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LE STRUCTURALISME : UNE DESTITUTION DU SUJET ? Étienne Balibar Presses Universitaires de France | « Revue de métaphysique et de morale » 2005/1 n° 45 | pages 5 à 22 ISSN 0035-1571 ISBN 9782130550402 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2005-1-page-5.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Étienne Balibar, « Le structuralisme : une destitution du sujet ? », Revue de métaphysique et de morale 2005/1 (n° 45), p. 5-22. DOI 10.3917/rmm.051.0005 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.108.198.202 - 11/06/2015 16h09. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.108.198.202 - 11/06/2015 16h09. © Presses Universitaires de France

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  • LE STRUCTURALISME : UNE DESTITUTION DU SUJET ?tienne Balibar

    Presses Universitaires de France | Revue de mtaphysique et de morale 2005/1 n 45 | pages 5 22 ISSN 0035-1571ISBN 9782130550402

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    tienne Balibar, Le structuralisme : une destitution du sujet ? , Revue de mtaphysique et demorale 2005/1 (n 45), p. 5-22.DOI 10.3917/rmm.051.0005--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • Dossier : f20593 Fichier : meta01-05 Date : 11/6/2007 Heure : 14 : 16 Page : 5

    Le structuralisme :une destitution du sujet ?

    RSUM. On emploie ici le terme structuralisme dans un sens large, incluantles uvres de Lvi-Strauss et Barthes aussi bien que celles dAlthusser, de Lacan, deFoucault. Jy vois non pas un systme ou une cole de pense, mais un mouvement, etjy inclus galement le post-structuralisme de Derrida et de Deleuze, en tant que ngation dtermine de certains prsupposs. Je soutiens que le structuralisme nese caractrise pas par une position objectiviste, mais par la relance de la tentative pourproduire une gense ou une construction du sujet au sein de structures transin-dividuelles, et donc pour y voir un systme deffets au lieu dune cause originaire. Cetteconversion dun point de vue du sujet constituant au point de vue du sujet constituexplique limportance des modles linguistique, psychanalytique et anthropologique,ainsi que dune certaine interprtation du marxisme comme thorie de limaginairesocial chez les structuralistes. Quant au post-structuralisme, il dploie un mouvementde rectification, en prsentant les limites de la subjectivit, qui impliquent la dissolutionde la normalit et la mise jour de la violence inhrente au processus de constitution,comme des diffrences pures qui engendrent lactivit et la passivit. Ce secondmouvement contribue de faon dcisive confrer au structuralisme, non seulement uneporte pistmologique, mais aussi une orientation thique.

    ABSTRACT. Structuralism is used here in a broad sense. It includes the worksof Levi-Strauss and Barthes as well as Althusser, Lacan and Foucault. I see it, not as asystem or a school, but as a movement, and I include post-structuralism (Derridaor Deleuze) within the scope of structuralism itself, as a definite negation of certaininitial assumptions. I defend the thesis that Structuralism was not characterized by its objectivist stance, or its refusal to acknowledge the importance of the category ofthe Subject, but by its renewed effort at producing a genesis or construction ofthe subject within transindividual structures, therefore viewing it as a complex systemof effects rather than an originary cause . This conversion form the constituentto the constituted subject explains the importance of the linguistic, psycho-analyticaland anthropological models, but also of a certain understanding of Marxism as a theoryof the social imaginary. Post-structuralism displays a second internal movement, wherebythe limits of subjectivity (particularly inasmuch as they involve a dissolution of the normality of the structures and a reflection on the violence of the constitution process)are presented in terms of pure differences involving both activity and passivity. It isthis second movement which contributes decisively to grant structuralism, not only anepistemological, but also an ethical philosophical relevance.

    Revue de Mtaphysique et de Morale, No 1/2005

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  • Dossier : f20593 Fichier : meta01-05 Date : 11/6/2007 Heure : 14 : 16 Page : 6

    Lexpos que je veux prsenter ici 1 constitue simplement de ma part unetentative pour ordonner un certain nombre de textes (notion que jinstalle parhypothse entre celle duvre et celle dnonc, de telle faon que ces deuxpossibilits, dextension vers la totalit ou de restriction vers llmentaire, ysoient bien impliques, mais que ne soit prsuppose a priori ni lunit desuvres en question, reprables par leurs auteurs ou groupes dauteurs, ni luni-vocit des noncs, soumis linvitable dissmination de la lecture et duremploi). Cette perspective dassemblage et dinterprtation des textes corres-pond de ma part un objectif pratique, quasiment professionnel, qui constituelarrire-plan immdiat et la condition de possibilit de mon intervention. Jeveux parler de lobligation o je me trouve en ce moment (en vertu dun contratsign avec un diteur amricain) de raliser dans des limites la fois trsgnreuses et pourtant, au bout du compte, assez contraignantes pour quil faillealler lessentiel une anthologie de la philosophie franaise de laprs-guerre(Postwar French Philosophy), disons de 1950 1980 (mme si ces dates conven-tionnelles exigent immdiatement dtre assouplies pour faire surgir certainsenchanements, certaines bifurcations ou manifester certains effets en retoursignificatifs).

    Le fait que je me trouve associ dans cette entreprise avec un collgue duneautre nationalit et dune autre formation que la mienne (John Rajchman) garan-tit certains gards que les slections faites ne traduisent pas un parti pris troptroit, mais il nempche videmment pas quil nous ait fallu imposer notredescription, notre classement , des protocoles de simplification par dfini-tion contestables. Le bnfice quon peut en attendre, cest de marquer aussinettement que possible des hypothses relatives aux tendances et aux problmescruciaux pour la philosophie franaise dans la priode considre, qui ne seconfondent videmment pas avec un recensement dcoles et de dbats.

    Au bout du compte, mon hypothse principale est que le structuralisme jevais dire en quel sens il faut entendre ce terme aura t le moment vraimentmarquant, pour ce qui est de la philosophie, dans la pense franaise de ladeuxime moiti du XXe sicle. Ce qui, si lon peut en tayer laffirmation,suffirait indiquer que, bien que nous trouvant dores et dj dans la positionden caractriser rtrospectivement des aspects ou des vnements fondamen-taux, den reprer des noncs significatifs, nous avons toutes raisons aussi de

    1. Ce texte dtienne Balibar fit lobjet dune premire prsentation orale (de mme que lensem-ble des autres textes qui composent ce numro) dans le cadre du colloque Normes et structures ,organis Rennes, les 21 et 22 mars 2001, dans le cadre de lquipe daccueil lie lUFR dephilosophie.

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    penser quils forment rien moins quune rcapitulation finale ou un tombeau.Au contraire, ce qui donne sens cette tentative, cest la possibilit de montrerque le mouvement structuraliste, multiple et inachev par sa nature mme, esttoujours actuellement en cours bien que peut-tre en des lieux et sous desnoms qui ne le rendent pas immdiatement reconnaissable. Dans un texte dsor-mais bien connu de 1973, rdig pour lHistoire de la philosophie dirige parF. Chtelet et intitul Quest-ce que le structuralisme ?, Gilles Deleuze avaittent, au travers de lnumration dun certain nombre de marques ou de critrestransversaux lcriture de ses contemporains, de formuler le diagnostic dunpremier tournant dans le parcours du structuralisme et dy contribuer lui-mme.

    Je dirai modestement que mon intention ici est, de faon analogue, aprsquun autre cycle dlargissement et de transformation a t parcouru, de tenter mon tour un diagnostic et peut-tre de contribuer une relance.

    Les considrations que je propose sont centres sur la question de la contri-bution du structuralisme une reformulation philosophique de la question dusujet et de la subjectivit, mais auparavant il me faut formuler trois observationspralables dun caractre plus gnral.

    La premire concerne prcisment lide de mouvement. Il est bien connuque le structuralisme na pas t une cole, et ne risquait pas de le devenir. Ilne comporte aucun fondateur, pas mme Claude Lvi-Strauss, ni par voie deconsquence aucune scission ou dissidence. En revanche, il sest caractrisdemble par une rencontre entre des questions ou des problmatiques, doncentre des voix ou des critures. Cette rencontre a donn lieu des publicationsen forme de manifestes (signs Barthes, Foucault, Lacan ou Althusser), danslesquels se montrait au grand jour ce que Deleuze appelle la valeur essentiel-lement polmique du structuralisme. Mais elle a surtout donn lieu des dn-gations, dans lesquelles je lis pour ma part non seulement le refus de ltiquette structuraliste , mais surtout le refus de son univocit : comme si tous ceuxqui saccordaient rcuser ensemble un certain nombre de motifs de la mta-physique, de lanthropologie et de la philosophie de lhistoire, notamment dansla forme que leur avait donne la philosophie transcendantale, celle dune consti-tution subjective de lexprience prise entre les ples de luniversalit a prioriet de la particularit sensible, navaient rien eu de plus press, avant mme dedfinir un paradigme ou une pistm, que den faire surgir ce que Foucaultappellera les points dhrsie ; comme sil y avait lieu de dcentrer aussitt leslieux communs du structuralisme au profit dune radicale multiplicit dinter-prtations ; comme si la limite il ntait pas possible de formuler les conditionsdune entre dans le champ de la discursivit structurale ou structuraliste sansrechercher aussitt les voies de la sortie. Les structuralistes nont donc pu

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    sentendre apparemment sur la ncessit dtudier des structures plutt que deshistoires, des essences, des figures de la conscience ou des expriences, sur le primat de la structure par rapport la subjectivit, la vie ou lhistoricit,sans poser aussitt, collectivement, lirrductibilit des structures un modlepistmologique unique, et sans entreprendre, sous ce nom ou sous dautres, demontrer linsuffisance de la rfrence la structure et aux structures, termequils avaient reu et transform de manire exprimer le projet dont il avaitsignifi la ncessit.

    Mais je soutiendrai prcisment ce paradoxe : cest parce que le structuralismenest pas une cole mais une rencontre divergente, cest parce quil rside autantet plus dans lpreuve des limites de la catgorie qui lui donne son nom quedans la construction de sa consistance, quil a reprsent un moment unique etincontournable dans lequel, une poque et dans un contexte donn, toutes les coles ou orientations philosophiques se sont trouves impliques. Nonseulement celles qui, par tel ou tel de leurs reprsentants, ont contribu enaffirmer et en configurer la problmatique, mais celles qui lont refuse et, sousleffet de ce refus, ont t contraintes de se transformer elles-mmes. Cestpourquoi plus encore quun mouvement et une rencontre, on peut dire que lestructuralisme a t une aventure pour la philosophie contemporaine : aventurepar laquelle, comme il arrive de temps autre (mais de faon relativement rare),son discours a subi et engendr de lhistoire dans le champ de la pense engnral. Des philosophes sont entrs dans le structuralisme ou dans le dbatstructuraliste en tant que no-kantiens, phnomnologues, hgliens ou marxis-tes, nietzschens ou bergsoniens, positivistes ou logiciens, et ils en sont ressortisen ayant subverti toutes ces rfrences, ou en ayant redistribu leurs incompa-tibilits et leurs compatibilits rciproques.

    La seconde observation prliminaire que je veux formuler concerne le statutde la philosophie et sa remise en question dans laventure structuraliste. Jesoutiens que le structuralisme est un mouvement proprement philosophique, etque cest l ce qui fait son importance. Comme telle, la question de la structure,ou de lefficace de la structure, ou de la subjectivit comme effet structural, etbien entendu celle des limites ou apories des dfinitions structurales sont desquestions entirement philosophiques. Ou alors il faut renoncer donner unsens ce terme, du moins dans la priode qui nous concerne. Cela nempchepas que lascendant des questions, des notions et du style structuraliste naitdonn lieu, autant et peut-tre plus quen dautres circonstances, des diagnos-tics de mort de la philosophie (de mme que, plus prs de nous, son clipserelle ou suppose a pu tre salue de diffrents cts comme une renaissancede la philosophie, ou de la vraie philosophie). Et surtout cela nempche

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    pas que plus dun protagoniste de laventure structuraliste se soit dsign lui-mme, ou ait t dsign, comme non-philosophe (par exemple comme savant , notamment dans le champ des sciences humaines , mais pas uni-quement), voire comme anti-philosophe. Au point que je mattends des rac-tions de scepticisme, de refus ou de condescendance si je mentionne par exempledes noms comme ceux de Lvi-Strauss ou de Lacan comme reprsentants phi-losophiques du structuralisme.

    Il y a l sans doute une question gnrale, qui nest pas propre notre poqueni aux textes dont nous voulons parler ici. Nous savons dailleurs quelle a faitlobjet de retournements et de polmiques au sein mme de ce que jappelle lemouvement structuraliste. Puisquil faut aller vite une position claire sur cepoint dcisif, dont dpend pour une part importante le diagnostic quon porterasur les raisons que beaucoup de courants philosophiques actuels ont de sedistancier du structuralisme, je dirai donc ceci. Dabord le structuralisme sins-crit de faon gnrale dans une orientation pour laquelle Canguilhem avaitcoutume de citer une formule, presque un mot dordre, quil prtendait avoirtrouv chez Brunschvicg, et que je cite ici de mmoire : La philosophie estcette discipline pour laquelle toute matire trangre est bonne, et mme pourqui il ny a de bonne matire qutrangre. Cest--dire, si je comprends bien,que limportant est le devenir philosophique des questions thoriques ou prati-ques, et non leur position originairement philosophique ou intrieure unchamp philosophique donn. Ensuite et surtout, le structuralisme au momento nous le saisissons, disons en France aux alentours de 1960, se caractrise la fois, dans une saisissante unit de contraires, minemment instable, par uneaffirmation rsolue de lautonomie des sciences humaines par rapport lensem-ble des orientations philosophiques prexistantes ou des fondations philosophi-ques possibles, et par une lutte sans compromis contre le positivisme traditionneldes sciences humaines, soit quil se manifeste par un objectivisme mthodolo-gique prtendant dissocier des protocoles exprimentaux eux-mmes ou desrgles de formalisation la question de leur propre gense ou intentionnalit ;soit quil se manifeste par une distribution prtablie, en fait mtaphysique,entre des rgions de lexprience ou de lobjectivit. Cest dailleurs ce quitout la fois rapproche et finalement dissocie le structuralisme de mouvements peu prs contemporains auxquels, de ce point de vue, on pourrait songer lerapprocher, comme lhermneutique post-diltheyienne, la philosophie des for-mes symboliques la Cassirer, ou lanalyse du langage ordinaire. Et cest cequi permet de comprendre ce que recherchent exactement les structuralisteschez des prcurseurs tels que Freud, Marx, Rousseau ou mme Aristote.Jexprimerai cela en disant que, dun point de vue structuraliste, la distinctionentre philosophie et non-philosophie a une signification essentiellement

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    relative, ou encore que limportant pour la pense (pour lactivit philoso-phique : on se souvient quil a t question un moment donn de lactivitstructuraliste), cest toujours de trouver le non-philosophique, ou la limite, lacondition non philosophique de la philosophie et de russir, par une inventioncatgoriale autant que par un tour dcriture spcifique, la faire reconnatrepour ce qui est nouveau en philosophie et pour la philosophie. Le structuralismese prsente comme une pratique dimmanence en extriorit (une pense dudehors , dira Foucault) dune faon particulirement radicale et consquente,en opposition la fois des styles philosophiques rflexifs, fondationnels,ontologiques ou apophantiques.

    Une telle orientation trouve sexprimer dans la reprise de thses elles-mmesphilosophiques, dont aucune peut-tre nest historiquement propre au structu-ralisme, mais qui acquirent avec lui une prgnance particulire, dautant plussingulire peut-tre quelles y sont constamment problmatises, cest--direquil sagit de sinterroger constamment sur la possibilit de leur mise en uvreet de leur observation rigoureuse. Jen donnerai deux exemples. Lune, laquelleLacan sest particulirement attach, pour laquelle il a forg lartefact syntac-tique de lalangue (et qui fait penser bien entendu des auteurs aussi diffrentslun de lautre que Hegel ou Wittgenstein), cest quil ny a pas de mtalangage,non seulement ultime, mais mme local qui soit isolable comme tel. Lautre, laquelle Althusser na cess de chercher donner une justification en mmetemps quil la pratiquait en quelque sorte sur lui-mme , cest que la philo-sophie ou la thorie , plutt que des discours tendant lisolement, sont entant que telles (et non pas seulement leurs limites) des interventions quiont pour fin de disparatre dans la production de leurs propres effets, et qui ontdonc un caractre essentiellement conjoncturel . Ce qui permet de compren-dre, si on tend cette thse lensemble du mouvement structuraliste, quecelui-ci ait t particulirement soucieux de systmaticit (une des connotationsles moins contestables de lide de structure, et lune des raisons de linspirationpuise dans les diverses pratiques de systmatisation, de laxiomatique labiologie en passant par la linguistique), mais quil ait rgulirement vit deformuler des systmes, en y russissant mieux peut-tre que beaucoup dautresmouvements philosophiques. Il faut voir l non un chec mais un trait deconsquence. Et il faudrait en prendre argument pour rflchir sur les implica-tions singulires du structuralisme en matire de temporalit ou dhistoricit dela pense thorique.

    Enfin, troisime et dernier pralable, je voudrais poser la question de ce quily a, en un sens, de spcifiquement franais dans le structuralisme et dans lemouvement structuraliste. Bien entendu, il ne sagit pas de soutenir que lestructuralisme ait t une philosophie nationale ou nationaliste, qui se serait

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    attache rechercher quelque spcificit ou unicit go-philosophique . Lestructuralisme est minemment universaliste. Il importe dailleurs de se souvenirquil a t caractris, lgal du mouvement existentialiste et phnomnolo-gique franais qui cet gard la prcd dans les annes de lentre-deux-guerres, et au mme titre que le surralisme littraire qui, beaucoup dgards,en a prpar les questions et les objets dintrt pour tout ce qui touche larticulation de limaginaire et de lordre (ou du dsordre) symbolique, parune vive raction cosmopolitique contre le provincialisme et le traditionalismede lUniversit franaise. Cependant, il est impossible de ne pas au moinsbaucher une triple complication au-del de cette remarque. Dabord certainsdveloppements du structuralisme dont nous parlons ici, notamment proposde la question du sujet, sont, sinon conditionns, du moins facilits et commesuggrs (ou cest limpression que nous en avons aprs coup), par des pro-prits idiomatiques de la langue franaise, ou des drivations linguistiquesauxquelles le franais donne un relief particulier. Il en va ainsi notamment delenchanement des significations du sujet , de la sujtion , de l assu-jettissement , de la subjectivit et de la subjectivation , sur lequel jereviendrai. Cela ne veut pas dire que les thormes structuralistes sont intra-duisibles, cela veut dire au contraire quils requirent (et ont requis, dans leprocs de leur diffusion ltranger, dont on ne saurait se plaindre quelle soitreste confidentielle) un travail de traduction, inscrit dans la matrialit deslangues, et tout fait contradictoire aussi bien avec lide de lexistence dunidiome naturellement (ou destinalement) philosophique quavec celle deneutralit ou dindiffrence idiomatique 2.

    Ensuite, il est assez clair que le surgissement, la cristallisation du mouvementstructuraliste la fin des annes 50, dabord autour de lethnographie et de lapsychanalyse (les deux disciplines cites par Foucault dans Les Mots et lesChoses comme ralisant une critique immanente du point de vue des scienceshumaines et remettant en question le dualisme empirico-transcendantal propre la constitution de lhomme comme sujet et objet la fois de lensembledes savoirs), renvoie un contexte dont il faudrait faire lhistoire dtaille, etque jappellerai lpisode franais de la question de lanthropologie philoso-phique, succdant lpisode allemand de lentre-deux-guerres (autour de Cas-sirer, Scheler, Heidegger et les hritiers de Dilthey), dont il relayait dunecertaine faon les thmes tout en restant relativement indpendant de lpisode

    2. Il est remarquable quune des dfinitions les plus intressantes de la structure , proposeen son temps, ait t celle dun processus infini de traduction (pour laquelle Michel Serres avaitchoisi lallgorie dHerms : mais, peut-tre en raison de la formulation purement pistmologiquequil en cherchait, elle na pas empch son auteur de rejoindre un moment donn lide natio-naliste dune unicit ou autonomie absolue de la langue franaise).

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    amricain contemporain. Cette articulation de laventure structuraliste avec leproblme de lanthropologie philosophique, cest--dire non seulement avec laquestion de savoir sil y a une philosophie de lhomme et de lhumain, maissurtout avec la question de savoir si comme telle la philosophie est pense delhumanit , ou des humanits qui norment lexistence humaine et se la par-tagent, ou encore de la diffrentielle dhumanit et dinhumanit qui fait lhomme, explique pourquoi lopposition parfois violente entre le structuralismeet ses adversaires dsigns ou proclams se cristallise autour de la question delhumanisme et de lanti-humanisme. Ou encore pourquoi le structuralismelui-mme, dun moment lautre, et dun auteur lautre, oscille entre diversespossibilits de ngation de lhumanisme classique, quil soit de lessence ou delexistence, de lanti-humanisme thorique lhumanisme de laltrit, voire delaltration de lhumain (qui nest pas, me semble-t-il, la mme chose que lhumanisme de lautre homme ).

    Enfin, mais je naurai pas le temps dexplorer ici de telles hypothses, jevoudrais suggrer dun mot que le structuralisme non pas seul vrai dire,mais dans un rapport complexe de complmentarit et dantagonisme avec laphnomnologie la franaise issue notamment de Merleau-Ponty, ou avecle bergsonisme et le biranisme de certaines philosophies franaises contempo-raines de la vie, a contribu rtrospectivement arracher certaines uvresfondatrices de la philosophie classique en langue franaise aux interprtationsqui en avaient t proposes par le kantisme, lhglianisme et la phnomno-logie husserlienne et heideggrienne, de mme quil devrait, en droit au moins,constituer un obstacle aux interprtations quen perptue le cognitivisme delangue anglaise. Je pense en particulier Descartes et Rousseau.

    De tout ceci, il devrait tre possible de tirer quelques estimations concernantles raisons et les formes du coup darrt et de la rsistance institutionnelle quiont fait suite lapparente hgmonie du structuralisme dans la philosophiefranaise des annes 1960-1980. Les dimensions et conditions internes, propre-ment thoriques, de ce que jai appel pour commencer le nouveau tournant oulaprs-coup du structuralisme aujourdhui sont de mon point de vue plus int-ressantes que les dpendances externes de son environnement. Mais il faut trecohrent avec lhypothse dune philosophie indissociable de son altrit ouhtrognit constitutive ce qui na rien voir, je pense, avec du rduction-nisme. Le structuralisme dans sa figure franaise dsormais classique tudiecomme telle un peu partout dans le monde est peu compatible sociologiquementavec les conditions dune institutionnalisation et dune uniformisation linguis-tique des tudes philosophiques, auxquelles une partie de lUniversit franaisese rallie avec dautant plus dempressement quelle a pris sur ce plan plus deretard, aussi bien quavec les tentations du retour une philosophie dinstitution

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    de type national-rpublicain. La conclusion que jen tire pour ma part (et jallaisdire : dont jobserve les symptmes) nest pas cependant que laventure struc-turaliste sera dsormais sans lendemain. Cest plutt que le structuralisme, oule post-structuralisme si lon prfre, est en train dmigrer ailleurs, o il faitpreuve dune belle vitalit, tout en se mlant dautres problmatiques. Maisil sagit dune autre histoire que celle dont nous voulons parler ici.

    Venons-en donc maintenant plus prcisment au thme que jai annonc pourcommencer. vrai dire, la question du rapport entre mouvement structuralisteet problmatique du sujet, telle quelle peut tre dcrite travers un certainparcours de textes (qui bien entendu ne relvent pas tous du structuralisme, ounen relvent pas tous de la mme faon, ou dbouchent sur le constat de leurinclassabilit fondamentale), nest pas la seule dont la reconstruction hypoth-tique puisse servir ainsi de terrain dpreuve des conjectures sur les caract-ristiques du structuralisme en tant que mouvement dentre et de sortie dansles labyrinthes de la structure, qui ont t pour nous dune certaine faon ceque les labyrinthes de la libert et du continu avaient t pour la mtaphysiquede lge classique. Il en est dautres qui, vrai dire, la recoupent : je donneraicomme exemples la question des nonciations (et des critures) de la vrit, oula question de lvnementialit (et de la pratique). Mais la problmatique dusujet dispose dune priorit au moins mthodologique, en raison prcismentde ce que jai rappel des liens troits entre lmergence du structuralisme etlinflexion, laquelle il contribue lui-mme, des dbats concernant lanthropo-logie philosophique.

    Il semble que, pour les besoins de la synthse, on puisse suggrer que lestructuralisme se constitue, de faon polmique, ou quil est attaqu demble,de faon non moins polmique, comme remise en cause dune quation gn-rative, susceptible de se dvelopper plus ou moins longuement partir de sapropre abstraction spculative, dans laquelle lhumanit de lhomme (entenduede faon essentialiste comme forme commune ou eidos, ou de faon gnriquecomme Gattungswesen, ou de faon existentielle comme construction dexp-rience) est identifie au sujet (ou la subjectivit), eux-mmes penss partirde lhorizon tlologique dune concidence, ou dune rconciliation, entrelindividualit (particulire ou collective) et la conscience (ou la prsence soiqui actualise effectivement les significations). Il est noter ce sujet quunetelle concidence ou rconciliation na aucun besoin ni dtre effectivementralise en permanence, ni dtre donne sans exceptions, retards ou contradic-tions, autrement que comme contrepartie de sa propre division ou sparation.Il faut bien cependant, semble-t-il, quelle corresponde des expriences depense permettant au sujet dexister par lui-mme, et quelle forme idalementun horizon absolu de sens, en particulier pour ce qui est de la connaissance de

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    la vrit, de sa communication transindividuelle et transgnrationnelle, et desa normativit historique. En dautres termes, il faut, si nous nous transportonssur le terrain de lnonciation, quelle autorise lappropriation dun Je (ou dunje dis, je pense, je vis) et sa mise en relation avec un Nous plus ou moinsimmdiatement identifi lhumanit transcendantalement distingue du monde ou de la nature dont elle fait matriellement partie.

    Si lon maccorde au moins hypothtiquement une telle caractrisation de lafigure pleine et humaniste du sujet 3, je voudrais soutenir ici, descriptivement,les deux thses successives suivantes qui me paraissent correspondre aux deuxmoments du structuralisme (cest--dire aux deux mouvements qui senve-loppent lun lautre dans le structuralisme, et dont seule mon avis la successionrpte, ou recommence, est caractristique).

    Premirement, le structuralisme en effet destitue un tel sujet de faon radicale,en abolissant les prsupposs dautonomie ou dharmonie prtablie qui sous-tendent sa fonction tlologique : les grandes identits ou identifications classiques du moi qui est/devient moi , du soi (self) qui est le pro-pre (own) ou en propre (eigentlich), du moi qui est nous et du nous qui est moi . Cependant, cette destitution 4 ne doit aucunement treconfondue avec une ngation de type apophantique, dans laquelle la nantisationou linversion des prdicats dindividuation et dappartenance, ou de prsence soi et de conscience, constitue par elle-mme lessentialit du sujet, la vritdu nom de sujet, labsence de dtermination ou lhorizon dabsence dans lesdterminations qui garantit lirrductibilit, loriginarit du sujet par oppositionavec ses apparences substantialises ou rifies. Mais elle ne doit pas treconfondue non plus avec une mconnaissance de la subjectivit, ou de la dif-frence sujet/objet, telle que prcisment les critiques personnalistes ou trans-cendantales lont impute au structuralisme, dont le mot dordre aurait t enquelque sorte la substitution de lobjet (mme un objet formel, ou un objetrsiduel, ou un objet complexe) au sujet. Je crois quen ralit, et cest encela que le structuralisme a donn une nouvelle signification au terme critique,dans un rapport complexe avec la rvolution copernicienne et la gnalogie

    3. L quation du sujet que jai nonce na probablement jamais t inscrite comme telle,ou, plus exactement, il est probable que la simplification quelle comporte (leffacement des pro-blmes que recouvrent chacun de ses termes) nest autre chose que le malentendu du conflitentre structuralisme et philosophies classiques de la subjectivit, dans lequel chacun se rduit la ngation de lautre. Tout ce qui, dans le classicisme , rend possible louverture structuraliste(quil sagisse de la performativit du Je cartsien, de la surdtermination des synthses kantiennes ou de la diffrence ontologique) sen trouve ipso facto gomm, de mme que ce qui, du structuralisme , renouvelle la discussion des problmes classiques, et tout simplement la lectureque nous faisons de lhistoire de la philosophie.

    4. On a rappel au cours de la discussion que le mot destituer , auquel sopposent, de diversesfaons, instituer , restituer , constituer , tait de Lacan.

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    nietzschenne, quil nest pas possible de vraiment discuter ici, le mouvementtypique du structuralisme rside dans une opration simultane de dconstructionet de reconstruction du sujet, ou de dconstruction du sujet comme arch (cause,principe, origine) et de reconstruction de la subjectivit comme effet, cest--direencore de passage de la subjectivit constituante la subjectivit constitue.

    Mais ce premier mouvement, dcisif et spectaculaire, na de sens que dansla mesure o un second vient le surdterminer et le rectifier, qui me semblecorrespondre laltration de la subjectivit sous les diffrentes modalits dunednaturation, dun excs ou dun supplment (comme a dit Derrida) dans lequelde faon oxymorique et, par consquent, plus intimement apparente lidedune condition dimpossibilit de lexprience (ou dune condition de lexp-rience comme exprience de limpossible ) qu celle dun renversement dela cause en effet, de loriginaire en facticit, etc., la subjectivit se forme ou senomme comme le voisinage dune limite, dont le franchissement est toujoursdj requis tout en demeurant dune certaine faon irreprsentable.

    Ce second mouvement est plus communment considr comme post-struc-turaliste que comme structuraliste, dans la mesure o on peut appeler structure,de faon gnrique, loprateur de production de la subjectivit comme telle,ou de production de leffet de subjectivit comme reconnaissance de soi, dis-tanciation par rapport lobjet, quels que soient les termes au moyen desquelson le dcrit, la forme ou le formalisme applicables dans un champ dexpriencedtermin, qui permettent deffectuer le retournement dune fonction consti-tuante en fonction constitue. Tandis quil semble que, dans le surgissement delirreprsentable en tant que point de fuite du sujet, ou dans la contradictionperformative dune injonction sans excution possible (que ce soit linjonctiondavoir transgresser, disparatre, sidentifier ou se mtamorphoser), onait affaire la dissolution de la structure que ce soit au profit du flux, de ladissmination, de la machine ou de la chose. Mais ce sera prcisment monhypothse quil ny a pas, en fait, de post-structuralisme, ou que le post-struc-turalisme (ainsi nomm dans le cadre dune exportation , dune rception ou dune traduction internationale) est toujours encore le structuralisme, etle structuralisme au sens fort dj le post-structuralisme. Tous les grands textes que nous pouvons rattacher au structuralisme comportent en effet cesdeux mouvements, mme si jadmets que de lun lautre il y a des diffrencesdaccent, et que, tendanciellement, le mouvement des structuralistes va dungeste lautre on est tent de dire dun structuralisme des structures , oude la recherche des structures et des invariants, un structuralisme sansstructures , ou plutt de la recherche de leur indtermination ou de leur ngationimmanente. Jadmets bien volontiers que chacun de ces mouvements ne peuttre dcrit ici que de faon circulaire, dans la forme dune ptition de principe.

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    Cest--dire que jappelle structure , au sens du structuralisme, pour lesbesoins de cette interprtation, un dispositif de renversement du sujet constituanten subjectivit constitue, sappuyant sur la dconstruction de lquation humaniste du sujet. Et jappelle post-structuralisme , ou structuralismepar-del sa propre constitution explicative, un moment de rinscription de lalimite partir de sa propre imprsentabilit. Mais, en contrepartie, je demandesimplement quon admette contrairement une thse obstine que la questiondu sujet na jamais cess daccompagner le structuralisme, de dfinir son orien-tation. Et, en ralit, je ne suis pas loin de penser que le structuralisme est lundes rares mouvements philosophiques avoir essay, non seulement de nommerle sujet, ou de lui assigner une fonction fondatrice, ou de le situer, mais proprement parler de le penser (ce qui peut-tre veut tout simplement dire :penser les oprations prcdentes comme oprations).

    Essayons maintenant dillustrer et de prciser quelque peu chacun des deuxmoments qui viennent dtre voqus en termes, il faut ladmettre, trs abs-traits 5. Dabord le premier moment : dconstruction et reconstruction, passagedu constituant au constitu. Jen donnerai parmi beaucoup dautres possibles trois exemples privilgis, dont la succession constitue dailleurs un appro-fondissement de la question de leffet de subjectivit, en mme temps quundplacement progressif dune conception formelle une conception de plus enplus matrielle de la structure. Je ne peux bien entendu que les voquer de faonextrmement allusive pour indiquer lusage que jen fais, supposant que laudi-toire connat ou saura retrouver les contextes, dailleurs trs classiques.

    Jemprunte mon premier exemple Benveniste, dont la thmatique de lhomme dans la langue ou de la subjectivit dans la langue est prati-quement par son nom mme une dsignation du processus de renversement duconstituant au constitu. Non pas seulement parce que la langue parlelhomme plutt que lhomme ne parle la langue ou les langues, ainsi quelavaient dj soutenu certains romantiques, mais parce que la langue parle lhomme prcisment en tant que sujet, ou plutt parle la possibilit et la limitedes possibilits pour lhomme, pour lindividu humain jet dans le systmelinguistique de se nommer lui-mme comme sujet. Je ne cherche pas ici savoirsi la thse expose ainsi dans les Problmes de linguistique gnrale est lin-guistiquement vraie ou non, mais en dgager le sens. Ce qui importe, cestle fait que Benveniste combine sa distinction de lnonc et de lnonciation(analogue celle du code et du message chez Jakobson) avec une refonte critique

    5. Non seulement trs abstraits, mais immdiatement affects de contradiction, puisque aprsavoir nonc quil ny a pas de doctrine dcole, pas de thse commune, je prsente une srie decaractristiques communes...

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    de la classification des pronoms personnels, que jinterprte pour ma part de lafaon suivante : on sait que pour Benveniste, dans les langues indo-europennesdu moins (ou dans leur usage dominant), les pronoms classs comme person-nels se divisent en fait en deux classes, ceux de la premire et de la deuximepersonne tant les seuls vrais , impliquant lnonciation dans lnonc lui-mme et susceptibles dchanger leur place dans un procs dinterlocution, alorsque la troisime personne reprsente un invariant qui exclut le sujet et passedu singulier au pluriel selon les mmes modalits quun nom commun. Lasubjectivit est donc caractrise par un double rgime dopposition : dun ct,lopposition intrieure aux personnes, qui institue lchange des places indivi-duelles, mais exclut linterchangeabilit des consciences (Je/Tu) ; de lautre,lopposition institue par les diffrentes formes de pluriel, qui fait que pour lesujet Je, tantt le Nous inclusif installe au cur de sa conscience une reprsen-tation virtuelle du Tout dont il est partie indivisible , comme disait Rousseau,tantt le Ils exclusif installe une possibilit dalination qui prcipite la com-munaut dans le monde des choses, et par consquent le sujet dans le scepticismeou dans la conscience malheureuse...

    Je prends un deuxime exemple chez Lacan : La Lettre vole, plus Subversiondu sujet et dialectique du dsir dans linconscient freudien, soit les textes quiouvrent et ferment le recueil des crits (publi en 1966). Dans des analysesque nous avons tous en mmoire, Vincent Descombes a bien montr ce que cestextes doivent la lecture kojvienne de Hegel, donc une interprtation anthro-pologique de la dialectique qui noue la reconnaissance et la lutte mort autourde linfinit du dsir dans laquelle le sujet ne peut que poursuivre le leurredune compltude jamais perdue. Mais je voudrais insister sur un autre aspect,qui concerne plutt le ddoublement du sujet entre linstance du symbolique etcelle de limaginaire : faire du sujet, selon la formule clbre, ce quun signi-fiant reprsente pour un autre signifiant , et ainsi transmet ou transfre ind-finiment dun porteur un autre selon linsistance, ou lincidence, dune chaneabsolument impersonnelle (et mme alatoire), ce nest pas priver le sujet dexis-tence, cest plutt le convoquer se reconnatre dans un reflet : celui des identifications quil se construit en interprtant le dsir de lAutre (qui peuttre aussi une tragique absence de dsir), projet en arrire de la chane signi-fiante ou imagin comme son origine, et en se faisant lui-mme lobjet dece dsir par le travail du fantasme. Le renversement du constituant au constituest ici dautant plus intressant que la terminologie de Lacan, superposant ladualit spcifiquement franaise des deux noms du sujet, le Je et le Moi, auxinstances freudiennes (Ich, Es), ne renvoie pas seulement des sources pasca-liennes et donc cartsiennes, mais une torsion du paralogisme kantien de laraison pure, dans laquelle le sujet pourrait se projeter lui-mme toutes les

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    places d objet (ou de phnomne ), pour peu quelles paraissent investiesde reprsentations dun dsir quelconque.

    Troisime exemple : Lvi-Strauss. Non pas tant, encore quil y aurait beau-coup en tirer pour notre sujet, celui de lIntroduction luvre de Mauss,des Structures lmentaires et de lAnthropologie structurale, car le sujet y est ici essentiellement dfini comme place, par ce quil reoit, ou mieux parla faon dont une certaine place vide, condition de toute combinatoire ou detoute invariance, peut tre surdtermine dans un ordre de langage en mmetemps que dans un ordre dchange ou de rciprocit entre des moitis dutout social, lun et lautre tant rigoureusement dtermins, bien que leursuperposition apparaisse comme contingence pure 6. Mais un Lvi-Strauss plustardif, et encore trop mal connu des philosophes, dont Patrice Maniglier vientde donner un commentaire mes yeux trs clairant 7 : celui, par exemple, deLHomme nu (Mythologiques, IV) dont la conclusion mne bien la tcheannonce dans La Pense sauvage : ce qui, du sujet, est ici constitu (voireconstitu en tant que constituant), cest la pense elle-mme dont lexp-rience constitutive nest pas celle dune opposition entre le moi et lautre, maisde lautre apprhend comme opposition. dfaut de cette proprit intrin-sque la seule, en vrit, qui soit absolument donne , aucune prise deconscience constitutive du moi ne serait possible. Ntant pas saisissablecomme rapport, ltre quivaudrait au nant. Les conditions dapparition dumythe sont donc les mmes que celles de toute pense, puisque celle-ci nesaurait tre que la pense dun objet, et quun objet nest tel [...] que du faitquil constitue le sujet comme sujet, et la conscience elle-mme commeconscience dune relation , partir dune premire opposition injectedans la perception. Ainsi la structure nest plus un tout, elle nest plus proprement parler une combinatoire (les deux choses tant vrai dire indisso-ciables), mais elle est un procs de dplacement indfiniment largi et vari la surface de la terre des couples oppositionnels qui, insrs dans autant dercits qui se rpondent les uns les autres, font de la nature le paradigme de laculture, ou de laltrit concrte dans laquelle les hommes projettent leurspropres relations, et donc leur singularit.

    Si rapides soient ces exemples, on voit quils entranent deux leons. Dabordque la structure dont parlent, ou se servent, ou que constituent les discoursstructuralistes, nest jamais une structure de premier degr (ou de premire

    6. Jinterprte ainsi la description que donne Lvi-Strauss du rapport entre appellations et alliances dans les structures de parents, inspir par la thmatique saussurienne de larbitrairedu signe, mes yeux beaucoup plus intressant que la thmatique spculative de la structure desstructures (le triple change des femmes, des biens, et des mots).

    7. Dans Les Temps modernes.

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    position , comme disait Bachelard), totalit ou systme de parties soumises la loi de la discrtion, de la diffrence ou de la variation et de linvariance, maistoujours une structure de seconde position , cest--dire une utilisation detelles formes logiques et analogiques au second degr, de faon y placer unediffrence de diffrences, quon pourra nommer sujet , et qui dterminera unpoint de vue sur le systme. Profond leibnizianisme, en ce sens, de tout struc-turalisme. Ensuite, que lopration primordiale du structuralisme est toujoursdj politique, et politiquement subversive. Ce nest pas par hasard que jaivoqu plus haut, en termes quasi hgliens, mais qui pourraient tre aussirousseauistes, kantiens ou durkheimiens, la possibilit fondamentalement ins-crite dans la fonction constituante du sujet classique didentifier le Je au Nous(la phrase cl de Hegel dans la Phnomnologie : Ich, das Wir, und Wir, das Ichist), serait-ce dans la forme tlologique dune prsupposition transcendantaleet dune destination pratique. Mais les structuralistes avec leurs structures ins-rent toujours dj comme un os entre moi et nous, cest--dire entre soi et soi : lautre du sujet qui le constitue. Ils font ainsi virtuellement de lacommunaut un problme indfiniment ouvert, ou rouvert et non un donn ouune rsolution.

    Mais par l nous touchons dj, en fait, ce que jai appel le secondmouvement, le post-structuralisme inhrent au structuralisme, sans lequel enfait il ny aurait pas de structuralisme, ou dusage des structures constitutifdeffets de subjectivit constitue, drive. Car de quoi parlons-nous, lorsquenous disons que le sujet ne se constitue pas sans se diviser, et surtout sans setrouver spar de lui-mme par le signifiant, la forme dnonciation ou lavariation dont il est la trace ? Ce nest pas dun autre sujet, double du sujetlui-mme, ce nest pas non plus dun objet au sens de lobjectivit constitue,de la phnomnalit, bien quen un sens ce soit plus et ce soit moins. Javaisplus haut parl derridiennement de supplment ou dexcs. Jentends bienquon pourrait adopter dautres terminologies. Il va sans dire, dailleurs,quaucune unanimit, non seulement de terminologie, mais de style ou demthode, ne saurait ici rgner. Si les structuralismes sont fondamentalementhrtiques au regard les uns des autres, que dire des post-structuralismes ,o viennent se retrouver des discours et des textes dont les auteurs, pour certains,nont jamais figur eux-mmes comme structuralistes, et qui nous intressentpour la construction que nous croyons pouvoir faire, en les confrontant, duneffet rtroactif sur la structure.

    Une remarque pralable cependant : sil est une thmatique laquelle, avecdextrmes prcautions, on pourrait peut-tre tenter de rattacher llment cri-tique du post-structuralisme par rapport au structuralisme, je crois que ce seraitcelui dune critique de la norme et de la normalit, non pas au profit de lobjec-

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    tivit, de la factualit, mais en vue dune entreprise de transmutation des valeursdont la reconnaissance de leur dissimulation en essences, fondements, ou faits,est la condition pralable. Profond nietzschisme, en ce sens, de tout post-structuralisme. Je crois bien que cest llment commun toute identificationdes structures comme dterminismes aussi bien que comme entits au sensdune ontologie relationnelle , comme systmes homognes ou auto-subsistants, et, en ce sens, comme images ralises de la non-contradiction.Cest aussi lhorizon de ce que Foucault appelle pouvoir , ou pouvoir-savoir . nouveau, donc, nous serions dans une politique, ou une mta-politique. Mais ceci tant dit, nous sommes aussi en pleine dispersion.

    Reprenons Lvi-Strauss, par exemple. Un petit texte, cette fois, mais de grandeffet et qui communique avec tout un courant de lanthropologie contempo-raine : Cosmopolitisme et schizophrnie , quon trouvera au chap. XII duRegard loign. Cest toujours de la pense quil sagit, sans doute, mais nonpas ici selon la structure des oppositions. Plutt selon celle des diffrences entredeux modes dorganisation des contenus dans la forme dun systme de pen-se : le mode du mythe et celui du dlire. Lvi-Strauss, qui ne croit pas auxvariantes relativistes extrmes de lethno-psychiatrie, nous dit quil subsiste unediffrence insurmontable entre les deux, mais il nous montre aussi que cettediffrence na aucune nature propre, quelle varie effectivement dune culture lautre, et que, par consquent, en ce qui concerne la diffrence du normal etdu pathologique, elles sont condamnes la mconnaissance rciproque, en toutcas lincertitude. Ailleurs la mme dmonstration avait pu tre conduite propos du masculin et du fminin. Il sagit en gnral de ce que jappelle pourma part les diffrences anthropologiques, qui sont toujours, ou du moins peuventdevenir loccasion dune sujtion, mais qui ont ceci de malais que, si leurexistence est indissociable de la reprsentation que nous nous faisons delhumain (et sans reprsentation de lhumain, il ny a pas dhumanit, lhuma-nit est sa reprsentation ), le lieu ou le point de leur diffrence demeureirreprsentable sauf exhiber des ftiches.

    Mais voici encore une situation thorique : sujet et sujtion . Il esttemps dy revenir, ne serait-ce que dun mot. Tout ce grand jeu de mots historial vient du droit romain, passe par Rousseau, par Nietzsche, par Bataille,mais devient justement la caractristique stylistique, ou rhtorique, la plus vi-demment commune toute la philosophie franaise qui cherche trouver leseffets de pouvoir au cur des effets de structure, ou mieux encore y pourchassele point dachoppement qui pourrait tre interprt comme rsistance. Par olon voit dabord que nul na vraiment pris plus au srieux que les structuralisteseux-mmes le reproche qui leur fut fait demble de ramener le sujet auxstructures pour le plonger dans lesclavage... On sait ce quil en est : pas de

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    sujet sans sujtion, sans doute, au sens premier, plastique, du terme (commeDerrida appelle propriation ce procs dont lappropriation aussi bien quelexpropriation sont des moments). Mais quest-ce que la sujtion du sujet ?Une diffrentielle dassujettissement et de subjectivation, cest--dire de passi-vit et dactivit, peut-tre de vie et de mort, ou de mtamorphose et de des-truction. Nous navons pas de formule univoque pour la penser, encore moinsde critres pour en reprer le tournant, qui peut tre celui de lextrme violence,du surgissement de ce que Lacan aprs Freud appelle la Chose (das Ding)dsindividualise et dsubjective, en lieu et place des objets auxquels satta-chent la volont et le dsir du sujet (mme si nous avons des exemples de saprsence hallucinatoire, ou de sa surprsence, qui nest plus une prsence soi,dans le rel de lexprience individuelle ou collective celle de la jouissanceou de la terreur).

    cette dialectique par dfinition radicalement aportique de la sujtion (subjection) comme diffrentielle dassujettissement et de subjectivation sanssymtrie ni renversement, dont elle fait une remarquable analyse dans ThePsychic Life of Power, Judith Butler ajoute un paradoxe supplmentaire, auquelnon sans malice elle donne le nom de discursive turn (ou return), la fois situsur la scne de la subjectivation et constitutif de cette scne. Tous les structu-ralistes sy prtent dans la mesure prcisment o ils rcusent les facilits dumta-langage. Mais cest Althusser qui dans son essai Idologie et appareilsidologiques dtat lui donne en quelque sorte sa forme pure : pas de sujet qui ne se nomme lui-mme, ou plutt que la thorie ne mette en scne commese nommant lui-mme, et donc sassujettissant dans le geste par o il se faitsurgir de ce qui nest pas encore lui (un pr-sujet : lindividu, dans laterminologie dAlthusser), et devient, par l mme, toujours dj lui. Pas deconstitution structurale du sujet qui ne soit, sinon, comme le sujet mtaphysique,image et ressemblance du Crateur, du moins performance ou enactment iro-nique dune causa sui linguistique. Ce que jappelais plus haut, mais simple-ment pour en marquer laporie, prsentation ou rinscription de la limite partir de sa propre imprsentabilit quon peut appeler diffrence inassigna-ble, violence, ou passivit radicale, cest--dire aussi Chose, visage de la mort,scne primitive de linterpellation... nous maintenant de dcider, et je megarderai bien den trancher au nom de quelque norme, sil sagit l du tombeaudu structuralisme ou de la question qui induit sa relance indfinie, sonrecommencement.

    Deleuze, dans larticle que jai cit, anticipant dj cette question, crivaitdans son style personnel que le hros structuraliste , ni Dieu ni homme, nipersonnel ni universel [...] sans identit, fait dindividuations non personnelleset de singularits pr-individuelles assure lclatement dune structure affecte

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    dexcs ou de dfauts [...] oppose son propre vnement idal aux vnementsidaux... . Coupe de son contexte immdiat, cette phrase me parat la foissuffisamment parlante et suffisamment obscure pour indiquer, en dautres ter-mes, le sens de la question que je viens de poser.

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