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    ANTHROPOLOGIE ET DVELOPPEMENT

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    Collection a Hommes et Socits ))Conseil scientifique .-Jean-Franois BAYART(CERI-CNRS),Jean-Pierre CHRTIEN (CRA-CNRS), Jean COPANS (EHESS),Georges COURADEMAA, ORSTOM),Alain DUBRESSONUniversit PARIS-x),Henry TOURNEUXCNRS-ORSTOM).Directeur : Jean COPANS

    O ditions KARTHALA, 1995ISBN : 2-86537-589-7

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    Jean-Pierre OLIVIER de SARDAN

    Anthropologieetdveloppement

    Essai en socio-anthropologiedu changement social

    APADLa Vieille Charit13002 MarseilleKARTHALA22-24, bd Arago75013 Paris

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    DU MME AUTEURAux ditions Karthala- es socikts songhay-zarma. Chefs, guerriers, esclaves, paysans. ..,1984._ ..aysans, experts, chercheurs. Sciences sociales et dveloppementrural (codirection, en collaboration avec P. Boiral et J.F. Lantri), 1985.

    Chez dautres ditemystme des relations conomiques et sociales chez les Wog0 duNiger, Paris, Institut dEthnologie, 1969.uand nos pres taient captifs. Rcits paysans du Niger, Paris,Nubia, 1976.oncepts et conceptions songhay-zarng (histoire, culture, socit),Paris, Nubia, 1982.Dun savoir Ci lautre. Les agents de dveloppement commemdiateurs (codirection, en collaboration avec E. Paquot), Paris, GRET-Ministke de la Coopration, 1991.

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    Introduction

    Quelques thses simples peuvent rsumer le sens gnral des proposqui vont tre tenus ici 1.1.Les processus et phnomhes sociaux associs il ce quon appelle,en rfrence aux pays du Sud, dve loppement , po l i t iques dedve loppement , opra t ions .de dveloppement , d isposi t i fs dedveloppement, projets de dveloppement, constituent un domaine derecherche ii part entirepour 1ahthropologie et la sociologie.2. En ce domaine moins quailleurs lanthropologie et la sociologie nepeuvent tre distinguees et encore moins opposes, en tout cas unecertaine anthropologie.et une certaine sociologie, B condition quonveuille bien considkrer que lapport de ces deux sciences socialescousines ou jumelles ne reEve pas de lessayisme, de la philosophie delidologieou de la spkulation, mais dkoule au contraire de lenqute etdu terrain, autrement dit de procdures de recherches empiriquesrflchies.

    .

    3. Le dialogue et la coopration entre operateum et institutions dedveloppement dun ct, socio-anthropologues de lautre, quoiquedifficile et tiss de malentendus imputables aux deux parties et quasiinvitables, est ncessaire et utile. Mais il ne peut y avoir de socio-anthropologie du developpement > sans socio-anthropologiedu dveloppement >.esetudes, evaluations et expertisessocio-anthropologiques menes sur commande dinstitutions dedkveloppement ne doivent pas tre enfermes dans le ghetto dunerecherche au rabais et au pas de course B caractkre a alimentaireB.Ellesdoivent tre connecths, sous des formes qui restent largement?inventer,avec la socio-anthropologie

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    6 N T H R ~ ~ ~ L ~ G I ET D~~VELDPPEMENTanthropologie du changement social et du dveloppement en particulier,et y puiser leurs concepts,,, eurs problmatiques et leurs exigencesmthodologiques.4.Le e dveloppement >> nest quune des formes du changementsocial et ne peut tre apprhend isolment. Lanalyse des actions dedveloppement et des ractions populaires ces actions ne peut tredisjointe de ltude des dynamiques locales, des processus endognes, oudes processus , du ct des oprateurs dedveloppement comme du ct des chercheurs. La socio-anthropologiedu dveloppement ny chappe pas, mais elle doit, pour produire desconnaissances fiables, rompre avec le au profitde ce quon pourrait appeler un >,Arrtons-nous ici. Ce bref inventaire de quelques-uns des themes quivont tre dvelopps dans les pages qui suivent mobilise des termes dontlacception fait problbme. Dveloppement, bien sr, mais aussi biensocio-anthropologie, comparatisme, action, populisme.. . Quelquesprcisions sont donc indispensables, en guise de prambule. Ellesprendront pour une part la forme de dfinitions. Il ne sagira pas dedfinitions substantialistes ou de dfinitions normatives, visant dfinirlessence des choses (par exemple ce que serait >- le

    dveloppement.. .), mais simplement de dfinitions de convention et declarification. Elles ont pour seule ambition de fournir au lecteur les1. Dejja Malinowski notait il y a plus de 50 ans : Malheureusement il subsiste encoredans certains milieux une opinion puissante mais erronee selon laquellelanthropologie appliquee est fondamentalement diffrente de lanthropologietheonque et academique >> (repris in MALINOWSKI,970 :23).

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    INTRODUCTION 7acceptions stabilises que ces termes vont dsormais revtir lintrieurde la perspective dveloppe dans cet ouvrage (par exemple le senspurement descriptif que jentends donner au terme de>).

    DveloppementJe proposerais donc de dfinir le >, dans uneperspective fondamentalement mthodologique, comme lensemble desprocessus sociaux induits par des oprations volontaristes de

    transformation dun milieu social, entreprises par le biais dinstitutionsou dacteurs extrieurs h ce milieu mais cherchant h mobiliser ce milieu,et reposant sur une tentative de greffe de ressources edou techniquesedou savoirs.En un sens, le dveloppementnest pas quelque chose dont il faudraitchercher la ralit (ou labsence) chez les populations concernes,contrairement ii lacception usuelle. Tout au contraire, il y a dudveloppement du seul fait quil y a des acteurs et des institutions qui sedonnent le dveloppement comme objet ou comme but et y consacrent dutemps, de largent et de la comptence professionnelle. Cest la prsencedune > qui dfinit lexistence mmedu dveloppement.On appellera > cet universlargement cosmopolite dexperts, de bureaucrates, de responsablesdONG, de chercheurs, de techniciens, de chefs de projets, dagents deterrain, qui vivent en quelque sorte du dveloppement des autres, etmobilisent ou gkrent B cet effet des ressources matrielles et symboliquesconsidrables.fivitons les sempiternels dbats sur >,ce quest le > dveloppement, est-ce que le dveloppement est unbut, une mystique, une utopie, un bien, un mal, etc. Que ledveloppement > ou ne >, quil soit positif oungatif, intress ou dsintress, il existe, au sens purement descriptifqui est le ntre, car existe tout un ensemble de pratiques sociales quedsigne ce mot. Pour la socio-anthropologie du dveloppement, ledveloppement nest ni un idal ni une catastrophe, cest avant tout unobjet dtude. Cette dfinition rksolument non normative dudveloppement ne signifie pas bien sr quil faille se dsintkresser detout jugement moral ou politique sur les diverses formes dedveloppement, loin de la. Mais il sagit dun autre problme. La socio-anthropologie ne peut prtendre > de faon positive dans lesdbats moraux ou politiques autour du dveloppement que si elle yintroduit des connaissances nouvelles et spcifiques. Elle doit donc sedonner la contrainte pralable dtudier le dveloppement en tant que1. Quant aux definitions normatives, qui sont les definitions habituelles, on en trouveradans Freyssinet (FREYSSINET,966) un catalogue d6jh ancien mais bien fourni, quises t depuis largement enr ichi ...

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    8 ANTHROPOLOGIE ETDI~VELOPPEMENTconstituant un

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    INTRODUCIlON 9Les thories macrodconomiques de type normatif tiennent encoreaujourdhui le haut du pav en termes de >, dinfluence sur les politiques, et de drainage des fondsdtudes et de recherche. Or elles ne sont pas fondes, cest le moinsquon puisse dire, sur une connaissance fine des situations v6cues par lesacteurs sociaux > et des moyens par lesquels ceux-ci g2rent cessituations. En face ou A ct, les rhetoriques populistes, les idologiesparticipatives, les bonnes volont6s humanitaires, qui se proposent plus oumoins comme alternatives, ne sont guBre mieux informes. On ne peutfaire Iconomie danalyses plus spkifies, plus intensives, plus prochesdes interactions sociales >. Cest 18 oii intervient, ou devraitinteyenir, la socio-anthropologie.Le > des politiques dedveloppement sur les populations concernes, autrement dit lespace

    social o sop5re linteraction entre oprations de dveloppement (projetsde developpement ou actions de ddveloppement) et plusproche des destinataires finaux et des utilisateurs rels ou potentiels dudveloppement, qui prenne en compte leurs ractions aux ?@rations dedveloppement mises sur pied leur intention. Si jinsiste sur ce niveauplus.,t > 2, oh lanthropologie et la sociologie> 3 sont particuii5rement 2 laise, ce nest certes pas pournier limportance des tudes plus structurales et (rapports de production, march mondial, politiquesnationales, relations Nord-Sud, etc.), est un espace de rechercheprivilgi pour comprendre tant les logiques > des institutions dedveloppement que les logiques > BAILEY,973 : 11). Mais dun autre cte qualitatif D pourraitlaisser entendre une certaine dtsinvoltureenvers les pr ob lh es de la repdsentativit6,ou, pire, un m anque de rigueur.. .Bien tvidemment, la soc iologie dite qualitative, ou .lanthropologie, du moins dans lesprit de beaucoup de chercheurs, se veut aussirigoureuse (voire plus) q ue la sociologie dite quantitative, et ne d&aigne par ailleursni les chiffres ni les prockdures de recension systtmatique, bien au contraire (cf.OLIVIER D E S A R D A N , 1995). De ce point de vue, i l ny a aucune diffCrenceBpistCmologique entr e socio logie qualitative et sociologie quantitative, mais biencomplCmentarit6 entre des mCthodes difftrentes de production des d on nk s.

    2.

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    10 ANTHROPOLOGIEETD&VELOPPEMENTpopulations concernes. Nous supposons en effet (mais cest unparadigme fondateur des sciences sociales) que les discours publics, lespolitiques proclames, les structures administratives ou juridiques, neconcident pas toujours, tant sen faut, avec les pratiques effectives, dansle dveloppement comme dans les autres aspects de la vie sociale.

    Socio-anthropologie du dCveloppementJentends par > ltude empirique multi-dimensionnelle de groupes sociaux contemporains et de leurs

    interactions, dans une perspective diachronique, et combinant lanalysedes pratiques et celle des reprsentations. La socio-anthropologie ainsiconue se distingue de la sociologie quantitativiste base denqueteslourdes par questionnaires comme de lethnologie patrimonialistefocalise sur linformateur privilgi (de prfrence grand initi). Ellesoppose 21 la sociologie et lanthropologie essayistes et spculatives. Lasocio-anthropologie fusionne les traditions de la sociologie de terrain(ecole de Chicago) et de lanthropologie de terrain (ethnographie) pourtenter une analyse intensive et in situ des dynamiques dereproduction/transformation densembles sociaux de nature diverses,prenant en compte les comportements des acteurs, comme lessignifications quils accordent leurs comportements.On pourrait certes, et je lai fait prcdemment, utiliser la seuleexpression dcr anthropologie>>, si lon entend > au senslarge. ne signifie pas alors une soi-disante science dessocits > ou > (qui correspondrait au sens anciend>), mais Bvoque au contraire une approche B la fois deterrain et comparative des socits humaines quelles quelles soient, uneapproche intensive et transversale du social, que lon retrouve pour unepart dans une certaine sociologie. Pour viter tout risque daccusationd imperialisme disciplinaire, et pour marquer cette profonde convergencedes deux

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    INTRODUCllON 11Le dveloppement, entendu dans le sens dfini ci-dessus, est unterrain privilgi pour la socio-anthropologie. Le dveloppement en effetfait intervenir de multiples acteurs sociaux, du ct des > comme du ct des institutions de dveloppement. Leurs statutsprofessionnels, leurs normes daction, leurs comptences, leursressources cognitives et symboliques, leurs stratgies diffrentconsidrablement.Le dveloppement >, cest la rksultantede ces multiples interactions, quaucun modle conomique enlaboratoire ne peut prvoir, mais dont la socio-anthropologie peut tenterde dcrire et interprter les modalits.Cela implique un savoir-faire qui ne simprovise pas. La confrontationde logiques sociales varies autour des projets de dveloppementconstitue un phnomne social complexe, que les conomistes, les

    agronomes ou les > ont tendance ignorer. Face aux cartsrpts entre les conduites prvues et les conduites relles, face auxdrives que toute opration de dveloppement subit du fait des ractionsdes groupes-cibles, les i tendent recourir de pseudo-notions sociologiques ou anthropologiques qui relvent plus de clichs etde strotypes que doutils analytiques. On invoquera ainsi la >ou les > des populations locales pour > leurpropension constante ne pas faire ce quon voudrait quelles fassent, o le faire leur faon. Cest l expliquer linexpliqu par linexplicable.Ces notions particulihrement floues, vaguement empruntes uneanthropologie de bazar, caractrisent la do-it-yourselfsociology decertains conomistes 1 ou agronomes. Or les rfrences paresseuses aux

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    12 ANTI-IROIJOLOGIETD~ELOPPEMENTattentes ? Autrement dit, la socio-anthropologiedu dveloppement existe-telle ?Nous verrons plus loin que, apr&sun certain pidtinement succdantaux ouvrages prdcurseurs, les travaux rkents permettent de rpondre parlaffirmative. Cependant cette socio-anthropologie du developpementreste marginale, tant dans le monde du dveloppement que dans le mondedes sciences sociales.Il est vrai quaux fitats-Unis surtout, la anthropologie applique >> asa place au soleil, et quil y a une longue tradition de >auprs des sociologues et anthropologues (dbs avant-guerre on lessollicitait en tous domaines, depuis le problbme des rserves indiennesjusquh celui des gangs urbains). Cependant, en ce qui concerne le mondedu developpement proprement dit, les probldmatiques restent le plussouvent frustres, purement descriptives, souvent naves, et coupees desddbats thoriques majeurs dans nos disciplines I.D cte francophone, un rapide inventaire de la trs abondantelittdrature consacree au dveloppement montre vite que la socio-anthropologie empirique des faits de dveloppement en constitue laportion congrue, et est largement ignore. L a grandemajorit6 des travauxque 1,011 classe sous la rubrique sociologie ou anthropologie renvoient enfait B de Iconomie ou B de lidologie, cest-&-dire, pour ce quiconcerne ce dernier point, des considrations normatives oumoralisantes, plus ou moins Igitimks par du vocabulaire savant, sur le< dveloppement en gnral >> ou la prise en compte des j 2Lktiquette ) savre le plussouvent trompeuse, et la socio-anthropologie du ddveloppement (tellequici on la considre et on entend la promouvoir, cest-h-dire dot& de1. On trouvera divers : f. HOBEN,1982 : CHAMBERS,1987 ;

    ARNOULD,989 ;RANC,1990. On peut y adjoindre plusieurs ouvrag es collectifsprtsentant diverses rbflexions gCnkrales ou expCriences particulitres enanthropologie appliqu&, q ui ne dissipent pas limpression p r M e n t e (COCHRANE,1971 ;O w , AR & BOOTH,1975 ;Prrr, 1976 ; G m REW, 1985 ;G m , 980 ; HOROWITZ& PAINTER, 986 ;CERNEA, 991 ;HOBART,993). C erelatif dCficit conceptuel con traste avec lexistence par co ntre de manuels e t tex tesm6thodologiques am tricain s su r lanthropologie a p p li q u k (cf. PARTFUDGE, 984,ainsi que la revue Human organization).Une r h n t e b ib liographie en tkmoigne (KE LL ER M AN ,992) : es ouvrages analysks,censCs rendre com pte de la dimen sion culturelle du dkveloppement B, reltventpour lessentiel de lessayisme et, surtout, aucun ne renvoie B une socio-anthropologie em pirique du developpement. La dCj3 ancienne bibliographie deJacquemot (JACQUEMOTt al., 1981) faisait largement appel a des rCftrencessociologiques et anthropologiques :mais on constatera acilement que lapproche, l$oque, &ait trk macro du ~ 6 t hes sociologues, e t tri 6 ors dkveloppement >> ducte des anthropologues (cf. infra, chapitre 1). La biblio grap hie Ctablie par Jacob(JACOB, 989) est la seule 3 ce jou r qu i fasse faire Ctat douvrages et darticlesrelevant de la socio-anthropologie du dbveloppement. Cest aussi lun des trts rarestravaux qui, comme le p r k n t ouvrage, tente de cumuler les sources francophones etanglophones.

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    INTRODUCTION 13problematiques dinvestigation solides et doutils dinterprtation6prouvs) en est la grande absente. Un exemple suffira : trois ouvragesrcents en franais, qui prtendent tous dresser un bilan, chacun safaon, du rapport entre sciences sociales et developpement, tkmoignentdune totale mconnaissance de la socio-anthropologie du dveloppementet etalent sans fard leur propre ignorance (cf. Choquet et al, 1993 ;Guichaoua et Goussault, I994 ;Rist, 1994) : i les travaux en fi-anaisquirelbvent de lorientation ici defendue, ni les Favaux europens en anglaisqui sen rapprochent le plus (Long, 1989 ; ong et Long, 1992 ;Elwert etBierschenk, 1988) ne sont mme voqus dans aucun de ces livres. Il estdautant plus surprenant que lon nous parle de la mise en contraste avec lafort modeste anthropologie du dveloppement D francophone et saG grande pauvret6 thorique D (Guichaoua et Goussault, 1993 : 103).Quant la position de Kilani (in Rist, 1994)qui conteste la possibilitemme dune anthropologie du dveloppement, elle se fonde sur dedplorables confusions. Lanthropologie du developpement estsystmatiquement renvoye B lanthropologie applique. Les pkh&squeKilani dnonce si abruptement relkvent des malentendus quasi in6vitablesqui se tissent entre connaissance et action, en quelque domaine que cesoit. Ils ne peuvent tre imputs B lanthropologie sous prtexte quelleserait coupable de sinthresser aux processus sociaux de dveloppement.Kilani accuse dailleurs tout de go, et sans se donner la peinedargumenter, lanthropologie du dveloppement de succomber au en se ralliant aux idologies du dveloppement (Kilani, 1994 :29). Il montre plutt ainsi son ignorance des travaux accumuls depuisvingt ans.. .Par ailleurs, il tire argument de ce que le >nest pas un concept sociologique, et na dautre statut que de designerune ralit exterieure ii lanthropologie, comme le sport, la ville ou lavieillesse id : 20). I1 est fort vrai que > nest pas unconcept. Mais cest justement ce statut

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    14 ANTHROPOLOGIE ETDVELOPPEMENTsocit (ou de ses diverses composantes) une intervention >constituent lun des meilleurs indicateurs de la dynamique de sesstructures propres, un analyseur privilgi des comportements sociaux 1.I1 sagit simplement de mettre en oeuvre propos des faits sociaux dedveloppement la fonction > des sciences sociales.Celles-ci nont-elles pas pour tche de rendre intelligibles descomportements ou des pratiques apparemment inintelligibles ouinterprts de faon biaise en fonction de prjugs, didologies oudintrts particuliers? Aussi lanalyse des pratiques sociales effectives Bloeuvre dans un projet de dveloppement mettra-t-elle laccent sur ledcalage, invitable, entre les divers > et les > quirgissent les agissements des oprateurs de dveloppement, et les diverst< intrts >> et > qui rglent les ractions des populationsconcernes.Ce nest pas un hasard si de multiples travaux contemporains desocio-anthropologie du dveloppement prsentent comme un certain airde parent, au del des frontires acadmiques et linguistiques. Il ny apourtant ni concertation, ni effets da cole >>. On serait bien en peine derechercher une grille dinterprtation toute faite, fonctionnaliste,systmique, librale, marxiste ou autre. En ce sens la socio-anthropologiedu dveloppement na pas de paradigme unifi. Mais ici et l, cependant,les mmes questions sont poses : pourquoi ces > entre unprojet de dveloppement et sa mise en oeuvre ? Comment sarticulentcontraintes et marges de manuvre ?Nombre de travaux actuels en socio-anthropologiedu dveloppementpartent des mmes postulats : les pratiques populaires ont un sens quilconvient de chercher. Ils relvent dune mme mfiance : es explications (ou ne signifie pas ncessairement affrontements dclars etconflits ouverts. Au contraire, le quotidien du dveloppement est pluttfait de compromis, dinteractions, de syncrtismes, de ngociations(largement informelles et indirectes). Cest autour de telles notions, quinexcluent pas, bien au contraire, les rapports de forces, quil fautchercher les explications des effets > des actions dedkveloppement sur les milieux quelles entendent modifier. Ceci1. Cf.BASIDE(1971)OU BALANDIER1971).2. A un niveau ou 2 un autre (village, classe, nation, Tiers monde, humanit&.-) t selondes lgitimations diverses (morales, religieuses, politiques, scientifiques.. ).

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    implique de rompre avec les > dexplication dualistes, commeavec les schmas structuralistesou les. nvocations culturalistes.

    ComparatismeEst-ce dire que chaque situation locale, chaque opration dedveloppement exige une analyse spdcifique et quaucune > ne peuttre dgage de linfinie diversit des contextes concrets ? Oui et non.Oui, au sens oh chaque > est une combinaison singuli&re decontraintes et de stratgies, que seule une analyse spcifique peut

    dchiffrer. Non, au sens o certaines contraintes sont communes ousimilaires : on peut constituer des typologies partir des conditionscologiques, des modes dinsertion dans lconomie mondiale, desrapports de production ou des rgimes politiques. De mme, au-delade lasingularit des cas et des contextes, les logiques conomiques (commepar exemple la minimisation des > montaires), sociales (commepar exemple les rseaux dentraide familiale) ou symboliques (commepar exemple les codes de la consommation ostentatoire, ou les modes dereconnaissance sociale fonds sur la redistribution) se recoupentfrquemment.I1 est probable quun progrs dcisif de la socio-anthropologie dudveloppement viendra du recours des analyses comparativesrigoureuses, que la multiplication dtudes devrait rendre possible, enproposant enfin des matriaux de terrain compatibles entre eux 1,autrement dit issus dune mme problmatique de recherche, ce quisoppose ainsi tout la fois aux monographies descriptives des anciensethnographes, comme aux > de thories un terrain-prtexte, aux gnralisations abusives, aux extrapolations htives, auxthories > qui slectionnent les >intressantes et oublient les contre-exemples.I1 faut pour cela quelques concepts communs ou apparents. Mais ilne sagira pas ici de concepts-thories, intgrs dans des paradigmes durset fonctionnant sur le mode de la vrification ou de la confirmation (limage par exemple du concept de >, indissociablede la thorie marxiste). Il sagira de concepts exploratoires, permettant deproduire des donnees nouvelles et comparables sans sur-interprtationspr-programmes : savoirs techniques populaires, logiques, courtage,arne, groupes stratgiques sont autant de concepts exploratoires quiseront ici voqus, qui peuvent assurer une certaine comparabilit A lasocio-anthropologiedu dveloppement.Ceci ne dispense pas de recourir des notions, termes plus ou moinsflous et passe-partout, qui ont le mrite de dsigner des domaines

    1. Ce fut le grand mdrite des valuations commanddes par ldph6mhre Bureau desvaluations des services Coop6ration et Ddveloppement du ministhe des Relationsextdrieures que davoir esquissd un tel corpus (cf. FREUD, 985, 1986, 1988 ; f.kgalement, comme exemples darticles issus de ces &valuations,PONTIBet RUFF,1985 ; UNG, 1985).

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    16 ANTHROPOLOGIEETD~~VELOPPEMENT, dinvesdgation, des pans de rel quil est commode de spcifier, sanspr6tention analytique : innovation fournira un exemple de telles notions,ncessaires bien quambigus.

    Par ailleurs le comparatisme inhrent B la socio-anthropologie dudveloppement se fonde sur deux caractBristiques propres B son objet : emulticulturalisme des situations de dveloppement, et la transversalitdes reprsentations et pratiques des acteurs engags dans ces situations.Multiculturalisme

    Les situations de dveloppement mettent en prsence dun ct uneculture pour une bonne part cosmopolite, internationale, celle de la> (FOSTER,962 :5).

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    vaccination. Mais les acteurs sociaux des institutions de dveloppement, ne se soucient pas de telsclivages. Pratiques et reprsentations chappent aux dcoupages secto-riels : cest le mme paysan qui ragit face B un projet de coop6rativeouB un centre de sant communautaire, souvent (maispas toujours) en met-tant en ceuvre des logiques daction identiques, ou en se rfrant B desnormes sociales analogues. Linvitable sectorisation des institutionsoudes interventions contraste ainsi avec la transversalit des comportementsdes populations cibles.La transversalit populaire soppose Cgalement B la sectorisationdveloppementiste sur un axe diachronique, du point de vue du rapportau temps. Un projet, pour ses animateurs, occupe tout lespace-temps.IIest central, omniprksent, unique. Pour les paysans il est passager, relatif,accessoire, et prend sa place dans une chgne dinterventions successives.Les agents dun projet consacrent 100% de leur activit professionnelle hun secteur dactivit qui ne concerne souvent quune petite partie dutemps du producteur auquel ils sadressent. De nombreux malentendussurgissent de cette diffrence radicale de position.On pourrait aussi se poser la question de la sectorisation non plus partir des clivages propres aux institutions de dCveloppement mais par-tir de ceux qui ont cours en sciences sociales. Lanthropologie, parexemple, nest en effet pas sans avoir, plus ou moins latents ou explicites,ses propres sous-clivages. Lanthropologie Cconomique sinteresse auxrapports de production, aux modes de production, B la petite productionmarchande, au commerce informel. Lanthropologie politique considrele pouvoir local, les systmes de clientles, les formes de la reprsenta-tion politique. Et ainsi de suite. Mais largument sera ici encore iden-tique. Les acteurs sociaux circulent sans cesse entre le registre cono-mique et le registre politique, sans parler du symbolisme, du langage oude la religion. Les pratiques et les reprsentations des populations, faceau changement en gnral comme face au developpement en particulier,mobilisent tous les registres possibles, et aucun ne peut tre a priori excluou disqualifiC davance, ni Iconomique (avec ses rapports de productionet ses modes daction conomiques), ni le politique (avec ses rapports dedomination et ses stratgies de pouvoir), ni le social, le symbolique ou lereligieux.La socio-anthropologie du dveloppement ne peut se dcomposer ensous-disciplines : la transversalit de ses objets est indispensable savise comparatiste. Une socio-anthropologie du changement social etdu dveloppement est la fois une anthropologie politique, unesociologie des organisations, une anthropologie conomique, unesociologie des rseaux, une anthropologie des reprsentations etsystmes de sens. Cest tous ces titres quelle prendra par exemplecomme objet aussi bien les interactions infirmierdpatients que lesinteractions encadreurdpaysans, et donc quelle dcrira et analysera lesreprsentations des uns et celles des autres, les institutions des uns etcelles des autres, les relations sociales des uns et celles des autres, et lessystmes de contrainte lintrieur desquels les uns comme les autresvoluent.

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    18 ANTHROPOLOGIE ET DgVELOPPEMENTLa proclamation de lunit dune discipline ou dune sous-discipline,qui definit le champ comparatif quelle sautorise apprhender, estcependant toujours ambivalente et toujours relative. Outre quelle sert

    volontiers marquer des territoires et renvoie pour une part desstratgies professionnelles, elle peut aussi relever de soucis corporatistesou aboutir des dbats mtaphysiques. Lambition comparative de lasocio-anthropologie du changement social et du dveloppement, tellequelle a et6 ici dfinie, se fonde sur une autonomie relative de son objet,et sur un ensemble de problmatiques linterface de lanthropologie etde la sociologie. Ma perspective est donc en partie distincte de celledAug, par exemple, qui. revendique une unit de principe delanthropologie (et de lanthropologie seule) pour sopposer auxspcialisations excessives fondes sur la constitution de sous-disciplinesdfinies par leur objet. Cest sur cette base quil refuse touterevendication lindpendance de lanthropologie de la sant (Aug,1986). Je propose une position plus nuance, que je crois plus raliste.Sans aller jusqu une spcialisation excessive et un morcellement infini,et sans remettre en cause la profonde unit6 pistmologique des sciencessociales et la profonde unit mthodologique de la socio-anthropologie,on doit admettre une certaine Afrique, Asie du Sud-Est ou socits rurales europennes.. .- sont ainsiune des dimensions possibles de cette autonomie relative induite parlobjet. Les dcoupages thmatiques ociologie de leducation,anthropologie religieuse ou socio-anthropologiedu dveloppement..en sont une autre. Ces deux modes de > sont au principe de tout comparatisme contextualis (ils nontdailleurs rien d ncompatible entre eux). Cependant (et je rejoindraiAug sur ce point) lautonomie de ces champs comparatifs ne peut treque relative, et toute indpendance serait absurde et strilisante.

    Pour nous rsumer, la vise comparative qui fonde lautonomierelative de la socio-anthropologie du dveloppement me semble fondesur le lien entre trois composantes fondamentales et indissociables : (1)un objet spcifique et particulier (les processus sociaux de changement,la fois endognes et induits) ; (2) une problmatique irrigue parlensemble des dbats contemporains en sciences sociales (et dbordantlargement la seule anthropologie); 3) une mthodologie de productiondes donnes ancre dans la tradition anthropologiqueet la sociologie ditequalitative, prenant en compte toutes les dimensions de la ralit vcuepar les acteurs sociaux (transversalement aux dcoupages thmatiqueshabituels des sciences sociales).

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    INTRODUCTION 19Action

    Nous aborderons peu dans cet ouvrage les problkmes relatifs laction, cest--dire I> proprement dite de la socio-anthropologie du dveloppement (il nen sera question que dans laconclusion, sous la forme particulikre des rapports entre chercheurs ensciences sociales et oprateurs de dveloppement). Ce nest en aucun caspar mpris ou par sous-estimation de ces problmes, qui concernentlinsertion de socio-anthropologues dans des programmes dedveloppement, ou leur rle en matire dtudes, dvaluation oudexpertise. Je ne partage pas en effet lattitude hautaine de nombre dechercheurs envers les largementun sociologueou un anthropologue.Je ne pense pas non plus que le rle pratique des sciences socialesdoive se rduire la seule fonction critique et protestataire. Non quecelle-ci nait pas son importance, bien videmment. Mais la modestie durformisme, en matire de dveloppement comme ailleurs, a autant degrandeur que le panache de la dnonciation. I1 y a de la place pour lesdeux. Lamlioration de la qualit des de la socio-anthropologiedu dveloppement dans le domainede laction, et le moyen de mettre en garde contre les piges des drivesidologiques, dont le populisme nest pas le moindre.Marc Auge crivait il y a longtemps dj : < Le dveloppement est lordre du jour ethnologique : lethnologie na pas Iclairer, mais Itudier, dans ses pratiques, ses stratgies et ses contradictions>> (Aug,1973 :251). Jadmets avec lui limpratif dtude, mais j e ne partage passon rejet a priori de tout un certain rapport entre lesintellectuels (associs aux couches et groupes privilgis) et le peuple(cest--dire les couches et groupes domins), rapport selon lequel lesintellectuels dcouvrent le peuple, sapitoient sur son sort et/ousmerveillent de ses capacits, et entendent se mettre son service etuvrer pour son bien.

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    20 ANTHROPOLOGIE ET D~VELOPPEMENTIl nest donc pas question ici de lacception courante de >dans le langage politique contemporain o le terme voque, de faondprciative, le comportement ) dhommes politiques

    plus ou moins charismatiques). Nous revenons au sens original depopulisme, celui des populistes russes du X I X e sihle narodnicki).Le populisme est extrmement prsent dans lunivers dudveloppement. Il lui est mme en un sens consubstantiel. Laconfiguration dveloppementiste nest-elle pas compose d> quientendent aider le peuple (les paysans, les femmes, les pauvres, lesrkfugiks, les chmeurs.. .), amkliorer leurs conditions dexistence, semettre B leur service, agir pour leur bien, collaborer avec eux ? Lamultiplication des ONG, leurs pratiques comme leurs rhtoriques,tkmoignent de ce populisme dCveloppementiste, sous sa forme la plusrcente et la plus massive, mme sil en est bien dautres. Les pays endveloppement, les , les chmeurs des> les agriculteurs exposs aux famines, les victimesdes guerres, de la malnutrition, du cholra ou de lajustement structurelsont autant de figures que prend le . Or linvestigation des ressources dont disposent les decommunication, o un un) (passif), ce message tant plus ou moins brouill par des> (interfkrences quil sagirait dliminer). Le rh p t e u rn e reoit pas passivement le sens, il le reconstruit, en fonction decontextes, de contraintes et de stratgies multiples. Autour dun messagesoprent des interactions et des ngociations incessantes. Lacteur social>, aussi dmuni ou domin soit-il, nest jamais un

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    INTRODUCTION 21> qui naurait le choix quentre la soumission ou larvolte.

    Une ProbImatique collective ?Ces mots cl6s que nous venons de prkiser (dveloppement, socio-anthropologie, comparatisme, action, populisme), dautres les utilisentaussi, dans des sens identiques ou voisins. Ces rflexions, ou dautresplus ou moins analogues, dautres les ont faites aussi. La cration duneassociation comme 1APAD (Association euro-africaipe pour

    lanthropologie du changement social et du dveloppement) tmoigne detelles convergences. On peut citer comme points de re@re de la mise enplace dune srie de problmatiques convergentes, que le prsent ouvragetente de synthtiser pour une part, quelques ouvrages collectifs qui ontscand la dynamique intellectuelle associbe B la prbhistoire de l N A Dou son histoire rcente, et o lon peut constater 1Cvidente et tonnantecomplmentarit des rflexions, des recherches et des propositions dechercheurs dhorizons varis, en particulier : Paysans, experts,chercheurs (Boiral, Lantri et Olivier de Sardan, 6ds, 1985) ; e numrospcial de Sociologia ruralis sur > (ElwertBierschenk et ds, 1988) ; Socits, sant et dveloppement (Fassin etJaffr, ds, 1990) ;et Les associa tions paysannes en Afrique (Jacob etLavigne Delville, ds, 1994) l . On pourrait penser B un > : >(Rogers, 1983 : xviii ; f. Kuhn, 1970). Sans doute est-il erron de parlervritablement de paradigme commun, au sens strict ou dur, kuhnien.Mais il y a dans tout cela une configuration daffinits scientifiques etune parent problkmatique quil importe de soulignerz.Changement social et dveloppement: n Afrique ou en gnral ?

    Lessentiel des exemples et une bonne partie des rf6rences utiliss iciconcernent lAfrique (et plus particulibrement lAfrique rurale). Lecontinent africain a videmment diverses particularitks. Lomniprsencedes institutions de dveloppement nen est pas la moindre. La crisecumulke des conomies africaines et des Btats africains na fait querenforcer le poids de la aide au dveloppement >> et des

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    22 ANTHROPOLOGIEETDVELOPPEMENTdveloppement >>, que ceux-ci soient lourds ou lgers, et quels que soientleurs initiateurs (institutions internationales, cooprations nationales,ONG du Nord, ONG du Sud). Le (son langage, sescrdits, ses hommes, ses infrastructures, ses ressources) est une donnefondamentale du paysage africain contemporain, rural comme urbain.Que la socio-anthropologie se donne le dveloppement comme unobjet digne dintrt, cela a donc plus de sens en Afrique quailleurs.Dans dautres continents les tentatives volontaristes de changement socialprennent sans doute des formes plus diversifies, que le terme dei ne peut toutes subsumer.Mais en mme temps les perspectives de recherche et danalyse iciproposes dbordent le seul cadre de rfrence africaniste.I1 nest gurede village ou de quartier au monde o lon ne rencontre des et >produisent sans cesse des interactions entre intervenants et populations-cibles. Si le contexte, les contraintes, les acteurs, les thmes nous loi-gnent fort de lAfrique, les mthodes et les concepts dobservation et d-tude que mettent en uvre, sur des terrains franais, la sociologie ruraleou lanthropologie urbaine, ds lors quelles prennent en compte cesmultiples interventions, sont du mme ordre que ce qui est propos ici.Prenons par exemple ces dans lequel nous souhaiterionsnous enfermer.Un demier mot sur la structure de cet ouvrage. Il y sera sans cessequestion de la multiplicit des facteurs de tous ordres quil est ncessairede prendre en compre si lon veut se donner les moyens de comprendre lechangement social en gnral, et les interactions dveloppeursldvelop-ps en particulier : logiques techniques, conomiques, institutionnelles,politiques, sociales, symboliques, toutes avec leurs systmes decontraintes et leurs contextes. Aussi ne doit-on pas Ere trop surpris que

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    INTRODUCTION 23de nombreux thmes senchevtrent et se rpondent dun chapitre lautre.La premire partie dclinera de diverses faons cette complexit desphnomnes de changement social et de dveloppement, et tentera dedcrire comment la socio-anthropologie peut et doit tre en quelque sorte la hauteur de cette complexit.Par contre, dans la seconde partie, il sera procd lisolement decertaines des variables en cause : rapports de production, logiques dac-tion, savoirs populaires, formes de mdiation, stratgies ou de >. Rien ne permet daffirmer a priori que tel registre estplus explicatif que tel autre, du moins lchelle danalyse qui est celledune socio-anthropologie >. Une histoire longuedes structures se doit de prendre plus de risques. Mais sil sagit de rendrecompte de micro-processus de changements, ou de comprendre commentdes interventions extrieures sont adoptes, ignorCes, dtournes,recomposes, refuses, on ne peut lgitimement attendre de rponse quede lenqute. Seule lenqute peut permettre de trier dans la diversit6 desfacteurs possibles. Encore faut-il quelle se donne les outils intellectuelset conceptuels de ses ambitions. Cest un peu le but de cet ouvrage. Si laperspective dkveloppe ici est empiriste, cet empirisme nest pas naif,

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    PREMIRE PARTIETATS DES LIEUX

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    1Lanthropologie, la sociologie, lAfriqueet le developpement :bref bilan historique

    Si la sociologie et lethnologie constituaient encore une disciplineunique lpoque des grands fondateurs du dbut du sicle (Durkheim etMauss dans la tradition franaise), par contre Ia recherche de terrain enAfrique sest constitue sous le signe de lethnologie seule et donc enrupture avec la sociologie. A la sociologie les socits modernes etoccidentales, les villes, les phnomnes de masse ; lethnologie lessocitks > et colonises, les villages, les confrries et lessectes. LAfrique apparaissait alors comme un rservoir de coutumes, dereligions, et de traditions dont il fallait operer linventaire. En termes deconnaissances, une telle orientation a engendr de nombreux travauxdun grand intrt. Mais ces acquis ont eu un cot. Lethnologie sesttrouvee confronte au risque du ghetto patrimonialiste et traditionaliste.1. Co mme la suite de ce livre, ce chapitre sappuie pour une part, mais pour une partseulement, sur des textes antrieurs qui ont t considrablement corrigs, amends,compltfk, rcrits, recomposs. Ces textes antrieurs, devenus en grande partiemkconnaissables, sont donc devenus caducs. Ils sont pkrims du fait de lapublication de cet ouvrage et ne figurent pas dans sa bibliographie. I1 sagitddments de la Introduction > ?iaysans, experts et chercheurs: ciences socialeset dveloppement rural (BOIRAL, &RI et OLIVIER DE SARDAN, 1986), utilisspour partie dans le chapitre 7 ; u texte Sciences sociales africanistes et fa its dedveloppement (in BOIRAL, ANTBRIt OLIVIER E SARDAN,986), utilis pourpartie dan s le prsent chapitre 1 et dans la conclusion ; extraits dune confkrencesur (Actes du

    symposium Recherches-systme en agriculture et dveloppement rural, CIRAD -ORSTOM-INRA, sous presse), galem ent utilisee dans ce mme c hapitre 1 ;delarticle > (Bu lletin de LAPAD,no 1, 1991), qui sert de base au chapitre2 ; de larticle , in FASSINt JAFFRB, 1990, utilis pour partie dans leschapitres 3 et 7 ; u texte

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    28 ANTHROPOLOGIEET DfiVELOPPEMENTLethnologie franaise coloniale

    Il faut viter un procbs dintention souvent fait lethnologie franaisecoloniale :celle-ci na gure t un agent de ladministration coloniale. Ala diffrence des colonies britanniques (encore que les malentendussemblent y avoir et nombreux entre ethnologues et fonctionnaires), lescolonies franaises ont peu utilis les ethnologues comme >. La faisait partie du cahier des charges desadministrateurs coloniaux. Les enqutes quils menaient eux-mmestaient censes largement suffire i tayer le pouvoir discrtionnaire qui&ait le leur. Ils ne souffraient pas trop les conseils extrieurs. Ce sontplutt, inversement, certains administrateurs coloniaux qui se sont> i lethnologie et ont produit quelques-uns des plus remarquablestravaux de type > de cette priode (cf. Monteil,Desplagnes, Delafosse, Maupoil, Tauxier et bien dautres).Cette coupure profonde entre > coloniale (anctredirect de lactuel et donc mus par des impulsionsprofondment irrationnelles. Lanthropologie sest largement constituecontre cette acception du sens commun occidental. Malgr certainesapparences, Lvy-Bruhl, en parlant de logique, mais relle etdigne dintert, auxpeuples primitifs, tout en sinscrivant dans la perspective volutionniste propre son poque (Lvy-Bruhl, 1931). La mise jour de la complexit

    paratre dans un ouv rage collectif sur linnovation, qui sert de base au ch apitre 4 ; utexte

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    BILAN HISTORIQUE 29des systbmes de pense africains, de lampleur des constructionssymboliques ou cosmogoniques, a mis laccent, dans une perpective trbs propres aux soci6tsafricaines, opposant ainsi la rationalit technique et conomiqueoccidentale une rationalit6 africaine traditionnelle

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    30 ANTHROPOLOGIET DVELOPPEMENTLa convergence de ces diverses traditions a produit au sein de lethno-logie franaise une approche des socits africaines centre sur une tri-logie ayant Ia culture pour centre de gravit. A

    , chaque > sa culture, qui en fonde la spcificit. Les cul-tures africaines ont t, au fil de ce processus, dotes implicitement detrois grandes caractristiques : elles seraient homogbnes, elles rsiste-raient lhistoire, elles constitueraientdes univers autonomes.Plus sensible la diffrence entre une quelconque culture africaine etla socit occidentale quaux diffrences internes une socit africaine,lethnologie classique a souvent minimis les contradictions et clivagessociaux et culturels propres aux groupes quelle tudiait.Plus sensible la permanence et 2 la traditionnalit des systmes devaleurs et des structures symboliques quaux conditions de leurproduction et reproduction, lethnologie classique na gubre vu lhistoireen train de se faire que comme une menace de dsagrgation du>.Plus sensible lautonomie des formes culturelles et des ensemblesethniques quelle dfinissait qu leur articulation avec des contraintesextrieures, lethnologie classique sest souvent cantonne dans un cadreethnique ou villageois et dans une approche monographique peu apte apprhender le jeu des interactions avec les phnomnes macro-sociologiques.Or une analyse scientifique des processus de changement social engnral et des faits de dveloppement en particulier, de limpact desactions de dveloppement sur les populations-cibles et des ractions decelles-ci celles-l, implique ncessairement la prise en compte desdiversits internes, des transformations socioculturelles, et des contraintesextemes. Sur ces trois aspects il faut une problmatique des culturesafricaines qui tranche nettement avec lethnologie classique *.

    i

    Ractions : nthropologie dynamique et/ou marxisteLoeuvre de G. Balandier marque une rupture avec cette traditionethnologique franaise. Ce nest pas un hasard si cest justementBalandier qui a fait connatre en France les travaux africanistes anglo-saxons sur les changements sociaux. En mettant laccent sur lessyncrtismes religieux il se situait dans une perspective rsolumentdynamique. En introduisant la sociologie urbaine dans lafricanisme ilrompait avec le > id. :7).

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    BILAN HISTORIQUE 31> il prenait en compte lexistence dun systme dedomination et rinsrait les socits ethnologises dans un contexte pluslarge. I1 entendait plus gnralement surtout porte B globaliseret h comblerun vide conceptuel sur la question des > africains,au dtriment dune analyse descriptive des >.Celle-ci garde son intrt scientifique aujourdhui encore, au-delh deleffondrement du marxisme comme idologie scientifique, et on laretrouve en partie dans les analyses agro-conomistes des systkmes deproduction. Mais elle a souvent t escamote au profit dunecombinatoire de (CLARENCE-S m , 985). On peut penser que le concept darticulation des m odes de productionpermettait surtout de r6soudre tant bien que mal une contradiction logique dansloeuvre de Marx : le dualisme des classes sociales dans lanalyse abstraite dunmode de production donne, et leur mukiplicit6 dans lanalyse concrBte desformations sociales. I1 avait aussi lavantage de trouver une place au sein deIk on om ie capitaliste mondiale pour des formes de production

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    32 ANTHROPOLOGIE ET D~VELOPPEMENTdailleurs linfluence de ce qui a parfois t appel le > dAlthusser sur une partie de ce courant (cf. Terray, 1972).De plus leffort scientifique et empirique de cette anthropologiemarxiste africaniste a principallement port sur les priodes prcolonialeset coloniales, et non sur les mutations contemporaines en cours. Le> tait mme souvent conu comme un objet indignedtude, en particulier parce quil tait peru comme relevant purement etsimplement dune dynamique: imprialiste depuis longtemps connue.Cependant on doit souligner lexistence dtudes ponctuelles sur lespaysanneries africaines, inspires en partie par ce courant mais plusportes sur le travail empirique, menes en particulier dans le cadre deIORSTOM, qui ont eu le mrite de souligner lexistence de rationalitsproprement conomiques au sein des campagnes africaines l . Lesrationalits paysannes, bien que diffrentes des postulats des et > sans cesse opposes de faon archtypale, tout leproblme tant de dgager les processus permettant.de passer des unesaux autres 2. On a ainsi tout un jeu doppositions (cf. Parsons, 1976 ;Redfield, 1956 ; Hoselitz, 1962, et bien dautres) que le tableau suivantpermet de rsumer :

    1 . On doit kgalement rend re justici: au groupe Amira, dominante & onomiste, ainsiqu certains gh gra ph es SAUTTIER, 1978 ;P&ISSIER,979),qui ont avan ce dans unsens identique. Le semin aire de Ouagadougou sur Ma trise de lespace agraire etdveloppement en Afrique tropiicale : logique paysanne e t rationalite techniqu e N1979) marque bien cette C t a p e et cette convergence.On trouvera une b onne critique: des position s structure-fonctionnalistes en leursapplications aux paysanneries africaines, qui du fait de leurs traditions> au changem ent, dans HWON et ROBIN,1975.

    2 .

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    BILAN HISTORIQUE 33Socits traditionnelles Socits modernesascription.communau gemeinschfihomognitdonrelations clientlistesroutinesolidarit

    achievmentindividugesellschafihCt6rognit6argentrelatins bureaucratiquesinnovationconcurrenceEn mme temps, dans limmdiat aprks-guerre, les thories de lamodernisation tenaient le haut du pav en conomie du dveloppement(on connat les clkbres tapes de la croissance conomique de Rostow),et les disciplines voisines sen inspiraient largement (cf. en particulier enpolitologie lcole dveloppementaliste avec Apter, 1963 ; Pye, 1966 ;Almond et Powell, 1966)Cest en raction A toutes ces conceptions no&olutionnistes de lamodernisation, accuses de prcher pour la g6nCralisation plan6taire dumode de vie occidental et de Iconomie librale, que sest d6velopp,largement issu de lAmrique latine, un nouveau courant, influenc par le

    marxisme, quil est convenu dappeler les thories de la dpendance 1.Pour elles, le sous-dveloppement B des pays du Sud nest plus le signede leur arriration, ou la trace de leur (< traditionnalit6 >> cest le produitdun pillage historique dont ils ont t victimes, lexpression de leurdpendance, la responsabilit du systme conomique mondial,autrement dit de limprialisme, ancien ou contemporain. Andr GuntherFrank est sans doute le reprsentant le plus significatif de ces thories ausein de la sociologie (Frank, 1972).I1 analyse la chane de dpendancessuccessives qui finit par relier les plus humbles villages du Tiers mondeaux mtropoles capitalistes occidentales. Cest le dveloppement du sous-dveloppement, assur pour une part par linsertion dans un > (cf. Emmanuel, 1972). La rupture avec lconomie mondialeapparat alors comme la seule voie possible pour une mancipation et un) africaines 2.1.2.

    Pour une prksentation gen erale des theories d e la dependance, cf. LONG, 1977, etpour une analyse plus dk tail lh de leurs form es latino-amkricaines en leur varikt6(rt5formismes et marxismes) cf. KAY, 989.Cf. AMIN, 1972. Jai propose B l&poque 1975) une critique u de gauche D deIuvre de Samir Amin, critique en rupture avec le caractere unilateral des th h ri esde la dependance (pa rticulitr em ent ccentut5 chez cet auteur), qui entendait mettre enrelief loubli systematique par Samir Amin des rapports de classe intern es aux paysafricains et de la responsabilit6 des c lasse s dominantes locales (OLIVIER,1975). Si le

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    34 ANTHROFQL~;IET ~~VELOPPEMENTCes thories ont eu le mrite de mettre en vidence des processus dedomination ou dexploitation aux depens du Tiers monde qui ontstructur ou qui structurent encore lconomie mondiale, et se sontrpercuts ou se rpercutent encore jusquau niveau des producteurs despays du Sud. Mais la focalisation obsessionnelle sur les mcanismes dedomination, ce que Passeron appelle dans un autre contexte le > (in Grignon et Passeron, 1989) a &videntes limites. Nonseulement elle tombe dans le pige du misrabilisme (le peuple tantr&uit loppression dont il est lobjet), mais encore elle bloque vite touterecherche innovante, en se contentant de dcliner linfini les formes dela contrainte, du pillage et de la soumission dont sont victimes les massespopulaires du Tiers monde. Aussi la sociologie de la dpendance a-t-elleassez rapidement puis ses effiets, une fois acquise la connaissance des

    mcanismes de la domination extrieure. Autant la ralit de cesmcanismes ne peut tre ignorde, autant la sociologie de la dpendancedevient dmunie ds lors qu:il sagit de comprendre les marges demanuvre quun tel systme d e contraintes laisse

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    BILAN HISTORIQUE 35systkmes, interfaces, rtroactions deviennentalors les versions modernesde structures, niveaux, liens, influences.. . 1.En fait, on peut considrer lanalyse systmique (a) soit comme unparadigme ; b) soit comme une mtaphore.Lana lyse systmique comme paradigme ?

    En tant que paradigme, lanalyse systmique offre deux versions :dans la version maximaliste, la ralit est un systbme ;dans la versionminimaliste, tout se passe comme si la ralit tait un systkme. Dans lesdeux cas de figure, au sein des disciplines o lanalyse-systme aprospr, comme la thermodynamique bien sr, puis lcologie oulagronomie, lensemble conceptuel organis6 autour de la problmatiquesystmique est la fois auto-rgul et systmatique. 11 sagit donc lh,pour lui appliquer sa propre grille danalyse, dun systme, mais dunsystbme particulier : un systkme conceptuel. Depuis Kuhn on appellevolontiers cela un paradigme.De srieux problbmes surgissent toutefois dks lors quon tentedexporter ce systkme conceptuel vers dautres champs dapplication, enparticulier vers les pratiques et comportements humains. La plupart desprocessus sociaux ne peuvent tre considrs comme des systmes dansun sens rigoureux du terme, sauf la rigueur dans certains domaines trsspcifiques oh les activitbs humaines sinsrent dans des cycles naturels,relvent dune sorte dconomie physique, et peuvent tre fortementautonomiss dun point de vue analytique : cest sans doute le cas pourles systbmes de production agro-pastoraux traditionnels. En sciencessociales, pour lessentiel, lanalyse systmique peut difficilementprtendre au rang de paradigme, pour des raisons inhrentes auxproprits mme du social ou du socital. Les significationsculturellesetles pratiques sociales sont fort loin dtre des systbmes, tant danslacception maximaliste que dans lacception minimaliste. I1 faut syrsigner. Les stratgies des acteurs, lambivalence des comportements,IambigutC des reprsentations, tout cela non seulement ne peut semodliser sous forme de systme mais est contradictoire avec la notionmme de syst&me, avec ce quelle voque et de cohrence et defonctionnalit.Ni la socit ni la culture ne sont des systmes proprementdit, et les considrer comme tels reviendrait faire fi de tout ce quiconstitue la particularit mme du social, les stratgies multiples desacteurs, lagencit humaine, les jeux de pouvoir, les contradictions etincohrences qui sont au cur de toute pense et de toute pratique.Cest pour cela que lentreprise de la socio-anthropologie ne peut trenomologique, quil ny a pas de > de lhistoire (si lon donne unsens rigoureux ce terme), et que les procdures de formalisation propresaux sciences de la nature ne peuvent tre que des moments fugitifs dansdes sciences sociales condamnes au langage naturel (cf. Passeron, 19911. On peut ainsi remarquer que louvrage prkcurseur et largement mCconnu deBoukharine, &rit en pleine rCvolution doctobre, contient d6jjh en germe toute laperspective systkmique contemporaine (BOUKHARINE,971).

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    36 ANTHROPOLOGIEET DeVELOPPEMENTet, entre autres commentaires sur cet ouvrage, Olivier de. Sardan, 1993).Nous sommes pour lessentiel dans un registre de la plausibilit et nondans lespace popprien de la falsificabilit.Lana lyse systmique comme mtaphore ?

    Mais pourtant le vocabulaire systmique est sans cesse utilis ensciences sociales. Cest quil se prte volontiers des acceptions pluslches. On est alors dans le registre de la mtaphore, trs utilis par lessciences sociales, mme sil y est de bonne guerre de tirer sur lesmtaphores des autres (cf. encore Passeron, 1991 : 144-154). Lamtaphore est dailleurs encore plus omniprsente dans le sens commun.Si la socibtb nest ni un syst8me > ni un >du moins peut-on jouer avec dsinvolture voire distraction lui appliquerdes notions qui laissent vaguement entendre quon pourrait la considrercomme telle. Dans ce dcalage entre ce quelle est et comment on entendla considrer, ne seproduit-il pas des effets dintelligibilit intressants?Au lieu dun syst8me paradigmatique dur, on a alors affaire B un systmemtaphorique lche. La prdductivit dune telle dmarche est delle. Maisses dangers ne le sont pas moins, comme pour tout usage systmatiquedun systme mtaphorique. En fait le recours un systme mtaphoriquenouveau (import dans un champ oh il ntait pas jusque l utili&)produit toujours des effets positifs ses dbuts (cf. lusage de lamtaphore organiciste au dbut des sciences sociales, ou de la mtaphoredu march B propos des biens symboliques et du comme un> au sens de la thermodynamique (Easton, 1974) en le traitantcomme une

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    BILAN HISTORIQUE 31lune et lautre et lune et lautre me-systemiques, en sont lillustration : cf. Parsons, 1976;Radcliffe-Brwn,1972).

    -Un risque inherent la metaphore systemique appliquee audeveloppement, celui danalyser les interactions entre un projet dedveloppement et la population B laquelle il sadresse comme un circuitsysdmique. On finit par croire que le projet est un sous-systbme et que le> en est un autre.

    On peut prendre pour exemple la grille sytemique propos& en sontemps pour levaluation des projets de ddveloppement au sein du groupeAmira (Barrbs et al. : 1981). Elle temoigne bien des limites de ce quonpourrait appeler un > (sic) en sciences sociales l . La distinction proposee dans cetexte entre un (qui nepeut Ctre que mollement systemique) et le > (qui na de systemique que levocabulaire que les auteurs plaquent sur lui) ? Comment pretendresrieusement que ce dernier sous-systhme a id : 22) ? Recourir B un tellangage, cest masquer lexistence de rationalites differentes selon lesacteurs et selon les circonstances. Quant ce que les auteurs appellent le> et quils dcoupent en composantes bien alignees, ilrenvoie en fait des niveaux danalyse trbs differents quun> dans la metaphore systmique ne permet pas dedistinguer : par exemple le >, avec sa coherenceargumentative, nest pas le projet comme montage institutionnel sur leterrain, avec son infrastructure, son personnel, son organigramme, et sedistingue tout autant du projet comme systhme daction, cest-&dirersultante des comportements de ses acteurs. A ce niveau de la mise enuvre apparaissent toute une srie de dimensions que lanalysesystmique ne peut modliser : a corruption des fonctionnaires locaux,les projets de carrihre des animateurs de terrain, les antagonismeshikrarchiques et les tensions entre experts internationaux et1 . On trouvera dgdement dans RBling (RI~LING,987,1991) une lecture systdmique dudtveloppement rural, apprdhend6 en termes de communication et de fluxdinformation, lecture h laquelle Long LONG,1992 : 274) reproche de masquer lesdiscontinuitds et les processus de transformation-rdinterpr6tation ui sont au curdes ef fets induits par la vulgarisation agricole (extensionservices .Berche (BFRCELE,1994) montre de son ct6, sur une base empirique, les limites de lanalyse duneinteraction proje tlppulation sen termes systdmiques (en loccurence ti propos dunprojet de soins de sand primaires au Mali).

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    38 A N T H R O ~ ~ I E ~ D ~ L , O P P E M E N Tfonctionnaires nationaux, la chasse aux avantages matriels, lemilitantisme moralisant, les idologies politiques, etc.A lint6ieur mme du paradigme systemique, certaines tentatives sesont fait jour pour assouplir ou tirer le systmisme et laisser une place tout ce qui dans la ralit sociale est > soft ystemapproach, critical system analysis : cf. Mongbo et Floquet, 1994),comme les conflits, les rapports de forces ou les ressources symboliques.Mais naboutit-on pas alors une trange acrobatie et ne serait-il pasmoins cotteux en nergie argumentative de sortir carrement duparadigme systmique? On notera galement avec intrt que deux desauteurs du texte Amira de 1979 ont rdig un nouvel essaim6thodologique quelques annees plus tard (Gentil et Dufumier, 1984)dans lequel ils abandonnent le systmisme tous azimuths pour uneanalyse plus fine et mesure, rservant, sans sy enfermer, le terme desystme aux systmes productifs : systbme de culture, systme dlevage,systme de production et systme agraire. Mais la dfinition de ce derniercomme lensemble des relations entre les systmes de production,organisationsociale et les donnes relatives aux contraintes extrieuresid. 38) montre bien B quel point lacception de > devientalors vague et donc peu opratoire. On a le mme phnom&ne chezFriedberg, qui veut garder une importance centrale au concept de tout en le vidant de fait de tout contenu, puisquil se rduittantt au contexte relationnel des actions (Friedberg, 1993 :223), tantt ilun constat dordre et de rgularit dans les actions ( id . :226,243). Et ilen vient mme?ifinir le systbme comme > ( i d . :225).Soit donc le terme est dmontis, et nest plus quune notion passe-partout que chacun dentre nous utilise distraitement : il ny a plus deconcept, et encore moins de paradigme, et donc plus danalysesystmique. Soit on lui accorde du crbdit, mais alors la mise platquadrille et excessivement cohrente quopbre le >, la reprsentation exhaustive quil veutdonner des flux de communication, rentrent en contradiction aveclexercice de la pende dialectique (pour employer une expressiondevenue dsu2te mais sans signifiant moderne equivalent), le recours une analyse interactionnelle, ou la mise en vidence de rationalitbsmultiples.

    La situation actuelle : es multi-rationalitsPour une majorit de chercheurs cest une approche moinsprtentieuse, plus empirique et plus date de la rkalit sociale quidomine aujourdhui. On peut estimer quelle se dploie deux niveauxcomplmentaires.1. Tout dabord la dmarche est devenue plus

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    BILAN HISTORIQUE 39plantaires ou continentales sont dlaisses, et leffort dlaborationthorique est centr sur la comprhension ne serait-ce que partielle dephnombnes sectoriels ou rgionaux plutt que sur la peinture de vastesfresques thoriques et la production dnoncs catgoriquesdcontextualiss.

    2. En second lieu, laccent est mis sur les acteurs sociaux ou lesgroupes dacteurs sociaux (individuels ou collectifs), leurs stratgies,leurs enjeux. La marge de manuvre des individus et des groupes hlintrieur des ensembles de contraintes dfinis par les structures estdsormaisun objet dtude privilegi.Le fait que lanalyse des relations de clientle (le rapport socialclientjpatron) ou que Itude des rseaux sociaux aient connues un netregain dactivit depuis les annes 1980 est significatif de ce doublerecentrage 1 . On peut y lire une perspective dsormais plusinteractionniste, en ce quelle met au premier plan les interactions entreles acteurs et groupes dacteurs, et leurs effets, recherchs ou inattendus.Des relations de patronage et des rapports de clientble aux nouveauxmdiateurs, nouveaux notables et nouveaux i>, diverses tapesscandent cette redcouverte de thbmes entre-temps oublis et communs Bune certaine sociologie comme une certaine anthropologie (cf. parexemple Boissevain, 1974 ; Schmidt, Scott, Lande et Guasti, 1977 ;Scott, 1977 ; Rogers et Kincaid, 1981 ;Eisenstadt et Roniger, 1980 ;Bayart, 1989 ;Mdart, 1992). Et lorsquon voit J.P. Darr placer lestudes de rseaux au cur de son anthropologie du dveloppement ruralen France Darr, 985), on peut se rappeller que Mitchell, lune desfigures de proue de lcole de Manchester, fut lun des premiers Btravailler sur les rseaux (Mitchell, 1969 ;Boissevain et Mitchell, 1973).Les fils ainsi peu h peu se renouent. Les travaux en socio-anthropologiedu dveloppement actuellement mens B Wageningen sous limpulsionde Long (Long, 1989 ;Long et Long, 1992), lui-mme issu de lcole deManchester, recourent galement aux analyses de rseaux comme auxtudes des relations de clientle ou de courtage. Quant B la filireafricaniste franaise, le fait que la socio-anthropologie du dveloppementait pris un nouvel essor partir danciens lves de Balandier nest pasindiffrent. Balandier a t justement celui qui a lev dans les annes50-60 une voix diffrente de celle de Lvi-Strauss et dun structuralisme 1Cpoque envahissant, en mettant laccent sur les dynamiques sociales,la diachronie, les ruptures et les contradictions. Et cest lui qui a introduiten France lcole de Manchester, ainsi que lanthropologie politiqueanglo-amricaine (cf. Bailey, 1969).

    La perspective interactionniste ici dfendue entend combiner analysedes contraintes et stratgies des acteurs, pesanteurs structurelles et dy-1. Le regain des tudes sur les relations de clientkle avait dCjja Ct6 peru en 1980comme un signe du dclin des analyses structuro-fonctionnalistes,esquellesexeraien t leur hCgCmonie que ce soit en anthrop.ologie avec le primat accord aux

    G groupes en corps )> (corporate groups, kinship groups, territorial group s) ou ensociologie avec le gofit pour les fresques universalistes et les thCories de lamodemisation (EISENSTADTt RONIGER ,1980).

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    40 ANTHROPOLOGIEET D~~VELOPPEMENTnamiques individuelles ou collectives. Le terme de >peut susciter deux types de malentendus. Dune part cet interactionnisme-18ne doit pas tre confondu avec linteractionnisme symbolique ni encoremoins lethno-mthodologie : il est plus gnraliste et moins gnratif,plus polyvalent et moins obsessionnel, plus prudent et moins prtentieux.I1 sattache lensemble des interactions (sociales, politiques,conomiques, symboliques) entre acteurs sur une s c h e donne autourdenjeux donnks (par exemple en relation avec les processus dedveloppement),et non la grammaire de tel ou tel type dinteractions ouaux procUures formelles de dfinition de tel ou tel type de situation entreCo-acteurs. Dautre part il ny a l aucun refus de prendre en compte lesrapports de force et les phnomhes dingalit, bien au contraire.Laccent qui est mis sur les ressources des acteurs sociaux > etleurs marges de manuvre B ne nglige pas pour autant lesdterminations et pesanteurs qui contraignent et bornent ces marges demanuvre.On pense ainsi h Giddens (curieusement largement ignork en Francejusqu ces dernieres annes), qui a souvent insist sur le concept deagency, que lon pourrait traduire par agencif,cest--dire la capacitedaction des acteurs sociaux, ou encore leurs comptences pragmatiques(cf. Giddens, 1979, 1984, 1987). On trouvera plus particulibrement chezLong (1992, 1994) une claire adaptation de la problmatiquede Giddensil la socio-anthropologie du dCveloppement, qui rejoint souvent lesperspectives dfendues dans cet ouvrage I.On peut galement considrer ces problmatiques interactionnistescomme le produit de limportation.en anthropologie dun certain typedanalyses stratkgiques dkveloppes en sociologie des organisations

    1. En t6moigne cet ensem ble de citations extraites dun &cent ou vrage (LONG e t LONG,19921, dont un chapitre a et6 traduit en franais (cf. LONG, 994) dunautre ou dautres personnes. Lefficacite de I (( agency n recquiert donc lacrkatiodm anipulation stratkgique dun rseau de relations sociales >> id.: 18).

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    BILAN HISTORIQUE 41(Crozier et Friedberg, 1977 ;Friedberg, 1993) I , ou bien encore commeleffet dune tendance contemporaine plus diffuse, massive, parfoisbaptis& retour de Zacteur (Touraine, 1984). Ce retour de lacteur nestpas son tour xempt deffets de mode et de risques de derivesincantatoires et autres en est un exemple parmi dautres (on levoit B luvre chez Desjeux, 1987). Aussi leffort principal de ce travailconsistera-t-il B tenter une clarification conceptuelle et notionnelle quimette h jour certains des progrbs accomplis sans dissimuler les multiplesproblhmes non r6glCs.Car tous les obstacles sont loin dtre pour autant abolis..Enparticulier larticulation entre des niveaux tels que > etque > reste un problbme ouvert : comment serepresenter les interactions dialectiques entre les syst&mesde contraintes(Cconomiques, politiques, bcologiques, symboliques.. .) et les processusdadaptation, de dtournement, dinnovation, de resistance ? La socio-anthropologie du developpement reste directement confront& A de tellesquestions.Mais on peut desormais considerer comme acquis lexistence dunepluri-rationalite des acteurs sociaux, selon des combinatoires variablesqui sont chaque fois nouvelles. Les sciences sociales ont dkouvert ouredecouvert la pluralit6 des rationalits et restituent, aux ctes desrationalits conomiques, une place aux rationalites culturelles etsymboliques qui pour autant nexclut pas les premibres. Les sociCt6safricaines, rurales comme urbaines ou > sont, elles aussi, etplus que dautres peut-tre, traverses de rationalites diverses. Cest Bleur confluent quil faut se situer pour comprendre les changements en

    Certes il reste norqal B certains egards de privilegier les logiquesapparemment les plus proches des domaines dinvestigation que lon sedonne : les logiques conomiques lorsquon analyse les strategiesproductives, les logiques symboliques lorsquon 6tudie les rituels etautres faits religieux. Mais on voit bien le risque dune excessivespcialisation qui bomerait B lavance le champ de lenqute au nomdune vision prdterminee ou occidentalo-centrique de la >.Les logiques conomiques interviennent aussi dans lesrituels ou les logiques symboliques sous-tendent aussi les comportementsconomiques. Les stratgies lignagbres, la hierarchie des bienssymboliques, le systbme de valeurs rglant les modes de reconnaissancesociale, les procdures de capitalisation du pouvoir, les normesostentatoires :voilh autant dexemples de recours h des rationalites qui nepeuvent tre rduites ii des stratgies proprement economiques, quinabolissent pas ces demibres, mais qui sy imbriquent et contribuent Bles complexifier.

    cours.

    1 .

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    42 .ANTHROPOLOGIE ET D~~VELOPPEMENTDe plus les rationalits qui traversent une mme socit rurale ne sontpas toutes identiques, dans la mesure o aucune socit rurale africainenest homoghe. Les clivages dge, de sexe, de statut social distribuentdes logiques conomiques comme des logiques sociopolitiquesdiffrentes au sein dun mme ensemble social. Au-del de la variationdes stratgies individuelles, les systkmes de normes sociales qui lesrgulent tendanciellement varient largement dun sous-groupe social unautre, et non seulement dune > une autre. Ces diffrences entresyst&mesde normes internes une mme culture peuvent elles-memesdevenir des enjeux daffrontements entre groupes sociaux. Que lonpense par exemple aux survivances idologiques de lesclavage ou austatut symbolique des gens de caste au Sahel, et leurs mises en causercentes, alors mme que les bases productives et les rapports de

    production correspondants ont presque partout disparu l.Certes laspect cumulatif des sciences sociales est toujours incertain etremis en question. Sil est acquis pour la grande majorit des chercheursen socio-anthropologie du dveloppement que les paysanneries africainesagissent, face aux projets de dveloppement, selon des rationalitsmultiples qui leur sont propres et que les sciences sociales ont pour tchede dcouvrir, cela ne signifie pas que tout le monde pense ainsi. Que leschercheurs srieux aient rompu avec danciens et tenaces strotypeslargement rpandus ne signifie pas que ces derniers aient totalementdisparu.lesreprsentations occidentales sur lAfrique ont n mati&re deproblmatique de la rationalit onnu quatre tapes : aprs unepremikre tape dniant toute rationalit aux Africains, se sont succdune tape opposant les rationalits > africaines auxrationalits > occidentales, puis une tape dcouvrant desrationalits techniques et conomiques chez les paysans africains, avantden arriver ltape actuelle, celle de la multi-rationalit. Mais lesreprsentations propres chaque tape prCaente continuent >aujourdhui encore, et structurer les discours de nombre dacteurs du

    dveloppement (et, aussi, de chercheurs). Outre le langage littraire lapassion est ngre comme la raison est hellne, proclamait Senghor), lediscours familier (en priv) des cooprants occidentaux fait encorelargement cho au thme de la irrationalit >> des Africains quilsctoient. Cette premire &ape des reprsentations occidentales surlAfrique, bien que dsormais illgitime et donc censure dans le discourspublic, na pas pour autant disparu des rflexes de pense. Quant laseconde tape, celle des rationalits religieuses, cosmiques, ousotriques qui constitueraient soi-disant lessence de la

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    BILAN HISTORIQUE 43africaine n, elle se prolonge encore dans une partie non ngligeable de lacommunaute scientifique et rBgle nombre de reprsentations courantes.Notre rapide bilan oscille entre dun ct un optimisme tempi%, quiproduit une sorte dhistoire des ides en socio-anthropologie dudveloppement, conue comme une marche progressive, bien quechaotique et incertaine, vers une prise en compte de plus en plus grandede la complexit du social, et de lautre ct un relativisme dsabus, quiconstate la permanente ncessite de mener B nouveau des batailles quoncroyait gagnes, et dplore que la rinvention permanente de la roueapparaisse comme lexercice favori du monde du dveloppement commedu monde de la recherche. Aprih tout, cette tension est sans doute vraiepour tout bilan en sciences sociales, et nest-ce pas 18 la forme que prenddans nos disciplines cette fameuse combinaison entre le > nonce par Gramsci ? Lechapitre suivant relBvera plutt de loptimisme de la volont.

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    2Un renouvellement de lanthropologie ?

    Il ne sera question ici que de la facette > de la socio-anthropologie du changement social et du dbveloppement, et non de safacette > (laquelle sera voquee dans Ia conclusion).Lhypothbse de depart est la suivante : la socio-anthropologie duchangement social et du dveloppement constitue un enjeu importantpour lanthropologie et la sociologie en gnral, et mme pour lessciences sociales en gnkral. Je me rbfbrerai ici plutt B lanthropologiepour deux raisons. Dune part, lanthropologie, dans ses versionsacadmiques comme dans ses versions mdiatiques, semble a priori plusloign& que la sociologie des processus de changement social et des faitsde dkveloppement. Dautre part, cest du ctb de lanthropologie (qui ainspir lCole de Chicago et la sociologie dite qualitative) que la socio-anthropologie puise lessentiel de ses mthodes de travail. Mais unedemonstration relativement symtrique pourrait tre faite en sappuyantsur des exemples relevant plutt de la sociologie.I1 y a deux attitudes possibles quant aux rapports entre anthropologiedu changement social et du dveloppement et anthropologie classique. Lapremibre, dfensive, simple, consisterait B vouloir rhabiliter lanthropo-logie du changement social et du ddveloppement en tant que > de lanthropologie acadbmique. On critiquerait alors lesremarques de Lvi-Strauss distinguant non sans condescendancelanthropologie (la sienne...), et lanthropologie > lanthropologie du dbveloppement (cf. Martinelli, 1987). Onrclamerait que des etudes anthropologiques sur les reactions villageoisesface B un programme dirrigation, ou sur les conflitspasteurdagriculteurs, ou sur la dlinquance urbaine, puissent bbnkficierde la mme consid6ration acadmique que celles portant sur les sysemesde parent6 ou la cosmogonie...Mais le risque serait de verser dans unesorte de corporatisme pleumichard de sous-discipline brim&, reactioncompr6hensible srement, legitime sans doute, ma is fort probablementpeu productive.. .

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    46 ANTHROPOLOGIEET DGVELOPPEMENTLa seconde solution, plus offensive, plus complexe aussi, consiste voir dans lanthropologie du changement social et du dveloppement unedes sources possibles dun certain renouvellement des sciences sociales.

    Au secom des sciences sociales ?Je rsumerai en trois points une situation gnrale assez connue parailleurs, et qui ne peut tre dveloppe ici.1) On parle souvent de crise des sciences sociales. On peut ennumrer divers symptmes, dailleurs ingalement convergents ou

    convaincants: in des grands systkmes interprtatifs > ;carthlement entre une accumulation sans fin de monographies etdtudes de cas et un essayisme comparatiste dbrid ;cartklement aussientre un quantitativisme immodr et un qualitativisme spkulatif et/ounarcissique.. .2) Les sciences sociales se tournent de plus en plus vers lanthropolo-gie comme un > en raison de proprits heuristiques et mtho-dologiques dont, tort ou raison, on pense que lanthropologie est por-teuse. Cette semblent mieux connatre lalittrature ethnologique que nombre dethnologues (cf. Bayart, 1989).3) Hlas lanthropologie et >..Sur la base dun tel constat, on peut alors proposer lhypothksesuivante, dont je reconnais le caracthre quelque peu volontariste : lesprocessus de changement social et de dveloppement fournissent lanthropologie de nouveaux objets et lui posent de nouvellesquestions. Par l ils peuvent contribuer renouveler pour une partles problmatiques non seulement de lanthropologie, mais, traverselle, de la sociologie et des sciences sociales.I1 faut, en effet, pour apprhender les processus de changement socialet de dveloppement, mettre au point quelques nouveaux concepts,dvelopper quelques nouvelles stratgies dinvestigation, quelquesnouveaux dispositifs mthodologiques, au cur mme dune dmarcheanthropologique qui reste indispensable pour les comprendre, et dont de

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    UN RENOUVELLEMENT DE LANTHROPOLOGIE 47nombreux acquis sont prcieux. Par exemple, la technique delinformateur privilgi ou lanalyse structuralene sont gubre adaptes Alapprhension des processus de changement social. Par contre, lesapproches dites qualitatives ou la observation participante >> semblentincontournables pour aborder ces questions.. .Pourquoi un tel optimisme sur les capacits heuristiques delanthropologiedu changement social et du dveloppement? Cela serait-il d 2 des proprits de son objet ?

    Les Q( proprits H des Q( faits de dveloppement >>En effet on pourrait principales qui inflchissent leregard anthropologique lui-mme :1) Les processus de changement social et de developpement mettentncessairement en rapport des normes htrognes, des cultures et dessous-cultures htrogbnes, des systbmes de valeurs hetrogbnes, desconfigurations de savoirs et de reprsentations htrogbnes, des systbmesdaction htrogbnes, des stratgies et logiques sociales hetrogbnes.Or la plupart des objets de lanthropologie classique ne sont pas A un

    tel confluent. Ou encore, lanthropologie classique se choisit des objetsqui mettent plutt en valeur la permanence, lhomognit, la cohrence.Cette confrontation dlments htrogbnes, divergents,dissemblables, contradictoires, est par contre au cur de lanthropologiedu changement social et du dveloppement. Cest ncessairement uneanthropologie du syncrtisme. Et cest linteraction complexe de cesClments htrogbnes qui est au cur de la construction de lobjet propre lanthropologie du changement social et du dveloppement. Aussilanthropologie du dveloppement doit-elle sintresser non seulementaux >, aux >, mais toutautant aux dispositifs dintervention, aux mdiateurs et courtiers, auxagents extrieurs...Interviennent alors des phnombnes de confrontation, ngociation,rejet, dtournement, accommodation, subversion, rapports de force,compromis, transactions...Que ces phnombnes soient apprhends auxniveaux cognitif, Cconomique, politique, ou symbolique, peu importe :ces termes-lA tendent simposer dans les noncs propres Alanthropologie du dveloppement. Ils sont absents de lanthropologieclassique.Or de telles notions sont indissociables des faits de dveloppement.africains, et de plus sont inscrites au centre de la plupart des phnombnessociaux contemporains.2) Les processus de changement social et de dveloppementmobilisent des structures >, >,transversales : des >, des affinits, des clientles, dessociabilits locales, professionnelles, familiales... Nous ne pouvons enrendre compte avec une vision plus ou moins durkheimienne des

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    48 ANTHROPOLOGIE ETDeVELOPPEMENT> selon laquelle lanthropologie a constitu les chapitres deses monographies : le pouvoir, la parent, la religion, etc. Le got delethnologie classique pour les groupes constitus et >(corporate groups), la parent, la communaut de rsidence, a laiss peude place la description de dispositifs sociaux plus labiles, ambivalents,ajustables, qui sintercalent entre lacteur et les ordres tablis. Dans cedomaine aussi une certaine anthropologie et une certaine sociologie sontindissociables. En effet les relations interpersonnelles, quelles soient> ou dun ct, etethnographie et sociographie > de lautre. Autrement dit, linterface entre les pesanteurs structurelleset laction des agents sociaux.Les faits de changement social et de dveloppement mettent en valeursimultanment les contraintes externes et lautonomie ou les capacitsdinitiative (ou de rsistance) des individus et des groupes locaux.

    L encore lanthropologie classique tend privilgier au contrairelautonomie des systmes culturels et, ce faisant, oblitbre B la fois leffetdes contextes plus larges et les bricolages cratifs des acteurs sociaux.

    Deux a points de vue heuristiques DCes quatre > propres aux faits de changement social et de

    dveloppement permettent de clarifier le rapport quentretiennent lessciences sociales avec deux grandes > (parfoisappeles, B tort mon avis, paradigmes) entre lesquelles elles oscillentsans cesse. Et cest peut-tre en cela que lanthropologie du changementsocial et du dveloppement peut contribuer claircir certains dbats6pistmologiques rcurrents qui dbordent la seule anthropologie.Jvoquerai ici fort bribvement les deux >dominantes : e holisme et lindividualisme mthodologique.

    Lanthropologie comme

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    UN RENOUVELLEMENT DE LANTHROPOLOGIE 49holisme le secours de ses mthodes de terrain spcifiques. Lenquteintensive, au long cours, en situation relle, semble particulibrementapproprik pour saisir une ralit dans toute ses dimensions, et donc danssaglobalit.Lanthropologie du changement social et du dveloppement reprendcette perspective holiste. Elle met en vidence le fait que les logiquesmultiples qui se confrontent autour des processus de 2. Toutes entendent prendre en compte simultanment lesregistres divers de la ralit sociale, telle que lapprhendent les cultures,sous-cultures et acteurs sociaux. En particulier, les phknombnes relevantclassiquement de lconomie (production, change et consommation debiens et de services), auxquels les processus de >renvoient pour lessentiel, ne peuvent tre arbitrairement autonomiss etdconnects de leurs dimensions sociales (cf. clivages B base dge, desexe, de statut, de condition, de classe), culturelles et symboliques (cf.normes de biensance, modes de reconnaissance sociale, critres duprestige, de la solidarit, de laccomplissement), politiques (cf.clientlismes et factionnalismes, no-patrimonialisme) ou magico-religieuses (cf. accusations de sorcellerie). I1 sagit donc bien duneperspective holiste, minemment positive. Mais, par contre,lanthropologie du changement social et du dveloppement doit rompreavec un autre type de holisme :celui qui considre la socit comme untout homogbne et cohrent, quelles que soient les proprits dont onaffecte ce tout, autrement dit quil soit peru comme despotique et> fort diffkrent de la norme n&-librale du marche abstrait (cf.W A m , 1994) ne font qutendre lintuition de Polanyi h Iconomie moderne dohcelui-ci lavait exclue (cf. kgalement GRANOVEITER,985).Sur labondant dkbat anglo-saxon autour de lckonomie morale, cf. entre autresPOPKIN,979 ;HUNT, 1988 ;LEMARCHAND,989, ainsi que, infra. la critique destheses de Hyden.2.

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    50 ANTHROPOLOGIE ET D~~VEJBPPEMENTaussi avec le i< culturalisme >> qui rabat toute une socit (et la diversitdes groupes et des sous-cultures qui la composent) sur > systkme devaleurs culturelles, voire un > ou une . .On a donc affaire deux types de holisme largement emmls. Lunest un point de vue de la transversalit et de la multidimensionnalitk.Lautre est une hypertrophie du tout, de lensemble, du systkme, de lastructure. Peut-tre pourrait-on, pour diffrencier ces deux holismes,parler de > en ce qui concerne le premier, etde > propos du second.Les faits de dveloppement exigeraient alors de faire appel au holismemthodologique et de se dtourner du holisme idologique.Lanthropologie comme mise en vidence des stratgies dacteurs

    Ce second > est en gnral associ ce quelon a appel la individualisme mthodologique >>. I1 est reprsent nonseulementen sociologie (cf. entre autres Schelling, 1973, 1980 ;Boudon,1984, 1988) mais aussi en anthropologie (Barth, 19819, et, dans un do-maine proche de celui qui est ici le ntre, la frontikre de lanthropologieconomique et de la politologie (Schneider, 1975 ;Popkin, 1979;Bates,1987). Il sagit souvent de ractions contre tels ou tels aspectsdu point devue prcdent, ractions qui pourraient donc tre interprtes, pour re-prendre notre formulation, comme des refus du >.On reprochera ainsi, non sans raisons, au structuro-fonctionnalismeou aumarxisme de ne pas prendre en compte lexistence et limportance desorganisations informelles (amitis, rseaux, alliances, coalitions), dou-blier que les acteurs sociaux sont des entrepreneurs manipulant les rela-tions personnelles pour atteindre leurs objectifs, de ngliger les inces-santes

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    UN RENOUVELLEMENT DE LANTHROPOLOGIE 51sens elle tend h mettre en vidence leurs stratgies, aussi contraintessoient-elles, leurs marges de manuvre, aussi faibles soient-elles, leur> (agency). Elle souligne les logiques et les rationalits quisous-tendent reprsentations et comportements. Elle met laccent surlexistence de rels > tous les echelons, et dechoix oprs par les individus en leur nom ou au nom des institutionsdont ils se considhrent comme les mandants. On peut donc considrer untel > comme relevant de lindividualismemthodologique proprement dit. Il permet dviter de prendre lesagrgats produits par les sciences sociales (socit, culture, ethnie, classesociale, systme de parent, mode de production, catgoriesocioprofessionnelle.. .) pour des sujets collectifs dots de volition, etpare aux risques de substantialisation et de dterminisme inhrents lamanipulation de tels concepts.Mais en anthropologie du changement social et du dveloppement, onne peut supposer ni > rationalit unique de lacteur social, quellesoit plus ou moins calque sur le modle de leconomie n6o-liMrale ouquelle sen loigne sous des versions plus prudentes (tels les modles de> de Simon), ni un principe formel unique qui seraitla matrice de toutes les logiques daction particulihres. Les stratgies desacteurs ne se rduisent pas la seule

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    52 ANTHROPOIEIE ETD&VELOPPEMENTpertinent en socio-anthropologie du dCveloppement, le populisme metho-dologique.Lanthropologie du changement social et du dCveloppement na certespas le monopole de lutilisation de ces que lui foumit son objet nont de sens que situCs lin-trieur du patrimoine scientifique de lanthropologie, dont de multiplesheritages peuvent et doiventtre assums. Certes, les dcoupages intemes la discipline anthropologique doivent tre relativises (cf. ci-dessus) : lesoppositions classiques >par exemple appartiennent lhistoire des ides anthropologiques maisnont gure aujourdhui de sens Cpistmologique. Certes, les frontikresavec la sociologie doivent tre transgresses. Mais lanthropologie du

    changement social et du dveloppement est aussi une hCriti&re, autantquune pionnire. Elle hrite dapports sdimentes dive