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    Best of Molinari

    Gustave de MOLINARI (1819-1912)Textes runis par Damien THEILLIER

    Professeur de philosophie

    Paris, dcembre 2012

    Institut Coppet

    www.institutcoppet.org

    Cette uvre est diffuse sous

    licence Creative Commons

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    Sommaire

    Hommage Gustave de Molinari pour le centenaire de sa mort........................................................ 4I. Molinari, lconomiste libral................................................................................................. 7

    1. La valeur et la loi dconomie des forces. ............................................................................ 72. La mthode socialiste et la mthode conomique ................................................................103. Rponse aux dtracteurs de lconomie politique ................................................................184. conomie politique et morale ............................................................................................275. L o les protectionnistes se trompent ................................................................................306. Le libre-change comme rempart la guerre.......................................................................517.

    Ltat crateur de dommages

    .............................................................................................568. De la diffrence de production et de distribution entre le priv et le public............................ 589. Ltat doit se retirer de lconomie ....................................................................................6310. De la libert de lenseignement ......................................................................................6611. Anticipation des problmes de la dette, pronostic de lendettement en 2000 ...................... 71

    II. Molinari et la libert politique ...............................................................................................7212. De la production de scurit...........................................................................................7213. Lettre aux socialistes .....................................................................................................8914. Du principe absolu du droit de proprit contre le constructivisme....................................9615. Le socialisme (et le conservatisme), chec programm................................................... 122

    III. Molinari, thoricien de lvolution historique et culturelle des socits............................... 12616. Ancien rgime, communisme, lavenir est ltat libre dans la Socit libre................... 12617. La morale et la religion dans la socit.......................................................................... 14118. Le XXme sicle......................................................................................................... 15419. Les phases de dveloppement du gouvernement dans les socits humaines .................... 162

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    Hommage Gustave de Molinari pour le centenairede sa mort

    En cette anne 2012, centenaire de la mort de Gustave de Molinari, lInstitutCoppet veut rendre hommage ce grand disciple de Bastiat, qui reste unelumire pour notre temps.

    Rdacteur en chef du Journal des conomistes de 1881 1909, il est mort en1912 Adinkerke, dans sa patrie dorigine la Belgique. Mais il repose aucimetire du Pre-Lachaise Paris o il a vcu la plus grande partie de sa vie.

    Ce recueil de textes est un tmoignage de la grande sagesse dun homme quiavait pour credo : Paix et Libert.

    Gustave de Molinari (1819-1912)

    Par Damien Theillier1

    Gustave de Molinari est un Belge francophone n Lige mais cest en France

    quil a dploy son activit dcrivain. Il a t le principal reprsentant dulaissez-faire radical au sein de lcole librale classique en France dans laseconde moiti du 19me sicle.

    Disciple et ami de Frdric Bastiat, il devint le second rdacteur en chef duJournal des conomistes (1881-1909), la mort de Joseph Garnier, cdantensuite sa place son ami Yves Guyot. Comme Bastiat, Molinari a reconnu sadette intellectuelle lgard des industrialistes , les conomistes CharlesComte et Charles Dunoyer. Comme eux, il tait radicalement individualiste et

    anti-tatiste, luttant contre toutes les formes dinterventionnisme conomique.crivain prolifique, il tait capable daffronter ses adversaires sur tous lesterrains : aussi bien la philosophie que le droit, la morale, la religion oulhistoire.

    En 1849, il publie lun des ses ouvrages les plus clbres : Les Soires de la rueSaint-Lazare (1849) dans lequel il fait dialoguer un conomiste, un conservateur

    1 Extrait du Dictionnaire du libralisme, Larousse, 2012. Reproduit avec laimable autorisation deMathieu Laine.

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    (dfenseur du protectionnisme et des monopoles dtat), et un socialiste. Sa Onzime Soire , est trs controverse en ce quelle propose daller bien au-del de la dfense dun tat minimum. Molinari propose en effet labolition pureet simple du monopole de la scurit pour le remplacer par un systme de

    concurrence entre des compagnies prives de protection des citoyens.

    La mme anne, il prolonge la controverse dans un article du Journal desconomistes : De la production de Scurit . Selon Murray Rothbard, qui ena prfac une traduction amricaine, il sagirait de la premire prsentation danslhistoire humaine de ce quon appelle maintenant lanarcho-capitalisme .Molinari est trs conscient du fait que la scurit est une des conditions delexistence de lindividu lintrieur du groupe. Mais il souligne que le

    monopole tatique de la force est aussi inefficace que despotique. Selon lui, desentreprises prives comme les compagnies dassurance pourraient fournir desservices tels que la police et mme la scurit nationale un prix plusavantageux, plus efficace et plus moral que ne pourrait le faire lEtat. Do ilrsulte quaucun gouvernement ne devrait avoir le droit dempcher un autregouvernement de stablir concurremment avec lui, ou obliger lesconsommateurs de scurit de sadresser exclusivement lui pour cettedenre . Et cest ce quil appelle la libert de gouvernement .

    Par ailleurs, il explique que parmi les nombreux avantages dune telleconcurrence le plus important est la limitation des guerres. La guerre esttoujours la consquence du contrle tatique de la production de scurit. Cestpourquoi Tout comme la guerre est la consquence naturelle du monopole, lapaix est la consquence naturelle de la libert. (De la production de scurit).

    On le sait assez peu, Molinari est aussi lauteur dune thorie de lvolutionhistorique et culturelle des socits, qui a certains points communs avec la

    thorie de Spencer ou celle dOppenheimer et qui a beaucoup influenc Hayek.Signalons deux grands livres de synthse : Lvolution politique et la rvolution(1884) et conomie de lhistoire : Thorie de lvolution (1809). Dans cesouvrages, il dcrit le passage dune socit militaire, caractrise parlexploitation des classes et les privilges conomiques, une socitcommerciale, reposant sur le libre march.

    En 1895, Molinari numre les cinq maladies du temps, capables de dtruiretout le progrs accompli par la civilisation : protectionnisme, tatisme,

    socialisme, militarisme et colonialisme. Il fut lun des grands adversaires de la

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    colonisation, dfendue par les socialistes. Certains historiens lui attribuentdailleurs linvention du mot anticolonialisme (Robert Ageron). En plusdtre un crime neuf fois sur dix, crit Molinari, le cot de la colonisation estloin de justifier son utilit pour lindustrie et le commerce : De toutes les

    entreprises de ltat, la colonisation est celle qui cote le plus cher et quirapporte le moins . Il avait vu juste, cent ans avant les travaux dun JacquesMarseille sur le sujet

    Au soir de sa vie, quatre-vingt-douze ans, il crivait : Mon dernier ouvrageconcerne tout ce qui a rempli ma vie : la libert des changes et la paix. Et ilajoutait : Ces ides fondamentales sont partout en dclin. (Ultima Verba).

    Bibliographie : David Hart, Gustave de Molinari and the Anti-Statist LiberalTradition,Journal of Libertarian Studies, volume V, n 4, 1981.

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    I. Molinari, lconomiste libral1.La valeur et la loi dconomie des forces.

    Le premier phnomne naturel que nous rencontrons au seuil de lconomiepolitique, cest le phnomne de la cration de la valeur. Crer de la valeur,voil lobjet que se proposent toutes les entreprises de production, petites ougrandes, et quelle que soit leur nature. La valeur cre, on la consomme soitdirectement soit indirectement, aprs avoir chang les produits ou les servicesdans lesquels elle est investie. A mesure que lindustrie progresse, que la

    division du travail se dveloppe, la valeur se consomme de moins en moinsdirectement, de plus en plus aprs change. Considrons une socit civilise,quel spectacle frappera nos regards ? Nous verrons la multitude occupe crerde la valeur, en faonnant des produits ou des services dune infinie diversit,changer ces produits ou ces services en raison de la quantit de valeur quilscontiennent, puis consommer cette valeur, en appliquant la satisfaction de sesbesoins matriels ou moraux les choses dans lesquelles elle est investie. Nousverrons encore de nombreuses individualits, isoles ou associes, tantt en

    recourant la force, tantt en se servant de combinaisons varies, les unescondamnes, les autres sanctionnes par la loi, sefforcer de semparer de lavaleur cre par autrui. Quest-ce donc que la valeur ? Cest une puissance duneespce particulire, une puissance conomique.

    La nature de ce pouvoir drive de celle de lhomme lui-mme, qui en est lasource. Lhomme est un compos de forces et de matire vivantes ; ces forces etcelte matire, il est oblig de les entretenir et de les renouveler incessammentpar lassimilation dlments puiss dans le milieu o il vit et qui contiennent ou

    sont susceptibles dacqurir un pouvoir de rparation et dextension do sesforces, dentretien et dexpansion de sa vie. Quand ce pouvoir est fournigratuitement par la nature, cest--dire sans que lhomme soit oblig de faireaucune dpense de forces pour se le procurer, on dit simplement des choses quile contiennent, quelles sont utiles ou pourvues dutilit ; quand, au contraire, ildoit tre cr par lhomme lui-mme, on dit des choses qui le contiennentquelles ont de la valeur.

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    Comment lhomme cre-t-il la valeur ? par le travail. En quoi consiste letravail ? En une dpense de forces et de puissance vitale. Ainsi donc quand lanature ne fournit pas gratis lhomme les pouvoirs ncessaires lentretien et lexpansion de sa vie, il est oblig de les produire, et il ne peut les produire

    quen dpensant une portion de sa force ou de sa puissance vitale. Quen faut-ilconclure ? Cest que la valeur est compose de deux lments : un pouvoirdpens et un pouvoir acquis, un pouvoir producteur et un pouvoir rparateur.Telle est la constitution naturelle de la valeur, constitution quil ne dpend pasplus de lhomme de modifier quil ne dpend de lui de changer la compositionde leau ou celle de lair.

    La composition de la valeur tant connue, il reste tudier ses proprits, qui

    sont de diverses sortes, La valeur est mesurable, changeable, accumulable etappropriable. Elle est susceptible daugmentation ou de diminution ; elle peut seconserver dune manire indfinie, grce son changeabilit, ou tre dtruiteau moment mme o elle se produit. A mesure que lorganisme conomique dela socit humaine se dveloppe et se perfectionne, ces proprits naturelles dela valeur deviennent plus visibles, et on peut mieux apprcier limportance deleur rle. Sans lappropriabilit et la mensurabilit de la valeur lassociation desforces productives et la distribution des produits seraient impossibles ; il en

    serait de mme de la division du travail, de la capitalisation et du crdit si lavaleur ntait pas changeable et accumulable ; enfin si lordre stablitnaturellement dans la production et la distribution des choses ncessaires lhomme, cest grce la proprit de la valeur daugmenter ou de diminuer, dehausser ou de baisser.

    Si maintenant nous observons lhomme, qui produit la valeur et qui laconsomme, nous constaterons un autre phnomne naturel : cest que toutedpense de sa puissance vitale, tout travail est accompagn dune peine, dune

    souffrance, tandis que toute consommation dun pouvoir rparateur de ses forcesou de sa puissance vitale est accompagne dune jouissance ; do il suit quetoute valeur contient la fois une certaine somme de peine subie et une certainesomme de jouissance possible. De l une loi naturelle qui gouverne laproduction de toutes les choses matrielles ou immatrielles pourvues devaleur : la loi de lconomie des forces, en vertu de laquelle tout producteursefforce dobtenir la somme la plus considrable du pouvoir rparateur contenudans la valeur, en change de la moindre dpense du pouvoir producteur et qui

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    drive de la tendance naturelle de lhomme diminuer ses peines et augmenterses jouissances.

    Les lois naturelles de lconomie politique (1887) Chapitre 1.

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    2.La mthode socialiste et la mthode conomiqueLes doctrines socialistes, actuellement en vogue, tout en diffrant sur le mode

    dorganisation de la production et sur le rgime de la distribution de la richesse,saccordent sur un point fondamental : cest que ni la production ni ladistribution ne sont rgies par des lois naturelles auxquelles lhomme est tenudobir et quil nest pas en son pouvoir de changer. Il ny a pas lieu, enconsquence, de tenir compte de ces lois naturelles qui nexistent pas. Chacunedes socits ou des nations entre lesquelles se partage lespce humaine estmatresse de rgler sa guise son conomie intrieure, en favorisant tantt uneclasse tantt une autre, sans craindre de se heurter des lois suprieures dont la

    mconnaissance dtermine sa dcadence et sa ruine. Ltat, organe de la socit,est souverain en cette matire, il ny a pas de puissance au-dessus de la sienne. Ilsagit donc avant tout denlever ltat aux classes propritaires et capitalistes quien ont fait linstrument de leur domination et de leur exploitation pour lerestituer au peuple, auquel il a t originairement ravi par un abus de la force.Lorsque le peuple aura recouvr la possession de cette toute puissante machine,il sen servira pour faire des lois qui organisent la production et la distribution dela richesse au profit de la gnralit, de mme que les classes propritaires sen

    sont servies et continuent sen servir pour sattribuer la meilleure part desfruits du travail de la multitude.

    Semparer de ltat, tel est le premier et ncessaire objectif du socialisme. Pouratteindre cet objectif, on peut employer deux mthodes : la mthodervolutionnaire et la mthode constitutionnelle et parlementaire. La premireconsiste renverser par la force le gouvernement tabli, aristocratique oubourgeois, et le remplacer par le gouvernement du peuple ouvrier. La seconde,plus lente mais moins prilleuse, rside dans lextension des droits politiques,

    autrement dit dans ltablissement du suffrage universel, ayant pourconsquence invitable quoique peut-tre lointaine, la remise de la machine faire les lois aux mains des masses populaires.

    Ces deux mthodes sont galement lgitimes. En vertu de ladage : adversushostem terna est auctoritas, le peuple a toujours le droit de reconqurir lepouvoir souverain qui lui a t drob et aucun scrupule ne doit larrter danslexercice de ce droit. Il est le matre de choisir son heure et ses procds : il

    peut recourir aux conspirations secrtes ou linsurrection ouverte et ses

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    serviteurs ne doivent pas reculer mme devant lassassinat. Car lorsquil sagitde rtablir la justice, la fin justifie les moyens, et toute objection morale doit trecarte en prsence de la souverainet du but. Toutefois si la mthodervolutionnaire, incontestablement la plus expditive et la plus sre, ne peut tre

    employe avec des chances suffisantes de succs, le peuple peut, en attendantdes circonstances plus propices, recourir la mthode constitutionnelle etparlementaire. Cest une question de possibilit et dopportunit. La mthodeconstitutionnelle et parlementaire implique la constitution dun parti politique,ayant pour mission de prparer et de voter lensemble des lois dorganisation dela production et de la distribution de la richesse, contenues dans le programmesocialiste. Ce parti, les masses populaires qui forment, sous un rgime desuffrage universel, la majorit lectorale ne peuvent manquer, lorsquelles seront

    suffisamment claires, de le mettre en majorit dans le parlement. A son tour, ilne peut manquer, ds son arrive au pouvoir, de raliser fidlement leprogramme que ses lecteurs lui auront impos, au besoin par un mandatimpratif.

    Telles sont les deux mthodes dapplication auxquelles sarrtent les diffrentescoles socialistes. Il y en a bien une troisime, celle des anarchistes, mais celle-ci nest quune variante de la mthode rvolutionnaire. Les anarchistes veulent,

    la fois, renverser le gouvernement tabli sans en constituer un autre, confisquersans indemnit et supprimer la proprit individuelle. Seulement, moinsquavec la proprit ils ne suppriment les propritaires, on ne voit pas biencomment ils russiraient arriver leurs fins, sils sabstenaient de reconstituerune force capable de briser toutes les rsistances, cest--dire un gouvernement.

    Ces deux mthodes sont, comme nous lallons voir, presque galementcoteuses et dcevantes. Analysons dabord la premire et faisons le compte dece quelle cote et de ce quelle rapporte. Le renversement dun gouvernement

    exige, comme toute autre entreprise, la runion et lemploi dun capital, destin recruter, outiller et entretenir une arme de conspirateurs et dinsurgs. Aces premiers frais de production de lentreprise, il faut ajouter les dommagesinvitables que causent les meutes et les insurrections Si larmervolutionnaire est battue et disperse, ces frais restent sans couverture et cesdommages sans compensation : cest une perte sche. En outre, la nation quilsest agi daffranchir, dunifier ou de socialiser est oblige de couvrir la dpensede la rpression et de subir les servitudes et les gnes que le gouvernement

    vainqueur lui inflige pour prvenir de nouvelles tentatives de rvolte. Si la

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    rvolution triomphe, aprs une lutte plus ou moins longue et onreuse, quelsprogrs ralise-t-elle ? Elle commence dabord et ncessairement par remplacerle personnel du gouvernement vaincu et dpossd par le personnelrvolutionnaire, celui-ci gnralement plus nombreux et mdiocrement apte

    remplir des fonctions auxquelles la pratique des conspirations et des meutesnavait point suffi le prparer. De l, une augmentation invitable des frais degouvernement, et, jusqu ce que le nouveau personnel ait fini sonapprentissage, un abaissement de la qualit des services politiques etadministratifs. Cependant les rvolutionnaires avaient un programme : cestmme uniquement afin de raliser ce programme quils ont entrepris larvolution. Quen font-ils ? Lorsquils sont entrs en possession dugouvernement, ils ne tardent pas sapercevoir quune partie de ce programme,

    et non la moins importante, celle qui concerne la diminution des dpensespubliques, doit tre sacrifie la ncessit imprieuse de rcompenser leurarme, et quune autre partie est ou utopique et irralisable ou en oppositionavec des intrts prpondrants, avec lesquels tout gouvernement et surtout ungouvernement nouveau est tenu de compter. Toute rvolution se trouve ainsifatalement condamne un avortement. Les rvolutionnaires nafs ou mal repusne se consolent point de cette dception de leurs rves, mais les politiciensaviss abandonnent sans regret un bagage de rformes, devenu encombrant, car

    ils ont atteint le but essentiel quils visaient : ils sont arrivs.

    La mthode constitutionnelle et parlementaire procde habituellement de lamthode rvolutionnaire ; elle est moins onreuse sans tre beaucoup plusefficace. Lorsquun parti rvolutionnaire sest empar du gouvernement dunpays, il manque rarement de se diviser. Les mcontents, ceux qui nont pasobtenu la part laquelle ils croyaient avoir droit dans les produits de lentrepriseet les utopistes quirrite labandon dcevant du programme de la rvolution,

    reprennent ce programme, en llaguant ou laugmentant de manire ladapter la demande actuelle. Ils constituent un parti dissident et sefforcent denleverle pouvoir leurs anciens associs. Si lemploi des moyens rvolutionnaires neleur prsente point des chances suffisantes de succs, ce qui est le casordinaire dans un pays qui vient dendurer la fatigue et de subir les dommagesdune rvolution, ils ont recours la mthode constitutionnelle etparlementaire. Au lieu de projectiles meurtriers, cette mthode emploie desbulletins de vote et des boules de scrutin, mais, comme la mthode

    rvolutionnaire, elle implique le recrutement et lorganisation dune arme, aveclappt dune solde consistant dans les dpouilles des vaincus. Le nouveau parti

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    sefforce de gagner sa cause la majorit lectorale, soit par les promesses deson programme, soit par des appts plus substantiels. Les fautes de sesadversaires, les dceptions dont leur avnement au pouvoir a t suivies,contribuent dailleurs grossir rapidement le nombre de ses adhrents. A son

    tour, il arrive au pouvoir. Mais alors, il se heurte aux mmes difficultsauxquelles staient heurts ses adversaires et il subit les mmes ncessitsquils avaient subies. Il doit rcompenser ses partisans sous peine dtreabandonn par eux, renoncer aux articles utopiques de son programme etcompter avec les intrts hostiles aux rformes utiles que ce programme peutcontenir, intrts qui trouvent un appui naturel dans le parti dpossd. Souspeine de renoncer aux fruits de sa victoire, il est donc oblig de laisser, encoreune fois, cette victoire strile.

    Tels sont les rsultats ngatifs des procds prtendus rformistes desrvolutions et des luttes lectorales et parlementaires. Ces procds striles etdcevants, en consolidant ce qui devrait tre supprim ou rform danslorganisme politique et conomique, ont propag le sentiment dcourageant delinutilit des tentatives de rforme et engendr le pessimisme des uns, lescepticisme des autres. Ainsi se prpare la dcadence qui est tt ou tard laconsquence du gaspillage des forces vitales dune nation, et cette dcadence

    devient plus difficile viter mesure que la pression de la concurrenceextrieure, sous sa forme destructive ou productive, devient plus forte.

    La mthode conomique diffre compltement de celles-l. Elle na point pourobjectif la conqute du gouvernement, elle se propose uniquement de convertirlopinion et de se servir de la pression de lopinion convertie pour contraindre legouvernement accomplir les rformes devenues ncessaires ou les laissersaccomplir.

    Luvre de la conversion de lopinion a pour instrument la propagande crite ouorale. Cette propagande qui sopre au moyen de lassociation, de la presse et dela parole, est frquemment entrave par des obstacles provenant soit des mesuresrestrictives ou prohibitives des gouvernements soit de lintolrance despopulations ; en revanche, elle est facilite chaque jour davantage par lerapprochement matriel des individus, qui saccomplit sous linfluence desprogrs de lindustrie. Alors mme que les associations et les runions seraientinterdites, que la presse serait soumise la censure, les ides nouvelles se

    propageraient par la seule conversation, dans les vastes ateliers o la grandeindustrie runit par centaines, parfois mme par milliers, des travailleurs de

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    toute provenance. La routine et lintolrance naturelle des esprits sont desobstacles beaucoup plus difficiles surmonter quaucune prohibitiongouvernementale et pnale. Lorsque les conditions dexistence des socitsviennent se modifier, il se passe toujours quelque temps avant que lesprit de

    la multitude se rende compte de ce changement et de ses consquencesncessaires. Il sen tient aux ides et aux croyances dont il a t nourri degnration en gnration, il se refuse mme examiner celles qui sen cartent,et auxquelles il rpugne dautant plus quelles sen cartent davantage. Mais mesure que le changement devient plus sensible et que chacun en ressent plusvivement les effets, que la ncessit dune rforme du rgime tabli se montreplus pressante, les esprits les plus rfractaires souvrent aux nouveauts quilsavaient dabord repousses, et ils commencent par accepter celles qui

    sloignent le moins de leur fonds sculaire dides politiques et conomiques.On sexplique ainsi que les doctrines socialistes se soient empares de lespritdes masses, imbues, depuis un temps immmorial, de la croyance lomnipotence et lomniscience de ltat. Ces doctrines, si errones quellessoient et peut-tre, cause de ce quelles ont derron, ont prpar la multitude accepter des vrits quelle aurait rejetes si on les lui avait offertes dembleparce quelles taient en opposition trop flagrante avec les ides et les croyancesqui possdaient le monopole de son esprit, monopole dautant plus exclusif et

    intolrant quil avait une possession plus ancienne. Cest pourquoi, malgr lesdsordres quelle cause et les expriences nuisibles quelle provoque, lapropagande socialiste nest pas inutile, en ce quelle ouvre lesprit de lamultitude la propagande conomique.

    On ne peut se dissimuler toutefois qutant donn le poids des intrts attachs la conservation du rgime de ltat de guerre, lincapacit ou lincultureintellectuelle de la grande majorit de la multitude gouverne, luvre de la

    propagande conomique ne soit difficile et lente. Mais, aussitt que cette uvresera accomplie, aussitt que lopinion sera convertie, aucun obstacle matriel nesera assez puissant pour empcher sa volont de prvaloir, et les rformesquelle exigera alors seront dfinitives. Si lopinion ne dispose que dune forcepurement morale, cette force est norme. Lapprobation et le blme qui sont lesagents dont elle dispose ont une efficacit souveraine. Le jour o une institutionou une pratique vient tre universellement condamne par la consciencepublique, aucune puissance matrielle nest capable de la sauvegarder. Lorsque

    lopinion sera convaincue, par exemple, que lemploi des influences politiquespour augmenter les revenus dune classe aux dpens de la gnralit, nest autre

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    chose quune forme de lescroquerie, elle mettra lindex les protectionnistes etles politiciens leurs complices, comme elle y a mis les escrocs vulgaires, elle lesexclura de la socit des honntes gens et cette pnalit morale suffira pourcourber sous sa loi les intrts les plus rfractaires.

    Il ne faut point sexagrer dailleurs la puissance de cet ensemble dinstitutions,pour la plupart surannes, qui constituent ltat moderne, et dont lexistence estpurement artificielle. Ltat moderne est un colosse, soit ! mais cest un colosseaux pieds dargile. Il suffit de jeter un simple coup dil sur les ressources quialimentent ses moyens de subsistance et daction pour sassurer que cesressources sont singulirement prcaires et quelles lui feront dfaut aussitt quelopinion sera pleinement difie sur le vice de leur origine : elles consistent

    principalement, comme on sait, dans les impts indirects, le papier-monnaie etles emprunts en rentes perptuelles ou amortissables long terme.

    Les impts indirects sont ceux que les contribuables paient sans en connatre lemontant : ils sont perus sur la plupart des articles de consommation, les uns auprofit de ltat lui mme, les autres au profit des individus auxquels il accordedes privilges qui leur permettent dlever artificiellement le prix de leursproduits au-dessus du taux auquel le rduirait la concurrence. Depuis un sicle,ils ont t croissants tous les jours. Pour ne parler que de ceux que ltat peroit

    son profit, ils se sont accrus de manire former, en moyenne dans lensembledes pays civiliss, les deux tiers de ses revenus. Si les contribuables qui lespaient en connaissaient exactement le montant et sils taient obligs de le porterchez le percepteur sous peine dtre expropris de leurs effets mobiliers et deleurs biens immobiliers, sils se rendaient compte dautre part de la valeur relledu plus grand nombre des services que ces impts servent alimenter, ilsrefuseraient certainement den supporter la charge. Ils ne consentiraient payer,selon toute apparence, que lassurance de leur vie et de leurs biens contre les

    risques intrieurs et extrieurs dinscurit, et ils veilleraient, la fois, ce queles frais de cette assurance fussent rduits au strict ncessaire, et ce que leurquote-part, dans ces frais, fut exactement proportionne la valeur et ladestination de leurs capitaux personnels, immobiliers et mobiliers, commelorsquil sagit de toute autre assurance. Ltat moderne, priv du secours de cetimpt-mensonge que lon dsigne sous le nom dimpt indirect, se trouveraitbientt rduit ses attributions naturelles et ncessaires.

    En supposant, de mme, que lopinion fut difie sur la nature et les effets dupapier-monnaie et des emprunts perptuels, et quelle en interdit lusage comme

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    nuisible et immoral, les guerres dsormais inutiles, qui se perptuent entre lespeuples civiliss, deviendraient promptement impossibles, car aucun peuple neconsentirait en supporter les frais.

    Que ltat moderne commette un acte nuisible et immoral en introduisant dansla circulation un papier dont lmission a pour rsultat ordinaire et presqueinvitable dabaisser ltalon montaire et de le soumettre des fluctuationsincessantes, quil commette ainsi, en laggravant, le crime quil punit chez lesfaux monnayeurs, en laggravant, disons-nous, car ltoffe de la faussemonnaie mtallique possde encore quelque valeur, cest ce que lanalyseconomique a mis en pleine lumire. Or, le jour o lopinion saura quoi sentenir cet gard et o elle condamnera le faux monnayage, quil soit pratiqu

    par ltat ou par les particuliers, les ressources que procure aux gouvernementsbelliqueux lmission du papier-monnaie leur feront dfaut et ils devront seborner recourir aux emprunts.

    Mais lanalyse conomique ne dmontre pas moins surement limmoralit desemprunts sous forme de rentes perptuelles ou amortissables long terme quecelle de laltration de la monnaie. Quest-ce, en effet, quun emprunt en rentesperptuelles ? Cest un emprunt dont la gnration actuelle fait la dpense etquelle oblige, au moins pour la plus grande part, les gnrations futures

    acquitter. Or, cette dpense ne peut tre justifie que si lobjet auquel ellesapplique est manifestement utile tous ceux qui sont appels en supporterles frais. Si elle nest pas de nature procurer aux gnrations futures unbnfice suprieur ou au moins gal la charge quelle leur impose, elleconstitue un acte de spoliation leur dtriment, et elles ont le droit de refuser lepaiement dune lettre de change dont elles nont pas reu la contre-valeur. Maisle jour o les dettes contractes pour des entreprises nuisibles courront le risquedtre rpudies par la postrit quelles accableront de leurs poids, la source la

    plus abondante laquelle salimentent les guerres de ltat moderne ne sera-t-elle pas tarie ?

    On voit, en dernire analyse, que lextension anormale de ltat moderne et sespratiques nuisibles tiennent, avant tout, lignorance de ceux qui lui fournissentses moyens de subsistance et daction. La rforme de ltat se rsout donc enune question dducation. clairer lopinion du monde civilis sur lesattributions et la conduite utile de ltat, voil quelle doit tre luvre

    essentielle des rformateurs. Lopinion claire, il suffira de la laisser faire.

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    Notions fondamentales dconomie politique et programme conomique[1891], Chapitre VII :Les mthodes socialistes et la mthode conomique.

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    3.Rponse aux dtracteurs de lconomie politiqueDaprs ce que je viens de dire, on peut apprcier aisment toute lutilit de

    ltude de lconomie politique. Cependant, chose qui fait assurment peudhonneur au sicle o nous vivons, cette utilit a t conteste. On a ni lesservices que lconomie politique a dj rendus la socit, depuis lpoque,encore si rapproche, de sa naissance, et lon a soulev contre elle,particulirement au nom de la religion et de la morale, les accusations les plusgraves. Je rpondrai dabord ces accusations plus ou moins sincres, et jetcherai de dmontrer qu tous les points de vue les hommes ne peuvent quegagner connatre le mcanisme de la socit.

    Je me placerai premirement au point de vue lev de la religion, parce que cesten invoquant les croyances religieuses quon a port lconomie politique lescoups les plus redoutables. Il y a quelques annes, un orateur clbre, M.Donoso Corts, lanait, du haut de la tribune espagnole, un fougueuxrquisitoire contre lconomie politique quil accusait de dtourner les mes versdes objets indignes de leur sublime essence et de troubler la socit enprsentant aux hommes un idal de bonheur qui ne saurait tre ralis sur laterre. M. Donoso Corts considrait lconomie politique comme une scienceessentiellement hostile la religion aussi bien qu la morale, et jai le regret dedire que beaucoup desprits religieux partagent encore cet gard les prjugsde lorateur espagnol.

    Cependant, pour peu que lon se donne la peine dtudier lconomie politique,on ne tarde pas sapercevoir que rien nest fond dans les accusations de M.Donoso Corts. Lconomie politique apparat, au contraire, comme une scienceessentiellement religieuse en ce quelle donne, plus quaucune autre peut-tre,

    une ide sublime du suprme ordonnateur des choses. Permettez-moi de faire, ce sujet, un simple rapprochement. Il y a deux ou trois sicles, on se mfiait delastronomie, on ne voulait pas entendre parler du systme de Copernic et loncondamnait Galile, comme ayant port atteinte aux vrits religieuses, parcequil soutenait lhrsie de la rotation de la terre. Or, je le demande,lastronomie, au point o lont porte les travaux des Kepler, des Copernic, desGalile, des Newton, ne nous donne-t-elle pas de la puissance divine une ideplus vaste et plus haute que celle qui ressortait des croyances errones et des

    hypothses plus ou moins saugrenues des astronomes de lantiquit ? Les

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    anciens navaient, vous le savez, aucune ide prcise de lloignement ni de ladimension des toiles, ils croyaient que la vote du ciel tait solide, et les plushardis supposaient que le soleil tait une masse de fer chaud, grande comme lePloponnse. Leur hardiesse scientifique nallait pas au del. Eh bien ! quand les

    astronomes modernes ont recul les limites du ciel, quand ils ont dcouvert, dansses profondeurs jusqualors inexplores, des millions de mondes inconnus ;quand ils ont reconnu les lois en vertu desquelles ces mondes se meuvent dansun ordre ternel, nont-ils pas contribu donner une ide plus sublime delintelligence qui prside larrangement de lunivers ? Nont-ils pas agrandilide de Dieu ? Nont-ils pas, du mme coup, rabaiss lorgueil humain, enrduisant de plus humbles proportions la place que lhomme occupe dans lacration ? La terre a cess dapparatre comme le centre de lunivers ; elle na

    plus figur qu un rang infrieur dans lchelle des mondes, et lhomme a drenoncer lorgueilleuse satisfaction de se croire lun des personnages les plusimportants de la cration. Dieu est devenu plus grand et lhomme plus petit. Aupoint de vue religieux, tait-ce un mal ?

    Si lastronomie a mis sous les yeux de lhomme, un tableau plus grandiose de lapuissance divine, lconomie politique, son tour, me semble destine luidonner une ide meilleure de la justice et de la bont de la Providence. Avant

    que les doctrines conomiques se fussent rpandues dans le monde, commentlorganisation sociale tait-elle comprise ? De quelle manire pensait-on quechacun pouvait prosprer, senrichir ? On tait gnralement convaincu quelantagonisme prsidait aux relations des hommes. Dans lantiquit, on avaitcoutume de dire : homo homini lupus, lhomme est le loup de lhomme. Plustard, Montaigne rptait avec ses contemporains : le profit de lun fait ledommage de lautre ; et cette maxime apparaissait comme un axiome emprunt la sagesse exprimentale des nations. On ne croyait pas que lauteur des choses

    se ft ml de lorganisation de la socit. On croyait quil lavait abandonne je ne sais quel hasard malfaisant, et lon considrait le monde comme une espcede bagne o la force et la ruse dominaient ncessairement, fatalement, quand lebton du garde-chiourme ny venait point mettre le hol. On pensait que les

    jouissances des uns taient invitablement achetes au prix des souffrances desautres, et lon ne voyait parmi les hommes que des spoliateurs et des spolis, desfripons et des dupes, des bourreaux et des victimes. Voil ce quon pensait de lasocit quand les conomistes ont commenc en tudier le mcanisme. Eh

    bien ! quont-ils fait ces conomistes, dont quelques esprits prvenus repoussentles doctrines au nom de la religion ? Ils se sont efforcs de dmontrer que la

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    Providence na pas abandonn lhumanit aux impulsions aveugles du hasard.Ils se sont efforcs de dmontrer que la socit a ses lois providentielles, loisharmonieuses qui y font rgner la justice comme les lois de la gravitation fontrgner lordre dans lunivers physique. Ils se sont efforcs de dmontrer que

    lantagonisme nest point la loi suprme des relations sociales ; mais que lemonde est soumis, au contraire, une invitable loi de solidarit ; quaucunhomme ne peut souffrir sans que sa souffrance rejaillisse, se rpercute parmi sessemblables, comme aussi que nul ne peut prosprer, sans que sa prospritprofite dautres hommes. Telle est la loi que les conomistes ont entrepris desubstituer au vieil antagonisme de lantiquit paenne. Nest-ce pas, je ledemande, une loi plus morale, plus religieuse, plus chrtienne ? Ne nous donne-t-elle pas une ide meilleure de la Providence ? Ne doit-elle pas contribuer

    nous la faire aimer davantage ? Si, en tudiant les uvres des Kepler et desNewton, on voit sagrandir la puissance divine, en observant, dans les livres desSmith, des Malthus, des Ricardo, des J.-B. Say, ou mieux encore, dans la socitmme, les lois harmonieuses de lconomie sociale, ne doit-on pas se faire uneide plus sublime de la justice et de la bont de lternel ordonnateur deschoses ?

    Voil quels sont, au point de vue religieux, les rsultats de ltude de lconomie

    politique. Voil comment lconomie politique conduit lirrligion.Le reproche que lon adresse aux conomistes, de flatter les apptits matriels delhomme, est-il mieux fond ?

    Ce reproche peut tre adress, non sans raison, certaines coles socialistes,mais il ne saurait sappliquer lconomie politique. Car si les conomistesconstatent que les hommes ont satisfaire des apptits matriels, ce quon nesaurait nier, je pense, aucun deux na jamais enseign que la prdominance dt

    appartenir ces besoins infrieurs de notre nature. Aucun deux na engag leshommes soccuper uniquement du soin de se nourrir, de se vtir et de se loger.Aucun deux ne leur a conseill de se faire un dieu de leur ventre. Tous ont tenusoigneusement compte des besoins moraux, et ils ont rang au nombre desrichesses, les choses qui pourvoient la satisfaction de ce genre de besoins. Lesproduits immatriels, tels que lenseignement et le culte, ont t considrs pareux comme des richesses, au mme titre que les produits composs de matire.Seulement, les conomistes nont pas pens quil ft raisonnable de jeter

    lanathme sur ceux-ci, non plus que sur les besoins auxquels ils pourvoient.Tout en reconnaissant que lhomme est pourvu dune me ils se sont dit quil

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    possde un corps aussi, un corps quil est tenu de conserver en bon tat, danslintrt mme de lme laquelle ce corps sert dtui.

    Lconomie politique est si peu en dsaccord avec la saine morale quune de ses

    plus belles dmonstrations, celle qui concerne la formation des capitaux, reposeprcisment sur lintervention des facults morales de lhomme. En effet, lescapitaux sont les fruits du travail et de lpargne, et quest-ce que lpargne,sinon un sacrifice quimpose lesprit de prvoyance et qui ne peut tre accompliquavec lauxiliaire dune force morale assez grande pour rsister auxsollicitations pressantes des apptits purement matriels ? Lorsque cette forcemorale fait dfaut ou quelle nest point suffisamment dveloppe, les capitauxne se forment point, et la production, dont ils sont les agents indispensables,

    demeure stationnaire. Les travaux qui ont pour objet de cultiver et deperfectionner le moral de lhomme nont donc pas moins dimportance aux yeuxde lconomiste, que ceux qui le rendent aptes exercer une profession ou unmtier. Le prtre, linstituteur, et avant eux, la mre et le pre de famille quicomprennent et remplissent leurs devoirs envers les tres dont ils sont les tuteursnaturels, contribuent former, en dveloppant le moral des jeunes gnrations,le plus puissant des vhicules de la multiplication des richesses. Cest ainsi quelconomie politique est en dsaccord avec la morale.

    Lconomie politique peut tre encore considre comme un instrument efficacede conservation sociale. Je viens de dire quavant que les notions conomiqueseussent commenc se rpandre, la croyance lantagonisme des intrts taituniverselle. On tait convaincu que ce que lun gagnait, lautre devaitinvitablement le perdre ; do lon tait amen conclure que le riche navaitpu faire fortune quau dpens du pauvre, et que la richesse accumule danscertaines mains tait un vol fait au reste de la communaut. Cette fausse notiondu mcanisme de la socit ne conduisait-elle pas droit au socialisme ?

    Sil tait vrai, en effet, que la socit se trouvt abandonne aux impulsionsaveugles du hasard ; sil tait vrai que la force et la ruse fussent dans le mondeles souveraines dispensatrices du bien-tre, il y aurait lieu, assurment, dorganiser une socit ainsi livre lanarchie. Il y aurait lieu de fairergner lordre la place de ce dsordre, la justice la place de cette iniquit. Sila Providence avait omis dorganiser la socit, il faudrait bien quun homme secharget daccomplir une uvre si ncessaire. Il faudrait quun homme se fit

    Providence.

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    Or il ny a pas au monde, remarquons-le bien, duvre plus attrayante que celle-l ; il ny en a pas qui puisse davantage sduire notre amour-propre et flatternotre orgueil. On parle souvent de la satisfaction orgueilleuse quprouve lematre dun grand empire en voyant tant de cratures humaines obir ses lois et

    se courber sur son passage. Mais cette satisfaction, si tendue quon la suppose,peut-elle se comparer celle dun homme qui rebtit sa guise, sur un modletir de sa propre imagination, la socit toute entire ? dun homme qui peut setenir lui-mme ce langage superbe : La socit est un foyer danarchie. LaProvidence na pas voulu lorganiser ou peut-tre mme ne la-t-elle pas pu ! etdepuis lorigine du monde ce grand problme de lorganisation du travail estdemeur lnigme du sphinx quaucun lgislateur na su deviner. Eh bien ! ceproblme, moi je lai rsolu ; cette nigme, moi je lai devine. Jai donn la

    socit une base nouvelle. Je lai organise de telle sorte quelle ne peutmanquer dsormais de goter une flicit parfaite. Jai russi par la seule forcede mon gnie mener bonne fin cette uvre gigantesque. Il ne reste plus quappliquer mon plan pour transformer notre valle de misre en un Eldorado ouun pays de Cocagne.

    Lhomme qui croit avoir accompli une telle uvre, doit se regarder assurmentcomme un gnie extraordinaire. Il doit sestimer bien suprieur tous les

    hommes qui ont paru avant lui sur la terre et presque lgal de Dieu lui-mme.Na-t-il pas, en effet, complt, perfectionn luvre de Dieu ? Aussi, tous lesutopistes sont-ils possds dun orgueil incommensurable. Fourier, par exemple,nhsitait pas affirmer que tous les philosophes et tous les lgislateurs, sansparler des conomistes, que lhumanit avait commis la folie de prendre pourguides, lavaient misrablement gare ; que lon navait rien de mieux faireque doublier au plus vite leurs lois ou leurs prceptes, et de jeter au feu les400,000 volumes remplis derreurs et de mensonges dont ils avaient meubl les

    bibliothques ; en remplaant, bien entendu, ces livres inutiles ou malfaisantspar ses propres livres. Fourier dclarait encore, navement, quil se considraitcomme suprieur Christophe Colomb, et il avait pris pour emblme unecouronne impriale, convaincu que lhumanit reconnaissante le proclamerait un

    jour empereur des gnies.

    Voil jusquo a t pouss le dlire des rorganisateurs de la socit. Lorgueilsest gonfl comme une verrue monstrueuse sur ces intelligences quelquefois siremarquables, et il les a rendues difformes et repoussantes. On me dira : ces

    hommes sont fous ! Je le veux bien ; mais do provient leur folie, et comment

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    se fait-il que cette folie soit contagieuse ? Leur folie provient de ce quilspensent que la socit tant naturellement anarchique il y a lieu delorganiser. Cette folie est contagieuse, parce que la foule partage leur erreur ;parce que la foule est imbue de la croyance que la socit se trouve livre un

    aveugle antagonisme ; parce que la foule croit, comme Montaigne, que le profitde lun fait le dommage de lautre, et que les riches nont pu senrichir quauxdpens des pauvres.

    Mais cette ignorance de lorganisation naturelle de la socit, cette ignoranceprsente un danger srieux. Supposons que les masses fanatises par lutopierussissent faire tomber un jour entre leurs mains le gouvernement desnations ; supposons quelles usent de leur puissance pour mettre en vigueur des

    systmes qui blessent les conditions essentielles dexistence de la socit. Quenrsultera-t-il ? Cest que la socit se trouvera profondment atteinte dans saprosprit, dans son bien-tre. Cest quelle courra les mmes risques, cestquelle endurera les mmes souffrances quun malade qui aurait confi le soinde sa sant un marchand de vulnraire. Je sais bien que la socit possde unevitalit assez nergique pour rsister aux drogues les plus malfaisantes ; je saisbien que la socit ne saurait prir, mais elle peut cruellement souffrir etdemeurer longtemps comme si elle tait atteinte dune langueur mortelle.

    Remarquons encore ce qui arrive au sein dune socit que menacent lesdsastreuses exprimentations de lutopie appuye sur lignorance. Il arrive queles sources de la prosprit publique se tarissent par avance. Il arrive que la peurdu mal devienne presque aussi ruineuse que le mal mme. Alors, les intrts quise savent menacs sexasprent aprs stre alarms, et on les voit se rsoudreparfois aux sacrifices les plus durs pour se dbarrasser du fantme qui lesobsde. Pour se prserver du socialisme, on subit le despotisme.

    Voil pourquoi il est bon denseigner lconomie politique. Cest le seul moyendcarter ces terreurs qui servent de prtexte au despotisme, et peut-tre, disons-tout, qui le justifient. Lorsque les masses connatront mieux lesconditions dexistence de la socit, on cessera de craindre quelles nusent deleur puissance pour y porter atteinte. Elles en deviendront, au contraire, lesmeilleures gardiennes. On pourra confier alors leurs lumires ce dpt sacrdes intrts gnraux de la socit dont leur ignorance et leur crdulitcompromettraient aujourdhui lexistence. On pourra leur accorder des droits

    dont il serait imprudent de les gratifier au moment o nous sommes. Alors aussi

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    la socit deviendra vritablement inexpugnable, car elle disposera, pour sedfendre, de toutes les forces quelle recle dans son sein.

    Ainsi donc, lconomie politique est une science essentiellement religieuse, en

    ce quelle manifeste plus quaucune autre lintelligence et la bont de laProvidence dans le gouvernement suprieur des affaires humaines ; lconomiepolitique est une science essentiellement morale, en ce quelle dmontre que cequi est utile saccorde toujours, en dfinitive, avec ce qui est juste ; lconomiepolitique est une science essentiellement conservatrice, en ce quelle dvoilelinanit et la folie des thories qui tendent bouleverser lorganisation sociale,en vue de raliser un type imaginaire. Mais linfluence bienfaisante delconomie politique ne sarrte pas l. Lconomie politique ne vient pas

    seulement en aide la religion, la morale et la politique conservatrice dessocits, elle agit encore directement pour amliorer la situation de lespcehumaine. Voici de quelle manire :

    Quand on considre la socit, on demeure frapp des ingalits quelle recledans son sein, des richesses et des misres qui sy trouvent juxtaposes, desalternatives de prosprit et de dcadence qui sy prsentent : tantt le corpssocial apparat florissant de sant et de bien-tre ; tantt il semble prs desuccomber sous le faix des maux qui laccablent. Eh bien, que fait lconomie

    politique ? Elle remonte, par ses patientes analyses, aux sources du bien-tre etdu mal-tre du corps social ; elle divulgue les causes de la prosprit et de ladcadence des nations. Elle examine linfluence des institutions et des lois sur lacondition des masses et elle tudie, au mme point de vue, les passionshumaines. Elle signale aux nations les rformes quelles peuvent introduireutilement dans leurs institutions et elle encourage les hommes refrner leurspassions, corriger leurs vices, en mettant en lumire les rpercussions funestesmais trop souvent inaperues des passions et des vices de chacun sur la

    condition de tous.

    Ainsi, pour citer quelques exemples, ltude des lois de la production et ladistribution des richesses dmontre que les barrires artificielles dontlignorance et la cupidit se sont servies pour sparer les peuples, les monopoles,les privilges, les gros impts sont nuisibles aux intrts du plus grand nombre ;quils retardent la diffusion du bien-tre et les progrs de la civilisation. Que lesnotions conomiques se vulgarisent davantage ; que toutes les intelligences

    viennent tre pleinement difies sur les effets des barrires douanires, des

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    monopoles, des privilges et des gros impts, et lopinion aura bientt faitjustice de ces obstacles qui se dressent sur la route du progrs.

    Ainsi encore, ltude des lois conomiques dmontre que les intrts des peuples

    sont solidaires ; que chacun est intress la prosprit de tous. Que cette vritvienne tre universellement rpandue, que chaque nation acquire laconviction quen faisant tort aux autres elle se fait tort elle-mme, et la guerre,cette destruction systmatique des hommes et des capitaux, ne deviendra-t-ellepas, pour ainsi dire, impossible ? Naura-t-elle point pour adversaire laformidable coalition des intrts auxquels elle porte atteinte et qui saurontdsormais quel point elle leur est funeste ?

    Ainsi, enfin, lconomie politique fait voir quelle influence nfaste la

    satisfaction dsordonne de certains apptits exerce sur la condition de lespcehumaine. Elle enseigne, par exemple, quen se multipliant sans prvoyance, ensabandonnant linstinct qui les pousse se reproduire, sans avoir gard ltendue de larne ouverte leur activit, les hommes se prcipitent dans unabme de maux. Elle enseigne quaucun progrs ne saurait amliorerefficacement le sort dun peuple qui napporte aucune rgle, aucun frein sareproduction, et que limprvoyance est un crime que la Providence punit demort. Que cette connaissance des suites fatales de la satisfaction immodre

    dune de nos passions les plus vhmentes vienne se vulgariser, et les masses,dsormais instruites des calamits auxquelles elles sexposent en obissantaveuglment un apptit brutal, ne se montreront-elles pas plus disposes couter les conseils de la prvoyance en matire de population ? Lesgouvernements, leur tour, oseront-ils encore accorder des primes limprvoyance, en multipliant sans mesure les secours de la charit publique ?

    Lconomie politique peut donc exercer une influence considrable sur

    lamlioration progressive du sort du plus grand nombre, en engageant leshommes conformer leurs institutions et leurs actes aux lois immuablesauxquelles leur existence est soumise, lois dont lessence mme est lutilit et la

    justice. Que ses vrits deviennent pour tous les peuples des articles de foi, et lesobstacles dont lignorance, la cupidit, la fausse gloire, les passions infrieuresde lme humaine ont sem la route du progrs, saplaniront peu peu, lacondition des masses samliorera chaque jour dune manire plus sensible,enfin lhumanit marchera dun pas plus rapide et plus assur vers lidal de

    progrs, vers le summum de civilisation quil est dans sa destine datteindre.

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    Cours dconomie politique, vol. 1 [1854], Introduction de la seconde dition

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    4.conomie politique et moraleEn rsum, lespce humaine, comme les espces infrieures, est gouverne par

    des lois naturelles, qui assurent sa conversation et ses progrs, en lexcitant conomiser ses forces, et en donnant la survivance aux plus forts et aux pluscapables, cest--dire ceux qui ont le mieux obi la loi de lconomie desforces. Mais, avec cette diffrence que les espces infrieures, vgtales ouanimales, ne peuvent connatre les lois qui gouvernent leur existence, et nepeuvent intervenir que dans une faible mesure dans leur opration : vgtaux etanimaux naissent, se reproduisent et meurent sous lempire des lois delconomie des forces et de la concurrence, qui protgent lexistence de leur

    espce, mais en leur faisant acheter cette protection au prix dune dperditioncontinue de forces accompagne de souffrances. Lhomme, au contraire, peutreconnatre ces lois, et se gouverner de manire nen ressentir que les effetsbienfaisants. Il peut proportionner sa population ses moyens de subsistance etrgler de mme sa production et sa consommation des choses ncessaires lentretien de son existence, en vitant les dperditions et les souffrances que lanature inflige aux espces infrieures.

    Cependant, ce gouvernement de lhomme par lui-mme ne peut tre utile qu lacondition de saccorder avec celui de la nature et de lui servir dauxiliaire. Silcontrarie ou paralyse lopration des lois naturelles, il a pour effet invitabledenrayer les progrs de lespce, en affaiblissant limpulsion qui les dtermine.Laisser agir ces lois, sans diminuer leur nergie, aplanir les obstacles quientravent leur opration, rgler la conduite de chacun en vue de lobjectif deconservation et de progrs que la nature assigne lespce, tel est le but de lascience du gouvernement de lhomme par lui-mme. Cette science comprend, enpremier lieu, la connaissance des lois naturelles et de leur opration dans la

    production, la distribution et la consommation des forces vitales, en second lieu,la connaissance et la dlimitation de la sphre dactivit naturelle de chacun desindividus dont la collection et la succession constituent lespce, et des objetsncessaires de cette activit. Ces deux branches matresses de la science dugouvernement de lhomme par lui-mme sont lconomie politique et la morale,celle-ci partage son tour en deux branches : la connaissance du Droit et celledu Devoir.

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    Ainsi donc, lobjet de lconomie politique, cest dabord la connaissance deslois qui gouvernent la production, la distribution et la consommation des forcesvitales ou desvaleursinvesties dans les produits et les services ncessaires laconservation et au progrs de lespce humaine ; cest ensuite la connaissance

    des phnomnes qui se produisent sous limpulsion de ces lois, association etcombinaison des forces, division du travail, change, crdit, circulation, etc. ;cest enfin la connaissance des nuisancescauses par les obstacles quelimperfection de lhomme et du milieu opposent lopration utile des loisnaturelles et qui se manifestent par des dperditions de forces et de souffrancesinfliges lespce ; cest, en dautres termes, la connaissance de ce qui estconforme lintrt gnral et permanent de lespce et de ce qui est contraire cet intrt, en un mot, la connaissance de lUTILE. Tel est lobjet et telles sont les

    limites de lconomie politique.

    Lobjet de la morale, cest, en premier lieu, la connaissance de la sphrenaturelle dactivit de chacun des individus successifs qui composent lespce.Cette sphre dactivit est limite par celle dautrui. Elle contient les forcesvitales ou les valeurs que chacun a cres ou acquises, et qui constituent saproprit. Cette proprit, selon les objets dans lesquels sont investies lesvaleurs auxquelles elle sapplique, se partage en trois catgories : personnelle,

    immobilire et mobilire. Chacun est libre den user sa guise la condition dene pas empiter sur la libert dautrui. La connaissance de la proprit et de lalibert, dans leurs limites naturelles est lobjet de cette partie de la science de lamorale qui est dsigne sous le nom de Droit. En second lieu, la moraleconcerne lusage que chacun doit faire de sa proprit et de sa libert, dans leslimites de son droit. Cette seconde partie de la morale, comprend laconnaissance de la srie des obligations envers soi-mme et envers autrui, et dela mesure dans laquelle chacun doit les remplir pour se conformer lintrt

    gnral et permanent de lespce, et contribuer ainsi la fin qui lui est assigne.Cest la connaissance du Devoir. Considre dans ses deux branches, la moraleest la science de ce qui appartient chacun et de ce que chacun doit soi-mmeet autrui, en un mot, cest la science de la justice.

    Lconomie politique et la morale saccordent en ce que rien nest utile que cequi est juste. Do cette consquence que la rgle utile des actions humainescest la justice, et que lhomme narrive aux fins de lconomie politique que parla pratique et la morale.

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    Notions fondamentales dconomie politique et programme conomique(1891), CHAPITRE XI : La proprit et la libert. Accord de lconomiepolitique avec la morale.

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    5.L o les protectionnistes se trompentLCONOMISTE.

    Le libre change des produits est plus entrav encore que le libre change dutravail. Le commerce des biens immobiliers est soumis des formalitsvexatoires et coteuses, le commerce des objets mobiliers est grev outotalement empch par divers impts indirects, notamment par les octrois et lesdouanes.

    Permettez-moi de laisser de ct, pour le moment, les lois restrictives qui ontlimpt pour objet, et de moccuper de celles qui ont t tablies principalement

    pour entraver.

    Je veux parler des douanes.

    LE CONSERVATEUR.

    Les douanes nont-elles pas t tablies en vue de limpt ?

    LCONOMISTE.

    Quelquefois, mais rarement. Le plus souvent, les douanes ont t instituesuniquement pour faire obstacle aux changes.

    LE SOCIALISTE.

    Cest le systme protecteur.

    LCONOMISTE.

    Or le systme protecteur prdomine dans tous les pays civiliss, sauf peut-tre

    en Angleterre et aux tats-Unis, o la douane tend devenir purement fiscale.Partout les douanesfiscales, celles qui nont dautre but que de remplir lescoffres du Trsor public sont violemment combattues par les partisans dusystme protecteur. Ceux-ci veulent quon carte lintrt du Trsor dans laquestion des douanes pour soccuper exclusivement de ce quils appellent lesintrts de lindustrie.

    LE CONSERVATEUR.

    Ces deux intrts sont-ils donc contradictoires ?

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    LCONOMISTE.

    Quand on se place au point de vue du systme protecteur, oui. En 1822, M. deBourrienne, rapporteur de la loi relative limportation des fers trangers,

    signalait clairement et acceptait pleinement cette opposition Un pays, disait-il, o les droits de douane ne seraient quun objet de fiscalit,marcherait grands pas vers sa dcadence ; si lintrt du fisc lemportait surlintrt gnral, il nen rsulterait quun avantage momentan que lon payeraicher un jour.

    Un pays peut jouir dune grande prosprit et avoir peu de produits dedouane ; il pourrait avoir de grandes recettes de douanes et tre dans un tat de

    gne et de dprissement ; peut-tre pourrait-on prouver que lun est laconsquence de lautre.

    Les droits de douane ne sont pas un impt cest une prime dencouragementpour lagriculture, le commerce et lindustrie ; et les lois qui les tablissentdoivent tre des lois quelquefois de politique, toujours de protection, jamaisdintrt fiscal.

    Les douanes ne devant pas tre dans lintrt du fisc, limpt qui rsulte du

    droit nest quaccessoire. Une preuve que limpt en fait de douane nest quaccessoire, cest que ledroit lexportation est presque nul, et que le lgislateur, en frappant dun droit limportation, certain objets, a pour but quil nen entre point ou le moinspossible. Laugmentation ou la diminution du produit ne doit jamais larrter.

    Si la loi qui vous est soumise amne une diminution dans le produit desdouanes, vous devez vous en fliciter. Ce sera la preuve que vous aurez atteint le

    but que vous vous proposez, de ralentir des importations dangereuses et defavoriser des exportations utiles.

    Le but dont parle M. de Bourrienne a t parfaitement atteint en France. Notretarif est essentiellement protecteur. Nos lois de douanes ont t tablies demanire empcher, autant que possible, les marchandises trangres dentreren France. Or, des marchandises qui nentrent pas ne payent pas de droit,comme la spirituellement prouv lauteur des Sophismes conomiques,M. Bastiat. Un tarif protecteur doit tre le moins productif possible, pouratteindre le but quil se propose.

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    Un tarif fiscal doit tre, au contraire, le plus productif possible.

    LE CONSERVATEUR.

    Mais si un tarif protecteur nuit dun ct aux intrts du Trsor, dun autre ct

    il les sert bien davantage en protgeant lindustrie nationale contre laconcurrence trangre. La protection comble la diffrence qui existenaturellement entre les prix de revient de certaines denres lintrieur et lesprix de leurs similaires ltranger.

    LCONOMISTE.

    Cest la doctrine de M. de Bourrienne. Nous verrons bien tout lheure si elleremplit son objet. Mais dabord je remarquerai que les douanes nont t

    tablies, dans les trois derniers sicles, ni pour remplir les coffres du Trsor nipour galiser les prix de revient des produits nationaux avec ceux des produitstrangers.

    Pendant longtemps, a t une opinion gnralement rpandue que la richessersidait seulement dans lor et largent. Chaque pays sest donc ingni rechercher les moyens dattirer lor tranger, et, aprs lavoir attir, delempcher de sortir. On a imagin pour cela dencourager lexportation des

    denres nationales, et dentraver limportation des denres trangres. Aux yeuxdes thoriciens du systme, la diffrence devait invitablement se payer en or ouen argent. Plus cette diffrence tait forte, plus la nation senrichissait.

    Lorsque les exportations dpassaient les importations (ou du moins lorsquoncroyait quelles les dpassaient) on disait quon avait la balance du commerceen sa faveur.

    Le systme se nommait systme mercantile.

    LE CONSERVATEUR.

    Vous prenez les choses de bien haut. Sachez donc que les partisans clairs dusystme protecteur rpudient aujourdhui, comme vous, les illusions de labalance du commerce. Vous ne verrez jamais, en Angleterre, les dfenseurs dela protection sappuyer sur la balance du commerce. Si nous confondions lesystme protecteur avec le systme mercantile, ferions-nous donc une distinctionentre les produits similaires et les produits non similaires ? Si nous nous

    proposions pour but dattirer les mtaux prcieux dans le pays et de les

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    empcher den sortir, ne prohiberions-nous pas indistinctement toutes lesdenres trangres, afin de recevoir seulement de lor et de largent en change ? Nous nous contentons, vous le savez, de faire la guerre aux similaires, etencore pas tous ! Nous admettons volontiers les produits infrieurs aux ntres.

    LCONOMISTE.

    La gnrosit nest pas grande, avouez-le. Je ne vous ai pas dit que le systmemercantile se confondt avec le systme protecteur, je vous ai dit quil en tait lepoint de dpart. On commena par entraver limportation des marchandisestrangres, afin dimporter plus dor et dargent. Plus tard on pensa que ce butserait plus promptement atteint encore, si lon excitait le dveloppement desindustries dexportation. On favorisa, en consquence, par des prohibitions et

    des primes, cette catgorie dindustries. On employa les mmes procds pourimplanter de nouvelles industries dans le pays.

    LE CONSERVATEUR.

    Cest cela.

    LCONOMISTE.

    On voulait dlivrer la nation du tributquelle payait ltranger pour lesproduits de ces industries. Ce fut Colbert qui dveloppa et perfectionna de lasorte le systme mercantile.

    LE CONSERVATEUR.

    Le grand Colbert ! le restaurateur de lindustrie franaise !

    LCONOMISTE.

    Je dirais plus volontiers le destructeur de lindustrie franaise.

    Vous voyez donc que le systme mercantile a engendr la protection. Le plussouvent, la vrit, la thorie de la balance du commerce na t invoque quecomme prtexte. Si la protection appauvrissait les masses, elle enrichissaitcertains industriels

    LE SOCIALISTE.

    Cela se conoit. Si le prix des choses augmente en progression gomtrique

    lorsque lapprovisionnement diminue en progression arithmtique, les

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    industriels qui obtenaient lexclusion des produits de leurs concurrents trangers,devaient raliser des bnfices considrables.

    LCONOMISTE.

    Ils les ralisaient en effet. Aussi, la plupart de nos grandes fortunes industriellesdatent-elles de ltablissement des principaux droits protecteurs.

    LE CONSERVATEUR.

    Selon vous, nos industriels seraient donc redevables de leur fortune la seuleprotection de la loi. Leur travail ne mritait apparemment aucune rmunration.

    LE SOCIALISTE.

    Leur travail mritait la rmunration quil obtenait naturellementavantltablissement des droits protecteurs. On nattaque point ce bnfice lgitime ;on attaque le gain ralis abusivement, frauduleusement, grce aux droitsprotecteurs.

    LE CONSERVATEUR.

    Frauduleusement !

    LCONOMISTE.

    Le mot est trop vif. Sans doute les industriels qui invoqueraient la thorie de labalance du commerce se proccupaient, en ralit, fort peu des rsultatsgnraux de cette thorie. Ils navaient gure en vue que les avantagesparticuliers quils pouvaient en tirer

    LE CONSERVATEUR.

    Quen savez-vous ?LCONOMISTE.

    Je vous en fais juge. Vous aviseriez-vous jamais de solliciter une loi qui nefavoriserait point votre intrt particulier.

    LE CONSERVATEUR.

    Non sans doute. Mais je ne solliciterais pas non plus une loi qui favoriserait mon

    intrt particulier aux dpens de lintrt gnral.

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    LCONOMISTE.

    Jen suis convaincu. Voil pourquoi je repousse ce motfrauduleusement. Lesindustriels dautrefois demandaient des droits protecteurs en vue daugmenter

    leurs profits ; mais le systme mercantile, en recommandant la protection, ne lesmettait-il pas en rgle avec leurs consciences ?

    LE SOCIALISTE.

    Si le systme mercantile tait faux, la masse de la nation sen trouvait-elle moinsspolie ?

    LCONOMISTE.

    Mon Dieu ! combien de gens seraient spolis si les thories du socialismevenaient tre appliques. Cependant il y a de fort honntes gens parmi lessocialistes.

    LE SOCIALISTE.

    Je nadmets pas cette assimilation. Les industriels qui invoquaient les sophismesdu systme mercantile se proccupaient uniquement de leur intrt priv ; leursyeux lintrt gnral ntait quun prtexte ou une formule vide de sens. Nous

    autres, au contraire, nous navons en vue que lintrt gnral.

    LCONOMISTE.

    Sil en est ainsi, si lintrt de lhumanit seul vous pousse rclamer desmesures, dont lapplication serait funeste lhumanit, vous tes, en effet, plusexcusables que les industriels en question. Mais oseriez-vous bien affirmer quevous nobissez aucune impulsion de la vanit, de lorgueil, de lambition oude la haine ? Vos aptres, sont-ils tous galement doux et humbles de cur ?

    Les industriels qui rclamaient ltablissement des droits protecteurssappuyaient sur le systme mercantile. Si lon mabandonne ce systme, onconvient donc quils taient dans le faux ?

    LE CONSERVATEUR.

    Entendons-nous. Je condamne, en effet, le systme mercantile. Je ne crois pas la balance du commerce. Cest une vieille erreur conomique. Mais rsulte-t-il

    de l que les industriels eussent tort de demander des droits protecteurs ?

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    LCONOMISTE.

    La consquence me parat assez logique. Si ces industriels qumandeurs deprotection avaient eu de bonnes raisons mettre en avant, pourquoi se seraient-

    ils servis dune mauvaise ?LE SOCIALISTE.

    Cest juste !

    LE CONSERVATEUR.

    Doucement. Je nadmets pas le systme mercantile dans toutes ses exagrations,mais ce systme ne contient-il pas aussi quelques vrits ? Le numraire ne

    constitue pas toute la richesse, sans doute, mais nest-ce pas une partieimportante de la richesse ? Une nation ne sexpose-t-elle point descatastrophes pouvantables, lorsquelle se laisse puiser de numraire ? Lesystme protecteur la prserve de ces sinistres dsastreux, en empchant desimportations exagres de produits trangers.

    Selon vous, la protection a pour rsultat unique de permettre aux industrielsnationaux de vendre gros bnfices des marchandises quils vendaientauparavant petit bnfice. Mais vous avez oubli de dire que la protection, enimplantant de nouvelles industries dans le pays, affermit lindpendancenationale, et donne un emploi fructueux des capitaux et des bras auparavantinactifs ; vous avez oubli de dire que la protection accrot la puissance et larichesse dun pays.

    LCONOMISTE.

    Vous venez dexposer les trois principaux arguments du systme protecteur.Permettez-moi de laisser le premier de ct ; je le reprendrai lorsque nous nousoccuperons de la monnaie. Quant largument de la dpendance de ltranger, ila t cent fois perc jour. Et vous-mme, si vous repoussez la thorie de labalance du commerce, si vous admettez que les produits sachtent avec desproduits, ne devez-vous pas admettre aussi quentre deux nations, trafiquantensemble, la dpendance est mutuelle ?

    LE CONSERVATEUR.

    Il faut tenir compte de la nature des denres changes. Est-il prudent, parexemple, de dpendre de ltranger pour une denre de premire ncessit ?

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    LCONOMISTE.

    LAngleterre est, vous en conviendrez, une nation essentiellement prudente.Cependant lAngleterre sest volontairement expose dpendre de la Russie et

    de lUnion amricaine, ses deux grandes rivales, pour ses approvisionnementsde bl. Cest apparemment quelle na pas considr largument de ladpendance de ltranger comme bien valable. Je crois inutile dinsister sur cepoint

    Je passe votre troisime argument qui a beaucoup plus de valeur, et dont larfutation est bien plus difficile. Vous dites que le systme protecteur, endterminant limportation de certaines industries, a augment lemploi descapitaux et des bras, et dvelopp ainsi la richesse nationale.

    LE CONSERVATEUR.

    Cela me parat incontestable, et puisque vous aimez les exemples je vais vous enciter un. LAngleterre tirait autrefois ses cotonnades de lInde. Un jour, elleimagina de prohiber les indiennes. Quarriva-t-il ? Le march se trouvantdgarni de la plus grande partie de ses approvisionnements ordinaires, lafabrication et la vente des cotonnades indignes donnrent aussitt de grosbnfices. Les capitaux et les bras sy portrent en masse. LAngleterre, qui

    produisait nagure peine quelques milliers de yards de cotonnades, en fabriquades milliards. Au lieu de quelques centaines de fileurs et de tisserands enchambre, elle en eut des milliers qui peuplrent dimmenses manufactures. Sarichesse et sa puissance saccrurent soudainement dans des proportions normes.Oserez-vous prtendre, aprs cela, que la prohibition des fils et des cotonnadesde lInde ne lui a pas t avantageuse ?

    LE SOCIALISTE.

    Mais, dun autre ct, les Indiens, qui perdirent le dbouch de lAngleterre,furent ruins. Des millions dhommes se trouvrent privs douvrage sur lesrives de lIndus et du Gange. Tandis que les manufacturiers de Manchester

    jetaient les assises de leurs fortunes colossales, tandis que les ouvriers attirs pardes salaires inusits, affluaient vers cette mtropole nouvelle de la manufacturede coton, les ateliers de lInde tombaient en ruine, et les ouvriers indous taientmoissonns par la misre et la famine.

    LCONOMISTE.

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    Le fait est vrai. Le dbouch des fileurs et des tisserands de lInde venant sefermer, ces ouvriers furent obligs de se rabattre sur les autres branchesdindustrie. Malheureusement, celles-ci se trouvaient dj suffisammentpourvues de bras. Le taux de salaires dans lInde baissa donc au-dessous des

    frais de production du travail, cest--dire au-dessous de la somme ncessaire louvrier pour se maintenir et se perptuer. Il baissa jusqu ce que la misre,la famine et les pidmies, qui sont leurs insparables compagnes, ayant fait leuroffice, lquilibre entre loffre et la demande des bras commena se rtablir etle salaire remonter.

    LE SOCIALISTE.

    Ainsi la prosprit des manufacturiers anglais eut pour marchepied les cadavres

    des travailleurs de lInde.

    LE CONSERVATEUR.

    Que voulez-vous ?Le profit de lun fait le dommage de lautre, disaitMontaigne.

    LE SOCIALISTE.

    Si le systme protecteur ne peut stablir sans ce funbre cortge de ruines et demisres, cest un systme immoral, odieux. Je le repousse.

    LE CONSERVATEUR.

    Mon Dieu ! si la Providence navait fait de lhumanit tout entire quune seulenation, un systme qui abaisserait certains membres de cette nation immensepour en lever dautres, qui ruinerait les Indous pour enrichir les Anglais, cesystme pourrait tre, en effet, qualifi dimmoral et dodieux. Mais laProvidence na pas plac quun seul peuple dans le monde ; elle a sem lesnations comme des grains de bl, en leur disant : Croissez et prosprez ! Maintenant que les intrts de ces nations diverses soient divers et opposs, cestun malheur, mais quy faire ? Chaque peuple doit naturellement sattacher augmenter sa puissance et sa richesse. Le systme protecteur est un des moyensles plus nergiques et les plus srs quon puisse employer pour obtenir ce doublersultat. On se sert donc du systme protecteur ! Sans doute, il est fcheux dedpouiller les ouvriers trangers de leurs moyens dexistence. Mais lintrt duTravail National ne doit-il pas passer avant tout le reste ? Sil suffit dune simplemesure lgislative pour donner du travail et du pain aux travailleurs nationaux,

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    le lgislateur nest-il pas tenu dadopter cette mesure sans rechercher si leshabitants des bords du Gange ou de lIndus en souffriront ? Chacun ne doit-ilpas soccuper de ses pauvres avant de songer ceux dautrui ? Et si cet exempleest universellement suivi, si chaque nation adopte la lgislation qui convient le

    mieux ses intrts particuliers, toutes choses niront-elles pas, en dfinitive, lemieux possible ? Tous les peuples ne jouiront-ils pas de toute la somme deprosprit dont ils peuvent jouir ? Vous voyez donc que le systme protecteurnest immoral et odieux que lorsquon lexamine sa superficie. Vous voyezque les hommes dtat auraient grandement tort de prter les mains votre fauxcosmopolitisme.

    LCONOMISTE.

    M. Huskisson pronona un jour, au sein du Parlement anglais, ces parolesremarquables : Le systme protecteur est une invention dont le brevetcommence expirer ; il a dj perdu une grande partie de sa valeur, depuis quetoutes les nations sen sont empares. Il me suffira de commenter ces parolesde lun des plus illustres promoteurs de la libert commerciale en Angleterrepour dtruire vos objections.

    Quarriva-t-il, en effet, lorsque lAngleterre eut ravi, au profit des fabricants de

    Manchester et de leurs ouvriers, lindustrie des tisserands de Surate, de Madraset de Bombay ? Il arriva que toutes les autres nations, sduites par cet avantageapparent, voulurent leur tour, ravir des industries ltranger. La France, quine produisait quune partie du coton, de la laine, du fer, de la poterie, etc.,ncessaires sa consommation, voulut produire tout le coton, toute la laine, toutle fer, toute la poterie quelle pouvait consommer. LAllemagne et la Russie demme. Il ny eut pas jusquaux plus petits pays, la Belgique, la Hollande et leDanemark, qui ne cherchassent ravir des industries ltranger. Bref,

    lentranement vers le systme protecteur fut gnral.Ce qui en rsulta, vous le savez ! Il en rsulta que les ravisseurs dindustries sevirent, leur tour, ravir leur propre travail. LAngleterre, qui avait enlev lInde lindustrie des cotonnades, perdit, avec une partie de cette industriemme, plusieurs de ses autres branches de production. La France, qui avait ravi, lexemple de lAngleterre, plusieurs industries trangres, se vit ravir aussi unepartie des siennes. LAllemagne notamment se protgea, en guise dereprsailles, contre ses soieries, ses articles de modes et ses vins Vous

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    enleviez votre voisin une partie de ses dbouchs, il vous enlevait une partiedes vtres. Ctait un pillage universel.

    A lpoque o ce pillage dindustries soprait avec le plus dactivit, une

    brochure fort industrielle fut publie en Angleterre. On voyait, au frontispice,une vignette reprsentant une baraque de singes. Une demi-douzaine de singes,logs dans des compartiments spars, avaient devant eux leur pitance du jour.Mais, au lieu de manger en paix la portion que le matre de la mnagerie leuravait libralement servie, chacun de ces malfaisants animaux sefforait dedvaliser la part de ses voisins, sans sapercevoir que ceux-ci lui rendaient lapareille. Chacun se donnait beaucoup de peine pour ravir ses voisins unesubsistance quil pouvait prendre aisment devant lui, et une grande quantit

    daliments se perdaient dans la bagarre.LE CONSERVATEUR.

    Mais les plus forts ne devaient-ils pas avoir lavantage dans la lutte ? Nepouvaient-ils pas semparer de la part dautrui, tout en prservant la leur ?

    LCONOMISTE.

    Entre singes, la chose est possible ; elle ne lest pas entre nations. Aucune nation

    nest assez puissante pour dire aux autres : Je me protgerai contre vosindustries, mais je vous dfends de vous protger contre les miennes ; je vousravirai une partie de vos dbouchs, mais je vous dfends de toucher aux miens.Si une nation savisait de tenir un semblable langage, toutes les autressuniraient pour la mettre en interdit, et la coalition demeureraient certainementla plus forte.

    LE SOCIALISTE.

    De sorte quen fin de compte personne ne gagne ces dprdations mutuelles, etque les pillards y gagnent dautant moins que le pillage devient plus gnral.

    LCONOMISTE.

    Prcisment.

    LE CONSERVATEUR.

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    Mais lorsque le systme protecteur a t adopt par une nation, toutes les autresne sont-elles pas tenues de ladopter aussi ? Doivent-elles laisser piller leursindustries sans user de reprsailles ?

    LCONOMISTE.Ceci est un point dbattre.

    Mais je tiens, avant tout, compltement vous dmontrer que le systmeprotecteur a t nuisible au dveloppement gnral de la production.

    Examinons donc comment les choses se passaient lpoque o fut tabli lesystme protecteur. Chaque nation se procurait chez ses voisins une partie deschoses ncessaires sa consommation et leur fournissait dautres produits de

    retour.

    Quels produits fournissait-elle, et quels produits recevait-elle ?

    Elle fournissait les choses que la nature du sol et le gnie particulier de sesprotecteurs lui permettaient de produire avec le moins defforts ; elle recevait leschoses quelle naurait pu produire sans y consacrer plus defforts.

    Voil, nest-il pas vrai, quel devait tre ltat des changes internationaux avant

    la naissance du systme producteur ?

    LE SOCIALISTE.

    Cest la marche naturelle des choses.

    LCONOMISTE.

    Que fit le systme protecteur ? Augmenta-t-il la somme totale de la production ?Pas plus que les singes pillards de la brochure anglaise naugmentaient pas la

    somme de leurs provisions, en se drobant mutuellement leurs pitances. Jugez-en.

    LAngleterre drobait lInde lindustrie du coton ; si lAngleterre produisaitdautant plus, lInde produisait dautant moins. La France drobait lAngleterre une partie de lindustrie de lin ; si la France produisait dautantplus, lAngleterre produisait dautant moins. LAllemagne drobait la Franceune partie de lindustrie des soies ; si lAllemagne produisait dautant plus, la

    France produisait dautant moins Le systme protecteur navait donc et nepouvait avoir pour rsultat daugmenter la masse gnrale de la production.

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    Je dis, maintenant, que ce systme a eu et a d avoir pour rsultat dabaisser lamasse gnrale de la production.

    Voici comment :

    Pourquoi lAngleterre se protgeait-elle contre les cotonnades de lInde, lessoieries de la France et les draps de la Belgique ? Parce que ces denrestrangres envahissaient une partie de son march. Pourquoi lenvahissaient-elles ? Parce quelles taient, toutes diffrences de qualit compenses, meilleur march que leurs similaires anglais. Si elles navaient point t meilleur march, elles ne seraient pas entres en Angleterre.

    Cela pos, quel fut le premier rsultat de la loi qui interdit ces denres laccs

    du march anglais ? Ce fut de creuser un dficit factice danslapprovisionnement intrieur. Plus large tait ce dficit, plus haut devaitnaturellement slever le prix des marchandises indignes.

    Avant ltablissement du systme producteur, la consommation annuelle du drapen Angleterre tait, je suppose, de vingt millions daunes, dont ltrangerfournissait la moiti.

    LE SOCIALISTE.

    Comment lAngleterre pouvait-elle fournir le reste, si les draps trangers taient plus bas prix que les siens ?

    LCONOMISTE.

    Il y a une multitude de varits de la mme denre. Il y a, par exemple, un grandnombre de qualits de draps. LAngleterre fabrique certaines de ces qualits plus bas prix que la Belgique ; la Belgique en fabrique dautres plus bas prixque lAngleterre.

    Je reprends. Les draps trangers viennent tre prohibs en Angleterre.Lapprovisionnement tant rduit de moiti, de combien le prix va-t-il hausser ?Il haussera en progression gomtrique. Sil tait de 15 fr. laune, il pourramonter jusqu 60 fr.

    Mais lorsque le prix dune denre vient tout coup hausser, quarrivera-t-il ?A moins que cette denre ne soit de toute premire ncessit, auquel cas lademande ne saurait sensiblement baisser, la hausse du prix amne dans laconsommation une rduction plus ou moins considrable, selon la nature de la

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    denre. Si la demande de draps tait de vingt millions daunes quinze francs,elle ne sera gure que de quatre ou cinq millions daunes soixante francs. Leprix baissant alors, la demande haussera de nouveau. Ces fluctuations seprolongeront presque indfiniment. Toutefois, aprs avoir parcouru les

    degrs extrmes de lchelle, elles se rapprocheront successivement dun pointcentral, qui est la somme des frais de production du drap en Angleterre.

    Vous savez dj pourquoi les prix ne sauraient demeurer longtemps en dessus,ni en dessous des frais de production dune denre.

    Mais les frais de production des draps anglais sont plus levs que ceux desdraps trangers. Ils le sont et doivent ltre, sinon la protection seraitparfaitement inutile. Quand on peut vendre plus bas prix que ses concurrents

    on na pas besoin de protection pour les carter du march ; ils se retirent deux-mmes. Les frais de production des draps trangers tant de 15 fr., ceux desdraps anglais seront, je suppose, de 18 fr. Cest donc vers ce niveau que le prixdu drap gravitera dsormais en Angleterre. Mais, au prix de 18 fr. on consommemoins de draps quau prix de 15 fr. Si lon en consommait vingt millionsdaunes lpoque de la libre introduction, on nen consommera plus que seizeou dix-sept millions aprs la prohibition.

    LE CONSERVATEUR.Soit ! mais laugmentation de la production nationale qui aura mont de dixmillions daunes dix-sept millions ne compensera-t-elle pas, et au del, lalgre diminution de la consommation ?

    LCONOMISTE.

    La question nest pas l pour le moment. Le systme producteur a-t-il pourrsultat de diminuer ou daugmenter la production gnrale, voil la question.Or, si la production des draps anglais sest augments de sept millions, enrevanche celle des draps trangers a baiss de dix, ce qui fait bien, je pense, unediminution de trois millions dans la production gnrale.

    LE CONSERVATEUR.

    Oui, mais cette diminution nest que temporaire. Laugmentation dune industriedans un pays amne toujours un perfectionnement dans les procds defabrication. O le prix de revient tait de 18 fr., il tombe promptement 17, 16,

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    15 fr., et mme au-dessous. La consommation se relve alors au niveau o elletait avant la prohibition ; elle finit mme par le dpasser.

    LCONOMISTE.

    En attendant, je constate quil y a eu hausse dans le prix, diminution corrlativede la consommation, partant baisse de la production gnrale. Je constate que lesystme protecteur a eu et d avoir pour premier rsultat de diminuer laproduction gnrale. Cest un fait dsormais acquis la discussion.

    Je prtends, en outre, que la baisse gnrale de la production nest pasaccidentelle, temporaire, je prtends quelle est perptuelle entendons-nous,quelle dure autant que la protection mme.

    Pourquoi les industriels anglais ne produisaient-ils pas les vingt millions daunesde draps consomms dans leur pays ? Parce que ltranger produisait meilleurmarch, moins de frais, la moiti de ces vingt millions daunes.

    O est la raison de cette diffrence des frais de production dune mme denredun pays un autre ? Elle est dans les diffrences naturelles du climat, du sol,du gnie des peuples. Or, ces diffrences naturelles une loi de douanes lessupprime-t-elle ? Parce quon aura dcrt que les draps belges ou franais

    nentreront plus en Angleterre, aura-t-on donn aux producteurs anglais lesmoyens de fabriquer aussi bas prix et aussi bien ces qualits particulires dedraps ? La loi aura-t-elle dot le climat, les eaux, le sol, les travailleurs eux-mmes, des qualits ou des aptitudes ncessaires ce genre particulier deproduction ? Mais si la loi de douanes na pas opr cette transformationmerveilleuse, les varits de draps que lAngl