront le rêve de Fatoman en un véritable

cauchemar. Il verra également de nombreuses personnes déte-

nues en prison et ce dans 'des conditions, insoutenables .

. L a de s cri pt ion du rêve ainsi que l'analyse 'de sa por-

tée significative figurent plus précisément dans le chapitre

l de notre thèse sous le titre "Dramouss: vers un engagement

politique"(l),

Mais ce n'est pa s to ut, J

paL ailleurs, le contexte de la

(1) "Dramouss: vers un engagement politique", pp.24-28.

, "

c

c

80 -

vie traditionnelle a connu des bouleversements à ca use de .,

l'influence de l'Islam qui a fortement compromis l'évolution

des pratiques animistes, expressions privilégiées des reli-

gions traditionnelles gardiennes d'univers mystérieux .

. C'est que les moeurs islamiques, malgré leur attitude

en apparence plutôt conciliante, n'en. postulent pa s mo i ns

l'abandon des pratiques autochtones, et, imperceptiblement,

contribuent à réduire les motivations en faveur du spiritua-

lisme traditionnel.

Dans Dramouss, Komad y, pè re du héros-narrateur, met

bien en relief tous ces boul eve rs emen ts socia ux qui cara c-

tér1sent la soc1é té nouvelle. Dans 80n cas, si l' exercicê du

métier de forgeron faisait appell, jad i s , à un art magique

véritable, maintenant un tel métier est pratiqué en dehors

de toutes règles strictes et sans conviction religieuse spé-

cifique(l). Komady souligne avec raison que ni l'esprit de

caste vivant, ni les valeurs' ancestrales affirmées dans les

totems, les danses rituelles et les objets culturels imbus

dE> pouvoirs, n'ont suffi à

des atteintes de l'Islam(2).

<;;, ~

préserver la tradition ancienne

Le même Komady connattra, personnellement, les effets

(1) Camara, Laye, Dramouss, op.cit.,p.167.

(2) Ibidem, p.166.

. 1

....... J,

- 81

de la présence étrangère quand les circonstances l'amèneront

à abandonner son métier héréditaire pour devenir une scul-

pteur de fortune, à la suite d'une réduction devenu€.' sen-

sible de la clientèle de li> forge. Une telle perte de c~ie'n-

tèl~;' con Ju gué e dIa présence de nouvelles dlterndtives,

s'avèrent l'origine de ce cha ng emen t rend u néces-

saire(l).

Avec l'êvolution so c i 'al e et économique moderne, ap-

parurent peu à peu des commerces nouvedUX venus de l 'Oc-

cident proposant une" pléiade d'objets usiné s d de s pr ix dé-

fiant toute concurrence locale. lmpuissdnt, Komddy <1s6iste il

la mort lente de sa noble fonction sociale ct non S<1n6 tris-

tesse, dénonce le cardctère profane de ces substitutions

auxquelles sa clientèle d'autre/ois s'adonne:

Il n'y avait guère au marché de la pacotille, t,oute cette conlIe importée d'Europe et nouveau monde(2).

que p d-

du

Son amertume croi t de vant la réalité nouvelle qui ne

lui dit rien de bo n . Et , comme s' il s'en remettdit li son

sort, il reconsidère l'avenir compromis pdr .l'effritement de

sa condition sociale:

(1) Camara, Laye, Dramouss, op.cit.,p.16l. ,

(2) Ibidem.

c

te

Cité

- 82

N'oublie jamais, fils, que l'in­sect~ se faft manger par la gre­nouille, et la grenouille par le

\ s e rpent(1).

parI le père de l'auteur, ce proverbe tend

illustrer l'is ue de ces bouleversements soc,iaux,

~

\ résultats '

d'un con texte nouveau. Si Komady croit que "la grenouille",

symbolise le ri he, "l'insecte" représente toujours pour lui

celui qui veu t con t i nuer à se mai n t e ni r et si possible à

prospérer avec ~ssurance; Quant au "serpent" il représente

le ,roi tout-puiss'ant qui nivelle tout sur son passage. Cette

der rd ère in ter pré ~ a t ion du' pro ver b e sem b 1 e dés i g n e r lep 0 u-

,1 voir politiq.ue en ,\PlaCe et vient

gagement Politique\de l'auteur - 1

lé gi t imer le se ns de l' en-

qui reste attaché à l'oeu-

vre. l'

1

Finalement, l~inquiétude de Komady résume l'incidence

première qui a marqué la venue des diverp courants étran-

gers. En effet, l'école et la civililati~~ qui l'accompagne

ont entamé le milieu traditionne-:l qui était jusque-là essen-

tiellement régi par un ensemble d'habitudes séculaires dont

la "promiscuité" d'une famille en était IL corollaire.

De son cô té, la religion islamiGue, même avec ses

moeurs lointaines de la tradition africaine, a réussi en

(1) Camara, Laye, Dramouss, op.cit., p.169.

,

~, ~·I

- 83 -

partie à court circuiter la reli gion ch rétienne( l), qui

était nettement plus stricte face aux pratiques animistes(2)

en admettant la présence d'animistes da ns se s

CEt pen dan t ,4 mê m e si elles apparaissent plus tolérantes en

-ap~nce,

fortement

les pratiques islamiques n ' e ore ste n t p'J1 s

te in té e s pa r la ci vil i sa t ion ~ do n t elle s

issues et qui diffè'rent des pratiques religieuses

dîtionnelles de l'Afrique.

QU'ills'agiSSe do nc de l'influence occidentale

moins

sont

tra-

Ou de

l'impact des religions d~ origine étrangère, leur présence en

Afrique semble résolument engager ce continent dans un tour-

nant décisif de son histoire: le rendez-vous du "dollo,?r et

du recevoir". Déjà, les premiers signes évidents de ces rap-·

ports laissent place à l'apparition de mécanismes internes

destinés à , '\

assurer l'intégration de ces valeurs nouvelles,

dans certains cas, QU leur adaptation 9U milieu trudition-

o - l ) nel, dans d'autres(3). Ce que ne montre evidemment pas - es

romans de Camara Laye.

(1) Kane,)Mohamadou, kar, N.E.A., 1982, p.421.

( 2) l b idem.

(3) Ibidem.

Roman africain et tradition, Da-

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(

, .

....

Dans certaines de ,ses oeuvres, - .... la littérature négro-

africaine offre d'abondants témoignages sur l'interpénétra-

tion de la tradition e~ des religions d'origine étrangère.

En les analysant, deux perceptions accompagnent en gé-

néral de tels témoig nages et présentent différemment l' im- (

pac t né de ces r en con t r e s cul t ur e Il es: l'un e i n sis tes ur

l'ex i ste n ce d'un v é rit ab l e con fl i t (l) c om pte te n u des d if f é-

rences au niveau des fondements philosophiques des pratiques

reÏigieusesj l'autre opinion, y voit plutôt, un phénomène de

renforcement des dispositions'mentales déjà propices à la

'pensée rel igieuse(2).

Ce 1 a dit, 1 e s deux po in t s d e vue so nt un an im e à à r e- .

connaltre chez les Africains, un engouement particulier pour'

les croyances religieuses(3).

En même temps que la colonisatJon qui favorisa l'appa-

rition de nouveaux cadres sociaux, l'influence des religions

islamique et chrétienne, ,vont peu à peu créer avec les cro­~

yances anciennes, des alternatives religieuses soutenues par

4'

une dynamique interne réso1ùment fertile.

1/

(1) Oyono, Ferdinand, Une vie de boy, Paris, 1969, p.89.

Julliard,

(2) Pageard,Robert," La vie traditionnelle dans la lit-térature de l'Afrique Noire d'expression française", op. cit., p.440.

(3) Kane, Mohamadou; Roman afx:icain et tradition, Da­kar, N.E.A., 1982, p.420.

\

...

o

"

o

(

o

-- 85 -

)

Les croyances anciennes symbolisées dans L'Enfant noir , <

Tout ce qui touche à la religion traditionnelle, "culte

de la société par elle même"(l), implique nécessairement une

,f

relation avec ce que l'on a communément dppe1é le surnaturel

et le sacré. Long temps l'homme dfric,lin cl vé'cu en effet d

j l'ombre des puissances invisibles, L!t la notion

l toujours tenu une place prépondérante dans son

du sdcré il

existence.

D'un~ fdçon générale,'si l'on en'croit les spécidli6les, la

religion traditionnelle africaine repose, en part!e, sur la

croyance en l'existence de puissdnces inv isibles, qui BC'

manifestent ou pas,' et qui sont l'objet d'une constante

divinisation.

D'emblée, il faut reconnat tre que cet te croyance s' avè­

re bien présente dans L'Enfant noir, notamment lorsque l' au-

teur ex prime sa propre expérience à travers lés nqmbreuses -pratiques traditionnelles qui ryt hment la vie des siens.

r son g e 0 n s à l' épi s 0 d e d u pet i 't se r pen t no i r. s y m bol e d u g é nie

'-.

de sa race; a u x nom b r eux g é nie s de T i nd i c an; a u x lot c m set

leurs imp1ications(2) ,etc \

En outre, en maintes occasions Camara Laye ne tarit

( 1) La far g ~~, Fer n and, Rel i g ion. ma g i e, sor c e Il e rie des A-bi-àji en Côte d'Ivoirè, Paris, N.E.L .• l976, p.93.(cf. Georges Gurvitch, Vocation actuelle de la sociologie, Paris, P.U.F.,1963 p.64.)

~ ,

(2) cf. chapitre Il de notre thèse "la prééminence pe la religion et de la magie", pp.38-43. ""

\ ....

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c

• - 0

- 86 -

'.

point d'éloge lorsqu'il abordé la notion' du sacré si intime-y '1:) oe>

l. ment reliée à son milieu traditionn~. Pour lui, la mémoire

des ancêtres disparus constitue à travers son té moi gnage ,

une réalité vivante et une source de divinisation

profonde(l).

·f Pré'cisons ici que cette notion si importante du sacré

est "'bl e 1: '\f e i Il eus e m en t ex p ri m é e pa r Lé opold Sédar Senghor le-I

quel souligne en de nombreuses occasiqns dans .... ses articles

les plu s Pf r eut a ri t s • lac 0 n cep t ion d y na m i que, deI a di V-fii i té

t.elle qu~ perçu~ chez les négro-africdins:

\

Tout l'univers visible 'It invisi­ble depuis- Dieu jusqu'au grain de sable, ~n passa'nt pa rIes gé nies, les Ancê tres, les animaux. les plantes, les minéraux -- est colÎl­posé de forces _ vitales; solidai­r es, qui é-t!ta-n en t , t 0 ut es, c.!e Die'u (2) .

)

~, -,:La ·conscience" chrétienne -dans Le 1I.egard du roi.

h

Outre son dspect imaginaire, Le Regard du roi renferme ,

également d'édifiantes descriptions des dynam ismes socio-

culturels et idéologiques illustrés ddns un décor fort

\----

(1) Camara, Laye, "Ka~ka èt moi", n 0 uv e lIe des let t r es) 2 J ~ n vie r 1 9 5 Sc, c f­A f rie a i ne 2", Cam a r a L a y e " Par i s, Fer n and

in Dimanche-Matin, Série "Littérature Nathan, 1964,p.37.

(2) Senghor,Léopold Sédar, Liberté l, "Négritude ~t hu­manisme",op.cit.-p.246.

o

o

.. { --\ ,..

\ 87 <i-l .

~,

~- 4-• ,

proche de L'Enfant no i r. Par ailleurs, 11 ne fa 1 t auc un

doute, que la "conscience" chrétienne qui se dégage à tra-

vers le symbolisme de l'oeuvre se soit inspirée de Id repré­..A...

sentation du "Dieu Unique" qui est l'un des fondements de la

.. religion judéo-chrétienne.

~

Dans .une ,telle oeuvre, les thèmes de la vie

mort. sont si insidieusement , imbriqués qu'ils dé gagent, des

symboles et des significations proches du s~rréalitm~ uni-

verse!..

Une lecture un peu sèrrée permet de suivrt! de 'Près la

méta,morpoose intérieure du héros',

elle pa s à un "péleriridge"(l),

rI Clarence. Ne correspond-,

un véritable "ch:~min de

croix"(2), parsemé d'embûches diverses \ et qui culmine lors

,d e la rencontre ultime avec le '''Roi''? Cette cons~cration

inté-rieure découle directement de ()

l'épTeuve spirituelle su-. ~

bit pa r le hé ros . Ce dernier, en dépit de l'accumulation de

ses fa u tes e t d u dés ho n n e u 'r qui le souille, mérite t.out de

même la' grâce et le salut du "Roi" pour ne pas a~olr aban-

donné sa fol ni Sd fo rce d' espé rance . Clar-ence, comme bièn .. d'autres héros doit passer

1 nécessairement par les étapes, ..

qui constituent "le creuset de la purification"() - Vers le

---------------------,

(1) Achiriga, noirs, op. cit., p.

Jing i r l 48.

J. , La révolte des romanciers

(2)' Serie "Littérature Africaine 2", cit. p.32.

Camara Laye,

(3) Dictionnaire des oeuvres lit~éraires négro-africa!,-, nes, des origines à 1978, op. cit., p.487.

...

,

..

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..

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\

- 88 -1 j

"salut·, comme nous l'indique bien Kafka dans Le Château:

Le Seigneur passera couloi r, rega rde ra le et dIra: celui-ci, il l'enfermer à nouveau, avec moi.(l)

..

dans le -prisonnier

ne faut pas il vient

Nous pouvonB il présent nous demander: Quel es t > le rô le

symbolique du "Roi"~ dans cette oeuvre? Rcpcé sente- t- il Dieu

comme le suppo?e l'auteur Christophe Gudigiga(2)?

On peut dire d'abord que ce roi s.emble de toute évidence, le

souvèrain de 6a race. Ensuite, lorsque Clarence, au terme de

savqul!le spirituelle, découvre en lui "Le Regdrd" qui trans-

met l'amour, l'espérance et te salut, auss.ytôt l'oeuvr& con­

sacre san caractère divin. Enfin dans la scène fi-nale du ro-

man, Cldrence conn<l!tra la "rédemption"(3) pa rIa ré mis s ion

de ses ·péchés. Quant à sa foi "comme le bon larron qui a cru

en Jésus, elle lui pc rme t t,ra d'être sau v épar le Roi-

Dieu" (4) . A la fin du roman, l'auteur nous dé voile J J

(1) Kafka, Frdnz, Le Château, Paris, Gallimard, 1938. (cf. Achirigd, Jingiri J .. , La révolte des romanciers noirs, op. ci t " p. 48) • . ------------------

(2) Gudigiga, Christophe, "Quatres thèmes dans l'oeuvre d e ,C a m a r a La ye ",op. c i t " p. 14 4 •

cit ( 3) S é ri (!'- .. Litt é rat ure p. 32.

Africaine

b-

2" , Cama ra Laye, op.

(4) Ibidem, Nous pouvons ici égaiement faire référence au Nouveau Testament de l'Evangile selon St Luc, chap. 23, , . . verset 43.

0

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Il

- 89

l-

l ui-'même, le sym bol i sm e du .. Ro i" qui n'est a"u t re que le Dieu "

créateur de l'un ive r s ( 1 ) • "- ....

, 11

L'état de conscience c t;éé par un e t,el,l e oe uvre fo i-

sonnante de richesses symbol-iques, demeure pour

lem 0 ye n pa rIe q ue IiI te nt e d e don ne r un e

traite et théorique à une réalité' vivante, expression selon

l aque Ile, "les peuples africains reconnaissent 1 t existence

d t un Et re Su pr~me" (2 )".

f

Les .oeurs isla.iques dans Dra.ouss_

D' obédie'nce' musulman'e comme on le sait, Camara La ye

laissera transparaltre dans Dramouss, le grand' respect qu'il

voue au divin et au saèré, qui'l'inspire et le supporte dans

son mes s ag e 1 i t té rai r e . A cette dimension marquante de son 1

P être,

-' s'aJoute la croyance qu'il a en l'expression animiste

du vécu de ses ancêtres. Cette'-attitude caractéristique de

son héritage reli~ieuk détermine chez l'auteur, un réalisme,

ré sul ta t d'un e coex.is,tence harmonieuse entre les religions )

d'origine étrangère ei: la sagesse africaine intuitive si

présenie dans toute "sa tradi,tion.

(1) Ebodé, Marcel "entretien avec Camara Laye", ln Afrique, N° 26, Paris; Juillet 1963, p.56.

(2) Johnson, Samuel, History of tl1€ Yorubas, Lagos, C.M.S. 1937, (cf. Jingiri}. Achiriga, La rêvolte des ro-manciers noirs, op.cit.,p .51).

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- 90 \

A bien" y penser, les caractéristiques de 1 a' rel ig ion

musulmane présentes dans l'oeuvre ne heurtent pas vraiment

les habitudes traditionnelles des héros. Au m 1eux, elles

" permettent d'en traduire les'préceptes en tenant (compte de

la coloration locale. Comme no u sI' av 0 n s déjà b'rièv~t évoqué, l'aspect peu formel des dogmes musulmans offre des

. al~ernatlves aux pratique s qui, le plus souvent, deviennent

.. compl~~mentaires et acceptables(l). Que ce soit en admettan't

la polygamie ou en ~cceptant la présence du marabout au sein

d e cet ter e 1 ig io n (il joue 1 e même rôle que 1 e so rc i e r de

l'animisme traditionnel) ou en accue illant 1 e fond s des a-

gesse pâti sur certaines valeurs humaines analogues aux réa-" ,

lités vehiculées pa r le concept t,raditionnel. Toute s ces

pratiques partagées démont,rent la cohésion des d eux formes , i

d'expression relig ieuse'.

L' ad~ptation .. harmonieuse" de l'a religïon islamique au

milieu traditionnel africain semble avoir si bien convaincu

Camara Laye qu' 11 est lui-même devenu un ad epte de la reli-

gion musulmane. L'on retrouvera alors i\auteur, ex pr i~ ant .;

son mysticisme pour exhorter d'une pa r t, ,s e seo n c i to ye n s à

la prière et pour mieux conjurer d'autre part le sort triste

de feur pays:

(1) Pageard ,Robert, •• La t é rat ure 4 el' A f r i q ue No ire c i t • '~ • 44 2 •

vie traditionnelle dans la lit-d "expression française", op.

" il

\:

_.

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1>

- 91

S i t 0 u s ces ho mm e ~' e t t 0 ut e s ce 8

femmes au lieu de' passer leurs journées à prononcer des discours puérils consacraient le même temps à l'adoration du Très-Haut, notre pays serait loin de cette misè­re ( l ) .

Dans .l'ensemble, on peu t di r e que l' oe u v r e

"

de Camara

Laye té'moigne d'un égal respect pour -les croyances ancien,nes {

et les religions d'origine étrangère. Par exemple dans 'Dra-

mouss, l'auteur ne met-il pas en sltudtion côte il côte: son

oncle paternel, un citadin, musulman exempldire; et son père

Komady, forgeron-sculpteur, animiste convaincu? Nul conflit

religieux ne vient ,ternIr leur relation.

En outre, Dramous$ exprime éMlement la vision dt:! l'au-

t e ure n ce qui con c e r ne 1 à fus ion h a r mon i e ,u 8 e d e 8 t rad i t ion 9

àvec les religi'ons dénonce d'origine étrangère lorsqu' 11 , !

avec une égale conviction l ' i r r es pee tue use dt t i tu cl e cl es au - "

tori.tés de son pays à l'égard des pratique~ religiel,lses qu'-

elles soient

tionnelles. -" ,>

d'origine étrangère ou qu'elles soient tradi-

~

,Cette espèce de régime... après s ' ê t r e fa i t sou t en i r p,a rI' E g lis e ,

• --~- ---- ------- - -----

(l} Camara Laye, Dramouss op.cit.,p.244.

(

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· ...

- 92 -

par la Mosquée, et par le Fé­tichisme-,-renierait Dieu après son triomphe... Dans l'avenir, il transfo~merait nos ~glise8 et nos mosquées en cabar~ts nos forêts s8'crées en ,lieux de répétitions théâtrales( 1).

-' D'une façon générale, Dramouss retient l'attention par

, la gamme d'émotions qui,se suc~èdent chez l'auteur. On y re-

(f trouve, alternées, son attitude engagée q~i le tient proche

de son contexte socio-culturel et des réalités de son pays;

et, l'expression de ses convictions religieuses qui su p-

portent sa vision des êtres et des choses.

A l'opposé de la religion musulmane qui semble trouver

un terrain d'harmonie avec' les 'tradit.ions africaines, les

auteurs négro-africains sem b 1 en t pe u convaincus du nivèau

d'intégration de la religion chrétienne à qui l'on r~oche ,li.

la dureté, l'opportunisme

systématique des ~tiqUeS et l'hypocrisie(2). La négation

animistes et son étroite collabo~

, '

J ,

..... "

ration avec l'univers colonial font de la religion catholi-'

que un véhicule transparent de l'idéologie culturelle oc-

cidentale(3).

-------~-------------

(1) Camara,- Laye, Dramouss, op.cit.,pp.186-187.

(2) Pageard,Robért, "La térature d~ l'Afri~ue Noire cit.,p.442.

vie traditionnelle-dans la lit-d'e~pressiqp française", op.

(3) Kane, .Mohamadou, - Roman africain et tradition, kar, N'.E.A •. , 1~8-2, 'p.427.

Da-

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--

'.

0,

,cl

L'impact des religions d' ,origine étrangêre sur la tra-

dition ancienne peut être mesuré en Se référant à leur degré

de moralité. Les Négro-africdins ne croient pas que l,'uni-

misme affiche une infériorité face à l'Islam ou c,lU christia-

nisnie(l).

Animiste par sa descendance, devenu musulman' par

option, Camara Laye/aura 'contribué à ren'forcer la réalité'

d'une coexistence des religions traditionnelles uvee lCfJ

religions d'origine étrangèrc~ En exhortant de vive volx

ses concitoyens à la prière, l'au'teur aura lui même lég{timé

l'harmonie de cette coexistence.

\ ( \ , ..

- ----- ---- -_ ... - --------,

(1) Deniel, Raymond J' Croyances religieuses et vie quo­t id i-e n ne, l, s la met Ch ris t i an i sm e à 0 u li g a d 0 U g 0 (J , ,C 0 Il e c t ion "Recherches voltaIques" J N° 14, Paris, Ouagadougou, C.V.R.S. et -C.N.R.S. 1970,- cf. Pageard .Robert, "La v~e tr.aditi'on-nelle cf'ans la littérature de l'4frique Noire d'expression française", op.cit.,p.442.

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--Dans toute son c;>euvre, Camara Laye reste ~isiblement -,

attâché à ses t rad i t i 0 -n s : , 1';. Il arrive à nous convaincre de

.L!-intérêt d'une te'], 1 e vie gr â ce il l'originalité

quelle il a su transcender la diI.Dension purement ethnogra-

En outre,' en exprimant avec talent une fidélité ~

des, id é .a u x,'\ i 1 a suc 0 n f é r e r à ses hé r 0 S, une hum a nit é t 0 u -

chante, e plongés qu'ils sont dans l'inexplic_able existence

humaine.

Au fil des ch~pitres, sa vision du monde et des êtres

resurgit dans de nombreuses descriptions qui ont marquéfS'les .. événements ~e sa vie, tout en créa~t, .l;JI1. lien mystique oùt-te.

,~

confondent "l'univers visible et l'univers invisible:

je crois qu'il n'y a rien d'~~tre qu'un monde spirituel, c ' est ' que c e mon d e - 1 à est lem i e,~ depuis n:on enfance, c,' est que je n'ai jamais séparé le monde Vis i b l e d·e l' l n vis i b l e ( l ) .

\

N'oublion~ ras qu'en premier lieu, c'est L'Enfant rloir

qui lui a permis de~ .recréer l'attrait du mysticisme ances-

t raI en s· a p puy a n t d' u"n e par t , sur ses souvenirs nostalgi-

ques et cl ' au t r e pa r t , su r se s émotions sensorielles cn

< relation étroite avec l'univers. Par la suite Le Regard

• (1) "Kafka et Moi", in Dimanche matin, Nouvelles des

-rettt:es, 2 Janvier"1955. (cf. Série "Littérature AfricaIne 2", Camara Laye, op.cit.; p.37) •

. .

1

c

95 -

du roi, roman rempli d'émotions, témoignera de la vive sen-~

sibilité de '"l'auteur toujours à la recherche de l' in80n-

dable. Quant à Dramouss il confirmera cette veine même si,

non sans contradictions, viendront s'adjoindre revendica-

t ion s po 1 i t i que s et valeurs t rad i t ion n'e Il e s qui finiront

par aboutir cl une sorte de panthé~sme où l'amour de Dieu

s'exaltera en même temps que l'amour du pays.

MysticIsme et écriture

Pour atteindre le coeur le plus intime de l'oeuvre de

Camara Laye, nous tenterons ici de remonter le cours de sa

vie intérieure, et ce jusq u' aux sources de la conscience

qui permirent à sa démarche 1 i t t é rai r e des' é pan 0 u i. r . En-

treprise ardue, ne le cachons pas, car, nous penSOIM que

même si nous possédons une çonnaissance de sa vie p-erson-

nelle 'et pu bliq ue , nous ne po~vo'ns pas 1

tout le secret de l'écrivdin homme de

nou,it dans la solitude.

Trois influences fondamentalement

vraim~nt élucider

cr é a t ion qui s' é pa'-

indissociables sem-

blent avoir nourroi la personnalité littéraire de l'auteur o ,

guin4en: '"

Aux grands auteurs tels que Flaubert et Kafka, il \ \

- 1 doit d'abord s'on style p-articulier et son attitJ..lde inquisi-

toriale(l) deva,nt l'existence; Ensuite, appara!t sa dilec-

(1) Camara Laye affirme "que Flaubert et Kafka, quoique différents, s'ha;rmonisent pourtant bien dans ses gqûts. (cf. , Gudijiga, Christophe, "Quatre thèmes dans l'oeuvre de Camàra Laye", in Congo-Afriqu'Ef, po. cit., p.148). -- "

m

.. , -

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0 '-'

«

----------_._._----------,

96 -

tion pour les références traditionnelles auxquelles il se

sent profondément lié grâ ce l'amour qu'il po rte aux

siens; Enfin, SI intègre à ces"deux pr~mières influences sa

dévoLtôn religieuse quelque peu outrancière( 1) dont l'a-

. cuité se manifeste de plus en plus intensément au fur et il

mesure que l'on considère les différents romans qui compo-

sent son oeuvre Littéraire.

\ &> ,

'Rappelons qu'à son époque, Flaubert fut très contesté

'à cause de sa méthode d'analyse rigoureuse et sa préci~ion

scientifique(2). Cette "loyauté objective" apparalt 'comme . une de s ca ra ct é ris t i q ùe s q'u i ac corn pa"gne le s nombreuses

descriptions de la soci é.té traditionnelle africaine don t

Camara Laye fait état notamment dans L'Enfant noir c,t Dra-

un momen t où cette tradition montrdit . des signes \

é~idents d'essoufflement.

Désireux de ressembler à son "mattre"(3) Flaubert" un'e pc:lr~

tie de la critique, africaine n'en constata p'as moins sa r, •

(1) Oupoh, Gnaoré, "Hommage à Camara Laye" ln Fr,at~r-

, nit é 'm a t i Il, 0 p • c i t " P • 2 1 •

A-K) (2) Dictionnaire Bibliogra hi ue des A~teurB, Paris, Laffont-Bompani, 1956, p.S10.

Tome 1,

(3) Laye soutient à écri re. (cf. sê rie Laye, op:cit~, p.6).

-

.~

, . que é l est -Flaubert q i " Lit té rat ure Af r: i ca i'~ e

'-'

~

".

--

lui a appris 2" ~ Camara

c

L

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-­.

sincérité(l )

/1'

- 91 -

Aux traits contrast"és de Flauber't(2'), correspond le

"tempérament polyvalent de Laye. D'une façon générale, n'al-

1. i e n t - ils pa s ,

tous deux, mélancoli~,_ chaleur du m'ilieu

familial et humour dans leurs oeuvres respectives? Que ce

·soit dans L'Enfant noir, Le Regard du roi ou t(Dramouss,

~"éc'rhudn guinéen met en relief l~!:! qualittis fort ç1iverses

de sa personnalité. A la joie et au rire, que lui 'prQcure

l'ambiance "\

du foyer fdmilial, s'ajout~ l'.inquiét~de si

>,

cil ra c t é r:i s t l que che z lui ( 3 ) .

1

Quant à l'influence de 1< a f ka ( 4 ).-' . e Il e .s ' a v ère ne t -

,t~ment reconnaissable dans l'oeuvre, à un point tel que la

cri t i que a f r i c a i n e- a mê me' r e con n u une s~rvivance .. ex ten-

sibie de l'univers Rafka!en(5} aussi bien dans Dramouss que -.. dans Le Regard du roi.

------------~-------

cf" l'introduction d'e notrè présente ,thèse, pp.

'(2) Dictionnaire Bibliographique des Auteurs, A-K, Paris, Laff<>nt-Bompani, 1956, .p.5l0. Paris, Bompani, 1956, p.510.

Tome 1, La f f on t"-

"(3) Gudijiga, Christophe, "Quatre thèmes ddns l'oeuvre de 'Camara Laye", in Congo-Afrique, op.cif: ~.146-147.

(4) Alber~s, R. M. ~t De Paris, ,Editions Universitaires,

Bolsdef fre, 1960~ 126p.

Pierre, Kafka,

( 5 ) Die t ion n air e des . 0 e uv r es 1.. i N~-é-X-a-J.-r-e s né g r 0 - a f r i -caines de Langue Française, des origines à 197&, op. cit., pp.200-20!.

' .

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98 -

.1

Laye, comme Kafka, se sert des formés allégoriques di- A--....

verses afin d' lllu'st}er .le désarroi métaphysi'que et le dé-

se,spoir hu~a;in. Toute son oeuvre illustre un thème onto-

log i q ue d om i n'a nt: ce\ui de la solitude de l'homme dans un

m 0 nd e El ans foi ni loi s .

Le rapprochement des deux, auteurs est patent notamment

a U fi ive a u s t yI i s t i que • En e f fe t., l'assimilation dld style

d ~ Ka fka appara1t clairement aussi bien 'dans Le Regard du

~

roi que dans Dramouss. Ma i s c en' est pa s to u,t , au niveau

thématique, certains thèm'es cO~l!Ie par exemple celui du con-

damné à mort,' évoqué dans le r'ève prémonitoire de Fatoman,

ress~mble beau'coup a celui du Proèès de Kafka(,l) .

... Par ailleurs, l'ut1lîsation du,rêve en général et du

p c auc hem ar en particul ier chez Camara Laye, démontre sa

grande maj:tr~se du style "kafka'ien. Le Regard du roi con-

t firme l' évid e,nce d' em pr un ts, notamment 10r'sque l'auteur

évoque It! monde trouble si propre à Kafka. Da n s un te 1 r 0-

man, le rameux thème d'e l'angoisse kafka1enne revient, mêm.e

s'il. p'rétend a' en singulariser(2), lorsque son héros, Cl a-

rence, se trouve so'us l'emprise dé forces maléfiques.

Leur st'yle littéraire converge encore plus dès lors

(l) Dictionnaire des Oeuvres Littéraires négfo':a-f1ii­saines de.Langue Française, des origines à 1978, op. cit., pp.200-20I. '

(2) "Kafka et Moi", in Dimanche matin, Nouvelles des lettres, 2 Janvier 1955. (cf. Série "Littérature Afrlc~ne 2", Camara Laye, op.cit., p'.37).

(

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- 99 -

" /

tfu'il s'agit d'~tre précis, de s'appesantir sur les détails

, e 1= deI e s c om men ter.

Un deuxième élément met en valeur ,la part1.cul1irité de

1'8 forme d'expression 1 ittéraire de Camara Laye.' Elle nous

es.t révélée grâce à l'attrait qu' exerce s~r lui la culture

trad i t ion n e Ile ~ 0 n t il est issu, e t qui a con st i t ué les

rudiments de son éducation familiaLe initiale conte'nue dans

L'Enfant noir. Cette forte;f"influence culturellek originell:e

qui a marqué l'auteur devient un atout majeur quand il doit

traduire certains états d'âme ou des situations de dialogue

à saveur typiquement africaine. Al or s, 1 a f 0 rm e 0 raI e d u

discours et les jeux deI a pa roI e , émaillés de proverbes

. évocateurs, expriment la dialectique spontanée, é mi nem men t

"

caractéristique des Négro-Africa'ins.

Une perception aiguë des valeurs traditionnelles in-

citera Camara La,ye à inclure dans son beau récit, un v oça-

hulaire malinké afin de restituer toute la chaleur contenue

dans des scènes croquées sur lç vif. \

Le troisi'ème élément (ou influence si l'on veut) mar-

quant de la personnalité de Laye réside, à notre avis, dans

la grande dévotion religieuse qui

d e f 0" i e t d e pi été mus u ~ a ne.

(

l'anime. C' es t un homme

Ses convictions religieuses s'avèrent clairement ex-

primées entre autres dans Dramouss à travers le d iscours d~ '"

son héros qui exhorte constamment les hommes et les femmes

/

(

100 -

de sa patrie à adorer le TrèJl:-Haut.' Lui seul, pern s e - t - il,

permettra au pays de s'affranchir dè la misère et des cala­\

mit é s qui 1 e -m in e n t -. Pou r L a ye, fer ven ter 0 yan t Ile m ys t ère

de l'homme ne s'explique que par l'existence de Dieu:

La réussite d'un homme ne dépend pas de ses efforts, il fallait sur t 0 u tO que ces e f for t s fus sen t soutenus par Dieu(l).--

'"

Une telle foi qui s'appui e chez Cama ra Laye sur 'les

principes du Coran' conditionne toute sa vision <a ,

de l'exis-

tence et de la réalité humaine. Dans Le Regard du roi, le

style même de l'oeuvre confirme l'adhésion spirituelle de

l'au.teur. En effet, il appardtt clair que le cheminem(·nt du

h é ~ 0 s d-é cri t son é vol ut ion qui le conduit d'un monde mdlé-

rialiste vers un univers spiritualiste pour , , culminer, ddnB

la conversion mystique finale.

Les trois influepces qui ont d,one façonn( la personnd-

lit é de Laye 1 ui on t certainement servi cl approfondir sa

démarche litté,raire et mystique. En maints endroits., le .ry-

thme et la mesure rehaussenX son talent alors que les, BU-

jets de ses récits semblent répondre à des impératifs d'or-

dre thématique où s' intègrenL savamment les contrastes(2):

(1) Camara, Laye, DramousB, op.cit., p.31.

(2) Dictionnaire des Oeuvres Littéraires négro-afri-caines de Langue Française, des origines à \1978, -op. cit.', p.486.

(

c

- 101

J l'angoisse et l'espoir; le tragique et l'humour; la nature

et le surréel.

Rituel symbolique du travail à la forge ,

"

Dans l "Afrique tradi tionnelle, nous l'avons déjà sou-

ligné, le forgeron jouit de par sa fonction, d'un prestige

social' fondé d'abord, sur la ré vérence dévolue aux puissan-

ces mag1co-religieuses dont il s'est fait

et ensuite, sur sa dextérIté' tech~iqUe dans

le dépositaire;

lem a nie men t d u'

fer grâce li quoi, il pourvoit sa communauté en outils, 1ns-

truments et divers objets utiles.

A la fois respectés et crdints(l), 'Ces-forgerons pui-

sent leur {rigine . dans des temps immémoriaux, habités de

mythes puissants (aujourd' hui étiolés) qui confirment leur

qualité initiale de civilisateurs hé roiqu,es. 'En général,

ils ex e r ce nt leu r art hé réd i t air e au sein d'une caste pro-

fessionnelle où la pratique de. l'endog q mie(2) renforce les

préjugés collectifs à leur égard .

. (1) Clément, Pierre,"Le forgeron en Afrique noire", in

Revue de géogra~hie humaine et d'ethnologie, N° 2, Avril-Juin, 194~, p.3 .

(2) En pays malinké, les forgerons ne se marient qu'au sein de leur caste, sous peine de mésalliance. (cf.Rivière, Cl a u de, "La di f fic il e é mer g e n ce d' un art i san a t cas té" , in Cahiers d',Etudes Africaines, Vol. IX, N° 36,1969, p.606).

----------~-------------------~~~-- ~

o

o

- l02 -

Cea qua 1 if ic a tif a sociaux appartiennent bien 'b la

faI\li11e de l'enfant noir de Camara Laye comme noua '1' avons '"

précédemment mentionné dans le chapitre III deI a pr ê a en t e

th è a e so us 1 e t i t r e "L'instinct maternel en milieu matri-

1 i né a i r~" ( 1 ) •

En outre, dans l'exercice quotidien de leur fonction,

les forgerons font fréquemment appel à des secrets profes-

sionnels et à une panopLie <J,e 'recettes mag,ico-religieuses

as s6 r t i e s cl' in t e rd i t s et cela dans un cl im a t d' é so té ri sm e

qui est l'apanage de leur métier. On se sa uv i e n 1: c e r t a i ne-

ment que l'enfant noir esquisse, à propos de son p~re, la' \

prééminence des puissances occultes inhérentes au travail

de 1 a fo rg e.

Tout au long du ré-cit, Le s ,i n c a n ta t ion s g est ue Ile set

verbales ainsi que l'existence, non moins mystérieuse t du

petit serpent noir, géni..e tutélaire de' sa race, attestent

bien l'intimité des relations de Kom a4 y a v ec 1 e s div in i tés

tell ur i que s qui son t -s e n sée s 1 u i procurer bonheur et réuB-

site. Qua n taux in te rd i t s q uc d ev ait 0 b se rv e r le pè re cl e

La ye , ils se résument en une série de contraintes purifi-

cato ires dont l'abstinence sex ue Il e figurait au premier

pl a n( 2 ) •

(1) cf. no t r e -pr é sen t eth è se, pp. 63- 71 • \,

( 2) Cam a ra, La ye. L ' E n fan t no i r, 0 p '. c i t •• pp. 32 - 3 3 •

c.

c

"

- 103 -

Mythiquemertt perçue par la société, sa fonction débor-

dait le cadre étroit de l'artisànat pour rejoindre l'aspect

si ng ul i e r; dur i tue 1 s ym bol i q u,e qui 1 e met t ait en qüation

con s tan t e a v e cIe sang, 1 e feu e t 1 e fer; là où l' lm pur(l)

et l~ Pur définissent son charisme ,social et son statut as-

soc! é au pla n c 0 sm i q ue •

"\ Nous tenterons,

/. ici, d'analyser les éléments symbo1i-

-ques qui confèrent au forge'ron une notoriété établie.

Au coeur de ce réseau se trouve le sang chargé de puissance

et de vie. Il est souvent évoqué par les- nombreux sacrifi-

ces sanglants d'animaux immolés dans le but de sacraLiser

la relation prIvilégiée avec les génies lesquels permettent

d'a'ssu-t1'er la vie de la forge. Pa rai Ile urs, den om br e use s

légendes entrètienne'nt'ce mythe en soulignant l'importance

dus a ng ré pan d u dan sIe 11

processus rituel qui ac-compagne le

t r av a il à la fo rg e . N'oublions, pas que les croyances" popu-

laires von,t même jusqu'à supput'er la connivence -du forgeron

avec les génies en vue- de s'emparer de 1\ force 'vitale 'd'un

homme ~ laquelle nourrira alors la fo rg e et se s fournai-

ses(2) . Le symbole du sang représente aussi le pouvoir sa-

crificiel par lequel 'l'on est apte à conjurer, l'outil ara-

toire qui commandera à la terre nourricière la moisson qu'-

elle recèlè.

(l) Thomas, Louis-Vincent et Luneau, René, La terre a­tri c ai ne et ses r e li g ion s , Par i s, L' ha rm a t tan, 1980, p. 192 •

(2) Ibidem, p.193.

o

- 104 -

D'un e fa ç 0 n g é né raI e , 1 e fe u a to uj 0 ur seo n se rv é so n

aspec~ primordial et sacré dans tout rite africain (et un1-

versel) à cau se des a d ua 1 i té m y sté'; i eus e à la fO{f3 des-

. tructrice et purificatrice.

c; N'est-il pas le puissant symbo-

rII

le de l'alliance qui unit les vivants et le-s-- morts(l)? Au-

tant quer?le_ sa.ng, n'est-lI pas perçu comme a ya nt 1 a pr 0-

priété de con t e n ire t d e c a na lis e rd' in n om b-rab les for c e 8

m ag i que s ?

Le feu est 1,'ul'tra-v'ivant. Le feu est in t lm e et il est un ive r se l ••• Parmi tous les phénomènes, il est vraiment le seul qui puisse rece­vo ira u s sin et t em en t .1 es deux va-10 ris a t ion s, c .. o n t rai r e' s : 1 e b i e n et lem al • •. il est do uc e ur et torture. 00 il est bien-être et il est r e s p e c t 0 oC ' est un die u tutélaire et terrible, bon et mauvais~. -Il peut se contred ire: il est donc un des principes d'­explication universelle(2) 0

Les flammes ardentes de la forge quF disciplinent le

fer en fusion permettent au feu travaillé par les forces du ~

ve'nt de créer un processus alchimique, lequel requiert de la

part du forgeron une certaine somme d'e' connaissances éso'té-

• ri que s. 1 e rend an t mal t r e deI a m é t am 0 r p ho s è .

(1) Thomas, Louis-Vincent et Luneau, La terre africai­ne et ses religions, Paris:, L'harmattan, 1980, p.ln.

'1:-(2) Bachelard, Gaston, '\:SYChan,alyse

Gallimard, 1969, pp.l9-20o ' .. du feu, Paris,

"

(

c

l05

1

L'enfant noir 10-squ"il évoque une telle somme de sou-

venire fascinants et: mystérieux, scrute également' avec pas-

sion toutes les étapes accon(plies quotidiennement par' son

p~ re à 1 a fo rg e de Ko ur 0 us sa. '"

De mémoire, il nous décrif

avec minutie les gestes et les mots, encore incompréhen-

~ sibles à son jeune esprit, mais qui agissaient;. grâce à leur , ..

force incantatoire, afin d'assurer une domination .totale

des génies du feu et du vent.

,A l'instant crucial d{!' l'opération délicate de la fu-,

sion, dans la forge devait ,règner un si~ence doubléod'an-

xiété, cat ,ce rituel hautement magique impliquant la com-

plicité des g.énies, n'ex'cIuait pas de leur part le refus de

coopé rer( 1 ) . Si c'était le cas, il fallait

" s'armer des

meilleures connaissances pour - solliciter et convaincre

d'autres .génies de bien vouloir intervenir.

Lo r s ~ e cet t e 0 pé rat i 0 ri e s sen t i el le, le fe r" s'affirme .,

comme le point culm~nant vers lequel converge toute la por-

tée du rituel 'et l'activité intense d.é la forge.

Les mythes évoqués plus haut et qui fi x aie nt 1 e fo nd em e-n t

des craintes à l'égard du feu" lui concèdent des origines

! fort mystérieuses(2) où il est perçu comme un élément"à la

fois pur et Impur.

(1) Bo ur g e a c q, J a c que 8 , L 'E n fan t no i r de Cam a r a L a ye , 80US le gi8n~ de l'êternel retour, ap.cit., p.19.

(2) Ibidem, p.14.

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Al' instar du sang et d,u féu, ce minerai est' lui aU881 •

surchargé de forces magiques. S'il proéure des outils, il

permet , Q egalement de nombreux usages. ,

. , Ntoublions pas que le contact du fe r im pose de nom-

breux in,te"rdits stricta: à la chasse comme à la circonci-. ,

~:ion, son usage command.e > des attitudes rituelles spécifi-. ,

ques pour annihiler la bipola-ri té imp~r'e' de sa nature. Por­"

ter. du fer sur s.oi, lors d'un quelconque serment rituel,

revient à re.ndre nulles la po r t é e et 1 e s conséquences de

cet engagement(l).

En out:e, pour dégrossir à volonté le fer, le forgeron

doit faire preuve d'une singulière prudence. Par consé-

que nt, les cond)tions spé'cifiques et les' actes nééessaires

-à cette opération dépendent d'un code rituel pr é ci s . On

peut même dire que d'une certaine façon, le symbolisme du

ri~e continuel que subit le métal à la forge de Kouroussa

s'apparente à l'initiation mystique r,

reçu par l'enfant noir

dans sa tendre enfance.

Dans le chapitre II de notre thèse, nous avons rel&té

l'initiation de l'enfant noir qui, on s'en ~ouvient,~~e d€-

roulait en trois étapes initiatiques fond~mental~s: la pré-..

paration, laC mort initiatique et la renaissante.

ne , (1) Thomas, Louis-Vincent: et ses religions, op.cit.,

et Luneau; p. 193 .

La terre africai-

\

l.

c

- ----------------------".-.-.

\ . 107

Or, phénomène intéressante, 'au cours de l'opération de la

fusidn de l~~r q~i a lieu à la forge de Kouroussa, Camara

Lftye nous dêcrit chronologIquement toutes les phases d'une

aussi déliçate ma ni pu l-a-t ion, La figure pa ternelle Komady

suit, de façon - andlogue, le scénario initiatique dans

lequ~,l tran6paraÎ t le s trois étapes

c h 1fm in e men t d' une' i nit i a t i ô n hum aL ne.

tion; le retour au chaos et la mo r't ;

~intégration(l).

Autre fait digne d'intérêt, au

qui rappellent le

Ce sont: la sépara-

la résurrectiob et la "»

moment de la prépara-

tion initiatique, l'enfant noi~ était physiquement sépa-

ré (2) du monde profane et Se pr~parait mentalement à l'é-.-vénement. Or, le même schéma semble être appliqué durank le

travail à la forge; En effet! Komady s'emploie a mélanger

la poudre d'or et la poudre de charbon, puis isole la suhs- ~ ,

tance '9btenue en lui évitant tout contact métallique. Le

mélange obtenu était alors conservé sou~ un gros morceau de •

bai s, s ym-b 0 lis a nt, à son tour, la retraite purificatoire, Il

nécessaire à la bonne- marche de ra suite de l'opération(3).

Si à l'étape de la mort symbolique dans une initiation

(1) Bourgeacq, Jacques, L'Enfant noir de Camara Laye, sous le signe de l'éternel rétour, op.cit., p.19.

(2) Camara, Layé, L'Enfant noir, op.cit., pp.132-l33.

(3) Bourgeacq, Jacques, L'Enfant noir)de Camara Laye, sous le signe de l'éternel retour,\op.cit., p.19.

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108 - .

humaine. " l'on recrée' la ré p é t i1: ion de l'acte cosmique' de la

terre en obligeant l'initié à replonger mentalement dans le

chaos; L'entrée dans la case(l) initiatique ainsi que cer-

taines attitudes physiques soulignent, elles aussi. fort

bien t'étape de la mort que Komddy reconstitue dans son-I,:-i-,

tuel à la fo r g e , en plongeant le ,mélange

marmite spéciale, ?- .

véritable case initiatique(2). lc 1 • le --retour au chaos est rappelé par l'intervention du feu dans

l~îprocessus de fus}on du minerai.

. Suit 1:a résurrection à la fois· couronnement et det'niê-- . ..

re ét~pe. renouveau initiatique de l'enfant

noIr, c'est à dlre le retour dans sort milieu habituel et sa

ré in>-t é gra t ion sociale" (on se souviendra de l'allégresse

populaire qui accompagnait le triomphe de l'initié). Dè s,

lors, ~ la forge. le père de baye réitère le même scénario

af'Jn d'atteindre le but ultime 'tle la métdIDorphose: le bijou ( \ .

obtenu. cr-

Dans toute, son -1

oeuvre, nous a donc habi tué CamaJ;a Laye

~ des per-spectives mystiques et religieuses. qui sont. sans

-doute, le fondement de osa sensibilité aux êtres et aux ,cho:'"

ses dans leur hatur~ intime.

't.;.

Q~e ce soit au tr~vers du mysticisme ancestrâl entre-,(

Cl) Bourgeacq, Jacques. L'Enfant noir de Camara Laye, sou sIe 's i g n e de ,1' é te 1;' n e 1re t 0 ur, op. cI t •• p. 19 •

(2) Ibidem. p.20.

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- 109 -

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te n u pa rIe 8 rit ue 1 8 "8 ym bol i q ue s r e î a t é 8 par l' en fan t no i r , .. oua u n om des v' e r t U 8 deI' hum il i té e t deI api été m ag nif i-

quement illustrées dans Le Regard' du roi, l'aùteur reste

toujours"fidèle à ses convictions. Ce t te a t t i t ud e' rem a r-

\ quabl~ chez Camara Laye atteint son -paroxysme, lorsque même

~.r--' -7"~1 \ \!~ ~ ~

demeure imper\.ubablement un homme

..... -.. ex il é" de sO,n pa ys , il

de foi, un homme qui croit en Dieu. Tel est l~ essentiel du

message contenu dan~ son fort beau livre Dramouss.

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.' Comme-nous'l'avons constaté au cours de ce travail, la

e; d~marche littéraire, -de Camara Laye_ reflète à la fois, son

/1 cheminement personnel et ses' aspirat"ions tout "en épousant,

ce r t a i n s m 0 men t s • les courants de sensibilité et de

rév(fltë qui ont marqué l'évol~tion de la littérature 'négr9-,

afri,caine. Son oeuvre reflète assu ré ment l' évol ut ion qui •

8_ ' est f ait e dan s 1 a c a 'n sei e n c e d e \l' a u t e ure t qui a con tri -

,;0 bué à renforce'r d'une part,. -sa fierté originelle; et d'au-

t: r ~ pa t t , SOI] inquié'tude devant le destin de l'Afrique ré-

solument engagée 'dans la voie tlu progrès moderne.

For,!: de son vécu pt!rsonnel, l'auteur devenu par hasard

écrivain{ 1) n' hésite. pas à nous livrer en primeur, toute la

s_aveur" de son enfance, dom l.né é .fssentiellement par les

joies de son univers traditionnel rendu heureux par une attl-

biance familiale sur laquelle il ne tarit point d'éloge.

L'Enfant n'air, premier ouvra,ge autobiographiq~e de

l' aut eu r , s' avè re un témoignage du reflet des survivances

ancestrales ainsi qu'un vé ritable hymne dédié il l'Afrique

paisible et naturelle. Sans doute, insufflé par la fraî-

cheur de son âge qui ne, lui permettait pas encore de consi- ,

dérer l'impact de la colonisation sous tous ses aspects

-------------~----~-

_ (1) Au cou~'s d'un coiloque) Laye déc~arait à propos de la naissance de L'En,fant noir:"' ••• je ne pensais pas alors publier jamais' une ligne de ce que j' écrivais-." ('cf. Actes du Colloque sur la littérature africaine d'expression fran-çaise,op.cit. p.123.) 1

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III

:

et les autres phénomènes ét~angers sur les struc tures tra-

L'Enf~nt noir de Camaes ditionn~lles rendues vulnérables,

Laye apparal t comme un chef-d'oeuvre. Ne déc rit - il pa sen

m êm e t em p s 1 e vécu de l'auteur, l'enfance, la nature et

l'amour(l) des siens, toutes choses .qu'il exprime en dehors

du formalisme littéré1ire africain qui prévalait(2) trop

souvent jusque-là?

Par contre, dans Dramouss, l'auteur ayant mûri, voit

sa- cand eur j uvénil e se muer, peu \à peu, en un e a t t i t ud e

plus circonspecte qui favorise l'ex pr es s ion de son enga-

gement politique devant les dures réalit,és.de son pays. Il

appréhende mieux que la plupart des autres écrivains, toute

la tension "trad.ition-modernisme" qui m-arque irréversl-

b1ement le déclin des tenrps anciens. Une telle tension peut

être observée au trayers dé l'effritement des valeurs tra-

ditionnelles qui son t m a,n i f est em en t '" ' symboliseês dans ce

roman.

Pour réintégrer spirituellement son m.il i eut r ad i t ion-

nel, comme le suggère Le Regard du roi, CafQara Laye conju-

guera sag ess e du mya.tic isme ancestral et élàn rel ig ieux

afin de mieux sai's.ir le mystère de l',ex-istence et de sa

-destinée.

'(1) Gudijiga, Christophç', "Quatre,th~meB dans l'o-'eu.vre d e Ca m a r a La ye ". 0 p • c i t " p. 140 •

'f

(2') MouraliB,Bernard~ividu et collectivité ,dans.le roman néSto-afri,cain d'expre3sion française, Annales de l'Université d'Ab&ï'jan, série D, lettres, op.cit., p.l36.

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c

112

Au tourbillon des images mystiques et religieuses se mê-

lent, presque indistinctement, celles d-e la cruelle réali-

té de son vé cuq u 0 t i die n s i for t e men tan c ré dans un monde

traditionnel que. dépeignent si brillammentl'4-es griots dans

Le Ma1tre de la parole -- Kouma Lafôlô 'Kouma.

Les différents événements qui gravitent autour de

l'auteur permeLt-ent d sa conscience d'évoluer dans un sens

d \,leI: la perception d'une évolut ion moderne nécessaire à

l'Afrique ct le Jé si r de préserver les dcquis du passé .. ,

vont implicitement(l) exprimer la synthèse des valeurs é-

prouvées à travers la jonct.ion des deux civilisations.

, Dans toute l'oeuvre, la présence de ces deux ord res de

&'e n t i men t s contradictoires l'aècoIiIpagnentj' elle témoigne

d'une oscillation constante de la réali té à l'imaginaire

avant de se fo nd' re pa f la su i te dans l' inquié tude et la

désillusion.

Les nombreux tiraillements

apparaissent dans L'Enfant noir.

\ cultu~elf de Camara Laye

Ses se)n t i men t S mu l t i pIe s

face au double choIX de }'Afrique sont exprimés par le sym-

bollsme diffusé à travers les trois principaux personnages

de Kouroussa:

Grâce ,il sa mère, Laye incarnera toutes les vertus d'une

(1) Joppa, noirs de lan op.cit." p.21

Francis

\

t'engagement des écrivains témoi nage au dépassement,

. ,

o \

113 -

Afrique, à la fois, pa i s i b 1 e e t vis i b 1 em en t pro che d e 9 e s

racines profondes.

Grâce à son père, la pérennité de's valeurs traditionnelles

sera véhiculée et revètue de tou!> leurs mystères.

Enfin,~grâce au hêros-narrateur" il marquera par son dllem-

me, le trait d'union entre lu tradition et le modernisme

caractérisé par son profil intellectuel et ses sentiments

d'appartenance qui le maintiennent

courants "culturels.

En e s s a y,'!. n t d e 1 i v r!,! r no t r e

écartelé entre les deux

perception sur la problé-

ma ,t i que qui est a u c 0 e ur d e la coexistence de la tradition

ét du mo<;lernisme occidental, nous voulons, sans la préten-

tion d'y parvenir, tenter de concilier les valeurs d'une

culture africaine perçues essentiellem~nt comme empiriques

et vécue s , avec les valeurs occidentales modernes, f r u1 t

d'une élaboration conceptuelle aux exigences multipl.es.,

Si , comme Camara Laye, 1 e s é cri va in s no i r s d'ex pr e s-

sion française ont toujours considéré avec une fierté, par-

fo i s n ua n c é e , l' héritage que leur a légué un passé eBse'ri-

,j tiellement fondé sur des st r uc t ,-' r e B trad i t ion ne Il es. en

mêm~ tem ps , l'histoire et l'évolution moderne de l'Afrique

les opposent quant au fond et à la forme, du choix qui'~~,ol­

vent exprimer son devenir.

Ace Bujet, Ro ber t P âge a rd a fa i t une a n a lys e ex ha u a-

tive du contexte littéraire, dana un chapitre intitulé,"la

....:\

c

\ .. 114

cont.roverse sur la tradition",(l). Il fonde essentiellement

80n étude sur les au teurs dont les o'euvres reflè t:..ent l' es-

prit de cette polémique.?

En effet, pr é c i se - t - il, trois catégories regroupent

des options fondamentalement opposées(2):

La première catégorie milite en faveur d'un rejet systé-

matique de toutQ forme d'intrus ion étrangère ct, en outre.,

prÔne un retour aux 50 ur ces in i t 1 ale s ( 3) . Celte catégorie

est présentée par Boubou Hama dans Kotia-Nima(4), Où l' au-~

teur exalte la tradition africaine en nous révélant que:

Chez l'Africain noir, il existe un mod e de de la vi e

pensée, une conception à un stade douné de

l'histoire de l'homme, un acquis ab,andonné en cours de route par les cpeuples dotés d'une civilisa-, tion matérielle, puissante, con­ception inséparable de l'aspect culturel de la vie(5).

(1) Pageard, Robert, "La vie traditionnelfle dans la littérature de l'Afrique Noire d'expression française", op.cit., ,pp. 443-451.

(2) Ibidem.

(3) Ibidem. pp. 443-445.

(4) Boubou, lIama, Kotia-Nima, Rencontre avec'l'Europe, tome l, Paris, Présence Africaine, 1969, 166p.

(5) Ibidem, tome I,p.39. (cf. Pagea rd , Robert, "La vie traditionnell-e dans ta littérature de l'Afrique Noire d'expression f-rançaise", op.cit., p.443).

\

- 115 -

Camara Laye, lui, abonde aussi dans le'même sena avec

L'Enfant noir et Dramouss.

La d eux i ème c a t é go rie, e lIe, par contre, sugg~re une rup-

tu r e t 0 ta 1 e a v e c t 0 us les pré cep t e a t rad i t ion n el B j ug é sin-

compatibles avec le développement moderne importé de l'Oc-

cid en t ( 1 ) . C'est le cas de Afrika Ba' a(2) de Médou Mvomo

Ré!llY. L'auteur à travers son personnage principal, Kambara,

semble ~tre pour le rej ct rad ic.al des coutumes trad it ipn-

ne Il El s qui, selon lui, 5 0 n t de" v é rit ab 1 e sen t r il v es (1 li P r 0-

grès, à la mon~ée de la génération nouvelle, à l'affir-

mat ion des id é es n e uv es, (e n t r ete n a n t a i n si) 1 es su pe r-

Biitions, la méfiance ..... (3).

La t roi s i ème c a t é go rie, que 1 que pe u con cil i an te, c roi t qu'-

il est possible de s'appuyer sur certaines valeurs tradi-

tionnelles encore valables pour les adjoindre aux valeurs

occidentales adaptables, afin d'asseoir un développement

1

véritablement cùnforme à son desir de progrès(ll).

(1) Pageard, Robert, "La vie traditionnelle dans la littérature de l'Afrique Noire d'expression frdnçaise", op.cit., pp. 445-448.

(2) Médou Mvomo, Rémy,'Afrika,Ba'a, Yaoundé, C.L.E. Collection Abbia, 1969, l81p.

Ed i t io n

(3) Ibidem, p.43. (cf. Pageard, Robert, "La vie tra-ditionnelle dans la littérature de l'Afr"ique, Noire d'expression française", op.cit., p.446).

(4) Ibidem, pp .448-451.

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\ Dans cet~~

Se ng ho r <lui

catégorie,

n'es t pa s

- 116 -

set r 0 uv e a s sur é men t Lé opo 1 d Sé da r

~

nommément cité par Ro ber t Pa g e a rd

dan a son a na 1 ys e :

Robert Pageard

Malgré la passion des débuta, il n'a pas été question, chez nous, de s'isoler des autres civili­sations, de les ignorer, de les halr ou mépriser, mais plutôt, en symbiose avec elles, d'aider à la const.ruct!ion d' humanisme qui fut authent'iquement parce que tota­lement humain(l).

cite', entre autres, un auteur béninois,

-Pliya Jean, qui s'est efforcé de faire-une t'ransition entre

la tradition et le modernisme; l (

mais une" transition douce,

non al i é na nt e, ê n t rel a vie pa ys an ne d'antan et .1a nouve1~e

vIe qu' im po sel' 0 uv e r t ure et 1 a f r agi 1 i té du ç 0 n tin en t .. ( 2 ) •

L'avenir de l'Afriqu~ si l'on choisit d~ retenir l'hy­

pothèse d-e la première c'atégorie celle du rejet, du refus

du compromis, et de tout apport extérieur, n 0 us sem b 1 e pe 'u

réal i ste et à contre-courant de l'histoire puisqu'elle se

refermerait volontairement sur elle-même. De surcro1t, elle

se priver{lit de l'immense réservoir de connaissances accu-., , mul'ées depuis l'aube des ~emps, et ~ue l'Occid~nt a su

,f~

(1) Senghor, Léopold Sédar,-"Qu'est ,ce que la négritu­de?'" in Etudes Françaises, Revue des lettres françaises et canadiennes-franç·aise, Vol. 3, N° 1, Les Presses de l'Uni­ver~ité de Montréal"Février 1967, p.4.

(2) cf. Pageard, Robe'rt, '\La vie traditionnelle daRs la littérllture de l'Afrique Noire d'expression française", op.cft., p. 448.

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util'iser.

117 \

- La négation de ses propre~ ,

"

valeurs qui est proposé,e

pa r la' deux i ème aIt e r n a t ive , i n c i ter ait l' A f r i q ue El t ra h i r

assurément ses origines, et sa nature spécifique. Un tel

choix compromettrait à jamais son entité distincte.

Par contre, en observant Qe plus près la troisième op-

tipn. cette dernière nous semble plus réaliste, encore que

nous nou~ heur tions à l'épineux problème du choix à faire.

Né a nm 0 i n s, , cet t e 0 p t ion po rte e n germe un idéal plus pro-

metteur, e t sem b 1 e r é po n d r eau dés i r d e pro g r ès, déjà ex-

pr im é pa r son ouverture sur le monde. La sc ience et 1 a

o

technique si nécessaires pour mattriser sa destinée doivent ,

ê t r e con j ug ué e s a UK acquis d"une tradition dont la valeur

permanente s'avère une' garantie susceptible de générer des

facteurs de compatibilité.

A la croisée des confrontations, croisée de la

tension" tradition-modernisme", une évidence apparalt; elle

fix e 1 èS conditions historiques qui, rendent nécessaire le

c ho ix d el' A f r i q ue con t em po rai ne.

Que l'on prône la rupture ou 1 a s yn t hè se, espérons

',qu'un seul souci so'it au coeur des aspi!ations des uns et

des autres: celui du désir de progrès.

A partir de cet impératif, nous fondons notre percep-

tion sur la troisième option qui, quoique ardue, pous per-

met d'id en tif i e rIe s valeurs permanentes relevant de la

1 ---~_----.....I

., "

118

. ' tradition africaine et SUl}ceptible de fé cond er le mo-

dernisme occidental. en un progrès significatif, et; qui con­

f~ re à l' Af r ique un e ph ys ion pm i e conforme l sa pr 0 pre

-na t ur e .

\

Même si l'expression de cette problématique' n'apparalt . , pas de façon explicite dans' l'oeuvre de Camara Laye, l' au­

\

te ur y adhère intuitivement en la ramenant à sa prop{e con-

dit i 0 rI d'ex il et aux cau ses qui s'y rattachent telles qu'-l ,

elles apparaIssent dans Dramouss. On pe ut c e pe nd an t r e c 0 n-'"

nattre qye Camara Laye et son oeuvre échappent volontai­~

rement aux exigences circonstancielles de son époque par la " ..

pérennité des thèmes qui y sont ab6rdés.

De son univers personnel à l'évasion envoûtante dé son

royaume imaginaire, Cam a r a' La ye

de l'ac_tualité po ur con 6 e r ver à

a su t r li n sc "e nd e r l'attrait <1

son oeuv re u,ne dimension

qui lui concède une :~~ertaine notoriété dans les classiques

'de la littérature négrp-africaine d'expression françalse. III

f' .--

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- 119

• IOGtAPHtE DK L'AUTEUI.

Camara Laye naqui t le 1er Janv ier 1928 à Kouroussa en Guinée: - /

Issu du peuple _ Malinké., il descE:nd,plus précisêment de la trlb/u Mandingue installée en Afrique Occidentale sub-sahélienne aux XIVe

XVIe siè~les. (

Ce fils alne d'une famille de douze enfan"ts avait des ~parcnts \ qui appartenaient à la caste des forgeron~. Par son métier, le père de Camara Laye, compte tenu des traditions Malinké, 'gardait des liens é~troits avec le monde de la magie.

Son enfanèe iùt paisib le. C'est au mil leu des siens qu'il 'apprit l'Fs préceptes de l'école coranique avant d'e SQ rendre à ·l'école primaire fr.ançaise de Kouroussa et de continuer ses ét!Jdes ,au collège technique de Cona,kry. Après avoir brillamment obtenu le Certificat d'Aptitude Professionnel de m'écanic:ien, èamara Laye quitte 80n pays. pour la France afin d' y poursuivre des études avancées en mécanique tout en travaillant dans une usine de fabrication d'automobiles. '

En 1956~,'Camara Laye rentre dans 80n pays natal où il se voit con'f;ier des responsabilités liées à :ses' compétETncea. techniques.

Lors deI' indépendanc'e de son pays participer à la vie politiquE' ac.tive ce se's projets littéraires.

e n 1 9 5.8 , ils e qui l' éloig ~e un

plalt à t em ps d e

En, 1965, uhe v iolente controverse l' oppo se au régime politique guinéen' de Sékou Touré. Il prit alors le ,chemin de l'exil pour s'établir, au Sénégâl-où il mourut le 5 F'évrier 1980. Durant son exil, il en profita pour renouer avec la littérature. Il 1 ais sam êm e en cha nt i e r un e hi s toi r e dupe u pIe Ma n ding ue i nac hevée.

~.

Ce mécanicien de 'formation, s'est mis il écrire po ussé' par 1 a nostalgie, l'isolement.et. les vicissitudes créés par sa situation inconfortable d'étudiant.

Camara Laye aimai~ la littérature et ses auteurs préférés étaient: 'ta Bruyère, 'Flaubert et Kafka., Son style particulier semble s'inspirer, par moments, au genre 1 ittérairë symbolico-pathétique si' caractéristi,que à Kafka. et par d'·autres, à lac rigueur d'analyse de Flaubert dont il- affirme en être un adepte fervent.

Profondémen"t'attaché à la tradition africaine, il scrutera les moindres réactions à l'impact ocçldental.· Son oeuvre révèle entre autres, le fruit d·'une expérience humaine dont la logique r e po ses urs a vis ion deI a soc i été a f r i c II i ne e n mut a t ion'.

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, \

BI.LIO~.APBIE

" -1

O*UVRB~H- LAYE

,

CAMARA, Laye, L'Enfant noir, Paris, Plon, 1953, 2.21p.

CAMARA, La ye , ~

roi, Pa ri s , Plon, 1954, 245p. Le Reaard du

CAERA, ~ ..."

La ye , Dramousa, Pa ria, Plon, 1966, 245p. 4

CAMARA, Laye, Le Ma t t re de la earo1.e - Kouma 1afÔlô Koum a, Par i s, P1o~, 1978', 285p.

ARTICLES DE CAKAIlA LAYE

"

CAMARA, Laye, "E~ demain 7", in 'pré\ence Africaine, N°14-l5, Juin-S"éptembre 1957, pp.289-295'.

CAMARA, Laye, "Kafka et moi", in Dimanche matin, No uve1les des lettres, 2 Janvier 19-5'5, (cf. Série~ttérature Africaine" N° 2., Camara Layer, écrivain guinéen, Paris, Fernand Nathan, 1964, p.37).

CAMARA, Laye, "L'âme de l'Afrique dans sa partie guioéenne", 'in Actes du Colloque sur la littérature africaine d' ex­pre 8 S ion f ra nç a i a e, ,Da ~a r, 26 - 2 9 Mar s 1 963 , Lan 8 u e 8 e t li t t é rat ure, N 0 14, Da ka r , 1 966, pp. 121 -1 32 .•

..

,.

, "

,

- 121 -

. ETUDES EFFECTUEES SUR

CAMAaA LAYE ET SOR OEUVRE /

..!) Art teles , BIYIDI, Alexandre (Connu encore sous lés pseudonymes de Mongo

Bé t i e t Ez a Bo t 0), 0 L 'E n fan t no i r d e Ca m a r a La ye", i n Présence Africaine, N° 16, 1957, pp.4l9-420.

DIO P, Da v id, "L' E n fan t no i r", i n Pré sen ce a f ri c ai ne, N°l 6 , 1957, p .419 et sq.

EBODE, Marcel, "Entretien ~vec Camara Laye", in Afrique, Pari's, N° 26, Juillet 1963, pp.54-57.

ECHO D'ALLEMAGNE" "Camara Laye est me;rt" , 12 Février 1980, Service de Presse et d'Information de la Deutsche Welle, p .7. "

GUDIJIGA, Christophe_, "Quatre thèmes daps l'oeuvre de Camara Làye", in Congo-Afrique, N° 3 1 Mars 1966, pp.139-148.

GUDI'JlGA" Christophe, "Dramouss un nouveau roman de Camara Laye", in Congo-Afriç9ue, 'N° 15, Mai 1967, pp.257-259.

OUPOH, Gnaoré, "Hommage à Camara Laye", in Frat'ernité matin, 12 Février 1980, pp.19-2I.

SENGHOR, Léopold Sédar, "Laye Camara et Lamine Diakhaté, ou l;,art n'est pas d"un parti"', in Liberté l, "Négritude et hum an i sm e", Pa 1; i s, Se u'il, 1964, pp. 155 -1 58.

b) Ouvrages '\ ,. . " BETI, Mongo, Trois écrivains noirs, Présence Africaine,

N° 16, Paris, Présence Africaine, 1955, 426p. Sé rie 1

B 0 UR GE ACQ, J a c que s, L ' E n fan t no i r de Cam a r a L a ye, sou sIe sig n e de":'l'éternel retour. Sherbrooke (Québec, Canada), Naaman,

'1 82p •

Série "Littérature Africaine" N° 2, Camar~ Laye, écrivain guinéèn, textes commentés par Roger Mercier et M. et S. Battestini, Paris, Fernand Nathan, 1964, 64p.'

, .

·~

- 122 -

""ETUDES LITTERAIRES

a) 'Ar tic les

\>AGEARD, Robert, "La vie- traditionnelle dans la littérature de l'Afrique Noire d'expression française", .in Revue de litté­rature Comparée, XLVIII, N° 3-4, Juillet-Décembre 1974, pp.420-452.

SENGHOR, Léopold Sédar, "Qu'est ce que la nég,ritude ?" in Etudes Françaises, Revue des lettres françaises et canadiennes-

- f r a n ç ais es, Vo l 3, N 0 l, Le s _ pre s ses deI' Uni ver s i t ê . de Mo n t réa l, F é v rie r 1 9 6 7, pp. 3 - 2 0 •

b) Ouvrages

ACHIRIGA, Jingiri J., La révolte des romanciers noirs de la langue française, préface de Georges NGal, Collection '<Etude's" dirigée par le Professeur Antoine Naaman, Sher­brooke;(Québec, Canada), Naaman, 2èmeédition, 19-78, 26,9p .

-Actes du Colloque sur la littérature africaine d'expression française,J Dakar, 26-29 Mars 1963, Lan~ues et littéra-tu r es, N 6 1 4, Da k~ r, 1966, 276 p • '

ALBERES, R. M. et DE BOISDEFFRE, l!n ive r si t air es, 1 960, 126 P •

Pierre, Kafka, Ed i t.ions

, , JOPPA, Francis Anani, L'engagement des écrJvains africains noirs ~

de langue française, du témoignage au dépassement, CollecL. tion "Etudes" dirigée par le Professeur Antoine Naaman, Sher­brooke, (Québec, Canada), Naaman, 1982, 328p.

l

'KA NE , Mohamadou, Roman africain et Tradition, Dakar, Nouvelles Edi:" tions Africaines (N.E.A.), 198:2, 519p.

KlMONI, lyay, Deg'tin de la littérature négro-africaine ou pro.­blématiq,ue d'une culture, Collection "Littératures" dirigée par le Prof-esseur Antoine Naaman~ Sherbrooke (Québec,Canada), Naaman," 2ème édition, 1985, 28Qp;'

LEJEUNE, Philippe, Je est un autre, L'autobiographie de la litté­rature aux médias, Collection Poétique, Paris, Seuil, 1980, 332p.

LEJEUNE, Philippe, Le pacte autobiographique, Pa~is, .Seuil, 197~,

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