Aspects fractal et topologique du transport...

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Universit´ e Libre de Bruxelles Facult´ e des Sciences Service de Chimie-Physique Aspects fractal et topologique du transport quantique emoire pr´ esent´ e en vue de l’obtention du grade l´ egal de licenci´ e en Sciences physiques ealis´ e sous la direction de Pierre Gaspard Nathan Goldman Mai 2005

Transcript of Aspects fractal et topologique du transport...

  • Université Libre de Bruxelles

    Faculté des Sciences

    Service de Chimie-Physique

    Aspects fractal et topologique dutransport quantique

    Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade légalde licencié en Sciences physiques

    Réalisé sous la direction de Pierre Gaspard

    Nathan Goldman

    Mai 2005

  • A mes grands-parents,cultivateurs d’amour, de sagesse et de réflexion

  • Préface

    C’est au travers de la lecture du syllabus de ”Mécanique Quantique” quej’ai découvert le Professeur Pierre Gaspard. La grande richesse de ce textem’a impressionné, elle a suscité chez moi un grand intérêt pour le mondequantique. Un an plus tard, suite à une discussion intéressante, le ProfesseurGrégoire Nicolis m’ouvrit les portes de son service et me proposa d’entamerun premier travail traitant de la chaologie quantique avec son collaborateurPierre Gaspard. Cette première expérience m’enthousiasma, le sujet derecherche qui m’était proposé étant d’une grande originalité. Le soutien etles éclaircissements de Pierre Gaspard m’ont encouragé à réaliser mon travailde mémoire sous sa direction. Cette année fut riche en acquis, en découvertesainsi qu’en émotions. Je remercie le Professeur Pierre Gaspard pour l’intérêtqu’il m’aura porté au cours des deux dernières années. Je remercie égalementle Professeur Grégoire Nicolis pour m’avoir si chaleureusement accueilliau sein du Centre d’Etude des Phénomènes Non-linéaires et des SystèmesComplexes. Je remercie finalement les chercheurs et doctorants du servicequi m’ont soutenu tout au long de l’année : M. Esposito, E. Gerritsma, D.Andrieux, J. Servantie, S. Viscardy et T. Gilbert.

    Le présent manuscrit constitue l’achèvement d’un premier cycle d’étudessupérieures. Durant ces quatre années, qui aboutissent en cette ”AnnéeMondiale de la Physique”, de nombreuses personnes m’ont encouragé et ontcontribué à mon épanouissement. Il me semble donc important de remercierà cette occasion le département de Physique ainsi que le département deMathématique de l’ULB.

    Depuis le jardin d’enfant où il m’initia aux constructions en Clippo c©,jusqu’à ce jour où ses connaissances en théorie quantique des champs et eninformatique me sont d’une aide précieuse, Pasquale Nardone a largementcontribué à mon éducation. Je profite de cette occasion pour le remercierd’avoir été à mes côtés tout au long de ces années, et surtout de m’avoirconvaincu, lors d’une longue soirée de printemps, à embrasser le monde

  • VIII Préface

    fascinant de la physique.

    Certains professeurs possèdent cette remarquable capacité de transmettreleur passion à leurs élèves. Michel Carlier, Jean-Louis De Bock, Sylvie Wanetet Jacques Lelaidier, professeurs de Mathématiques et de Physique-Chimie àl’Ecole Européenne d’Uccle, font incontestablement partie de cette élite. Jeles remercie d’avoir soutenu et progressivement développé mon intérêt pourles sciences exactes, et cela avec humour et panache.

    Comme l’ont chanté les Beatles en 1967, ”I get by with a little help frommy friends”. Ils sont nombreux ces amis qui m’ont accompagné et soutenuau cours de ces dernières années. Je désire remercier les amis de la ”classede physique” pour avoir rendu les séances d’exercices aussi délirantes etles moments de détente aussi intéressants. Je remercie chaleureusement lesétudiants d’autres années qui m’ont également apporté beaucoup de plaisirpendant ces quatre années d’étude. Je remercie Pierre, Olivier, Yassin, Davidet les Klezwhatever pour les moments de musique et de réflexion qui m’ontété d’un grand réconfort.

    Je tiens à remercier Jim Goldman pour son chaleureux soutien ainsi quepour les nombreux envois d’articles en provenance de l’Université de Warwick.

    Je remercie le Professeur Raoul Weil, chercheur au Technion Israel Institueof Technology, pour m’avoir généreusement envoyé un article qui s’est révéléfondamental pour ce travail (et qui demeurait jusqu’alors introuvable enBelgique et sur le web).

    Je remercie mes parents qui m’ont permis d’ouvrir les yeux sur un universoù Sciences, Philosophie et Art s’entremêlent dans une mer de tendresse. Jeremercie finalement mes deux princesses, Noémie et Deborah.

    Nathan GoldmanBruxelles, Mai 2005

  • Table des matières

    1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

    2 Modèle d’Hofstadter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52.1 Description du modèle d’Hofstadter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52.2 Spectre d’énergie et résolutions numériques . . . . . . . . . . . . . . . . . 82.3 Indexation des zones interdites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102.4 Etude du modèle anisotrope . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

    2.4.1 Equation de Harper et dualité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132.4.2 Investigations numériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

    3 Quantification de la conductance de Hall . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233.1 La conductance de Hall . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233.2 Quantification de la conductance de Hall en mécanique

    quantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253.2.1 Effets Hall quantiques entier et fractionnaire . . . . . . . . . . 253.2.2 Formule de Kubo et résultats de Thouless et al. [46] . . . 273.2.3 Résultat de Kohmoto [29] . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

    4 Eléments de géométrie différentielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 414.1 Quelques notions de base sur la théorie des espaces fibrés . . . . . 42

    4.1.1 Espace fibré tangent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 424.1.2 Espace fibré principal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 444.1.3 Sections, fonctions de transition et trivialité . . . . . . . . . . 474.1.4 Connexions, holonomie et courbures . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

    4.2 Classification des espaces fibrés et les invariants topologiques . . 514.2.1 Polynômes invariants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 514.2.2 Classes de Chern et nombres de Chern . . . . . . . . . . . . . . . 53

    5 Nombres de Chern, conductance de Hall et diagrammesdes phases quantiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 555.1 La conductance de Hall en termes des nombres de Chern . . . . . 56

  • X Table des matières

    5.1.1 Courbure de Berry . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 565.1.2 Les nombres de Chern pour l’effet Hall quantique entier 58

    5.2 Evolution des nombres de Chern et les phases quantiques . . . . . 59

    6 Les graphes quantiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 656.1 Les graphes quantiques et leurs propriétés spectrales . . . . . . . . . 666.2 Etude du spectre d’énergie associé à un graphe quantique

    rectangulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 696.2.1 Equation de Harper généralisée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 716.2.2 Résolutions numériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73

    7 Quantification de la conductance de Hall sur les graphesquantiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 797.1 Formule de Kubo pour les graphes quantiques . . . . . . . . . . . . . . . 797.2 Quantification de la conductance de Hall et diagrammes des

    phases . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 827.2.1 Modèle à diffusion anisotrope . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 857.2.2 Diagramme des phases pour le graphe quantique . . . . . . 88

    8 Conclusions et perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91

    Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

  • 1

    Introduction

    Dans le cadre de la physique statistique de non-équilibre, les propriétésde transport et leur étude par des équations cinétiques sont des sujets d’unegrande actualité. En effet, les propriétés de transport, comme la viscositédes fluides ou la conduction électrique, interviennent dans de nombreusesapplications technologiques et déterminent le fonctionnement des appareils.Leur connaissance est donc essentielle dans toute la gamme des températures,depuis la température ambiante où la modélisation s’effectue souvent surbase de la mécanique classique et où les effets dissipatifs sont importants,jusqu’aux basses températures où les effets quantiques se manifestent no-tamment dans les phases quantiques telles que la supraconductivité ou lasuprafluidité. De manière générale, les propriétés de transport sont le fait dessystèmes hors d’équilibre et leur étude théorique nécessite de faire appel à laphysique statistique de non-équilibre.

    Le tenseur de conductivité, qui relie le courant électrique aux champsextérieurs, occupe une place centrale dans le cadre de la théorie du transportquantique. La partie symétrique de ce tenseur décrit des phénomènes detransports dissipatifs tels que l’effet Joule tandis que sa partie antisymétriquedécrit des phénomènes conservatifs tels que l’effet Hall.

    Découvert en 1878, l’effet Hall [19] est à la base d’un grand champde recherches théoriques et expérimentales. En effet, si la conductance deHall est une grandeur physique exploitée depuis le modèle classique deconduction électronique pour caractériser les métaux, elle joue aujourd’huiun rôle important en mécanique quantique non-relativiste. L’attentionqu’on lui porte depuis les années 1980 est due aux travaux de Klaus vonKlitzing [28], réalisés au Laboratoire des Champs Magnétiques Intensesde Grenoble. Ses travaux ont mis en évidence la remarquable quantifi-cation de cette grandeur physique qui évolue par multiples entiers d’uneconstante fondamentale de la nature, à savoir e2/h, lorsque le système estplongé à très basse température. Cette quantification, connue sous le nom

  • 2 1 Introduction

    d’effet Hall quantique entier, est d’autant plus étonnante qu’elle résisteaux imperfections et aux variations géométriques des matériaux. Peu detemps après cette découverte, les théoriciens apportent une explication auphénomène en associant la conductance de Hall à un invariant topologique [9].

    Cette interprétation est obtenue en développant un formalisme basésur la géométrie différentielle et la topologie. Les invariants topologiquesdont il est question dans la théorie quantique de l’effet Hall sont appelésnombres de Chern et sont bien connus des mathématiciens [38]. Ces nombresmesurent la non-trivialité d’objets mathématiques nommés espaces fibrés etsont nécessairement entiers. L’évolution de la conductance de Hall, sous uneperturbation extérieure, s’effectue ainsi par paliers, comme dans l’observationde Klaus von Klitzing.

    Les transitions des nombres de Chern sont interprétées comme destransitions de phases quantiques, pour lesquelles chaque phase est représentéepar la valeur de sa conductance de Hall. Le diagramme des phases décrivantces transitions est obtenu en 2001 par D. Osadchy et J. Avron [41] sur basedu modèle d’Hofstadter [23].

    Le modèle d’Hofstadter décrit le comportement d’électrons soumis à unchamp magnétique et contraints par un potentiel périodique. Dans ce modèlesimplifié, les états électroniques atomiques du réseau sont considérés commelégèrement perturbés par les électrons de conduction. Les fonctions d’ondessont alors définies aux différents noeuds du réseau, et le système étudié estdiscret. Le spectre d’énergie associé à ce modèle présente des propriétésétonnantes d’autosimilarité et la représentation de l’énergie en fonction del’amplitude du champ magnétique forme une structure fractale. Un lienétroit existe entre la structure fractale, nommée papillon d’Hofstadter, et lesdifférentes valeurs de la conductance de Hall mesurées sur base de ce modèle.

    Le but central de ce travail est l’étude de la quantification de la conduc-tance sur base d’un modèle original, nommé graphe quantique. Ce modèleétudie la propagation d’ondes au sein d’un réseau composé de guides d’ondeunidimensionnels reliés entre eux par des connexions ponctuelles. Il présentedes propriétés étonnantes et possède des applications dans des domainesaussi divers que la chimie quantique, la physique de la matière condensée,la chaologie quantique et les mathématiques. Dans un premier temps,nous effectuons une analyse originale des propriétés spectrales des graphesquantiques soumis à un champ magnétique uniforme. Nous proposons ensuited’étudier l’effet Hall quantique entier pour les graphes quantiques et d’obtenirfinalement le diagramme des phases correspondant.

    Cette étude requiert la mise en place de nombreuses notions. En effet,pour être en mesure d’étudier la quantification de la conductance de Hall et

  • 1 Introduction 3

    sa représentation en termes de diagrammes des phases, il est nécessaire desuivre par étapes les raisonnements basés sur le modèle d’Hofstadter.

    Au chapitre 2, nous étudions les propriétés spectrales du modèle d’Hof-stadter. Nous effectuons ensuite une étude originale du modèle anisotrope. Cechapitre vise essentiellement à mettre en place les outils qui nous permettrontd’aborder l’étude spectrale des graphes quantiques soumis à un champmagnétique.

    Nous étudions l’effet Hall quantique entier au chapitre 3. Une expressiondérivée de la célèbre formule de Kubo [31] met en évidence la quantificationde la conductance de Hall. Le résultat de Thouless et al. [46], qui exprimele lien important entre la structure fractale d’Hofstadter et les valeurs de laconductance de Hall, est établi. Les étapes de la démonstration de ce résultatprésentée par M. Kohmoto [29] sont ensuite données.

    Le chapitre 4 peut éventuellement être considéré comme une annexepar le lecteur pressé. Dans ce chapitre, les notions de géométrie différentiellerelatives à la théorie des espaces fibrés sont traitées. Les nombres de Chern,qui jouent un rôle fondamental dans notre étude, y sont définis. L’importancede ces invariants topologiques dans le cadre de l’effet Hall quantique entiernous invite à présenter ce chapitre au sein de ce travail.

    L’effet Hall entier est décrit en termes des nombres de Chern au chapitre5. L’évolution de la conductance de Hall est ensuite décrite et le diagrammedes phases représenté.

    Au chapitre 6, nous effectuons l’étude du spectre d’énergie d’un graphequantique rectangulaire soumis à un champ magnétique.

    L’effet Hall quantique entier est finalement étudié sur base des graphesquantiques au chapitre 7. Une expression de la conductance de Hall entermes des nombres de Chern est obtenue à partir de la formule de Kubo. Cechapitre aboutit au diagramme des phases pour ce modèle particulier.

    Nous concluons ce travail au chapitre 8.

  • 2

    Modèle d’Hofstadter

    Les propriétés de conduction électronique au sein de la matière sont bienconnues depuis les travaux de Felix Bloch (1905-1983) qui développa unethéorie quantique de la conduction dans les métaux en 1928 [12]. Depuisses travaux, on mit en place de multiples modèles décrivant des systèmesphysiques relativement variés. On étudie par exemple les niveaux d’énergieélectroniques pour des métaux assimilés à des gaz d’électrons libres faiblementperturbés par un potentiel périodique. On peut également considérer unmodèle dans lequel les électrons interagissent fortement avec les atomes quicomposent le cristal, de telle sorte que les fonctions d’onde décrivant lesélectrons ne se superposent que très légèrement d’un noeud à l’autre : il n’ya d’interaction qu’entre les électrons associés à des noeuds premiers-voisins.Dans ce dernier modèle, généralement appelé tight-binding model, on étudie lafaçon dont les niveaux d’énergie atomiques sont perturbés par la conduction.Le modèle d’Hofstadter [23] est basé sur ce modèle et décrit la structure d’unebande d’énergie de Bloch associée à un cristal soumis à un champ magnétique.Le spectre d’énergie obtenu numériquement par Hofstadter, généralementnommé papillon d’Hofstadter, présente des structures autosimilaires qui sonttypiques des figures fractales [35]. Nous verrons que ce spectre joue un rôletrès important dans le cadre du transport quantique lorsque nous étudieronsle problème de la quantification de la conductance de Hall aux chapitres 3et 5. Ce modèle permet également d’étudier les propriétés de localisationd’Anderson, présentant ainsi un certain intérêt en chaologie quantique [18, 45].

    2.1 Description du modèle d’Hofstadter

    Dans un article devenu célèbre, Douglas R. Hofstadter [23] étudie le com-portement d’électrons évoluant dans un cristal carré bidimensionnel soumis àun champ magnétique. Ce problème peut être traité de plusieurs façons : onpeut considérer des états de Landau (électrons libres perturbés par un champ

  • 6 2 Modèle d’Hofstadter

    magnétique) contraints à circuler dans un potentiel périodique, soit considérerdes états de Bloch (électrons évoluant dans un potentiel périodique) contraintspar un champ magnétique. Hofstadter considère la seconde approche et nes’intéresse qu’à la structure d’une seule bande électronique de Bloch. La fonc-tion d’énergie du modèle tight-binding que l’on considère est donnée par l’ex-pression

    W (k) = 2E0 (cos kxa+ cos kya) (2.1)

    où E0 est l’énergie atomique non perturbée par l’effet collectif du cristal, a estla longueur d’une maille élémentaire du réseau1, et k est le vecteur d’onde quiprend ses valeurs dans la première zone de Brillouin2. Pour rappel, le vecteurd’onde joue un rôle important dans le théorème de Bloch qui stipule que sil’Hamiltonien décrivant le système est invariant sous des translations spatiales,la fonction d’onde ψ(r) peut s’écrire en termes d’une fonction périodique u(r)au moyen d’une phase :

    ψk(r) = eik·ruk(r) (2.2)

    On effectue la substitution de Peierls, ~k → p−eA, qui introduit le champmagnétique B = ∇ × A dans la fonction d’énergie (2.1). Il a été montréà plusieurs reprises que cette manipulation doit être effectuée délicatement[39], celle-ci pouvant mener à des erreurs lors de certaines déterminationsde spectres d’énergie [3]. Dans ce cadre-ci, cette substitution s’est révéléeadéquate et justifiable.

    En développant ensuite les fonctions cosinus en exponentielles, la fonctiond’énergie (2.1) semble comprendre des opérateurs de translation T̂ = eiap̂/~.Cette fonction peut être interprétée comme étant un Hamiltonien effec-tif, généralement appelé Hamiltonien de Hückel, et satisfait l’équation deSchrödinger indépendante du temps

    Heff ψn(x, y) = En ψn(x, y) (2.3)

    où la fonction propre ψn(x, y) correspond à la fonction d’onde décrivant unélectron d’énergie En. On choisit de travailler dans la jauge de Lorentz A =(0, B x, 0) et pouvons alors réécrire l’équation (2.3) sous le forme

    1 On considère ici le cas isotrope pour lequel les longueurs des liens sont iden-tiques et les intégrales de transfert, qui tiennent compte de l’interaction entre lesélectrons associés à des sites voisins, sont choisies égales à un.

    2 La zone de Brillouin k ∈ [− πli, π

    li] est le domaine de variation du vecteur d’onde

    k dans le réseau réciproque appartenant à l’espace dual. Les valeurs du vecteurd’onde sont quantifiées ki =

    2πLin, n ∈ N, où li est la longueur d’une maille

    élémentaire et Li la longueur totale du réseau selon la direction i.

  • 2.1 Description du modèle d’Hofstadter 7

    E

    E0ψ(x, y) = ψ(x+ a, y) + ψ(x− a, y)

    + e−ieBax/~cψ(x, y + a) + eieBax/~cψ(x, y − a) (2.4)

    où l’action des opérateurs de translation est explicite, par exempleeiapx/~ψ(x, y) = ψ(x+ a, y).

    Le choix de jauge rend l’Hamiltonien symétrique par rapport aux transla-tions discrètes selon y. Cette symétrie nous permet d’invoquer le théorème deBloch

    ψ(ma, na) = eiνn g(m) (2.5)

    où x = ma, y = na (n,m ∈ Z) et ν est le paramètre de Bloch correspondant àune translation dans la direction y (ν = νy). L’étude du réseau bidimensionnelest maintenant réduite à un problème unidimensionnel. En définissant � =E/E0 et en introduisant le paramètre Φ = eBa2/h (nombre de quanta de fluxmagnétique par cellule unité), on peut réécrire l’équation de Schrödinger (2.4)

    g(m+ 1) + g(m− 1) + 2 cos(2πmΦ− ν)g(m) = � g(m) (2.6)

    Cette équation, appelée équation de Harper, rappelle l’équation décrivant lalocalisation quantique du modèle d’Anderson [4] qui a été largement étudiéedans le cadre de la chaologie quantique (par exemple [45] ou [18]). Par analogieavec ces études, on réécrit l’équation (2.6) sous la forme d’un système matriciel(

    g(m+ 1)g(m)

    )=(�− 2 cos(2πmΦ− ν) −1

    1 0

    )(g(m)

    g(m− 1)

    )(2.7)

    La matrice de transfert 2 × 2, notée A(m, �, Φ), transforme le vecteur〈g(m), g(m− 1)〉 en un vecteur 〈g(m+ 1), g(m)〉.

    A ce stade, nous imposons des conditions périodiques sur le système infini :la matrice A(m) est périodique, de période q, de sorte à pouvoir étudier lesystème sur une portion de la châıne infinie. Cette condition de périodicitéimplique qu’il existe un nombre entier p tel que

    2πΦ(m+ q)− ν = 2πΦm− ν + 2πp (2.8)

    d’où l’on tire la condition de rationalité du flux : Φ = pq où p, q ∈ Z. Cettequantification s’obtient également en considérant l’opérateur de translationmagnétique V, défini par V ψ(n,m) = e2πiΦm ψ(n− 1,m) et en imposant desconditions de périodicité sur l’axe x : ψ(n+ q,m) = ψ(n,m).

    Nous considérons à présent le produit

    Q(�, Φ) = A(q, �, Φ) ·A(q − 1, �, Φ)... A(2, �, Φ) ·A(1, �, Φ) (2.9)

  • 8 2 Modèle d’Hofstadter

    La matrice produit Q transforme un vecteur initial 〈g(1), g(0)〉 en unvecteur 〈g(m + 1), g(m)〉. L’étude de la localisation quantique (cf. [45]) nousamène à considérer la trace de la matrice Q :

    – pour |TrQ(�, Φ)| < 2 les fonctions g(m) sont délocalisées et varientpériodiquement ;

    – pour |TrQ(�, Φ)| > 2 les fonctions g(m) croissent ou décroissent expo-nentiellement. Cette seconde situation est physiquement acceptable etles solutions sont qualifiées d’états localisés. L’inverse de la longueurde localisation moyenne est donnée par λ̄−1 = limN→∞ 1N ln[TrQ].

    Par conséquent, pour une valeur fixée du flux Φ, seules les énergies � tellesque |TrQ(�)| < 2 correspondent à des états de Bloch et seront ainsi retenues.Il est intéressant d’observer que la condition sur la trace de la matrice detransfert Q(�, Φ) revient à demander que cette matrice ait la propriété d’êtreunitaire3, préservant ainsi la norme.

    2.2 Spectre d’énergie et résolutions numériques

    Les conditions physiques imposées sur la trace de la matrice de transfertoffrent une structure complexe au spectre associé au modèle d’Hofstadter.Pour une valeur donnée du paramètre Φ = p/q, la bande électronique deBloch se fractionne en q sous-bandes, séparées par des régions interdites(correspondant à des solutions localisées ou exponentiellement croissantes).En effet, TrQ (�, Φ = p/q) est un polynôme de degré q en �, et l’inégalité|TrQ(�)| < 2 est donc satisfaite dans q régions situées autour des q zéros dupolynôme TrQ − 2. Ces q régions se regroupent de façon complexe, et leurcomportement en fonction du paramètre Φ est surprenant.

    Le spectre d’énergie associé à une bande de Bloch peut être calculénumériquement. La matrice Q est engendrée pour différentes valeurs deΦ = p/q, et les énergies � satisfaisant à la condition |TrQ(�)| < 2 sontsélectionnées. Le spectre d’énergie, tracé en fonction du flux par cellule unitéΦ est représenté à la figure 2.1.

    La structure du spectre ainsi obtenu est complexe. Le regroupement dessous-bandes possède la propriété d’autosimilarité, soit une reproduction dela même structure à différentes échelles. Le caractère fractal de cette figurea été étudié par divers auteurs depuis la découverte d’Hofstadter. Ce derniera effectué une analyse numérique aboutissant à un algorithme décrivant

    3 La matrice Q ayant un déterminant égal à un, la condition |TrQ(�)| < 2 estsatisfaite si et seulement si les valeurs propres de la matrice Q se trouvent sur lecercle unité.

  • 2.2 Spectre d’énergie et résolutions numériques 9

    Φ

    Fig. 2.1. Papillon d’Hofstadter : Φ (flux magnétique par celle unité) en fonction de� (l’énergie associée à une bande de Bloch)

    le regroupement des sous-bandes aux différentes échelles. Il en conclutnotamment que pour une valeur irrationnelle du flux Φ, la figure constitue unobjet similaire à l’ensemble de Cantor (ensemble de mesure nulle, nulle partdense, de dimension de Hausdorff DH = log 2/log 3 ≈ 0.63 et qui représenteune figure emblématique des objets fractals). Dans un article datant de 1998,R. Ketzmerick et al. étudient les ensembles de Cantor correspondant auxvaleurs irrationnelles du flux et y associent une dimension de Hausdorff DH[27]. D’après cette publication, la dimension fractale de ces ensembles estnécessairement égale ou inférieure à 1/2.

    Outre l’autosimilarité, le spectre possède les propriétés suivantes :

    – il est symétrique par rapport à � = 0– il est symétrique par rapport à Φ = 1/2– il est invariant sous la transformation Φ→ −Φ– le domaine des valeurs permises est −4 < � < 4– le spectre est périodique en Φ de période unité

    Nous pouvons restreindre l’étude de cette figure périodique à sa première

    cellule : 0 < Φ < 1. En effet, la distance a est typiquement de l’ordre de 2◦A

    pour un cristal réel. La valeur Φ = 1 correspond donc à un champ magnétiqueextrêmement intense B ∼ 1013 T , irréalisable au laboratoire. Toutefois, il est

  • 10 2 Modèle d’Hofstadter

    possible d’observer expérimentalement le papillon d’Hofstadter en mesurantle spectre d’un système décrit par l’équation de Harper. Par exemple, la pro-pagation de micro-ondes au travers d’un guide d’onde composé d’une sérieunidimensionnelle de collisionneurs dont les distances varient périodiquementest décrite par une matrice de transfert équivalente à la matrice Q du modèled’Hofstadter. Une telle expérience a été réalisée par Kuhl et Stöckmann [32]et nous représentons à la figure 2.2 le résultat de cette étude.

    Fig. 2.2. Spectre de transmission pour des micro-ondes se propageant dans unarrangement périodique de 100 collisionneurs. Les deux premières bandes de Blochsont représentées. Source : Kuhl and Stöckmann [32]

    2.3 Indexation des zones interdites

    Il apparâıtra plus loin dans ce travail qu’il est nécessaire de caractériserles différentes bandes interdites présentes dans le papillon d’Hofstadter. Ace stade, nous décrivons une méthode efficace établie par G. H. Wannier quiattribue deux nombres entiers à chaque bande interdite. Ces deux nombres

  • 2.4 Etude du modèle anisotrope 11

    joueront un rôle essentiel dans l’étude de la quantification de la conductancede Hall décrite aux chapitres 3 et 5.

    Dans un article publié en 1978, G. H. Wannier [47] étudie la structurationautosimilaire des sous-bandes à partir de la densité d’états se trouvant sousune bande interdite : ρ(Φ) . Il considère la fonction de poids cumulé

    W (Φ) =∫ Φ

    0

    ρ(Φ′)dΦ′ (2.10)

    telle que W ∈ [0, 1]. Les propriétés particulières du spectre impliquent quepour chaque sous-région du spectre, la densité W est proportionnelle au fluxmagnétique Φ. En tenant compte des résultats d’Hofstadter, Wannier obtientles équations de ces fonctions linéaires pour chaque sous-région. Il observepar ailleurs que ces droites traversent exactement les différentes bandesinterdites du spectre qui délimitent les sous-régions considérées. Il proposealors de caractériser chaque bande interdite par un couple (M,N) qui spécifiela droite W = M +NΦ qui le traverse exactement (cf. figure 2.3).

    On observera par exemple les droites diagonales W = Φ et W = 1 − Φqui caractérisent les bandes interdites principales du papillon auxquelles onattribuera alors les couples (0, 1) et (1,−1). On représente à la figure 2.4l’indexation des quelques bandes interdites principales.

    Les nombres N et M sont les solutions d’une équation diophantine quirelie la rieme bande interdite aux entiers p et q qui déterminent la valeur duflux Φ = p/q

    r = qM + pN (2.11)

    Dans la littérature, on rencontre généralement les notations M = sr etN = tr, l’équation diophantine habituelle s’écrivant

    r = q sr + p tr (2.12)

    L’étude de l’effet Hall sur base du modèle d’Hofstadter établira un lienfondamental entre le nombre tr et la valeur de la conductance de Hall (cf.chapitres 3 et 5).

    2.4 Etude du modèle anisotrope

    L’étude du modèle d’Hofstadter a été effectuée par divers auteurs, no-tamment pour sa grande richesse spectrale ainsi que pour son rôle importanten physique de la matière condensée. En effet, les propriétés spectrales dece modèle ont contribué à la compréhension de la supraconductivité [24] et

  • 12 2 Modèle d’Hofstadter

    W

    Φ

    Φ

    Fig. 2.3. Papillon d’Hofstadter représenté par régions et sa trivialisation en termesdes droites W = M +NΦ qui caractérisent chaque bande interdite (� est l’énergie,W la densité d’états et Φ le flux magnétique par cellule unité exprimés dans lesunités naturelles). Source : G. H. Wannier [47]

    des effets Hall quantiques (cf. chapitres 3 et 5). La correspondance entre lasupraconductivité et le modèle d’Hofstadter provient du fait que l’équationlinéarisée de Ginzburg-Landau, qui décrit un supraconducteur proche de satransition, présente une grande similarité avec l’équation de Harper (équation(2.6)). Afin d’appliquer les résultats extraits de ce modèle à de nombreuxsystèmes physiques (ex. matériaux supraconducteurs produits dans lescentres technologiques), il est important d’étudier les propriétés spectralespour toute une gamme de réseaux. On trouvera dans la littérature de tellesétudes qui analysent par exemple des réseaux triangulaire, honeycomb (enforme d’alvéoles), kagomé [22], T3 [1], désordonné [25], quasipériodique [26]ou fractal [17]. Il est également important de considérer un modèle qui tientcompte de l’interaction entre les électrons seconds voisins (modèle NNN) [21]lorsque l’hypothèse d’interaction entre électrons premiers voisins (modèleNN ou modèle d’Hofstadter usuel) n’est plus valable. Finalement, il est utiled’étudier le modèle d’Hofstadter anisotrope pour décrire le comportementd’une grande majorité de réseaux.

  • 2.4 Etude du modèle anisotrope 13

    Fig. 2.4. Papillon d’Hofstadter et indexation de quelques bandes interdites prin-cipales (E est l’énergie et φ le flux magnétique par cellule unité exprimés dans lesunités naturelles). Source : Y. Hasegawa, Y. Hatsugai, M. Kohmoto and G. Mon-tambaux [20]

    L’importance du modèle anisotrope est double dans ce travail. D’une part,il nous permettra d’approfondir nos connaissances de l’effet Hall quantiqueentier étudié au chapitre 3, généralisant le résultat d’Osadchy-Avron [41] ob-tenu pour le modèle isotrope. D’autre part, ce modèle présente des propriétésspectrales originales sur base desquelles nous effectuerons l’étude des graphesquantiques rectangulaires aux chapitres 6 et 7.

    2.4.1 Equation de Harper et dualité

    Afin de dériver l’équation de Harper produisant le spectre associé à unréseau anisotrope, il est nécessaire d’écrire la fonction d’énergie de Bloch entenant compte des différentes valeurs des intégrales de transfert. Dans cettesection, nous nous intéresserons au cas particulier d’un réseau rectangulaire,caractérisé par des liens de longueurs lx = a et ly = b. Dans cette situation,

  • 14 2 Modèle d’Hofstadter

    les intégrales de transfert prennent deux valeurs, selon que l’on considèrel’interaction entre des sites voisins disposés selon l’axe x ou selon l’axe y.Nous appellerons ces intégrales de transfert ta et tb. L’énergie de Bloch s’écritalors

    W (k) = 2E0 (ta cos kxa+ tb cos kyb) (2.13)

    En effectuant les mêmes étapes de calcul que celles développées à la section2.1, on obtient l’équation de Harper pour le système anisotrope

    g(m+ 1) + g(m− 1) + 2 tbtacos(2πmΦ− ν)g(m) = �

    tag(m) (2.14)

    qui est l’analogue de l’équation (2.6), que l’on retrouve pour ta = tb = 1.

    L’étude du modèle d’Aubry-André est utile pour aborder l’analyse des so-lutions de l’équation (2.14). Dans un article publié en 1980, Serge Aubry etGilles André [5] étudient la localisation d’états quantiques dans un réseau qua-sipériodique (réseau dont les longueurs sont incommensurables). Les fonctionsd’ondes, solutions de l’équation de Schrödinger pour un tel réseau, satisfontà une équation de Harper générale

    ψn+1 + ψn−1 + Λcos(2π τ n+ h)ψn = � ψn (2.15)

    où Λ, τ et h caractérisent l’effet du potentiel quasipériodique sur la fonc-tion d’onde ψn. Lorsque τ est irrationnel, cette équation admet des solutionsdélocalisées lorsque |Λ| < 2, et des solutions localisées lorsque |Λ| > 2, ca-ractérisées par une longueur de localisation moyenne λ̄ = 1/lnΛ2 . Lorsque|Λ| = 2, la situation est intermédiaire et présente des propriétés tout à faitparticulières. Lorsque τ est rationnel, les conclusions sont identiques maisdoivent être considérées moins strictes : certains états délocalisés patholo-giques satisfont (2.15) pour |Λ| > 2. Notons au passage, qu’un état localiséappartient à un espace de Hilbert l2 défini par la condition∑

    n

    |ψn|2

  • 2.4 Etude du modèle anisotrope 15

    – Lorsque ta < tb, le paramètre Λ > 2 et les solutions de (2.14) sontlocalisées.

    – Lorsque ta > tb, le paramètre Λ < 2 et les solutions de (2.14) sontdélocalisées.

    – Lorsque ta = tb, le paramètre Λ = 2 et on retrouve l’équation d’Hof-stadter pour le modèle isotrope.

    Ces différentes situations seront étudiées numériquement dans la sectionsuivante.

    L’équation de Harper pour le modèle d’Aubry-André présente une pro-priété intéressante de dualité. En effet, si on considère la transformation dedualité

    ψn = eikn+∞∑

    m=−∞fm eim(2πτn+h) (2.18)

    et qu’on effectue la substitution dans (2.15), on obtient

    fm+1 + fm−1 +4Λcos(2π τ m+ k)fm = 2

    Λfm (2.19)

    qui est identique à (2.15) en posant

    Λ̃ =4Λ

    h̃ = k �̃ =2�Λ

    {ψ̃} = {f} (2.20)

    Par conséquent, si fm est une solution de (2.19) satisfaisant∑

    n |fn|2 2, l’équation (2.15) admet des solutionslocalisées d’énergie � et l’équation (2.19) admet des solutions délocaliséesd’énergie �̃.

  • 16 2 Modèle d’Hofstadter

    Terminons cette section, en remarquant la possibilité d’interpréter la trans-formation de dualité comme étant une transformation de jauge pour le systèmed’Hofstadter. Pour ce faire, effectuons la transformation (2.18) aux fonctionsg(m) de l’équation (2.14) avec h = −ν et τ = Φ. On obtient

    f(n+ 1) + f(n− 1) + 2 tatbcos(2πnΦ− k)f(n) = �

    tbf(n) (2.21)

    qui correspond à l’équation (2.14) dans laquelle nous aurions effectué latransformation ta ↔ tb, Λ̃ = 2 ta/tb et k est le paramètre de Bloch correspon-dant à la direction x (k = νx). Il est aisé d’apercevoir que les deux équationsqui diffèrent par cette transformation, correspondent à un choix différentde potentiel vecteur lors de la substitution de Peierls (cf. section 2.1). Eneffet, l’équation (2.21) peut être dérivée de la même manière que (2.14) enchoisissant le potentiel vecteur A′ = (−B y, 0, 0) plutôt que A = (0, B x, 0).Il va de soi que ∇×A = ∇×A′ = B.

    Cette remarque est fondamentale dans l’étude du spectre électroniqueassocié au système anisotrope. En effet, à ta et tb fixés, un choix de potentielvecteur va déterminer le type d’états propres que nous obtiendrons à partirde l’équation de Harper. Si ta < tb, Λ > 2 et c’est l’équation de Harperobtenue en considérant le potentiel vecteur A′ qui sélectionnera les étatsdélocalisés que nous recherchons. Dans le cas contraire, il sera nécessaire deconsidérer le potentiel vecteur A.

    Notons pour conclure, que le choix de jauge détermine le type d’étatspropres obtenus et sélectionne ainsi un sous-ensemble du spectre d’énergie.En choisissant le potentiel vecteur A (resp. A′), on privilégie la directiony (resp. x) permettant d’invoquer le théorème de Bloch. Les états proprescorrespondant aux deux choix du potentiel vecteur sont

    ψnm = ψneimν A = (0, B x, 0) (2.22)

    ψ′nm = ψ′me

    ink A′ = (−B y, 0, 0) (2.23)

    avec k = νx et ν = νy.

    D’autre part, considérons la transformation de jauge A′ = A + ∇χ oùχ = −B xy. Cette transformation agit sur la fonction d’onde de la façonsuivante

    ψnm = ψ′nm eiBa2nm (2.24)

    En utilisant (2.22), (2.23) et (2.24), on obtient l’égalité

  • 2.4 Etude du modèle anisotrope 17

    ψ′m einkeiBa

    2nm = ψn eimν (2.25)

    qui ne peut être satisfaite en toute généralité. Cette dernière observation nouspermet de conclure que le théorème de Bloch sélectionne un type de fonctionpropre. La condition de trace ne permet donc pas d’obtenir l’ensemble detoutes les valeurs propres du système. Nous savons maintenant que cettesélection distingue les états propres localisés et délocalisés.

    2.4.2 Investigations numériques

    Afin d’être en mesure d’étudier numériquement le spectre électronique dusystème anisotrope, il sera utile de posséder un outil qui permet de distin-guer un état localisé d’un état délocalisé. En exploitant cet outil convena-blement, nous serons en mesure d’étudier les résultats d’Aubry-André pourle système d’Hofstadter. La grandeur que nous cherchons, appelée exposantcaractéristique, est bien connue des chaologistes et peut être définie de lafaçon suivante

    γ = limq→∞

    1q

    ln |λ+(q)| (2.26)

    où q est la longueur de la châıne que nous considérons et λ+(q) la valeur proprede la matrice Q(�, Φ, q) telle que |λ+(q)| > 1. Lorsque le flux magnétique Φ (oule paramètre τ (2.15)) est irrationnel, les densités d’états N(�) des systèmesduaux sont égales

    NΛ(�) = N 4Λ(�̃ =

    2�Λ

    ) (2.27)

    et les exposants caractéristiques sont reliés par

    γΛ(�) = γ 4Λ(�̃ =

    2�Λ

    ) + lnΛ

    2(2.28)

    où on retrouve la longueur de localisation moyenne λ̄ = 1/lnΛ2 .

    D’après Aubry et André, la fonction γ(�) est concave pour toutes valeursde l’énergie, hormis en des zones singulières où cette fonction est minimale etconstante. Le spectre d’états délocalisés associé à l’équation (2.15) correspondà ces valeurs singulières où γ(�) = 0. D’après l’équation (2.28), les étatslocalisés correspondent à γ(�) = lnΛ2 . Ce résultat nous permet d’identifieraisément les solutions de (2.14) à partir du profil de l’exposant caractéristique.

    Nous étudions le comportement de l’exposant caractéristique γ enfonction de l’énergie � pour une valeur fixe du flux magnétique par celluleunité Φ (choisie de façon arbitraire). Analysons dans un premier temps le casparticulier Λ = 2 tb/ta = 2 correspondant au système isotrope. Le profil de γ

  • 18 2 Modèle d’Hofstadter

    est représenté à la figure 2.5.

    γ

    Fig. 2.5. Exposant caractéristique en fonction de l’énergie : γ = γ(�) pour Λ = 2 ;le flux magnétique par cellule unité est fixé à la valeur Φ = 35/171 ≈ 0.2

    On observe que les énergies correspondant à la valeur minimale γ = 0sont correctement représentées dans le papillon d’Hofstadter (cf. figure 2.1)et correspondent ainsi à des états délocalisés. On remarquera également queces points se répartissent sur des ensembles de mesure quasi-nulle (mesuresqui tendent vers zéro lorsque Φ voit son caractère irrationnel augmenter)propres des figures fractales.

    Analysons maintenant les cas duaux : Λ(ta = 1, tb = 2) = 4,Λ(ta = 2, tb = 1) = 1. Les profils de l’exposant caractéristique sontreprésentés aux figures 2.6 et 2.7.

    Nous observons que le cas Λ(ta = 2, tb = 1) = 1 admet des étatsdélocalisés, en la valeur minimum γ = 0, ce qui est en accord avec la discus-sion de la section précédente. Cette fois-ci, les points correspondant à cesétats se retrouvent dans des ensembles de mesure importante. L’anisotropieengendre ainsi une fermeture de nombreuses bandes interdites structurant lafigure à caractère fractal propre au cas isotrope.

    Pour le cas Λ(ta = 1, tb = 2) = 4, la fonction γ ne s’annule plus et lesétats correspondant à γ ≈ 0.7 sont localisés. D’après (2.28), la longueurde localisation vaut λ̄ ≈ 1/0.7 ≈ 1.42. Il est important d’observer que cesétats localisés correspondent aux mêmes énergies que les états délocalisés dusystème dual Λ(ta = 2, tb = 1) = 1, en accord avec le résultat d’Aubry-André.Certains points pathologiques atteignent toutefois une valeur inférieure à 0.7.

  • 2.4 Etude du modèle anisotrope 19

    γ

    Fig. 2.6. Exposant caractéristique en fonction de l’énergie : γ = γ(�) pour Λ = 1 ;le flux magnétique par cellule unité est fixé à la valeur Φ = 35/171 ≈ 0.2

    γ

    Fig. 2.7. Exposant caractéristique en fonction de l’énergie : γ = γ(�) pour Λ = 4 ;le flux magnétique par cellule unité est fixé à la valeur Φ = 35/171 ≈ 0.2

    Une partie de ces points sera sélectionnée dans le spectre : ceci traduit lecaractère rationnel du flux.

    Il est intéressant de constater que le nombre de bandes interditesqui disparaissent augmente avec le taux d’anisotropie. Ainsi, pour le casΛ(ta = 5, tb = 1) = 2/5, les zéros de la fonction γ se regroupent sur la quasientièreté de l’intervalle admis (cf. figure 2.8).

  • 20 2 Modèle d’Hofstadter

    γ

    Fig. 2.8. Exposant caractéristique en fonction de l’énergie : γ = γ(�) pour Λ = 2/5 ;le flux magnétique par cellule unité est fixé à la valeur Φ = 35/171 ≈ 0.2

    Nous terminons cette section en représentant le spectre d’énergie associéaux états délocalisés du système anisotrope tel que ta = 2 et tb = 1 (cf.figure 2.9). La figure obtenue correspond au papillon d’Hofstadter, dont nousaurions rempli une grande partie des bandes interdites. Cette disparition desbandes interdites est la signature de l’anisotropie du système.

    Φ

    Fig. 2.9. Spectre Φ = Φ(�) pour le cas anisotrope ta = 2 et tb = 1

    Le spectre obtenu pour le cas dual ta = 1 et tb = 2 présente une multitudede points isolés qui, tel qu’évoqué précédemment, tendent à disparâıtre en

  • 2.4 Etude du modèle anisotrope 21

    augmentant l’irrationalité du flux magnétique Φ. Les bandes interdites desfigures 2.9 et 2.10 se superposent correctement, illustrant la propriété dedualité évoqué ci-dessus.

    Φ

    Fig. 2.10. Spectre Φ = Φ(�) pour le cas anisotrope ta = 1 et tb = 2

  • 3

    Quantification de la conductance de Hall

    3.1 La conductance de Hall

    Depuis sa découverte en 1878, l’effet Hall n’a cessé de faire l’objet derecherches dans le cadre de la physique du solide ou plus généralement enphysique statistique. Son histoire débute par une remarque de James ClerkMaxwell, publiée dans la première édition de son Treatise on Electricity andMagnetism (1873) dans lequel il étudie la déflexion du courant électrique sousl’effet d’un champ magnétique. Il déclare :

    ”It must be carefully remembered that the mechanical force which urges aconductor... acts, not on the electric current, but on the conductor which

    carries it.”.

    Cette remarque douteuse éveilla les soupçons d’un jeune étudiant qui en-tamait des études de second cycle à l’Université de Johns Hopkins de Bal-timore sous la direction de Henry Rowland. Ce professeur sceptique avaittenté de mettre en place une expérience afin de démentir la propositionde Maxwell, mais ne parvint pas à ses fins (les manifestations observéesexpérimentalement étant trop faibles). Le jeune étudiant, Edwin Hall, pro-pose de refaire l’expérience. Dans un premier temps, il imagine un dispositifcapable de mesurer la magnétorésistance1, dont les résultats ne permettentpas de prouver l’erreur de Maxwell (les instruments de l’époque n’étant pasassez sensibles pour mesurer les petites variations de cette grandeur physique).Il décide alors de reprendre l’expérience de son professeur en remplaçant lemétal conducteur d’origine, inadéquat pour mettre en évidence un phénomènede transport électrique sous l’action de champ magnétique faible, par une trèsfine feuille d’or. Ce nouveau dispositif, représentée à la figure 3.1 lui permetde découvrir l’effet qui porte aujourd’hui son nom. Il observe que le champ

    1 La magnétorésistance mesure la dépendance de la résistance électrique vis-à-visdu champ magnétique.

  • 24 3 Quantification de la conductance de Hall

    magnétique, exerçant directement une force sur le courant traversant longi-tudinalement le conducteur, produit une différence de potentiel transversepermanente mesurée par le galvanomètre. Cette différence de potentiel estnommée tension de Hall et on appelle conductance de Hall le courant lon-gitudinal divisé par cette tension.

    Fig. 3.1. Dispositif schématique mettant en évidence l’effet Hall. Source : Avron,Osadchy and Seiler [6]

    Suite à cette découverte capitale, Edwin Hall fut engagé à Harvard etpublia son article [19] en 1879, année de la mort de Maxwell. La secondeédition des traités de Maxwell, publiée en 1881, contenait la notice suivante :

    ”Mr. Hall has discovered that a steady magnetic field does slightly alter thedistribution of currents in most conductors so that the statement ... must be

    regarded as only approximately true.”

    En étudiant l’effet Hall expérimentalement, on constata que l’amplitudeainsi que le signe de la tension de Hall dépendaient du choix des matériauxconducteurs. Suite à cette observation, les chercheurs ont trouvé en l’effetHall un outil efficace pour évaluer la conduction des courants électriques.Aujourd’hui, les problèmes incluant effet Hall occupent une place centraledans l’étude du transport quantique. Comme le font remarquer J. Avron,D. Osadchy et R. Seiler : ”So Maxwell, even when he was wrong, inspiredfruitful research”.

  • 3.2 Quantification de la conductance de Hall en mécanique quantique 25

    La conductance de Hall peut être évaluée aisément à partir de lathéorie classique de la conduction électrique des métaux établie par Drude(1863–1906). Une équation de transport reliant le courant de charge j auchamp électrique E est dérivée en termes du temps de parcours moyen τ , duchamp magnétique B, de la masse m, de la densité n et de la charge e desélectrons :

    j = σ ·E (3.1)où σ(τ,B,m, e, n) est un tenseur de second ordre, appelé tenseur de conducti-vité. Les éléments diagonaux de ce tenseur sont responsables d’effets dissipatifsapparaissant lors de la conduction : en effet, la puissance dissipée est donnéepar P ∝ σµνEµEν . L’effet Hall étant de nature conservative, nous négligeronsl’effet de ces termes et considérerons le cas où σxx = σyy = 0. Les élémentsnon-diagonaux de ce tenseur contribuent à la création d’une différence de po-tentiel transverse : jx = σxy Ey. Les éléments du tenseur de conductivité quicontribuent à l’effet Hall classique sont donnés par

    σH = σxy = −σyx = −nec

    B(3.2)

    où n est la densité des électrons dans le conducteur.

    L’étude de la conductance de Hall σH ouvrit un nouveau champ de re-cherche aussi bien théorique qu’expérimental, notamment depuis la découvertede ses nombreuses applications technologiques. En effet, des détecteurs àeffet Hall [40] (ou Hall effect sensors) sont manufacturés dans le but deréguler le fonctionnement de machines, particulièrement dans des véhicules,en mesurant la magnétorésistance de divers composants (moteur, fermetureautomatique, air conditionnée etc...). Ces détecteurs sont extrêmementfiables et résistent à des modifications violentes de l’environnement, expli-quant leur usage dans le développement de machines industrielles et spatiales.

    3.2 Quantification de la conductance de Hall enmécanique quantique

    Dans cette section, nous faisons part des observations qui menèrent auxdécouvertes des effets Hall quantiques entier et fractionnaire, caractérisés parla quantification de la conductance de Hall. Une étude d’un système bidimen-sionnel d’électrons faisant intervenir l’effet Hall quantique entier est ensuiteeffectuée sur base de la formule de Kubo.

    3.2.1 Effets Hall quantiques entier et fractionnaire

    C’est en 1980, cent ans après sa découverte, que l’effet Hall refit surfacedans le cadre de la mécanique quantique, ouvrant un nouveau champ de

  • 26 3 Quantification de la conductance de Hall

    recherche qui se révélera extrêmement fécond. Klaus von Klitzing [28],travaillant au Laboratoire des Champs Magnétiques Intenses de Grenoble,étudie la conductance de Hall pour des gaz bidimensionnels d’électrons à trèsbasse température, en présence d’un champ magnétique (uniforme et normalau plan du gaz). Il découvre que la résistance de Hall, ρH(B) = σ−1H (B),présente un profil en escalier (cf. figure 3.2).

    Fig. 3.2. Effet Hall quantique en-tier : la résistance de Hall (expriméeen ohms Ω) est tracée en fonctiondu champ magnétique (exprimé en ki-logauss kG = 10−1 T ). Le dispositifest maintenu à une température de5 · 10−2K. Source : M. A. Paalanen,D. C. Tsui and A. C. Gossard [42]

    De façon tout à fait inattendue, les différentes valeurs que prend la conduc-tance de Hall sur les différents plateaux sont toutes des valeurs entières d’uneconstante fondamentale de la nature

    e2/h = 1/(25 812.807 572Ω) (3.3)

    où e = 1.602 · 10−19 C est la charge de l’électron et h = 6.626 · 10−34J · s estla constante de Planck. Ce résultat est d’autant plus étonnant qu’il sembleindépendant des détails géométriques de l’expérience et des imperfectionsdes matériaux. Cet effet fut baptisé effet Hall quantique entier et valut àKlaus von Klitzing le prix Nobel en 1985.

    La remarquable précision de la quantification de la conductance deHall intrigua nombre de théoriciens qui se penchèrent sur le problème. Larésistance de cette quantité physique aux modifications des dimensions,des imperfections et des densités des dispositifs expérimentaux invitaces physiciens à lui attribuer un caractère topologique. En effet, il existedes théorèmes mathématiques démontrant l’indépendance géométrique decertaines quantités, qui dès lors sont uniquement caractérisées par leur topo-logie2. L’interprétation de la conductance en termes d’invariants topologiques

    2 Le théorème de Gauss-Bonnet permet par exemple de relier la topologie d’unevariété à sa courbure locale. En effet, ce théorème stipule que l’intégrale de lacourbure K sur la surface S d’une variété sans bord M compte le nombre de

  • 3.2 Quantification de la conductance de Hall en mécanique quantique 27

    sera donnée par J. E. Avron, R. Seiler et B. Simon [9] après une explicationthéorique du phénomène que l’on doit à Robert Laughlin [33] et à D. J.Thouless, M. Kohmoto, M. P. Nightingale et M. den Nijs [46].

    En 1983, Horst Stormer et al. découvrent que des gaz d’électrons bi-dimensionnels confinés au sein d’interfaces semi-conductrices de grande qua-lité présentent des valeurs fractionnaires de la conductance de Hall (expriméeen unité e2/h). Cette découverte poussa Robert Laughlin à développer unenouvelle théorie permettant de décrire ce nouveau phénomène, dénommé ef-fet Hall quantique fractionnaire. Cette théorie, qui nécessite la prise enconsidération de l’interaction électron-électron, introduit la notion de fraction-nement de la charge pour laquelle R. Laughlin reçut le prix Nobel en 1998.L’effet Hall quantique fractionnaire ne fait pas l’objet de ce présent travail.

    3.2.2 Formule de Kubo et résultats de Thouless et al. [46]

    La quantification de la conductance de Hall peut être étudiée à partir de laformule de Kubo. Cette formule, dérivée par R. Kubo [31], trouve sa placedans le cadre de la théorie de la réponse linéaire qui étudie la réponse d’unsystème perturbé par un champ extérieur. Ce dernier est considéré faible parrapport aux champs internes (cette hypothèse étant justifiée par le fait quel’on peut toujours choisir le champ externe arbitrairement faible lorsqu’oneffectue une mesure au laboratoire). La réponse du système étudiée est lecourant électrique et la perturbation périodique est un champ électrique3.Une équation de transport (3.1) relie ces deux quantités au moyen du tenseurde conductivité. La formule de Kubo exprime les composantes de ce tenseuren termes d’une fonction de corrélation du courant électrique

    σµν(ω) =1V

    ∫ ∞0

    dt eiωt∫ β

    0

    dλ 〈Jν(−i~λ) Jµ(t)〉eq (3.4)

    où ω est la fréquence de la perturbation, V est le volume du système,β = 1/kbT (kb = 1.381 · 10−23J/K est la constante de Boltzmann), ~ estla constante de Planck divisée par 2π et 〈A〉eq = trρeqA est la moyennestatistique d’une quantité A à l’équilibre. Dans la limite où la période dela perturbation tend vers zéro, cette formule correspond à la mesure d’uncourant continu au laboratoire. Dans le cadre de ce travail, nous étudions laréponse d’un système bidimensionnel d’électrons indépendants à températurenulle, soumis à des champs magnétique et électrique. Sous ces conditionsde température nulle, les phonons correspondant aux vibrations du solide

    trous g qui caractérisent sa topologie : 12π

    RSK dA = 2(1− g). Cette intégrale ne

    dépend donc pas de la géométrie de M, mais uniquement de sa topologie.3 Le champ magnétique qui perturbe également le système apparâıt explicitement

    dans l’Hamiltonien libre et peut donc être considéré arbitrairement grand.

  • 28 3 Quantification de la conductance de Hall

    n’interviennent pas.

    Dans un article fondamental paru en 1982, D. J. Thouless et al. [46]exploite une équation dérivée de (3.4) qui aboutit à la loi de quantificationde la conductance de Hall. Ils calculent la contribution des q sous-bandes,fractionnement d’une bande électronique sous l’effet d’un champ magnétiquecorrespondant au flux par cellule unité Φ = p/q, à la valeur de la conductancede Hall totale. Ce résultat occupe une place fondamentale dans ce travail etsa dérivation constitue un premier objectif.

    Nous considérons un système bidimensionnel d’électrons indépendantsdans le plan xy, soumis à un champ magnétique normal B = B 1z, et contraintpar un potentiel périodique U(x, y) (périodique en x, y avec les périodes a, b).Le flux magnétique est quantifié dans le système et nous travaillerons avecl’ansatz Φ = p/q (p, q ∈ N). Nous utilisons la jauge de Lorentz A = (0, B x, 0),de telle sorte que les fonctions propres du système satisfont aux conditions deBloch généralisées :

    ψkxky (x+ qa, y) e−2πipy/b−ikxqa = ψkxky (x, y + b) e

    −ikyb = ψkxky (x, y) (3.5)

    Ces relations proviennent des conditions de Bloch imposées sur le système,en considérant l’action des opérateurs de translation magnétique4. Le vecteurd’onde k = (kx, ky) appartient à la première zone de Brillouin de l’espaceréciproque associé au système : kx = kxmod(2π/qa) et ky = ky mod(2π/b).

    On redéfinit des fonctions ukxky = ψkxkyexp(−ikxx− ikyy) qui sont fonc-tions propres de l’Hamiltonien

    Ĥ(kx, ky) =1

    2m(−i ∂

    ∂x+ kx)2 +

    12m

    (−i ∂∂y

    + ky −Bx)2 + U(x, y) (3.6)

    où on a utilisé la convention ~ = e = 1 (qui sera maintenue par la suite).

    Par définition de la moyenne statistique à l’équilibre, la conductivité àcourant alternatif (3.4) s’écrit

    σµν(ω) =1V

    ∫ ∞0

    dt eiωt∫ β

    0

    dλ tr[ρeq Jν(−iλ) Jµ(t)] (3.7)

    où ρeq = e−βH/Z est la matrice densité d’équilibre. On introduit un fac-teur de relaxation exp(−st) (afin de pouvoir résoudre les intégrales dans

    4 Les opérateurs de translation magnétique U et V agissent sur les fonctions d’ondedu système de la façon suivante :U ψ(x, y) = ψ(x, y − b), V ψ(x, y) = e2πiφyψ(x− a, y) .

  • 3.2 Quantification de la conductance de Hall en mécanique quantique 29

    le plan complexe) et utilisons la propriété de stationnarité 〈Jν(t) Jµ(t′)〉 =〈Jν(0) Jµ(t′ − t)〉

    σµν(ω) =1V

    ∫ ∞0

    dt e−st+iωt∫ β

    0

    dλ tr[ρeqJν(0) Jµ(t+ iλ)]︸ ︷︷ ︸T

    (3.8)

    En passant en représentation d’Heisenberg J(t) = eiHtottJ e−iHtott, où Htotest le Hamiltonien du système total, et en introduisant deux fois la conditionde complétude associée à la base de fonctions propres de Htot 5, on a

    T =∑n,m

    ρeq(En)〈m|Jµ|n〉〈n|Jν |m〉 eiEm(t+iλ)−iEn(t+iλ) (3.9)

    avec ρeq(En) = e−βEn/Z, où Z est la fonction de partition de l’ensemblesatistique.

    En introduisant (3.9) dans (3.8) et en effectuant les intégrales sur t et λon obtient la partie antisymétrique du tenseur de conductivité

    σaµν(ω) =1iV

    ∑n,m

    ρeq(En)〈m|Jµ|n〉〈n|Jν |m〉 − eβ(En−Em)〈m|Jµ|n〉〈n|Jν |m〉

    (Em − En)(Em − En + ω)

    après avoir pris la limite s→ 0. En prenant cette limite, il apparâıt deuxtermes : lims→0 1x+is = pp(

    1x ) − 2πi δ(x). Un petit calcul montre que seul

    le premier contribue aux éléments antisymétriques du tenseur σ et ainsi àla conductance de Hall (cf. section 3.1). Le second terme fournit la partiesymétrique, responsable de la conduction habituelle.

    La densité à l’équilibre étant donnée par ρeq(En) = e−βEn/Z, on a

    σaµν =1iV

    ∑n,m

    e−βEn

    Z〈m|Jµ|n〉〈n|Jν |m〉

    (Em − En)2− e

    −βEm

    Z〈m|Jµ|n〉〈n|Jν |m〉

    (Em − En)2(3.10)

    où nous avons pris la limite de fréquence nulle ω → 0 qui définit la partieantisymétrique de la conductivité à courant continu.

    En considérant la limite de température nulle, le système se trouve dans sonétat fondamental |n〉 = |0〉, d’énergie E0, dans lequel tous les niveaux d’énergiedes orbitales électroniques sont remplies jusqu’à l’énergie de Fermi �F . Cet étatfondamental est obtenu avec une probabilité égale à un : ρeq(En) = δkrE0,En .On obtient finalement

    5 Si {|m〉} forme une base complète d’états propres de l’Hamiltonien du système,alors

    Pm |m〉〈m| = 1 est appelée relation de complétude.

  • 30 3 Quantification de la conductance de Hall

    σaµν =1iV

    ∑m

    〈m|Jµ|0〉〈0|Jν |m〉(Em − E0)2

    − 〈0|Jµ|m〉〈m|Jν |0〉(E0 − Em)2

    (3.11)

    Rappelons quelques notions de seconde quantification. L’énergie Em dusystème peut être exprimée en termes de l’énergie des orbitales électroniquesoccupées par les électrons. Soit un état |n〉 représenté par

    |n〉 = |n0 n1... nα ...|�F ... nβ ...〉 (3.12)où nα (resp. nβ) est le nombre de particules se trouvant dans une orbitaled’énergie �α (resp. �β) inférieure (resp. supérieure) à l’énergie de Fermi �F .Pour un système de fermions ni = {0, 1}. L’énergie associée à cet état est

    En =∑

    ν

    nν �ν (3.13)

    où �ν est l’énergie de l’orbitale ν. Dans ce formalisme, l’opérateur de champdu système Ψ s’écrit en terme des fonctions d’onde des orbitales ψν ,

    Ψ(ξ) =∑

    ν

    ψν(ξ) aν (3.14)

    Ψ †(ξ) =∑

    µ

    ψ∗µ(ξ) a†µ (3.15)

    où ξ = (r, σ)6 et (a, a+) sont les opérateurs d’annihilation et de création departicules sur les orbitales.

    On définit la densité de courant j d’un système soumis à un champmagnétique B = ∇×A,

    j = − 12mi

    (Ψ †∇Ψ −∇Ψ †Ψ

    )− 1m

    A|Ψ |2 (3.16)

    et le courant total J =∫dξ j. En utilisant les équations (3.14) et (3.15) on a

    J =∑ν,ν′

    ∫dξ

    [− 1

    2mi(ψ∗ν′∇ψν −∇ψ∗ν′ψν

    )− 1m

    Aψ∗ν′ ψν

    ]a†ν′aν (3.17)

    Evaluons maintenant le terme 〈n|Jµ|0〉 qui intervient dans (3.11). On a

    〈n|Jµ|0〉 =∑α,β

    ∫dξ

    [− 1

    2mi(ψ∗β∇µ ψα −∇µ ψ∗βψα

    )− 1mAµ ψ

    ∗β ψα

    ]〈n|a†βaα|0〉

    (3.18)6 r et σ sont le vecteur position et le spin de la particule.

  • 3.2 Quantification de la conductance de Hall en mécanique quantique 31

    Les opérateurs a et a+ déplacent un électron se trouvant dans l’orbitale αpour le placer dans l’orbitale β en agissant sur l’état fondamental |0〉 :

    a†βaα|0〉 = a+β aα|11...1 |

    �F 00...0〉 (3.19)= (−1)γ |11... 0︸︷︷︸

    α

    ...1 |�F 00... 1︸︷︷︸β

    ...0〉 (3.20)

    où γ est fonction de α et du nombre d’électrons dans le système. La base {|n〉}étant orthogonale, le seul terme qui contribue dans la double somme (3.18)est tel que

    〈n| = 〈11... 0︸︷︷︸α

    ...1 |�F 00... 1︸︷︷︸β

    ...0| (3.21)

    On a donc

    〈n|Jµ|0〉 = (−1)γ∫dξ

    [− 1

    2mi(ψ∗β∇µψα −∇µ ψ∗βψα

    )− 1mAµ ψ

    ∗β ψα

    ]= (−1)γ −1

    m

    ∫dξ ψ∗β

    (−i∇µ +Aµ

    )ψα︸ ︷︷ ︸

    Iβαµ

    (3.22)

    où α et β, tels que �α < �F et �β > �F , caractérisent l’état |n〉. On peutmaintenant écrire∑

    n

    〈n|Jµ|0〉〈0|Jν |n〉 =∑

    �α�F

    Iβαµ Iαβν (3.23)

    D’après les équations (3.13) et (3.21), l’énergie En associée à l’état |n〉 estdonnée par

    En = E0 − �α + �β (3.24)

    d’où nous concluons immédiatement que En − E0 = �β − �α. Les équations(3.11), (3.23) et (3.24) aboutissent à l’équation

    σaµν =1V

    ∑�α�F

    Iβαµ Iαβν

    (�β − �α)2− (α↔ β) (3.25)

    L’Hamiltonien H(kx, ky) (cf. 3.6) est tel que ses dérivées partielles sontdonnées par

  • 32 3 Quantification de la conductance de Hall

    ∂H(kx, ky)∂kx

    = m−1(−i∂x + kx) (3.26)

    ∂H(kx, ky)∂ky

    = m−1(−i∂y + ky −B x) (3.27)

    On peut calculer les éléments matriciels 〈α|∂H(kx,ky)∂ki |β〉 :

    〈α|∂H(kx, ky)∂kx

    |β〉 =∫dr u∗α

    ∂H(kx, ky)∂kx

    uβ (3.28)

    =1m

    ∫dr u∗α (−i∂x + kx)uβ

    =1m

    ∫dr u∗α (−i∂x + kx +Ax)uβ

    =1m

    ∫dr ψ∗α e

    ikxx (−i∂x + kx +Ax) e−ikxx ψβ

    =1m

    ∫dr ψ∗α (−i∂x +Ax)ψβ

    = −(−1)γ〈n|Jx|0〉 (3.29)

    De même, on trouve de façon équivalente

    〈α|∂H(kx, ky)∂ky

    |β〉 = −(−1)γ〈0|Jy|n〉 (3.30)

    Ainsi, les équations (3.22), (3.25), (3.29) et (3.30) donnent

    σaµν =1iV

    ∑�α�F

    1(2π)2

    ∫T2dk

    〈α|∂H(kx,ky)∂kν |β〉 〈β|∂H(kx,ky)

    ∂kµ|α〉

    (�β − �α)2− (α↔ β)

    (3.31)Finalement, considérons l’équation aux valeurs propres H|α〉 = �α|α〉, où

    |α〉, fonction d’onde de l’orbitale α, est fonction propre de l’Hamiltonien dusystème. En dérivant les deux membres de cette expression par kµ, et enfaisant agir 〈β| à droite, on a successivement

    〈β| ∂H∂kµ

    |α〉+ 〈β|H ∂|α〉∂kµ

    = �α〈β|∂α

    ∂kµ〉 (3.32)

    et en faisant agir H sur le vecteur propre 〈β|, on trouve

    〈β| ∂H∂kµ

    |α〉 = (�α − �β)〈β|∂α

    ∂kµ〉 (3.33)

    L’équation (3.33) peut être obtenue pour les différents facteurs de (3.31),ce qui implique

  • 3.2 Quantification de la conductance de Hall en mécanique quantique 33

    ∑�α�F

    〈α| ∂H∂kν

    |β〉〈β| ∂H∂kµ

    |α〉

    = (�α − �β)2∑

    �α�F

    〈 ∂α∂kν

    |β〉 〈β| ∂α∂kµ

    〉 (3.34)

    On a

    σaµν =i

    V

    ∑�α�F

    [〈 ∂α∂kν

    |β〉 〈β| ∂α∂kµ

    〉 − 〈 ∂α∂kµ

    |β〉 〈β| ∂α∂kν

    〉]

    (3.35)

    En jouant sur les indices et en utilisant la symétrie 〈 ∂α∂kµ |β〉 = −〈α|∂β∂kµ

    〉qui s’obtient en dérivant la relation d’orthogonalité 〈α|β〉 = δαβ par rapportà kµ , cette expression peut s’exprimer par une somme de huit termes

    σaµν =i

    2V

    ∑�α�F

    〈 ∂α∂kν

    |β〉 〈β| ∂α∂kµ

    − i2V

    ∑�α>�F

    ∑�β

  • 34 3 Quantification de la conductance de Hall

    coupe une bande �(k), la somme ne peut plus s’effectuer sur toutes les valeursde k). Dans la limite continue, que l’on considère pour un réseau infini, lasomme sur ni s’écrit sous forme intégrale∑

    nx,ny

    =∫

    V

    (2π)2dk (3.38)

    Finalement, les équations (3.37) et (3.38) aboutissent à l’expression

    σH =e2

    h

    ∑�α

  • 3.2 Quantification de la conductance de Hall en mécanique quantique 35

    E(kx, ky)ukxky (n) =− 2 ta cos(2πnΦ− kx)ukxky (n)− tb

    (eiky ukxky (n+ 1) + e

    −iky ukxky (n− 1))

    (3.44)

    où ta et tb sont les intégrales de transfert (cf. chapitre 2) et E la valeurpropre associée aux fonctions propres ukxky .

    Il est possible de résoudre numériquement ces équations aux valeurspropres couplées, pour un système fini de longueur q, et d’étudier la phaseθ(k) qu’accumulent les fonctions ukxky (n) autour de la zone de Brillouin.Le résultat remarquable est l’identification de n(α) comme étant le nombre(tr − tr−1), où |tr| < q/2 est la solution de l’équation diophantine (2.12)rencontrée à la section 2.3. Le nombre n(α) dépend ainsi de la sous-bandeconsidérée, au travers du nombre r correspondant à la bande interdite situéeau-dessus de celle-ci.

    En conséquence, la contribution de la rieme sous-bande, se trouvant sousla rieme bande interdite, à la conductance de Hall vaut

    σH(r) =e2

    h(tr − tr−1) (3.45)

    Le modèle d’Hofstadter nous apprend qu’en présence d’un champmagnétique, la bande de Bloch considérée est fractionnée en q sous-bandes(cf. chapitre 2). Ainsi, chacune des q sous-bandes, caractérisée par le nombretr, contribue à la conductance. La valeur de la conductance de Hall totaleassociée à la bande de Bloch dépend de la bande interdite dans laquelle setrouve l’énergie de Fermi du système. Si l’énergie de Fermi se trouve dans larieme bande interdite, la conductance de Hall est donnée par

    σH =r∑

    i=1

    e2

    h(ti − ti−1) =

    e2

    htr (3.46)

    Illustrons ceci par un exemple. Considérons le système soumis à un champmagnétique correspondant à un flux par cellule unité Φ = p/q = 7/11. Ainsi,la bande considérée est fractionnée en 11 sous-bandes. Les solutions de (2.12)correspondant aux bandes interdites r = 1, 2, ..., 11 telles que |tr| < q/2 sont−3, 5, 2,−1,−4, 4, 1,−2,−5, 3, 0. D’après l’équation (3.45), les sous-bandescontribuent à la conductance de Hall totale de la façon suivante :

  • 36 3 Quantification de la conductance de Hall

    σH(r = 1) = −3σH(r = 2) = 8σH(r = 3) = −3σH(r = 4) = −3σH(r = 5) = −3σH(r = 6) = 0σH(r = 7) = −3...

    σH(r = 11) = −3

    Ces différentes valeurs sont toutes des multiples de −3 ou de 8. Ainsi,si le niveau de Fermi se trouve dans la première bande interdite r = 1,la conductance de Hall vaut σH(r = 1) = −3 = t1. S’il se trouve dansla seconde bande interdite r = 2, la conductance de Hall totale vautσH(r = 1) + σH(r = 2) = −3 + 8 = 5 = t2 etc... Ce qui est en accord avec laformule (3.46). Observons finalement que le signe de la conductance de Halltotale peut varier lorsque le niveau de Fermi saute de bande interdite.

    3.2.3 Résultat de Kohmoto [29]

    Dans un article datant de 1989, Mahito Kohmoto [29] complète l’étudequ’il avait entreprise avec Thouless et al. et démontre le résultat (3.45)analytiquement pour le modèle d’Hofstadter dans la limite de couplage faible.Ce résultat capital sera exploité dans le cadre de l’étude de la conductance deHall pour les graphes quantiques pour lesquels la limite de couplage faible estenvisageable (cf. chapitre 7). Il est donc jugé utile de décrire ici les principalesétapes de cette démonstration.

    On considère ici la limite de couplage faible, obtenu en prenant la limitetb = 0. L’équation (3.44) devient alors

    E0(kmx ) = −2tacos(k0x + 2πΦm) (3.47)

    où k0x ∈ [−πq ,πq ]. Cette fonction d’énergie est représentée à la figure 3.3. On

    observe une dégénérescence double, les courbes E0(kmx ) se croisant à deuxendroits dans les intervalles k0x ∈ [−πq , 0] et k

    0x ∈ [0, πq ] . Ces intersections

    traduisent la fermeture des bandes interdites entre les niveaux d’énergielorsque tb = 0.

    Sous une petite perturbation 0 < tb � 1, il est observé que les bandesinterdites correspondant aux points d’intersection E0(kx) = E0(k′x) s’ouvrent.

  • 3.2 Quantification de la conductance de Hall en mécanique quantique 37

    E0

    k0x

    Fig. 3.3. E0 = E0(k0x) pour m = 0 (rouge), m = 1 (bleu) et m = 2 (vert) ; le flux

    vaut Φ = pq

    = 13

    ; ta = 1 et tb = 0

    Le terme proportionnel à tb dans l’équation (3.44) donne le couplage entreles deux branches de dispersion. Ce mécanisme est schématisé à la figure 3.4qui représente l’énergie du système perturbé E en fonction d’un paramètre �mesurant k0x − k0x|deg. Remarquons que cette ouverture des bandes interditesa déjà été observée à la section 2.4.1. En effet, la perturbation tb > 0réduit légèrement l’anisotropie du système, ayant pour effet d’ouvrir desbandes interdites comme nous avions pu le constater en analysant l’exposantcaractéristique pour les cas Λ(ta = 5, tb = 1) = 2/5 et Λ(ta = 2, tb = 1) = 1(cf. figure 2.6 et 2.8).

    E

    Fig. 3.4. E = E(�) lorsque ta = 1 et 0 < tb ≪ 1. Sinon les conditions sont lesmêmes que sur la figure 3.3

  • 38 3 Quantification de la conductance de Hall

    Les bandes interdites s’ouvrent lorsque E0(kx) = E0(k′x), à savoir lorsquek′x = −kx + 2πs et k′x = kx − 2π(p/q)t où s, t ∈ Z et |t| < q/2. Par un choixadéquat du nombre s, kx est compris entre 0 et π et peut être écrit sous laforme kx = rπ/q, où 0 ≤ r ≤ q désigne la position de la bande interdite.Ainsi, on retrouve l’équation diophantine (2.12) pour les nombres r, sr et tr.

    A ce stade, nous restreignons l’analyse à deux états ψm et ψm′ . Cetterestriction est convenable, les autres composantes de la fonction d’onde ψétant spectateurs dans le processus. En effet, d’après la figure 3.4, l’interactions’effectue toujours entre deux états au niveau des bandes interdites. Loin desbandes interdites, ces états sont découplés et nous avons

    |ψj(k0x, ky)| = 1 pour j = m ou m′

    = 0 sinon (3.48)

    La condition k′x = kx − 2π(pq )t et l’équation (3.47) impliquent que m

    ′ =m−t. Proche des bandes interdites, positionnées en k0x = 0 et k0x = πq , les étatsa ≡ ψm et b ≡ ψm′ sont couplés et satisfont à une équation de Schrödingeréquivalente à (3.44)

    E

    (ab

    )=(

    � ∆ e−ikyt

    ∆ eikyt −�

    )(ab

    )(3.49)

    où le paramètre � vaut explicitement � = 2tacos(k0x + 2πpqm). E et � sont

    mesurés à partir du milieu de la bande interdite. Le paramètre ∆ mesure laperturbation et dépend de tb au travers de la loi ∆ ∝ t|t|b . Lorsque r est pairk0x = 0 et lorsque que r est impair k

    0x = π/q. En posant b = b

    ′eikyt, on obtientun système réel

    E

    (ab′

    )=(� ∆∆ −�

    )(ab′

    )(3.50)

    dont les valeurs propres et vecteurs propres normalisés sont

    E+ = (�2 +∆2)12 E− = −(�2 +∆2)

    12

    (a+, b′+) = (cosΘ, sinΘ) (a−, b′−) = (−sinΘ, cosΘ) (3.51)

    où sin(2Θ) = ∆/(�2+∆2)1/2. Les valeurs propres E±(�) sont représentéespour ∆ = 0 et ∆ = 2 à la figure 3.5.

    Lorsque k0x passe par 0 (resp. π/2) pour r pair (resp. impair), le paramètreΘ passe de Θ(� = −∞,∆) = 0 à Θ(� = +∞,∆) = π/2. De cette façon,(a+, b′+) = (0, 1) → (a+, b′+) = (1, 0) et (a−, b′−) = (−1, 0) → (a−, b′−) =(0, 1). En repassant aux fonctions u± = (a±, b±), on trouve la transformation

  • 3.2 Quantification de la conductance de Hall en mécanique quantique 39

    E+

    E−

    Fig. 3.5. E+ = E+(�,∆ = 2) (rouge), E− = E−(�,∆ = 2) (vert) et E± =E±(�,∆ = 0) (traits)

    u+ : (0, eikyt) → (1, 0)u− : (−1, 0) → (0, eikyt) (3.52)

    Partons d’un état correspondant à la branche supérieure correspondantà la valeur propre E+ (en rouge à la figure 3.5). En se rapprochant de la(r − 1)ieme bande interdite, cette branche rencontre une branche inférieure(en vert) correspondant à la valeur propre E−. Le vecteur propre subit latransformation

    (0, eikytr−1) → (1, 0) (3.53)

    Au-delà de la première bande interdite, la branche sur laquelle évoluenotre état est assimilée à une branche inférieure et rencontre une branchesupérieure à la bande interdite suivante. Le vecteur propre subit alors unenouvelle transformation

    (1, 0) → (0,−eikytr ) (3.54)

    Par conséquent, lorsque k0x évolue sur l’intervalle [−πq ,πq ], la fonction

    d’onde ukxky subit la transformation totale

    ukxky → ukxky(− eiky(tr−tr−1)

    )(3.55)

    Cette transformation attribue une phase θ = ky(tr − tr−1) à la fonctiond’onde, lorsque un tour est effectué autour du tore T2 selon kx. On obtientainsi, dans la limite de couplage faible, le résultat attendu

  • 40 3 Quantification de la conductance de Hall

    σxy =e2

    2πh

    ∮dkj

    ∂θ

    ∂kj

    =e2

    2πh

    ∮dky

    ∂θ

    ∂ky︸ ︷︷ ︸2π(tr−tr−1)

    =e2

    h(tr − tr−1) (3.56)

    où σxy = −σyx = −σH . Ce résultat confirme le lien étroit qui existe entrela valeur de la conductance de Hall du système et la structure du spectreélectronique associé au modèle considéré.

    Nous rediscuterons du lien entre la conductance de Hall et le spectred’énergie lorsque nous évoquerons la possibilité de considérer le spectred’Hofstadter comme un diagramme des phases quantiques, pour lequelchaque phase est caractérisée par la valeur de sa conductance de Hall. Cesujet sera introduit au chapitre 5. L’argument proposé par Thouless et al.impliquant la nécessité du nombre TKN2 d’appartenir à Z peut se révélerincomplet [29] : en effet, l’attribution d’une phase à un état quantique estun problème délicat, qui fut notamment soulevé par M. Berry [11] dansson étude des processus adiabatiques. Toutefois, en observant la subtilenature topologique de l’équation (3.39), ce résultat parâıt immédiat. Afind’être en mesure de faire cette observation, il est nécessaire de mâıtrisercertaines notions relatives à la théorie des espaces fibrés et à la théorie desclasses caractéristiques. Ces notions sont introduites au chapitre 4 et uneréévaluation de l’équation (3.39) en termes d’invariants topologiques esteffectuée au chapitre 5.

  • 4

    Eléments de géométrie différentielle

    Depuis sa mise en équation, la physique a continuellement progresséparallèlement aux mathématiques. Il est arrivé dans l’histoire des sciencesque les théoriciens doivent eux-mêmes développer des théories mathématiquespour décrire les phénomènes qui les intéressent. Ceci fut le cas, entre autre,de Newton et de ses contemporains qui ont développé le calcul différentiel etintégral afin de pouvoir décrire le mouvement de corps célestes, de Ito qui re-pensa la notion d’intégrale afin de pouvoir décrire les processus stochastiquesou encore de Fourier qui mit en place une méthode efficace pour résoudreles équations aux dérivées partielles afin de décrire la diffusion de la chaleur.Plus généralement, les physiciens puisent dans les théories mathématiquesdéjà développées, comme un ouvrier dans sa bôıte à outils. Choisir sesoutils demande souvent une certaine audace de la part du théoricien. Ce futnotamment le cas pour Einstein qui développa une théorie originale et efficacede la gravitation sur base de la géométrie différentielle (ou géométrie rie-mannienne). Depuis ces travaux, la géométrie différentielle est omniprésentedans le monde de la physique théorique et mathématique : outre la théoriede la gravitation d’Einstein qui reste d’actualité, les théories de jauge quiétudient les interactions fondamentales ont également développé un forma-lisme mathématique faisant appel à la géométrie différentielle et à la topologie.

    Déjà en physique des particules, la théorie de Yang et Mills [48] etses prolongements dans l’étude des instantons ont montré l’importancede la géométrie différentielle et de la topologie. Dans le monde quantiquenon-relativiste, les nombres topologiques sont apparus à la suite de plusieursdécouvertes. Tout d’abord, la notion de phase géométrique dite de Berry[11] a été mise en évidence en chimie-physique dans l’étude du spectrede molécules triatomiques et des limitations de la théorie adiabatique deBorn-Oppenheimer [36]. Ensuite, la découverte expérimentale des effets Hallquantiques a guidé les recherches théoriques vers une compréhension où lagéométrie différentielle et la topologie jouent un rôle central.

  • 42 4 Eléments de géométrie différentielle

    Les notions de base de géométrie différentielle sont nécessaires à lacompréhension de certains aspects de ce travail. Celles-ci ne seront quetrès brièvement évoquées dans la première partie de ce chapitre et nousrenvoyons le lecteur qui a peu de connaissance de ces notions à la vastelittérature spécialisée en ce domaine (par exemple [14]). Nous traiteronsici des notions plus avancées, qui visent à poser les définitions et pro-priétés relatives aux espaces fibrés qui ont un intérêt pour le travail quinous concerne. Il est évidemment impensable de développer la théorie desespaces fibrés dans ce travail de mémoire et nous renvoyons égalementles lecteurs qui désirent approfondir leurs connaissances en ce domaine àla littérature. Nous conseillons, par exemple, la lecture de l’article ”TheGeometrical Setting of Gauge Theories of the Yang-Mills Type” [15] ou deslivres ”Geometry, Topology and Physics” [38], ”Characteristic Classes”[37] et”Analysis, Manifold and Physics” [14] sur base desquels ce chapitre est rédigé.

    4.1 Quelques notions de base sur la théorie des espacesfibrés

    Nous rappelons dans un premier temps les notions de base de géométriedifférentielle. Nous introduisons ensuite les espaces fibrés et leurs propriétés.Dans un souci de clarté et d’universalité des définitions, nous proposonsd’utiliser autant que possible la terminologie francophone, tout en indiquantles termes anglophones lorsque cela est jugé nécessaire.

    Une variété M est un espace topologique qui ressemble à Rm localementmais pas forcément globalement. En considérant des cartes (Ui, φi), où {Ui}est une famille d’ensembles ouverts qui recouvrent la variété M et φi est unhoméomorphisme de Ui dans un ouvert U ′i de Rm, on apporte une structureeuclidienne locale à la variété, nous permettant d’y développer le calculdifférentiel et intégral à plusieurs variables. L’image que l’on peut se faired’un espace fibré, ou fibre bundle, est une structure qui est localement leproduit direct de deux espaces topologiques, mais dont la structure globalepeut se tordre.

    4.1.1 Espace fibré tangent

    Nous débutons cette section par un exemple particulier d’espace fibré,largement utilisé dans le cadre de la mécanique classique, de la physique dessystèmes dynamiques et dans tous les autres domaines de la physique quiutilisent les notions de base de géométrie différentielle. Il s’agit de la variétéconstruite à partir de l’ensemble d’espaces tangents définis en les points d’une

  • 4.1 Quelques notions de base sur la théorie des espaces fibrés 43

    variété différentiable1 que nous nommerons espace fibré tangent (ou tan-gent bundle en anglais) et que nous noterons TM :

    TM =⋃

    p∈MTpM (4.1)

    La variété M sur laquelle on définit TM est appelée variété de base.Considérons un recouvrement d’ouverts {Ui} de la variété de base. Alors sixµ = φi(p) sont les coordonnées sur Ui, un élément de

    T Ui =⋃

    p∈Ui

    TpM (4.2)

    est spécifié par un point p ∈ M et un vecteur V = V µ(p)(∂/∂xµ)|p ∈ TpM.Par définition d’une carte, les Ui sont homéomorphes à un sous-ensembleouvert de Rm. De plus, chaque TpM est homéomorphe à Rm. Ainsi, on peutidentifier T Ui à un produit direct Rm×Rm. Si (p, V ) est un élément de T Ui,cette identification est naturellement donnée par (p, V ) 7→ (xµ(p), V µ(p)).Il est important à ce stade de constater qu’il est possible de décomposerl’information d’un élément u ∈ T Ui en un point p de la variété de base et unvecteur V de l’espace tangent définit en ce point. Ceci nous amène à introduirela notion de projection π telle que

    π : T Ui → Ui (4.3)

    Ainsi, pour tout u ∈ T Ui, π(u) est un point p ∈ Ui en lequel le vecteur estdéfini. La projection détruit toute l’information contenue dans le vecteur eton observe que π−1(p) redonne tout l’espace tangent défini au point p : TpM.On nommera fibre au point p l’espace TpM.

    Par construction, si la variété de base est M = Rm (la variété est com-posée d’une carte), l’espace fibré tangent tout entier représente cette fois unproduit direct Rm × Rm. Dans ce cas, on parlera d’un espace fibré trivial.Ceci représente un cas particulier, et de façon générale la non-trivialité topo-logique de la variété de base sera mesurée par la non-trivialité de la structurede l’espace fibré tangent. Pour étudier ceci, il est impératif de considérer lasuperposition des cartes qui recouvrent la variété de base et d’y étudier lecomportement de l’espace fibré. Considérons deux cartes Ui et Uj d’intersec-tion non-nulle, et introduisons les coordonnées yµ = ψ(p) sur Uj . Considéronsun vecteur V ∈ TpM où p ∈ Ui ∩Uj . V possède alors deux représentations decoordonnées

    V = V µ∂

    ∂xµ|p = Ṽ µ

    ∂yµ|p (4.4)

    1 Dans le cadre de la mécanique, par exemple, on considère les vecteurs tangents àune trajectoire dans l’espace des phases.

  • 44 4 Eléments de géométrie différentielle

    Il existe une relation entre ces représentations qui est donnée par

    Ṽ ν =∂yν

    ∂xµ(p)V µ (4.5)

    La matrice (Gνµ) ≡ (∂yν

    ∂xµ ) ne peut pas e�