Berman Et Les Instruments Critiques de Traduction

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    Berman et les instruments critiques de traduction

    Fatemeh ESHGHI

    Maitre assistante, Universit Allameh [email protected]

    RsumPour la premire fois un philosophe traductologue, Antoine Berman,offre ses expriences bases sur lcole de la traduction des romantiques

    allemands. Ses cours sont publis plus tard dans un livre intitul Latraduction et la lettre ou lauberge du lointain(1999). Au contraire desthoriciens traditionnels qui voulaient la restitution embellissant du senset les analystes de certaines traductions concrtes, l'objectif de Bermanest de transformer la traduction dont la formulation date depuis Bergson.Il vise juger une traduction littraire par une vue critique au sens propreet particulier dans la ligne de Kant et de Benjamin, cest--dire latraduction base sur lexprience et la rflexion du traducteur dans le

    respect la lettre; un parcours qui claircit la notion de ltranger et deltranget, la correspondance loriginal et sa langue, et la ncessit

    de faire uvre dans le texte darrive au profit de la langue maternellelittraire suprieure par apport du niveau normal, prolonge dans les

    polyphonies des koinai. Or, le critique de traduction rend conscient letraducteur la polyphonie dialectale, cest--dire avoir le tact de laconnaissance de sa langue maternelle qui ne pourrait pas tre forcmentla langue nationale. Aussi, le pouvoir dhabiter, plus que ces deux

    langues cibles, sur ce que Berman appelle la langue Reineou unetroisime langue. Telle est la dimension explorer par le critique detraduction que nous allons tudier dans les limites de ces pages.

    Mots cls: Lettre, traduction littrale, exprience, rflexion, languematernelle.

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    IntroductionLa tche principale de Berman aura t de rendre la traduction tout lerespect et la profondeur de la critique littraire. Il a la mme passion pourla traduction que les romantiques vouaient la littrature.

    Dans la limite dun absolu critique de la traduction, Berman ne tient

    pas compte de thories traditionnelles ou danalyses de certaines

    traductions concrtes. Dans son discours, il ny a aucune sorte de thorie,mais plutt dexprience et de rflexion, deux facteurs essentiels dans laconnaissance des uvres traduites. Nous allons partager donc notre plan

    comme Berman dans son dernier livre, La traduction et la lettre oulauberge du lointain, en deux parties : dabord voir les traductionstraditionnelles comme une restitution embellissant du sens o letraducteur laisse le lecteur le plus tranquille possible, et fait quelcrivain aille sa rencontre. Ce concept refus est considr comme

    ethnocentrique, hypertextuel et platonicien. Ensuite, le contraire, o letraducteur laisse lcrivain le plus tranquille et fait que le lecteur aille sa

    rencontre. Une manire prfre chez le romantisme allemand, cultivantla langue maternelle par lincidence dune autre langue et dun autre

    monde. Il sagit de lanalyse de certaines grandes traductions littrales,

    afin de mieux cerner le travail sur la lettre insparable lacte detraduire, ds que sa figure sacre ait oublie dans le sens.

    Cette dmarche de Berman, formule par le respect la lettre danslexprience et la rflexion de la traduction, claircit semble-t-il, lanotion de ltranger et de ltranget, la correspondance loriginal et

    sa langue, et la ncessit de faire uvredans le texte darrive au profitde la langue maternelle en tant quune langue REINE.

    Exprience et lanalyseAntoine Berman (1942-1991), directeur du Collge International de

    philosophie et directeur du Centre de traduction et de terminologie de

    Jacques Amyot, est un penseur et un crivain important au sujet detraduction (prose et posie). DansLa traduction et la lettre ou laubergedu lointain, le critique cherche transformer la traduction dont laformulation remonte Bergson. Il marche dans lobjectif de pouvoir

    juger une traduction littraire par une vue critique au sens propre etparticulier dans la ligne de Kant et de Benjamin, cest--dire, latraduction sur la base de lexprience et de la rflexion sur ce que le

    traducteur a capt ou a saisi (Davreu, 1986, 20). En ralit, il a un autreplan lpreuve de la langue trangre, Lpreuve de l'tranger (1986)

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    o il y a question d'une recherche sur les chemins de Heidegger,Benjamin, Arandt jusquaux romantiques allemands et de l, en un seul

    mouvement au monde de la raison et du discours philosophique. Unepreuve continue de plus prs au plus loin, de Saint Jrme, Holderlainet Chateaubriand. Une recherche historique sur des images connues,enseigner le concept impartial de lcriture et de la rflexion. Il veut

    donner une importance particulire lacte de la traduction, la mmevaleur et la mme profondeur que cherche la critique littraire. Dans cetteobjective, Berman prcise ainsi son point de vue sur la traductionlittrale: Nous partons de laxiome suivant: la traduction est traduction

    de-la-lettre, du texte en tant quil est lettre. La lettre existe et inspire letraducteur elle nest pas le mot mais le lieu habit ou le mot perd sadfinition et o rsonne ltre-en-langue (Berman, 1999, 9).

    Dans ses recherches critiques, Berman respecte, commeSchleiermacher, les diffrentes mthodes de la traduction : lestraductions traditionnelles bases sur la comprhension et sonembellissement textuel en gnral. Et certaines traductions clairement

    privilgies par le romantisme allemand au XIXe sicle, qui ont faitbouger la mthode de la traduction et par l, lvolution de la langue

    maternelle. Ainsi, lensemble des expriences personnelles en traduction,tudes historique des grandes figures dans la matire, conceptualisationaussi sensible lcriture quau philosophe, constituent les lments

    principaux de ltude critique de la pense dAntoine Berman.

    Ncessit de lexprience dans la traduction

    Si critique veut dire, fondamentalement, dgagement de la vrit dunetraduction,alors il faut dire que la critique des traductions commence

    peine exister (Berman, 1995, 14). Pour le critique de la traduction,acqurir de lexprience, cest quelque chose d'invitable car la

    traduction est elle-mme lexpriencedes uvres, lexprience de leurs

    langues, et de leur essence. Sur cette ncessit d'exprience, voici ce quedit Heidegger :

    Faire une exprience avec quoique ce soit, cela veut dire: le laisservenir sur nous, quil nous atteigne, nous tombe dessus, nous renverseet nous rendre autre. Dans cette expression faire ne signifiejustement pas que nous sommes les oprateurs de lexprience; faire

    veut dire ici, comme dans la locution faire une maladie, passer

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    travers, souffrir de bout en bout, endurer, accueillir ce qui nous atteinten nous soumettant lui (1984, 143).

    Par cette ncessit de lexprience dans la traduction, nous

    comprenons une indpendance de savoir absolu qui nest ni une sous-littrature (comme la cru le XXesicle) ni une sous-critique (comme lacru le XIXesicle) (Berman, 1999, 16). Cette autonomie apparait depuisle Romantisme au XIXe sicle, en se distinguant par la rflexion de latraduction sur elle-mme partir de sa nature. Lexprience et la

    rflexion sont les principaux vocables de la pense philosophique deKant Hegel et Heidegger, concepts suivis par lidalisme allemand delpoque o la plus grande traduction occidentale depuis Schlegel,

    Holderlin, Schleiermacher, Goethe et Humboldt se fait jour. Egalementau XXesicle, Benjamin, Rosenzweig, Schadewaldt et autres, pensent la traduction dans le langage philosophique de la rflexion et delexprience. Cela veut dire, pour que lon arrive un bon rsultat dans la

    critique de la traduction aboutissant la traductologie, il fautncessairement senraciner dans la pense philosophique:

    Mais sil existe, dune autre faon, un langage de la vrit, o les

    ultimes secrets vers lesquels sefforce toute pense, sont conservssans effort et silencieusement, cette langue de la vrit est le vritablelangage. Et ce langage, dont le pressentiment et la descriptionconstituent la seule perfection que puisse esprer le philosophe, estjustement cach de faon intensive dans les traductions. La traduction,avec les germes quelle porte en elle dun tel langage, se situe mi-chemin de la cration littraire et de la thorie (Benjamin, 1971, 270).

    La traduction porte donc en elle un fondement de linterprtation qui

    nest son tour que laccomplissement de la traduction qui encore se tait.

    Cest ce que Heidegger affirme conformment leur essencelinterprtation et la traduction ne sont quune mme chose

    (Berman, 1999, 19). Par consquence, lambition de la traductologievisant la rflexion sur la totalit des formes existantes de la traductionaussi bien que le fondement de lexprience et de la rflexion, elle ne

    rentre pas dans une discipline objective mais fait partie d'une penseissue de lacte de traduire, comme lacte de philosopher. Bien que la

    traduction de certains textes, comme celles des textes bibliques parexemple, ne fait pas partie, premier vue, du champ de la philosophie etde linterprtation, cependant, le rapport fondamental de la traduction et

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    la lettre est un rapport primordial, dans la littrature enfantine: Latraduction est traduction de-la-lettre, en tant quil est lettre (Berman,1984, 25). Berman sait quil y a un bon nombre des traducteurs enOccident qui sont contre un tel rapport et ils regardent ddaigneusementle littralisme qui nest pas bien entendu le mot mot. C'est justement

    pour cela que Berman croit que la figure des critiques bases sur lacomprhension du texte et de lembellissement des uvres littraires,

    doit tre dtruite au nom de la liaison de la traduction lthique, la

    posie et la pense, matires directement attaches la lettre: La lettreest leur espace de jeu (Ibid., 26). Il suit la pense de Heidegger au sujetde la destruction des traductions traditionnelles reconnues commeethnocentrique, hypertextuelle, et platonicienne.

    Traduction ethnocentrique et traduction hypertextuelle

    Ce sont les formes que la majorit des traducteurs, des auteurs, desditeurs, des critiques ont considr depuis des sicles comme normaleset normatives de la traduction. Justement, ce genre de traduction est ciblede critique parce quelle adapte tout selon sa propre culture et rejettece qui est situ en dehors de celle-ci sous prtexte dune culture non

    comprhensive. Dans ce cas le traducteur impose sa culture et ne laissepas pntrer les formulations percutantes de lautre: Il nest pas unpome qui soit fait pour celui qui le lit, pas un tableau pour celui qui lecontemple, pas une symphonie pour ceux qui lcoutent (Benjamin,1971, 30). Lampleur des corrections, ajouts, suppressions, modificationssous couvert de transmissibilit opre une ngation systmatique deltranget de luvre trangre.

    La traduction ethnocentrique a t applique par les romains alorsquils avaient eux-mmes une culture de la traduction, car, au dbut deleur histoire, les auteurs romains crivaient en grec. Le christianisme desaint Jrme est tabli selon cette tradition, cest--dire le sens de La

    Bible est adapt par la culture paenne: La captation du sens affirmetoujours la primaut dune langue la fidlit au sens estobligatoirement une infidlit la lettre (Ibid., 34). Berman critique lestraducteurs qui croient que toute trace de la langue dorigine doit tredisparue, ou tre soigneusement dlimite ; que la traduction doit trecrite dans une langue normative (Ibid.). Dans ce cas le traducteur sesitue la place de lcrivain crivant dans la langue darrive.

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    Hypertextuelle est une traduction par imitation, parodie, pastiche,adaptation, plagiat ou tout autre espce de transformation formelle,

    partir dun texte dj crit. Il y a donc un rapport entre ethnocentrique et

    hypertextuelle. La notion dannexionniste des deux tendances dans la

    traduction fait la lettre morte de la lettre, car tout ce que lon fait est dans

    le but de la captation du sens au dtriment de la lettre. Par exemple auXVII et XVIIIesicles, lpoque desbelles infidles, la conception deVoltaire de la traduction de Hamlet: to be or not to be, that is thequestion par Demeure, il faut choisir, et passer linstant de la vie la mort et de ltre au nant, reprsente un bon exemple de la traductiontout fait hypertextuelle; texte traduit tantt librement tanttlittralement. Ce procd est souvent appliqu dans la traductionromanesque o lacte de transformation est inaperu. Pratique

    chaque fois une touche dans la phrase de luvre finit par produire un

    autre crivain (Berman, 1999, 39).Certes, ds quil y a la question sur la traduction de la captation de

    sens, la lettre est nglige si lexprience et la rflexion ne ragissent pas.

    Cette opration est lessence de lexaltation de la dmonstration de

    lunit des langues et de lesprit. Cette application entrane bien entendu,

    une souffrance et pour le traducteur et pour le texte mais cela vaut lapeine comme remarque Derrida :

    Un corps verbal ne se laisse pas traduire ou transporter dans une autrelangue. Il est cela mme que la traduction laisse tomber. Laissertomber le corps telle est mme lnergie essentielle de la traduction(LEcriture et la Diffrence, 312).

    Mais le corps se venge et il se montre dans beaucoup de traductionsethnocentrique et platonicienne, pratiques trs souvent en Europe.Chaque traducteur pourrait penser tre capable de se corriger enreprenant tout simplement sa conscience. Mais, Berman croit que cela ne

    suffit pas: Cest au travers dune destruction systmatique des thoriesrgnantes et dune analyse au sens la fois cartsien et freudien destendances dformantes exerces dans beaucoup de traductions que nous

    pourrons trouver lespace positif du traduire Cette analyse peut treregarde ou partie par partie au sens cartsien ou au sens

    psychanalytique freudien. Berman se rfre ce propos une lettre deFreud Flisse: Le dfaut de traduction est inhrent la traduction. Aquoi tient ce dfaut ? Quel est son fondement ? Pour rpondre cesquestions, il faut probablement une analytique du sujet traduisant, le

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    traducteur (Ibid., 50). Mais, il laisse cette approche psychanalytique dela traduction aux chercheurs analystes. Il se penche surtout vers les forcesdformantes examinant la prose littraire , domaine polylangagier(roman, essai, lettre, etc.). Par exemple, Don Quichotte rassemble la

    pluralit des langues espagnoles de son poque, du parler proverbialpopulaire (Sancho) la langue des romans chevaleresques ou des romanspastoraux. Cette prolifration des langues demande de la connaissancespcifique comme dans la traduction potiques (exemple les sonnets deShakespeare). La polylogie informe dans les romans doit donc trerespecte. Cest la raison pour laquelle, la connaissance des tendances

    dformantes qui cause la destruction de la lettre, est base selon Berman,sur treize lments analytiques:-La rationalisation :dtruit la vise de concrtude Elle a le rapportavec abstraction, gnralisation, les structures syntaxiques de loriginal

    par des substantifs, dinverser le rapport du formel en informel, delordonn etdu dsordonn. Un lment dlicat du texte en prose est la

    ponctuation: lordre du discours linaire ne doit pas tre dsordonn en

    diamtrale. La rationalisation dforme loriginal en inversant satendance de base (la concrtude) et en linarisation ses arborescences

    syntactiques (Berman, 1999, 54).-La clarification :Toute traduction doit clarifier tout ce qui concerne lemessage de la langue originale, comme dit Heidegger : Par latraduction, le travail de la pense se trouve transpos dans lesprit dune

    autre langue, et subit ainsi une transformation invitable. Mais cettetransformation peut devenir fconde car elle fait apparatre en unelumire nouvelle la position fondamentale de la question (Meschonnic,1973, 317-318). Cest--dire, si la transformation vise rendre clair ce qui nest pas clair ou ce que le texte dans loriginal a calcul en sous -entendu, ou la polysmie dun passage en monosmie, la clarification

    devient un corollaire de la rationalisation .

    -Lallongement:Il rejoint aux deux premires tendances, pour clarifiernous sommes obligs d'allonger le message. Lallongement, en outre,est un relchement portant atteinte la rythmique de luvre (Berman,1999, 56).-Lennoblissement: Cest le sommet de la traduction

    platonicienne, Lesthtique vient ici complter la logique de larationalisation: rendre le discours tout beau . Berman considre quechez les classiques franais, cet ordre tait trs courant (Ibid.). Autre

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    aspect de lennoblissement, cest le changement des passages jugs populaires en vulgaires ou loralit rurale en parler urbain.-Lappauvrissement qualificatif: Il renvoie au remplacement destermes, expressions, tournures, etc., de loriginal par des termes,

    expressions, tournures qui nont ni leur richesse sonore, ni leur richessesignifiante ou iconique comme les mots allusifs ou les mtaphoriques.-Lappauvrissement quantitatif: Il sagit de la dperdition lexicale.Dans la prose existe la prolifration de signifiants et de chanes(syntaxique) de signifiants. Si la traduction ne rend pas limage des

    signifiants non fixs, le texte traduit en quantit sera reconnu pauvre.-Lhomognisation: Le traducteur a la tendance arranger sur tous les

    plans le tissu de loriginal htrogne. Cette unification qui dpend deltre du traducteur, rend la traduction dfectueuse et elle couvre la

    majorit du systme de dformation.-La destruction des rythmes:Le roman, la lettre, et lessai ont autant derythme que la posie, mme parfois la tension entrelace dans lesrythmes demande encore plus de rflexion et de connaissance en lamatire. Lattaque aux ponctuations brise la coupure des phrasesncessaires du texte original, pareil lembellissement change la tonalit et

    le rythme mimique de la phrase.-La destruction des rseaux signifiants sous-jacents: Tout uvre

    possde un texte sous-jacent construit par des signifiants cls formantdes rseaux sous la surface du texte comme lune des faces de larythmique et de la signifiance de luvre. Par exemple, un auteurcomme Beckett emploie pour le domaine de la vision certains verbes,adjectifs et substantifs - pas dautres (Ibid., 62), une traductiontraditionnelle dtruit des groupes de signifiants.-La destruction des systmatiques :Elle concerne le type de phrases, lechoix de lemploi du temps ou des subordonnes etc. Rationalisation,

    clarification et allongement dtruisent le systme parce que lon y

    introduit des lments non-existants dans la langue dorigine.-La destruction ou lexotisation des rseaux langagiers vernaculaires:toute grande prose a une liaison troite avec des langues vernaculaires.Montaigne disait que le gascon y aille, si le franais ny peut aller.Lexotisation peut concerner traditionnellement en deux formes: le

    procd typographique par exemple lutilisation de litalique si dans

    loriginal, il nexiste pas. Lutilisation dun rajout partir dune imagestrotype , comme dans la traduction sur- arabise des Mille et Une

    Nuits par Mardrus (Ibid., 64). Lexotisation peut rejoindre la

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    vulgarisation en rendant un vernaculaire tranger par un vernaculairelocal. Une telle exotisation naboutit qu ridiculiser loriginal.-La destruction des locutions: Dans une prose, beaucoup dimages setrouvent comme locutions, tournures, proverbes, etc., qui tous relvent en

    partie du vernaculaire. Ces images doivent traduire et non introduire desquivalences, les quivalents dune locution ou dun proverbe ne lesremplacent pas. Les remplacements stigmatisent lethnocentrique. Lartest dans la traduction dun proverbe du cru qui montrera limpressionculturelle de l'original (Ibid., 14, 65).

    -Leffacement des superpositions de langues: En deux sortes lessuperpositions de langues sont expliques. Des dialectes qui coexistentavec une koin ou avec plusieurs koins. En tout cas, des superpositionsde langues existent en prose notamment dans les romans. Un mlangeentre vernaculaire avec koin ne dfinit pas la langue de lauteur: LaMontagne magique de Thomas Mann traduit par Maurice Betz est un

    bel exemple. Le traducteur traduit bien laccent dun allemand qui parlele franais avec la jeune Russe qui, elle aussi communique en franaisavec son amoureux. Maurice Betz a suffisamment laiss rsonnerlallemand de Mann pour que les trois franais puisse se distinguer et

    garder, chacun, leur tranget spcifique (Berman, 1984, 19).Voil ce que Berman analyse propos des systmes de dformationsissus par des principes thoriques, et il croit que les thories de latraduction surgissent de ce sol, pour sanctionner idologiquement cettefigure, pose comme videntes .Berman est un anti-thoricien dans latraduction car il conclut que toute thorie de la traduction est lathorisation de la destruction de la lettre au profit du sens . Alors que

    propose-t-il la place de ces instruments critiques ? Car si la lettre estconsidre anantie par ces facteurs, nous devons analyser des exemplesconcrets pour pouvoir la sauver. Il faut revenir sur les uvres traduites en

    plusieurs fois afin de pouvoir relever une dfinition particulire pour

    lespace de jeu de lacte de traduire et une dfinition de la visetraduisante pour arriver une critique lgitime.

    Lthique de la traductionLa vise traduisante est triple : thique, potique et philosophique. Lacte thique consiste reconnatre et recevoir lAutre en tantquAutre (Berman, 1984, 74). La fidlit est donc sur la dimension durespect envers ltranger son propre espace de langue. Daprs Berman,

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    cette attitude tait trs souvent touffe en Occident, mme si FriedrichSchlegel crit propos des Arabes :

    Leur manie de dtruire ou de jeter les originaux une fois la traductionfaite caractrise lesprit de leur philosophie. Pour cela mme ilstaient peut-tre infiniment plus cultivs, mais avec toute leur culturenettement plus barbare que les Europens du Moyen ge (Lacoue-Labarthe, 1978, 131).

    La traduction de la littrature trangre doit, selon Walter Benjamain

    accueillir lEtranger dans sa corporit charnelle et ne peut quesattacher la lettre de luvre (1971, 77). Voil la signification de lavise thique.

    Berman suit aussi le conseil dun traducteur du XVIe sicle CharlesFontaine propos de la manire de traduire une uvre trangre enrespect des trois mots essentiels : robe-corps- me(Berman, 1999, 77).Trois vocables qui renvoient la corporit , cest--dire, la lettrevivante de luvre ou la littralit du texte. La vise thique de latraduction est donc le respect absolu la langue maternelle dans salittralit. Nous voyons donc un lien direct entre la vise thique et lalettre; lien qui a t dfini trs bien dans lAllemagne romantique etclassique, avec Schleiermacher et Goethe (Schleiermacher, 1999, P.92).Schleiermacher critique svrement les traductions ethnocentrique ethypertextuelle. Mais cest Goethe, que nous devons rendre hommage,

    dit Berman, pour des matriaux de plus profond sur la traductionavant Walter Benjamin en Occident. Le centre de son attention estsurtout sur la littralit et le rajeunissement de la traduction.

    Berman admire bien entendu la traduction dHolderlin de Sophocle,

    Chateaubriand traducteur de Milton, Enide de Klossowski. Toutes cesuvres avaient t traduites plusieurs fois, mais le travail de chaquetraducteur fait un effet particulier dans la mesure o il rend un service

    particulier sa langue maternelle. En 1804, en vue du respect la lettreet le rajeunissement de la traduction comme une manifestation littrale,Holderlin propose la traduction de Sophocle son diteur:

    Lart grec qui nous est tranger, du fait de son adaptation la nature

    grecque et de dfaut dont il a toujours su saccommoder, jespre endonner une prsentation plus vivant que dhabitude en faisantdavantage ressortir llment oriental quil a reni et en corrigeant son

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    dfaut artistique l o il se rencontre (Holderlin et Sophocle, 1804,p.35).

    Pour retrouver le sens des mots grecs anciens, Holderlin recherche desvocables en vieil allemand et lutilisation de la langue ancienne de Luther

    par le dialecte en souabe. La traduction du texte grec est prsente par sesvoix originaires en insistant sur ce qui parait dans le texte original.Holderlin prsente cette traduction littrale par la connaissancetymologique ayant lart du choix de mme intensification que dans le

    texte source. Une traduction littrale par lapplication philologique, cequi suscite lallgement archaque grec traduit dans les tempsromantiques en allemand et en franais. Si lon considre desmodifications dans les noms des dieux, cela se fait dans lesprit dun

    changement moderne, essentiellement de mme manire que Sophoclequi avait orientalis et occidentalis la fois les noms. Par exemple :Zeus Le Pre de la Terre devient Matre de la Terre , Ars,lEsprit de la Guerre , Aphrodite, La desse de la Beaut .

    Selon Berman, Holderlin nous transmet une traduction commemanifestation de lorigine de loriginal (Berman, 1999, 95). Cest lamme opration faite par Chateaubriand matre incontest de la prose

    franaise en1836, surParadise Lost(Paradis Perdue) de Milton en pleinepriode romantique. Par cette traduction littrale, le choix de la structurede l'uvre traduite et de la position du traducteur devientexemplaire. Dans ses Remarques sur la traduction de Milton parChateaubriand, Berman cite le traducteur dclarant:

    Pour accomplir ma tche, je me suis environn de toutes lesdisquisitions des scoliastes : jai lu toutes les traductions franaises,italiennes et latines que jai pu trouver. Les traductions latines, par lafacilit quelles ont rendre littralement les mots et suivre lesinversions, mont t trs utiles (1982, P. 118).

    LeParadise Lostest un pome chrtien double source : inspirationbiblique dans la version hbraque dorigine latine vulgaire et la versionanglaise. La deuxime source vient de la littrature latine. Dautres

    inspirations en seconde plan interviennent comme la littrature grecque,celle des Italiens de la Renaissance et du Baroque. En rcitant ses

    pomes, Milton traduit dinnombrables images, locutions bibliques,latines, grecques et italiennes . Chateaubriand traduitlittralement cette pratique intertextuelle de lemprunt dans loriginal.

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    Dans les remarques cites, Berman dclare que Le Paradis Perdu estune traduction littrale dans toute la force du terme que jai entreprise,

    une traduction quun enfant ou un pote pourront suivre sur le texte, ligne

    ligne, mot mot, comme un dictionnaire ouvert sous leurs yeux (Ibid.).Mais, il faut souligner que cette traduction nest pas un mot motdans sa nature, elle est en prose, non en vers comme chez les

    prdcesseurs. Cette prosification nest pas ngative, cest la mme que

    lon a appele plus tard lpoque de Baudelaire prose potique .Cette transformation est considre surtout dans la tension rythmique.

    Dans son Esthtique, Hegel est de cet avis que la posie pouvait tre traduite en prose. Goethe aussi est de mme avis, et Walter Benjaminajoute plus tard que le noyau prosaque de tout uvre permet decroire la possibilit de la traduction de certains vers en prose potique(1971, 104).

    Nous pouvons tirer plusieurs points importants de cette traduction :Dabord, la traduction de Milton par Chateaubriand est parfaite parcequelle est une retraduction.Chateaubriand en regardant les traductionsdu pass a rectifi le texte dans un temps postrieur, cest pour cela quila pu prsenter une traduction littrale (Berman, 1982, P. 96). SelonBerman, la littralit et la retraduction sont donc les signes dun rapportmri avec la langue maternelle (1999, 105 et 108). Il est vrai queChateaubriand matrisait parfaitement sa langue maternelle, uneconnaissance sans gale de la prose classique franaise. En plus, par cetteamour de lart traduit littral, il sest pench galement sur le nologisme

    du fait que beaucoup de mots chez Milton ne se trouvent, ditchateaubriand, dans aucun dictionnaire anglais (Ibid.,108).

    La traduction littrale ncessite une richesse d'esprit en nologisme,car loriginal peut comporter des termes qui ne seraient pas rgulirement

    utiliser dans la langue d'arrive. Voil un autre point intressant pourlequel Chateaubriand reconnat le systme des tendances dformantes.

    Une rflexion forte sur la lettre du texte anglais, par exemple, le mot many est traduit par le vieux mot maintes , une traduction la foislittrale et consonantique. Egalement, Rocks, caves, lakes, fens, bogs,dens, and shade of death sont traduits par les monosyllabes : Rocs,grottes, lacs, mares, gouffres, antres et ombres de la mort.

    En ce qui concerne le niveau syntaxique, lorsque la phrase de Miltonse droule suivant une complexe squence de when , whose , while , who et so , chateaubriand,sacrifiant larticulation et lquilibre du franais classique, choisit de tout

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    - La traduction et la lettre ou lauberge du lointain, dans Les toursde Babel, Paris, Seuil, 1999.

    - Critique commentaire et traduction, dans la Revue Posie, n.37, Paris, 1986.

    -

    De la translation la traduction, dans TTR, Vol .I, n.1, pp. 23-40, Paris, 1995a.

    - Pour une critique des traductions : John Donne, Paris, Gallimard,1995b.

    - Chateaubriand, Remarques propos de la traduction de Milton,in:Posie, 1982, N .23, pp. 112-120.

    DAVREU, Robert, Berman, penseur de la traduction, Revue de laPosie, n 37, Paris, 1986.DERRIDA, Jacques,LEcriture et la Diffrence, Paris, Seuil, 1967.HEIDEGGER, Martin, les cahiers de l Herne, Paris, dition de lHerne,1983.

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    Acheminement vers la parole, traduit par F. Fedier, Paris,Gallimard, 1984, (Coll. "Tel Quel").

    - Questions I, trad. H. Corbin, Paris, Gallimard, 1968,(Coll. Classiques de la philosophie).

    LACOUE-LABARTHE, Ph., Labsolu littraire, Paris, Seuil, 1978,(coll. Potique ).MESCHONNIC,Pour la Potique II, Paris, Gallimard, 1973, (coll. Lechemin).SCHLEIERMARCHER, Prnom, Des diffrentes mthodes du traduireet autres textes, trad. par Antoine Berman, Paris, Seuil, 1999.