Agir dans la diversité des langues

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C h a m p s l i n g u i s t i q u e s Sous la direction de Xavier GRADOUX, Jérôme JACQUIN et Gilles MERMINOD Agir dans la diversité des langues Mélanges en l’honneur d’Anne-Claude Berthoud R E C U E I L S

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Xavier GRADOUX, Jérôme JACQUIN et Gilles MERMINOD

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Mélanges en l’honneur d’Anne-Claude Berthoud

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Champs linguistiques Collection dirigée par Marc Wilmet (Université libre de Bruxelles) et Dominique Willems (Universiteit Gent)

RecherchesCorminboeuf G., L’expression de l’hypothèse en français. Entre hypotaxe et parataxeDemol A., Les pronoms anaphoriques il et celui-ciHeyna F., Étude morpho-syntaxique des parasynthétiques. Les dérivés en dé– et en anti–Horlacher A.-S., La dislocation à droite revisitée. Une approche interactionnisteHuyghe R., Les noms généraux d’espace en français. Enquête linguistique sur la notion de lieuJacquin J., Débattre. L’argumentation et l’identité au cœur d’une pratique verbaleMarchello-Nizia Ch., Grammaticalisation et changement linguistique. Marengo S., Les adjectifs jamais attributs. Syntaxe et sémantique des adjectifs constructeurs de la référenceMartin F., Les prédicats statifs. Étude sémantique et pragmatiqueMicheli R., Les émotions dans les discours. Modèle d’analyse, perspectives empiriquesRézeau P., (études rassemblées par), Richesses du français et géographie linguistique. Volume 1de Saussure L., Temps et pertinence. Éléments de pragmatique cognitive du tempsSchnedecker C., De l’un à l’autre et réciproquement…Aspects sémantiques, discursifs et cognitifs des pronoms anaphoriques corrélésThibault A. (sous la coordination de), Richesses du français et géographie linguistique, Volume 2Van Goethem K., L’emploi préverbal des prépositions en français. Typologie et grammaticalisation

ManuelsBal W., Germain J., Klein J., Swiggers P., Bibliographie sélective de linguistique française et romane. 2e éditionBracops M., Introduction à la pragmatique. Les théories fondatrices : actes de langage, pragmatique cognitive, pragmatique intégrée. 2e éditionChiss J.-L., Puech C., Le langage et ses disciplines. XIXe -XXe sièclesDelbecque N. (Éd.), Linguistique cognitive. Comprendre comment fonctionne le langageEnglebert A., Phonétique historique et histoire de la langue. 2e éditionGaudin Fr., Socioterminologie. Une approche sociolinguistique de la terminologieGross G., Prandi M., La finalité. Fondements conceptuels et genèse linguistiqueKlinkenberg J.-M., Des langues romanes. Introduction aux études de linguistique romane. 2e éditionKupferman L., Le mot «de». Domaines prépositionnels et domaines quantificationnelsLeeman D., La phrase complexe. Les subordinationsMel’cuk I. A., Clas A., Polguère A., Introduction à la lexicologie explicative et combinatoire.

Coédition AUPELF-UREF. Collection Universités francophonesMel’cuk I., Polguère A., Lexique actif du français. L’apprentissage du vocabulaire fondé sur 20 000 dérivations

sémantiques et collocations du françaisRevaz Fr., Introduction à la narratologie. Action et narration

RecueilsAlbert L., Nicolas L. (sous la direction de), Polémique et rhétorique de l’Antiquité à nos joursBavoux C. (dir.), Le français des dictionnaires. L’autre versant de la lexicographie françaiseBavoux C., Le français de Madagascar. Contribution à un inventaire des particularités lexicales.

Coédition AUF. Série Actualités linguistiques francophonesBerthoud A.-Cl., Burger M., Repenser le rôle des pratiques langagières dans la constitution des espaces sociaux contemporainsBouchard D., Evrard I., Vocaj E., Représentation du sens linguistique. Actes du colloque international de MontréalConseil supérieur de la langue française et Service de la langue française de la Communauté française de Belgique (Eds), Langue française

et diversité linguistique. Actes du Séminaire de Bruxelles (2005)Corminboeuf G., Béguelin M.-J. (sous la direction de), Du système linguistique aux actions langagières. Mélanges en l’honneur d’Alain

BerrendonnerDendale P., Coltier D. (sous la direction de), La prise en charge énonciative. Études théoriques et empiriquesEvrard I., Pierrard M., Rosier L., Van Raemdonck D. (dir.), Représentations du sens linguistique III. Actes du colloque international de

Bruxelles (2005)Englebert A., Pierrard M., Rosier L., Van Raemdonck D. (Éds), La ligne claire. De la linguistique à la grammaire.

Mélanges offerts à Marc Wilmet à l’occasion de son 60e anniversaireGradoux X., Jacquin J., Merminod G. (dir.), Agir dans la diversité des langues. Mélanges en l’honneur d’Anne-Claude BerthoudHadermann P., Van Slijcke A., Berré M. (Éds), La syntaxe raisonnée. Mélanges de linguistique générale et française offerts à Annie Boone

à l'occasion de son 60e anniversaire. Préface de Marc WilmetRézeau P. (sous la direction de), Variétés géographiques du français de France aujourd’hui. Approche lexicographiqueService de la langue française et Conseil de la langue française et de la politique linguistique (Eds), La communication avec le citoyen :

efficace et accessible ? Actes du colloque de Liège, Belgique, 27 et 28 novembre 2009Service de la langue française et Conseil de la langue française et de la politique linguistique (Eds), Pour un français convivial. S’approprier

la langue. Actes du colloque de Bruxelles, Belgique, 21 et 22 novembre 2013Simon A. C. (sous la direction de), La variation prosodique régionale en français

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Mélanges en l’honneur d’Anne-Claude Berthoud

d u c u l o t

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© De Boeck Supérieur s.a., 2015 1re édition Fond Jean Pâques, 4 – B-1348 Louvain-la-Neuve Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photoco-

pie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

Imprimé en Belgique

Dépôt légal : Bibliothèque nationale, Paris : octobre 2015 ISSN 1374-089X Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles : 2015/13647/119 ISBN 978-2-8073-0028-6

Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web: www.deboecksuperieur.com

Ouvrage publié avec le soutien conjoint du Décanat de la Faculté des lettres et du Fonds des Publications de l’Université de Lausanne.

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Anne-Claude Berthoud © nicolechuard.ch

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Sommaire

1. Énoncer, interagir et instituer, au travers de la diversité des langues (Gradoux, Jacquin & Merminod)....................................................................... 11

Partie ILa Langue au dÉfI de La ParoLe ......................................................... 25

Éléments de linguistique générale ........................................................... 27

2. des interactions humaines à l’unité/ diversité des langues (Bronckart & Bulea Bronckart) ......................................................................... 29

3. Communication linguistique : possibilité et limites (Mahmoudian) .................................................................................................. 43

4. La distinction – non l’opposition – langue/parole, telle qu’elle s’exerce exemplairement en droit : éléments d’une philosophie pragmatique ou « impliquée » (Papaux) ........................................................................................................... 59

5. Pour une linguistique impliquée (Burger) ............................................................................................................ 73

Paroles à propos ............................................................................................... 87

6. recatégoriser le cadre énonciatif. Le cas de l’énonciation non sérieuse (Pop) ................................................................................................................ 89

7. La négociation des topics dans les interactions en classe (Grobet) ............................................................................................................ 105

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8. Introduction de nouveaux référents et gestion de l’attention conjointe : les apports de l’analyse interactionnelle multimodale (Mondada) ........................................................................................................ 121

9. grammaire émergente, grammaire pour l’interaction : variations sur les constructions disloquées (Horlacher & Pekarek Doehler) ......................................................................... 139

Partie IILa CommunICatIon au dÉfI de La dIversItÉ des Langues ............................................................... 153

Pratiques plurilingues et pratiques d’apprentissage ......................... 155

10. ruptures, bascules et tensions : travail métalinguistique et outils plurilingues (Gajo) ............................................................................................................... 157

11. Comment les étudiants montrent leurs connaissances dans des interactions internationales (Borràs, Moore & Nussbaum) ........................................................................... 171

12. enseignement bilingue et apprentissage intégré des disciplines et des langues (Steffen) ........................................................................................................... 191

13. Paroles enfantines à propos… du plurilinguisme et des écritures des langues. sinogrammes, textes polygraphiques et dialogues métagraphiques (Moore) .................................................................................................................. 209

14. L’acquisition non- focalisée, ou les zones de transition plurilingues (Franceschini) ................................................................................................... 225

15. emILe dans tous ses états. Pourquoi l’enseignement multilingue est un enseignement meilleur. Le rôle de l’apprentissage implicite (Van de Craen, Surmont & Joret)....................................................................... 237

Politiques linguistiques et gestion de la diversité des langues .... 251

16. note sur le plurilinguisme au niger. déterminants, contextes et représentations (Jolivet) .................................................................................................................. 253

17. Le rôle de l’oral, de l’écrit, et de la relation oral- écrit en politique linguistique (Grin) ............................................................................................................... 267

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Sommaire

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18. vers une approche institutionnelle de la question du plurilinguisme à l’université (Forster Vosicki) ............................................................................................... 283

19. de cadre en plateforme. sur quelques instruments de politique linguistique au niveau européen (Coste) .................................................................................................................... 299

20. La gestion des langues de dyLan comme modèle pour une politique linguistique de la science ? (Lüdi) ............................................................................................................... 315

résumés des chapitres ......................................................................................... 333

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Énoncer, interagir et inStituer, au traverS de la diverSitÉ deS langueS

Xavier Gradoux, Jérôme Jacquin & Gilles MerminodUniversité de Lausanne

L’alpiniste ne plante pas le clou à la hauteur qu’il peut atteindre bras tendu, mais juste au- dessus.

Anne- Claude Berthoud (librement reconstruit par les éditeurs)

Anne- Claude Berthoud est professeure de linguistique à l’Université de Lausanne depuis 1982. Elle y est actuellement responsable de la chaire de linguistiques générale et appliquée, dont elle a fait un lieu d’échange et d’innovation, où les maîtres mots sont l’enthousiasme et le partage, au- delà des frontières intel-lectuelles ou institutionnelles, et où s’évite l’assoupissement théorique de la discipline linguistique tant craint par Antoine Culioli (1999, p. 7)1. Ce volume collectif rend hommage à l’intense activité scientifique d’Anne- Claude Berthoud, et plus précisément à son intérêt pour les différentes ressources qui favorisent la construction, la transmission et la circulation des savoirs, au travers de la diversité des langues. Quant aux pages qui suivent, elles constituent une double occasion de présenter le parcours académique et scientifique d’Anne- Claude Berthoud et d’en extraire les éléments qui témoignent d’une certaine démarche linguistique, dont le présent volume se veut le reflet.

1. L’influence d’Antoine Culioli sur le parcours d’Anne- Claude Berthoud a été déterminante. Nous y reviendrons. Précisons déjà que c’est sous l’impulsion de cette dernière qu’un Doctorat honoris causa de l’Université de Lausanne a été attribué en 2002 au linguiste des opérations énonciatives.

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un parcours académique et scientifique dans la diversité des languesAnne- Claude Berthoud est connue à l’Université de Lausanne pour sa générosité et son implication dans l’enseignement. Cette passion pour la transmission des connaissances, elle l’hérite peut- être de sa formation au métier d’enseignante à l’École Normale de Neuchâtel. Elle en fait en tout cas un engagement institu-tionnel lorsqu’elle endosse la présidence de la commission de l’enseignement de l’Université de Lausanne (1998-2002), la présidence de la commission de politique linguistique de la même institution (2003-2010), la vice- présidence du 3e Cycle romand (1999-2004) ou encore lorsqu’elle coordonne l’École doctorale lémanique en sciences du langage et le Programme postgrade suisse en analyse du discours (2001-2006).

Anne- Claude Berthoud porte également un intérêt particulier à la politique de la recherche scientifique en tant que celle- ci permet d’établir les conditions institu-tionnelles de la construction et de la circulation des savoirs. Que ce soit à la vice- présidence (1998-2004) puis à la présidence (2004-2010) de l’Académie Suisse des Sciences Humaines et Sociales ou à l’occasion de diverses responsabilités au Fonds National Suisse de la recherche scientifique (dès 1993), Anne- Claude Berthoud s’est battue pour des sciences humaines et sociales ouvertes et géné-reuses, aptes à bâtir des ponts et à favoriser les échanges.

Bâtir des ponts, favoriser les échanges au- delà des frontières, c’est cet intérêt qui lui ouvre, en 1999, les portes du Conseil d’administration du Conseil Européen pour les langues, dont elle assurera la vice- présidence de 2001 à 2013 et au sein duquel elle endossera différentes responsabilités scientifiques. Ce sera l’occasion d’une réflexion approfondie sur les politiques linguistiques en tant qu’elles consti-tuent non seulement des conditions- cadres pour un respect et une valorisation de la diversité des langues, mais aussi des lieux où est conceptualisée l’articulation entre les différentes ressources –  des plus linguistiques aux plus institution-nelles – favorisant une meilleure circulation des savoirs. Et c’est dans ce contexte qu’Anne- Claude Berthoud va progressivement élaborer, soumettre et coordonner le projet DYLAN, avec la collaboration de François Grin et de Georges Lüdi.

Financé de 2006 à 2011 dans le cadre du 6e Programme- cadre de l’Union euro-péenne, le projet intégré DYnamique des LANgues et gestion de la diversité (DYLAN –  Contrat No  028702) a fédéré dix- neuf universités réparties dans douze pays. L’objectif du projet était d’« identifier les conditions dans lesquelles la diversité linguistique de l’Europe est un atout pour le développement de la connaissance et de l’économie » (www.dylan- project.org, consulté le 5  mai 2015). Ce projet a permis à Anne- Claude Berthoud de penser une science qui décrit la richesse des pratiques ordinaires pour changer les représentations, une science qui produit des descriptions agissantes, une science qui – se faisant et

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se disant – est impliquée dans le monde plutôt qu’appliquée au monde. DYLAN a aussi été l’occasion pour Anne- Claude Berthoud, parallèlement à sa responsa-bilité de coordinatrice, d’approfondir la réflexion quant à l’impact des pratiques plurilingues et des politiques linguistiques sur la construction et la circulation des savoirs, et ainsi de prendre la science pour objet tout autant que de traiter des objets de la science tels qu’ils se (co- )construisent en discours.

Le parcours de recherche d’Anne- Claude Berthoud se caractérise donc par un intérêt pour le savoir en tant qu’il s’énonce, qu’il se négocie dans l’interaction et qu’il s’institue, progressivement, au travers de la diversité des langues. Ce parcours particulier n’est pas fortuit. Il ancre tout autant qu’il est ancré dans le cheminement de la réflexion linguistique de ces quarante dernières années, celui qui voit le paradigme de l’agir intégrer la description des formes et structures linguistiques.

agir dans la diversité des languesAnne- Claude Berthoud compte parmi les premières linguistes francophones à s’être engagée dans le « virage actionnel » des sciences du langage. Un tel virage renvoie à l’idée d’un changement de priorité dans l’analyse linguistique2. Alors que la linguistique d’inspiration saussurienne partait de l’idée d’une langue rela-tivement disjointe de ses conditions d’utilisation, c’est- à- dire une langue conçue uniquement dans sa systématicité interne et dont les propriétés sont avant tout issues d’un rapport de la partie au tout de la structure (les phonèmes dans des systèmes phonologiques, les morphèmes dans des paradigmes morphologiques, etc.), le virage actionnel est apparu comme un moyen de privilégier la fonction de communication sur la forme idéale, par l’étude de ce qu’une unité linguistique permet de faire, d’accomplir en contexte, avant de considérer son éventuelle systématicité dans un appareil plus large3.

Il n’est dès lors pas étonnant de compter Émile Benveniste et sa description de l’appareil formel de l’énonciation (1970) comme l’une des inspirations majeures d’Anne- Claude Berthoud. Qu’est- ce que cet appareil formel, si ce n’est le sous- système linguistique où le degré de pénétration de l’usage dans la structure est le plus visible ? Des unités telles que je, tu, ici, maintenant fonctionnent en effet comme autant de preuves que la langue est configurée par la parole, que les structures sont le produit cristallisé des actions accomplies en contexte.

2. Pour des synthèses et des réflexions à ce sujet, voir par exemple Filliettaz (2004), Mondada (2004) et Blommaert (2005).

3. Sur ce point, la perspective qu’adopte Charles Bally (1913) sur le langage et qui diffère à bien des égards du Cours de Ferdinand de Saussure (1916), témoigne d’une étonnante modernité et éclaire l’état d’esprit qui guide la linguistique d’Anne- Claude Berthoud : « toujours nous aboutissons à la même constatation générale et profonde : il s’agit de motifs pratiques, d’un but à atteindre, jamais de considérations purement intellectuelles ; jamais les formes logiques du langage ne sont au premier plan » (Bally, 1913, p. 35).

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Toutefois, nous y reviendrons, il s’agissait là d’une étape dans un mouvement plus profond. Retracer la trajectoire scientifique d’Anne- Claude Berthoud, c’est en effet s’engager dans une histoire qui a mené la linguistique à passer d’une théorie décontextualisée des unités et des processus énonciatifs à une approche intégrative, c’est- à- dire ancrée dans la complexité des pratiques sociales, où les formes linguistiques, bien souvent tirées d’un répertoire pluriel, façonnent l’interaction tout autant qu’elles sont réflexivement modelées par elle4.

Partant, l’expression « agir dans la diversité des langues » qui donne au volume son titre est susceptible de recevoir au moins trois acceptions complémentaires en regard du parcours d’Anne- Claude Berthoud :

1) agir en termes d’opérations énonciatives. Suivant les travaux pionniers d’Antoine Culioli (voir notamment le recueil publié en 1990), « les formes linguistiques » sont considérées comme autant de « traces » d’opérations « qui jalonnent les productions d’énoncés dans le discours […], parce que toute énonciation donne des instructions de lecture et d’interprétation au co- énonciateur, des instructions contextuelles (au sens situationnel et cognitif) et des instructions cotextuelles (au sens de la continuité séquentielle) » (Berthoud, 2006, p. 222).

2) agir de façon située dans l’interaction verbale. Dans la continuité des premières retombées de l’analyse conversationnelle pour une approche praxéologique des structures grammaticales (pour une synthèse, voir Ochs, Schegloff & Thompson, 1996), « les formes linguistiques » sont saisies du point de vue de leur participation à l’interaction avec autrui, c’est- à- dire « en continuité avec les macro- structures et l’ordre séquentiel de la conversation […] dans le cadre de dynamiques interactionnelles » (Berthoud, 2006, p. 222).

3) agir de façon plus globale dans les institutions sociales. Dans la tradition d’une linguistique appliquée réflexive quant aux conséquences de ses ana-lyses, les formes linguistiques sont envisagées en tant qu’elles permettent la création, la négociation et la transformation des représentations sociales. En ce qui concerne la diversité des langues, il s’agit notamment « d’articuler une connaissance fine et précise de l’interaction dans les contextes plurilin-gues avec des choix sociaux à plus large échelle » (Berthoud, Grin & Lüdi, 2013, p. 4355), c’est- à- dire « en aidant à la formulation de propositions pour

4. Un tel mouvement se reflète aujourd’hui dans différentes traditions de recherche dont il ne s’agit pas ici de brosser un panorama complet (voir à ce sujet Berthoud & Mondada, 2000). On peut toutefois noter la pertinence, dans le présent volume, de l’interactionnisme socio- discursif (Bronckart, 1997) ainsi que de la linguistique interactionnelle (Selting & Couper- Kuhlen, 2001) ou grammaire pour l’interaction (Ochs, Schegloff & Thompson, 1996).

5. « To connect fine- grained knowledge about interaction in multilingual contexts with large- scale social choices ».

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la gestion efficace, rentable et démocratique de la diversité linguistique en Europe » (ibid., p. XI6).

Ces trois agir sont autant de pôles de réflexion par rapport auxquels prennent sens les différentes contributions réunies dans cet ouvrage. Ils constituent ainsi des clés de lecture et complètent ce que le sommaire donne à en voir. Nous proposons à partir d’ici un parcours de ces trois agir passant de l’énonciation à l’interaction puis de l’interaction à l’institution.

de l’énonciation à l’interactionSous l’impulsion d’Emile Benveniste, les années 1970 voient l’émergence en France d’une linguistique de l’énonciation, qui a ceci d’éminemment novateur qu’elle met le sujet parlant au centre de la théorie linguistique. Les toutes pre-mières publications d’Anne- Claude Berthoud s’inscrivent dans cette démarche en étudiant des « contraintes déictiques  sur l’emploi de quelques verbes de mouvement » (Berthoud & Py, 1979 ; Berthoud, 1979), contraintes qui consti-tuent une brèche dans l’opposition langue/parole telle qu’elle se présente dans le Cours de Ferdinand de Saussure (1916)7. Certains verbes de mouvement analysés par Berthoud et Py ne sont en effet interprétables qu’en fonction de la situation d’énonciation. En allemand, les particules hin et her marquent l’éloignement ou le rapprochement par rapport à la personne qui parle tout comme le couple aller/venir en français ou ir/venir en espagnol. Cette dimension déictique de certaines unités impose donc de « prendre en considération la factualité pour comprendre ce qu’[elles] signifient » (Récanati, 1979, p. 164). Elles sont alors partiellement indéchiffrables, mais cette opacification est – selon une formule chère à Anne- Claude Berthoud – « une condition sine qua non de leur transparence » (ibid., p. 163). Dans la continuité de cet intérêt pour les traces de l’acte énonciatif manifestant réflexivement sa production, Anne- Claude Berthoud porte ensuite une attention particulière aux activités métalinguistiques, comme en témoignent ses publications du début des années 1980 (Berthoud, 1982b, 1982c) et notamment sa thèse, intitulée « Activité métalinguistique et acquisition d’une langue seconde » (Berthoud, 1982a ; voir les développements de Gajo, Moore et Pop, ici même).

Les premières contributions scientifiques d’Anne- Claude Berthoud ont en outre la particularité de considérer différents systèmes linguistiques, témoignant ainsi d’une linguistique comme « science qui a pour objet le langage appréhendé à travers la diversité des langues naturelles » (Culioli, 1999, p. 95). Une telle démarche ouvre l’analyse linguistique aux usages et à leurs variations, en considérant les langues

6. « To help to formulate proposals for the effective, cost- effective and democratic management of linguistic diversity in Europe ».

7. Le chapitre de Papaux discute de la distinction langue/parole, plutôt que de son opposition, partant pour ce faire du domaine du droit.

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comme des systèmes non plus étanches et autonomes, mais ouverts et adaptatifs. Quels que soient les objets soumis à l’analyse, Anne- Claude Berthoud n’aura de cesse de souligner l’importance d’une comparaison entre les langues naturelles pour dégager le fonctionnement du langage en général (dans le présent ouvrage, voir les chapitres de Bronckart & Bulea Bronckart, Gajo et Mahmoudian).

Cet intérêt pour la diversité linguistique, Anne- Claude Berthoud le développe probablement au début de son parcours professionnel en tant qu’enseignante de langue. Une partie de ses recherches initiales tire d’ailleurs profit des situations d’acquisition (1982b, 1984, 1989), où le travail métalinguistique est particuliè-rement saillant et agit dès lors comme un révélateur : à cette occasion, l’attention des locuteurs n’est en effet pas concentrée exclusivement sur ce qui est dit, mais également sur la manière dont c’est dit. Un autre révélateur qui a très tôt intéressé Anne- Claude Berthoud est le malentendu et son traitement métalinguistique (1986), un phénomène d’une telle ampleur qu’il a donné lieu à l’aphorisme bourdieu-sien cher à Culioli : « La compréhension est un cas particulier du malentendu » (Culioli, 2002, p. 28 ; voir la discussion proposée par Mahmoudian, ici même).

Une telle approche, mêlant énonciation et réflexivité, conduit la jeune profes-seure à étudier de manière approfondie – à partir de la fin des années 1980 – la thématisation et le marquage des objets de discours. Anne- Claude Berthoud définit l’objet de discours, ou topic, comme étant « ce à propos de quoi Je dis quelque chose pour l’Autre » (1996, quatrième de couverture). La définition met ainsi en avant la dimension énonciative du phénomène : « dès qu’un énonciateur parle de quelque chose, il affirme une certaine position par rapport à ce qu’il exprime, par rapport à ses propres perceptions et par rapport à ce qu’il présuppose chez le co- énonciateur » (ibid., p. 10). Anne- Claude Berthoud s’intéresse alors aux formes linguistiques caractéristiques du marquage des objets de discours, notamment les dislocations (Berthoud, 1994 ; Horlacher & Pekarek Doehler, ici même), les déterminants (Berthoud, 1995) et les structures clivées (Berthoud, 1992).

C’est à l’occasion de cette exploration du topic que s’opère ensuite un passage d’une étude des traces de l’acte énonciatif à une approche plus englobante, prenant en compte le contexte de la production de l’énoncé. Cette influence déterminante du paradigme de l’interactionnisme (voir Bronckart & Bulea Bronckart, ici même) entraine plus généralement la linguistique à considérer les effets des dynamiques interactives sur les formes linguistiques et, en retour, à saisir les ressources linguis-tiques en tant qu’elles sont mobilisées dans l’interaction (Horlacher & Pekarek Doehler et Mondada, ici même). Ainsi, en ce qui concerne l’objet de recherche d’Anne- Claude Berthoud, « l’énonciateur ne pose pas simplement un topic dans le discours, il le propose, l’impose, le négocie, l’ajuste, coopération qui prend du temps et se déroule séquentiellement, étant marquée par des positionnements spécifiques » (Berthoud, 1996, p. 11). L’approche, menée conjointement avec Lorenza Mondada, est par conséquent complexifiée dans la mesure où l’objet

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de discours est non seulement introduit, mais il est aussi « ancré » dans l’inte-raction verbale (Berthoud & Mondada, 1995a, 1995b ; Berthoud, 2006). Il est co- construit et négocié au gré des dynamiques interactionnelles, qu’il s’agisse de l’organisation séquentielle des tours de parole (Mondada, ici même) ou de la gestion des faces et des cadres participatifs (Grobet, ici même).

Plus généralement, cette entrée dans le paradigme de l’interaction aura des répercussions sur l’ensemble des intérêts de recherche d’Anne- Claude Berthoud. Elle transformera notamment sa perspective sur l’acquisition et les contacts de langue en mettant au centre de la réflexion la compétence de communication plutôt que la compétence linguistique uniquement. De ce fait, il s’agit de penser « l’interaction […] tout à la fois comme lieu, comme moyen et comme objet de l’acquisition » (Berthoud, 2003a, p. 137 ; voir les chapitres de Borràs, Moore & Nussbaum, Franceschini, Grobet et Steffen, ici même).

de l’interaction à l’institutionLe « virage actionnel » en sciences du langage – tel que la trajectoire d’Anne- Claude Berthoud le donne à voir – se marque également par un renouvellement du rapport entre théorie(s) et pratique(s). Ce rapport se substitue aux simples termes d’opposition et de complémentarité pour se faire tout à la fois dialogue, tension et convergence (Berthoud, 2013 ; Burger et Papaux, ici même). Ce changement de perspective prend ses sources dans l’évolution d’une linguistique qui, comme on l’a dit, ne s’intéresse plus tant aux formes et aux structures pour elles- mêmes que prises dans des pratiques situées et institutionnalisées diverses et complexes.

Développant une approche linguistique qui saisit les enjeux et les effets du contact et de la diversité des langues, la trajectoire de recherche d’Anne- Claude Berthoud manifeste la volonté d’impliquer le linguiste dans la société et ses institutions, qu’il s’agisse d’acquisition de langues secondes (Berthoud, 1982a ; Berthoud & Py, 1993) ou encore de politique linguistique dans les institutions universitaires, économiques et politiques (Berthoud, Grin & Lüdi, 2013).

Cette implication du linguiste reflète l’évolution, plus générale, d’une certaine vision de la linguistique appliquée (voir à ce propos Bronckart, 2014 ; Burger, ici même). Ainsi, du point de vue de la linguistique de l’acquisition et de son rapport à la didactique et aux pratiques d’enseignement, c’est l’absence d’un traitement satisfaisant de certains verbes allemands dans les manuels de langue à destination du public francophone qui mène Anne- Claude Berthoud à « construire aussi bien une description théorique des verbes à particules hin et her que leur description pour la pratique »  (Berthoud, 1982a, p. 3). Localisant ici un lieu de tension, elle s’appuie non seulement –  comme on l’a vu – sur la théorie des opérations énonciatives de Culioli, mais observe également attentivement l’activité métalinguistique des élèves à propos de ces verbes. Une telle façon de

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réSuméS DeS chapitreS1

eulàlia Borràs, emilee moore & luci nussbaumComment les étudiants montrent leurs connaissances dans des interactions internationalesCe chapitre porte sur les moyens mis en œuvre par les étudiants, dans un contexte d’internationalisation de l’enseignement supérieur, pour discuter des connaissances et les reconstruire lors de la résolution d’une tâche académique en anglais lingua franca (English as a Lingua Franca, ELF), dans une situation interculturelle. Une attention particulière est accordée à la façon dont les parti-cipants utilisent leurs ressources plurilingues et multimodales pour interroger les connaissances des partenaires ainsi que pour établir et modifier leur position face aux savoirs en question. L’analyse interactionnelle d’enregistrements vidéo révèle que, malgré des compétences linguistiques et disciplinaires asymétriques, les étudiants travaillant en groupe forgent des moyens créatifs pour atteindre le consensus.

Jean- paul Bronckart & ecaterina Bulea BronckartDes interactions humaines à l’unité/diversité des languesDans la plupart de ses travaux, Anne- Claude Berthoud a abordé les phénomènes linguistiques dans une optique intégrée, rendant justice à la fois aux mécanismes interactifs au cœur de la pratique des locuteurs et au caractère plurilingue de ces pratiques.

Dans la continuité de cette centration, les auteurs procèdent d’abord à un examen de cinq aspects des interactions constitutives de l’humain : les interactions

1. Les résumés proposés par les contributeurs sont présentés ici par ordre alphabétique.

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dialogales concrètes, surtout étudiées dans les multiples courants de linguis-tique interactionnelle inspirés de l’ethnométhodologie ; les interactions entre le plan des activités humaines générales et celui de l’activité de langage, telles qu’elles ont été analysées dans les textes fondateurs de Volochinov ; les interactions entre les dimensions praxéologique et gnoséologique du lan-gage, c’est- à- dire entre les activités verbales et ces constructions secondes que constituent les langues, telles qu’elles ont été analysées par Saussure ; les interactions constitutives des signes, dont le statut radicalement social avait été thématisé par les deux auteurs déjà mentionnés ; les interactions entre activités verbales et processus psychologiques, telles qu’elles sont notamment mises en évidence dans des dispositifs contemporains d’analyse de l’activité de travail.

Bronckart & Bulea Bronckart proposent ensuite une réflexion sur le statut de la diversité linguistique, en montrant d’abord, suite aux analyses de Saussure, que les divers idiomes ne constituent que des variantes historiquement et géographi-quement situées d’une unique langue humaine. Sur cette base, ils réexaminent le statut et les propriétés constitutives des langues naturelles, et tentent de distinguer les niveaux d’organisation du langagier qui tendent à l’universalité et ceux qui sont nécessairement propres à un idiome.

En guise de synthèse finale, les auteurs proposent quelques hypothèses concernant d’une part la nature des interactions humaines qui concourent à l’émergence des dimensions communes aux langues et d’autre part la nature des interactions qui seraient plutôt à l’origine de leurs spécificités.

marcel BurgerPour une linguistique impliquéeCe chapitre discute quelques aspects de la posture de recherche d’une linguistique impliquée. Comme la linguistique appliquée, elle relève d’une science empirique, interdisciplinaire et vise à établir des grammaires des emplois et non du système. Comme la linguistique appliquée, elle s’ancre dans le terrain des champs pratiques pour décrire dans le détail les pratiques langagières conçues comme une part de pratiques sociales institutionnelles. Si l’objectif général de la recherche impliquée est de mieux comprendre le rôle du langage dans la construction des réalités, son but plus spécifique est de saisir, au moment de leur émergence, les mécanismes langagiers de génération et de régulation de micro-contextes critiques, c’est-à-dire des situations où les acteurs font face à des impératifs contradictoires et où des prises de décision concertées s’imposent pour résoudre un problème pratique ou idéologique. Les acteurs des champs pratiques négocient alors leur rapport à la situation sur la base de savoirs et savoir faire langagiers qui génèrent pour une part les situations critiques que dans le même temps elles régulent.

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À ce titre, la recherche impliquée est sensible à son impact social. Impliqué dans le terrain, le chercheur opère en partenariat avec les acteurs des champs pratiques. Et de cette relation dialectique qui s’instaure résulte alors la possibilité d’établir, sur la base des observations propres à des acteurs singuliers, un répertoire de bonnes (et moins bonnes) pratiques démontrables à des groupes d’acteurs : les premières sont à généraliser et les secondes à proscrire. On conçoit dès lors que l’échange et le transfert de savoirs influencent autant le champ pratique que celui de la recherche à proprement parler.

Daniel costeDe cadre en plateforme. Sur quelques instruments de politique linguistique au niveau européenCe chapitre fait retour sur les évolutions qui, dans le domaine des politiques linguistiques éducatives et de la didactique des langues, ont suivi la publi-cation, en 2001, du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR) et du Portfolio européen des langues, instruments mis à disposition par la Division des politiques linguistiques du Conseil de l’Europe. Les usages constatés du CECR sont commentés en termes de succès différenciés dans les secteurs de l’évaluation, de la méthodologie d’enseignement, de la prise en compte de la pluralité linguistique, de la conception des curricula. Sont évoqués les débats auxquels ces effets pluriels ont donné lieu. Une partie des travaux engagés dans le prolongement du CECR s’est orientée vers les dimensions plurilingues de l’éducation, notamment avec la parution du Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe. Et dans ce mouvement, la langue principale de scolarisation est peu à peu devenue un objet majeur de réflexion. Un tel passage progressif d’une focalisation sur les langues étrangères à une centration sur la langue de scolarisation résulte de la dynamique même du projet d’éducation plurilingue. C’est dans la logique de cette évolution que le projet « Langues dans l’éducation, lan-gues pour l’éducation » prend son sens et détermine son équilibre : toutes les langues présentes en quelque manière dans l’école sont posées comme langues de l’éducation, mais tout le dispositif gravite autour de la langue de scolarisation, comme matière scolaire et comme constitutive des appren-tissages des autres matières. Une Plateforme de ressources et de références pour l’éducation plurilingue et interculturelle, dispositif en ligne, a été créée et rassemble des textes divers qui présentent et illustrent les principes et démarches possibles relevant de ce qui, dans la perspective retenue par l’Unité des politiques linguistiques, est recouvert par la notion d’éducation plurilingue et interculturelle.

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Brigitte forster vosickiVers une approche institutionnelle de la question du plurilinguisme à l’université

Ce chapitre porte autant sur le contexte de la création en 2003 de la Commission de politique linguistique (CPL) de l’Université de Lausanne (UNIL) – en tension entre diversité accrue et recours à une lingua franca – que sur certaines de ses activités visant à maintenir la diversité et infléchir la tendance à privilégier une lingua franca unique. En effet, dans le contexte actuel d’internationalisation, on observe une augmentation du caractère multilingue et multiculturel des institu-tions universitaires ; ceci engendre des contextes plus hétérogènes et introduit de nouvelles langues pour l’apprentissage, l’enseignement et la recherche ainsi que pour la collaboration et la promotion des institutions au niveau international. Ce chapitre examine d’abord les tendances contradictoires entre, d’une part, la valeur ajoutée attendue du plurilinguisme, étayée par des résultats de recherche récents en relation avec les objectifs de la politique éducative européenne et plus particulièrement ceux de Bologne, et, d’autre part, la tendance à privilégier l’anglais comme lingua franca unique avec le risque d’uniformisation que cela comporte. Face à ces nouveaux défis émerge le besoin d’un traitement explicite de la question du plurilinguisme en tant que condition indispensable à la qualité de la formation, de la recherche et de la communication scientifique et institu-tionnelle. L’enjeu d’une telle politique est de créer des conditions nécessaires pour les acteurs universitaires qui doivent disposer d’un profil plurilingue et interculturel adéquat et d’agir sur une dimension multilingue dans la commu-nication scientifique et institutionnelle. En s’appuyant sur diverses actions de la CPL, quelques aspects d’une telle politique sont considérés dans ce chapitre, par exemple la nécessité de sensibiliser les acteurs au rôle du plurilinguisme en rapport aux objectifs de Bologne, la question des langues d’enseignement, l’intégration du développement du profil plurilingue des étudiants dans les facultés ainsi que le rôle du plurilinguisme dans la stratégie d’internationali-sation de l’UNIL.

rita franceschiniL’acquisition non- focalisée, ou les zones de transition plurilingues

Les études sur l’acquisition des langues se sont occupées de manière privilé-giée de personnes qui ont l’intention explicite d’apprendre une langue ou sont forcées à le faire, soit pour des raisons de curriculum scolaire, soit pour des raisons socioculturelles. On ne s’est pas encore demandé de façon approfondie s’il y a aussi pour les adultes des contextes dans lesquels les langues secondes

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sont acquises sans être la cible d’une attention particulière, sans qu’il y ait de focalisation acquisitionnelle sur les langues.

À cet égard, ce chapitre pose deux questions : Une exposition constante mais inaperçue à une L2 (c’est- à- dire sans qu’il y ait de focalisation particulière) pourrait- elle constituer un environnement acquisitionnel ? Si la réponse est positive, les formes produites diffèrent- elles fortement des formes acquises dans les contextes où il y a une focalisation acquisitionnelle ?

Les données étudiées – plus de 150 conversations avec des germanophones enre-gistrées à Bâle dans des situations spontanées conduites en italien – permettent de répondre positivement à la première question et négativement à la seconde. Les formes produites dans des contextes sans focalisation explicite ne sont pas fondamentalement différentes de celles, produites par les apprenants ou par les personnes qui ont appris une langue dans un contexte explicite, voir scolaire. Il faut néanmoins ajouter que les formes acquises dans des contextes d’acquisition non- focalisée sont extrêmement vastes et fluctuantes.

La perspective adoptée vise donc à une possibilité inverse à celle que l’on est habitué à assumer, à savoir : si on part de l’assomption que l’acquisition des langues se base largement sur l’échange entre N et NN, on peut faire l’hypothèse qu’au cours de l’apprentissage, la langue du NN (dans ce cas, l’italien) pourra être apprise par le N (le germanophone). C’est une hypothèse qui n’a pas encore été soumise à des recherches approfondies. La contribution, se basant sur des données en interaction, cherche à donner un support à cette hypothèse.

laurent gajoRuptures, bascules et tensions : travail métalinguistique et outils plurilingues

Ce chapitre propose une réflexion sur la nature des activités métalinguistiques et le rôle du travail plurilingue dans l’interaction en classe. L’analyse de deux séquences enregistrées dans des classes bilingues, l’une au secondaire et l’autre au primaire, montre la subtilité du passage entre le traitement des objets de savoirs et celui des moyens linguistiques. L’intervention de la deuxième langue met en évidence cette subtilité et, tout à la fois, permet de l’outiller en créant des lieux de passage, des mouvements d’intégration. Si l’analyse semble résister, ce n’est pas la notion de continuum – entre « méta » et « non méta » – qui permet de répondre de manière satisfaisante, mais plutôt celle de continuité. Cette der-nière relève du traitement, de l’orientation vers les objets et non de la nature de ceux- ci. Le recours à une deuxième langue dans l’interaction peut ainsi engager un processus de « re- médiation », un deuxième accès aux objets de savoirs, apparaissant alors dans leur épaisseur et dans leurs contingences linguistiques.

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De manière générale, cette contribution montre l’intérêt de travailler sur des situations de discours particulièrement complexes, où le multicodage (passages de l’oral à l’écrit), le multilinguisme (mobilisation possible d’une diversité de langues) et la multimodalité (recours à diverses ressources de médiation, parmi lesquelles le langage) jouent un rôle important.

françois grinLe rôle de l’oral, de l’écrit, et de la relation oral- écrit en politique linguistiqueCe texte propose une approche des politiques linguistiques qui met en évidence leur caractère de politique publique, les rendant comparables aux politiques poursuivies dans d’autres domaines tels que les transports, l’environnement ou la santé. Cette approche aide à préciser l’objet des politiques linguistiques dans une perspective qui favorise leur sélection, leur élaboration et leur évaluation : cet objet est la modification, dans un sens socialement souhaité, de l’environnement linguistique, notion nettement plus vaste que celle « paysage linguistique ».

La politique linguistique emploie deux types d’instruments, la réglementation et l’incitation, applicables à différents champs dont ce texte propose une typo-logie combinant trois dimensions. Elle débouche sur l’identification de douze terrains d’action, où l’on distingue notamment l’écrit de l’oral. Un des enjeux que cette typologie met en relief est le risque de débordements non désirés d’un terrain d’action sur un autre, et l’on se penche ici sur le danger d’empiétement par l’écrit sur l’oral : certaines pratiques à l’écrit, autorisées voire instituées par une politique linguistique, peuvent- elles se propager au champ de l’oralité, ce qui reviendrait à une perte de maîtrise sur les politiques linguistiques ?

Ce chapitre évalue ce risque dans le cas des politiques linguistiques universitaires en s’appuyant sur des exemples suisses. Il conclut que la diffusion de l’anglais dans les pratiques écrites (souvent utile pour des raisons d’accès à certains matériels scientifiques et pédagogiques) peut déboucher sur une diffusion de la langue anglaise dans les pratiques orales. Ceci peut être considéré comme une conséquence non désirée d’une politique linguistique informelle, qui mérite alors d’être recadrée dans l’intérêt à long terme de la diversité des langues et des cultures.

anne grobetLa négociation des topics dans les interactions en classeLa notion de topic conversationnel étudiée par Anne- Claude Berthoud se trouve au cœur de ce chapitre, qui l’envisage dans le contexte de différents types d’inte-ractions en classe. Il s’agit d’examiner comment les topics sont introduits, repris,

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réorientés et clôturés dans le cadre de négociations, envisagées ici comme impli-quant minimalement trois phases, à savoir une proposition, une réaction et une ratification. L’analyse détaillée de séquences extraites d’interactions en classe bilingue de différents degrés permet de mettre en évidence les interrelations entre la gestion des topics, certes marquée par l’asymétrie des rôles de l’enseignant et des apprenants, et la situation (degré, discipline), le cadre participatif (plus ou moins polygéré) et la gestion des faces des interactants.

anne- Sylvie horlacher & Simona pekarek DoehlerGrammaire émergente, grammaire pour l’interaction : variations sur les constructions disloquéesL’avènement des travaux linguistiques portant sur l’oral, et sur l’interaction sociale notamment, a profondément changé la compréhension de la « grammaire ». Les pratiques langagières observables dans l’interaction révèlent que les locuteurs ne se comportent pas comme des robots qui reproduiraient des formes figées ; bien plutôt, ils s’orientent vers des « modèles » existants tout en les réinventant et en les adaptant aux contingences interactionnelles. Les constructions disloquées se présentent comme un cas exemplaire permettant de comprendre la grammaire telle qu’elle est localement configurée et modelée par les locuteurs selon leurs besoins interactifs. La réalisation effective des dislocations dans l’interaction répond à certains aléas qui conduisent les locuteurs à bricoler et (re)façonner localement ces formes dans un processus continuel d’adaptation en temps réel. Ce chapitre met en évidence le rôle structurant de l’interaction sociale sur les formes grammaticales en insistant sur le caractère hautement flexible du système linguistique. Il se veut une contribution aux discussions récentes sur la grammaire en tant que réservoir de ressources que les locuteurs utilisent, (ré)inventent et alimentent à toutes fins pratiques.

remi JolivetNote sur le plurilinguisme au Niger. Déterminants, contextes et représentationsPartant de deux des quatre dimensions d’analyse du plurilinguisme européen mobilisées dans DYLAN (les contextes de mise en œuvre et les représenta-tions), ce chapitre présente quelques résultats d’une enquête extensive sur le plurilinguisme dans le contexte bien différent d’un pays d’Afrique, le Niger. À partir d’un échantillon de plus de 4500 personnes, il est possible de dégager les principaux facteurs corrélés avec les pratiques plurilingues. Au niveau des groupes : ethnie, démographie, géographie. Au niveau des individus : genre, âge et niveau de formation. Dans les pratiques, le répertoire des langues utilisées

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s’élargit en passant d’un contexte d’interaction privé (en famille) à un contexte d’interaction public (au marché). Les représentations reflètent largement, au- delà de l’attachement général pour la langue première, le statut objectif des différentes langues en présence : véhicularité du haoussa au niveau national ; « localité » des autres langues ; spécificité du français. Les voies d’acquisition d’un répertoire plurilingue, très généralement situationnelles et extra- scolaires (sauf pour le français), et l’absence de considérations d’utilité dans les repré-sentations favorables au plurilinguisme différencient nettement cet exemple de plurilinguisme africain du plurilinguisme en Europe.

georges lüdiLa gestion des langues de DYLAN comme modèle pour une politique linguistique de la science ?La prédominance de l’anglais dans le domaine académique est assez généralement admise. Mais l’idéologie unilingue sous- jacente, privilégiant une seule lingua franca au détriment de toutes les autres langues, est fortement contestable. Or, un mouvement de revalorisation du plurilinguisme durant les dernières années a mis l’accent sur les avantages cognitifs, sociaux et stratégiques de la diversité linguistique, entre autres au sein d’équipes mixtes. Dans le projet DYLAN, les membres du Consortium ont développé un régime des langues fondé sur le plurilinguisme pour la communication interne, mais aussi pour les rapports scientifiques et les publications. Ce chapitre présente le fonctionnement et les avantages de cette gestion des langues ainsi que du « raisonnement plurilingue » sous- jacent ; et il pose la question de savoir si un tel régime pourrait servir de modèle pour le monde académique et les publications scientifiques en général.

mortéza mahmoudianCommunication linguistique : possibilité et limitesThéoriquement, la description linguistique vise à dégager la structure de la langue, c’est- à- dire un ensemble de mécanismes par lesquels émetteur et récepteur par-viennent à communiquer. En pratique, elle aboutit non à une structure une, mais bien à un ensemble de variantes de structure. Le résultat se présente souvent comme l’exposé de données – parfois agrémentées de chiffres, tabelles, graphiques,… Bref, la structure linguistique se présente ainsi d’une grande complexité. Face à la complexité, on peut être tenté de remettre en cause l’existence de la langue et la possibilité de la communication. Une autre réaction serait de se demander dans quelle mesure pareilles descriptions reflètent la possibilité et les limites de la communication par la langue. Ce chapitre part de cette interrogation. Il pose un problème complémentaire : quels sont les attributs dont sont – doivent

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être – doués les sujets parlants pour utiliser efficacement l’outil complexe qu’est une langue ? Ce qui conduit à interroger les neurosciences sur la structure et le fonctionnement neurobiologiques de l’homme, tels qu’elles les conçoivent aujourd’hui.

lorenza mondadaIntroduction de nouveaux référents et gestion de l’attention conjointe : Les apports de l’analyse interactionnelle multimodale

Ce chapitre se penche sur une problématique qui a intéressé différents domaines de la linguistique – à l’interface entre syntaxe et pragmatique – concernant la manière dont les locuteurs introduisent une nouvelle entité dans leurs discours. Il propose une approche praxéologique et interactionnelle inspirée de l’analyse conversationnelle, qui intègre comme dimension essentielle la prise en compte de la multimodalité. Sur la base d’une analyse détaillée, le chapitre montre que les locuteurs mobilisent dans leurs pratiques d’introduction d’un nouveau réfé-rent co- présent dans l’environnement des ressources fort diverses – allant de la syntaxe aux gestes de pointage, mais aussi du regard aux positionnements des corps en mouvement. Ces ressources sont finement coordonnées non seulement entre elles mais entre les co- participants, au fil de l’organisation conjointe de leur action, de leurs corps et de leur attention. Ces observations nourrissent une vision praxéologique et multimodale des pratiques des locuteurs et plus généralement, invitent à considérer les corps en interaction dans la description et modélisation linguistique.

Danièle mooreParoles enfantines à propos… du plurilinguisme et des écritures des langues. Sinogrammes, textes polygraphiques et dialogues métagraphiques

Ce chapitre, qui porte sur les représentations du fonctionnement de l’écrit chez un enfant prélecteur plurilingue confronté à divers systèmes d’écriture, se veut un hommage au travail précurseur d’Anne- Claude Berthoud sur les représentations, les savoirs et les bricolages métalinguistiques des apprenants plurilingues dans la construction d’hypothèses sur les langues et leurs fonctionnements. L’auteure présente quelques réflexions à partir d’un exemple, tiré d’une étude pilote récem-ment menée avec de jeunes enfants de cinq ans dans la province anglophone de la Colombie- Britannique au Canada qui ont été confrontés à une tâche grapho- scripturale de dessin et de coloriage de sinogrammes dans le but de recueillir

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leurs représentations sur les systèmes d’écriture présents dans leurs répertoires et leur environnement. L’explicitation métagraphique des jeunes apprenants recueillie lors de ces tâches ouvre une fenêtre sur comment de très jeunes enfants font sens de leurs langues et des pratiques d’écrit, distinguent ou fondent traces sémiopicturales et sémiographiques, tissent et maillent les langues, et mobilisent, en situation, des ressources plurilingues pour comprendre et apprendre.

alain papauxLa distinction – non l’opposition – langue/parole telle qu’elle s’exerce exemplairement en droit : éléments d’une philosophie pragmatique ou « impliquée »

Entre philosophie du droit et philosophie du langage, le chapitre examine les mécanismes duels de la pensée occidentale pour proposer ensuite une philosophie pragmatique – ou « impliquée » – qui refuse les dualismes et aborde le réel dans son épaisseur ontologique, épistémologique et sémiologique. Après un examen des arguments épistémologiques amenant à préférer une distinction langue/parole à une opposition, la contribution prend l’exemple du droit et de son exercice pour traiter du couple type/occurrence. De là, on constate que la connaissance ou science ne se confond pas avec l’« acte de connaissance » comme la langue ne se confond pas avec la parole ; du point de vue de l’exercice, et par contraste avec l’essence (ou quiddité), la parole c’est la langue exercée (et non pas appliquée) par et dans l’acte (de connaissance) ou « acte de parole » précisément. Se dessine une figure paradoxale du « dehors/dedans simultanément » qui ne se comprend qu’en tant que le langage doit son être à la mètis (aux savoir- faire, aux habiletés pratiques) bien plutôt qu’au seul logos (au raisonnement). Il s’agit ainsi de pro-poser une philosophie pragmatique que l’épaisseur du réel rend humble au point d’opérer avec mètis bien plus qu’avec logos, épousant des figures paradoxales, le « simultanément dedans/dehors » emblématiquement, que la linguistique éprouve en son méta- langage, lui- même langage en effet, que le droit pratique jusqu’en son fondement : on ne peut définir le droit sans en appeler au juridique, et réciproquement, démarche confinant au paralogisme et pourtant y échappant.

liana popRecatégoriser le cadre énonciatif. Le cas de l’énonciation non sérieuse

Le chapitre se propose de discuter le statut ambigu de la catégorie d’activité discursive, par rapport à d’autres catégories de l’énonciation, comme acte de langage ou genre textuel, mieux définies dans la littérature linguistique. Une

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application de la catégorie est proposée sur ce qu’on appelle plaisanterie, vue d’abord comme « mode discursif non sérieux », et se manifestant à plusieurs niveaux textuels. L’auteure pose que les unités énonciatives « activités » se situent au niveau intermédiaire de structuration des textes (méso) – entre les unités de niveau macro (textes) et les unités de niveau local (actes) – et que des transferts réguliers se produisent entre les modes de traitement des objets de discours, sur une continuité linguistique / métalinguistique.

La méthode adoptée consiste à montrer la façon dont est catégorisée, recatégo-risée et délimitée cette activité discursive comme entité plus nette ou plus floue, à travers les expressions métalinguistiques la désignant (expressions explicites et implicites, marqueurs de frontière).

Les exemples sont repris de textes oraux et écrits et montrent que les marques de plaisanterie peuvent être des expressions indirectes (métonymies ou autres), interrogeant les conditions de sincérité – comme : Tu te fous de moi ?, Parlons sérieusement maintenant !, déconner, etc. – ou des expressions plus explicites (noms d’activités appartenant à la folklinguistics  : blagues, plaisanteries). Quelques marqueurs de frontières sont aussi révélateurs de ce mode discursif non sérieux alternant avec un mode sérieux.

Le statut instable de cette « unité » sur le parcours de l’énonciation semble se confirmer, car si certaines séquences se constituent d’habitude en séquences passagères, sur le parcours d’un texte, d’autres sont des textes à part entière (genres textuels : sketches, anecdotes, comédies).

gabriela SteffenEnseignement bilingue et apprentissage intégré des disciplines et des langues

L’enseignement bilingue s’inscrit potentiellement dans une didactique du plu-rilinguisme : par l’enseignement en plusieurs langues, il peut donner lieu à un apprentissage intégré des langues et réaliser un apprentissage intégré des dis-ciplines et des langues. Ce potentiel ne peut se réaliser pleinement, d’une part, lorsque l’enseignement est organisé de manière à orienter le travail en classe uniquement vers les contenus disciplinaires, dont la langue est un véhicule traité comme transparent, le développement des ressources langagières utiles pour et spécifiques à une discipline restant ainsi en grande partie implicite. D’autre part, ce potentiel reste largement inexploité lorsqu’on sépare entièrement les langues d’enseignement et que les cours se déroulent en L2 sans faire explicitement appel à la L1. Les extraits – présentés dans ce chapitre, et issus de classes bilingues en maternelle, au secondaire supérieur et au tertiaire – montrent que les ensei-gnants recourent à un usage alterné des langues et mettent ainsi à contribution les

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ressources bilingues et/ou la confrontation, voire la problématisation des savoirs en L2 et en L1, dans un cadre institutionnel qui tend à séparer les langues dans les enseignements. Ces pratiques en classe mettent en évidence que l’intégration des apprentissages en et de L1 et L2 va au- delà de la simple articulation de deux apprentissages monolingues et tient à une posture bi- plurilingue des enseignants privilégiant des approches qui travaillent avec un répertoire plurilingue et qui didactisent le contact de langues dans l’enseignement des disciplines. De manière similaire, l’enseignement/apprentissage des langues et des disciplines s’articule et s’incorpore de manière complexe dans une approche qui intègre travail sur les ressources langagières (en L2 et/ou en L1) et élaboration des contenus discipli-naires et thématiques. Les extraits présentés illustrent bien que les activités qui articulent et intègrent l’enseignement/apprentissage des répertoires langagiers et celui des disciplines en plusieurs langues donnent lieu à des apprentissages riches et complexes.

piet van de craen, marie- ève Joret & Jill SurmontEMILE dans tous ses états. Pourquoi l’enseignement multilingue est un enseignement meilleur. Le rôle de l’apprentissage impliciteCe chapitre montre que l’approche CLIL/EMILE (content and language integrated learning/enseignement d’une matière intégré à une langue étrangère) dépasse le cadre strict de l’apprentissage des langues. Dans une première partie, le chapitre résume les effets linguistiques, psycho- sociaux, cognitifs et cérébraux. Trois aspects didactiques d’EMILE sont ensuite examinés, à savoir le multilinguisme additif, le principe de répétition et le transfert des compétences, attestant que cette approche possède des caractéristiques tout à fait particulières et difficilement comparables à l’apprentissage traditionnel des langues. La prise en compte des résultats scolaires liés à l’influence du développement cognitif renforce encore cette thèse. Le cas des mathématiques étudié ensuite est exemplaire en ce qu’il montre que les élèves issus de l’enseignement bilingue ont de meilleurs résultats que ceux de l’enseignement traditionnel. La troisième partie présente le proces-sus conduisant à ces résultats. Il est suggéré que l’apprentissage implicite de la langue cible est responsable des bons scores réalisés dans les tests de mathé-matiques. Enfin, les effets cognitifs de l’enseignement par immersion sont mis en regard de ceux obtenus dans l’enseignement musical implicite effectué dans le cadre de la méthode Suzuki. Ces parallèles démontrent que, dans les deux cas, l’apprentissage implicite a des effets cognitifs similaires sur les fonctions exécutives des enfants.

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Le présent volume souhaite rendre hommage à Anne-Claude Berthoud et à sa carrière marquée par ce qui constitue à la fois un objet de recherche et une ambition : agir dans la diversité des langues.

Professeure honoraire de l’Université de Lausanne, Anne-Claude Berthoud a été responsable des chaires de linguistique générale et appliquée à partir de 1982. Son parcours scientifique et académique, caractérisé par une implication généreuse dans l’enseignement de la pragmatique et de l'acquisition des langues et par le dynamisme des recherches conduites, met au cœur de la réflexion la force agissante du langage, conjuguée en trois orientations complémentaires : agir en termes d’opérations énonciatives, agir de façon située dans l’interaction verbale et agir de façon plus globale dans les institutions sociales. Chez Anne-Claude Berthoud, ce paradigme de l'action est toujours doublé d'un intérêt pour la diversité des langues dont la comparaison permet de dégager le fonctionnement du langage en général.

Retraçant un parcours scientifique singulier, cet ouvrage témoigne des évolutions de la linguistique de ces quarante dernières années, marquée par une prise en compte croissante du contexte et de l’usage du langage à des fins communicatives. Les chapitres de ce volume d’hommage, rédigés par des chercheurs d’horizons différents, abordent tant des problèmes de théorie et de description linguistiques (référence, rapports entre langue, communication et interaction) que des questions liées à la diversité des langues (acquisition, plurilinguisme et politique linguistique). Ils offrent ainsi un éclairage pertinent sur la recherche actuelle en linguistique.

«Champs linguistiques» crée un nouvel espace de réflexion sur tous les aspects du langage en éclairant la recherche contemporaine en linguistique française, sans a priori théorique et en ne négligeant aucune discipline. Pour les linguistes professionnels : une occasion de donner libre

champ à leurs recherches.Pour les amoureux de la langue : une manière d’élargir le champ de

leurs connaissances.Pour les étudiants : un outil de travail et de réflexion.C h a m

p s l i n g u i s t i q u e s

ISBN 978-2-8073-0028-6ENOINT

ISSN 1374-089X

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