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Pierre JACQUET, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.) Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ? 2012 Dossier

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Regards sur la Terre décrypte la complexité des processus qui composent le développe-ment durable et en révèle toute la richesse.

La première partie dresse le bilan de l’année 2011 : retour sur les dates qui ont marqué l’avancée des connaissances et la construction de l’action dans les domaines du climat, de la biodiversité, des ressources naturelles, de la gouvernance, de l’énergie, de la santé ou du développement ; analyse des événements clés et des tendances émergentes, identifi cation des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives.

Le Dossier 2012 interroge l’un des enjeux majeurs de nos sociétés contemporaines : l’agri-culture. Longtemps restée écartée des politiques de développement, celle-ci fait un retour en force sur le devant de la scène internationale. Mais si l’évidence d’un besoin d’investissements massifs dans le secteur agricole est aujourd’hui reconnue, d’im-portantes controverses demeurent. L’agriculture peut-elle être un moteur du déve-loppement ? Peut-elle assurer la sécurité alimentaire d’une population mondiale qui vient de franchir le cap des 7 milliards d’individus ? Comment concilier la produc-tion agricole avec les exigences du développement durable ? Un nouveau modèle doit-il être inventé ? Entre intérêt récent des investisseurs, débat sur les modèles de productions inscrits dans des réalités physiques, climatiques, environnementales et sociales et réflexion sur nos modes de consommation et d’alimentation, l’agri-culture, qui cristallise tant les espoirs que les résistances à la mondialisation, est aujourd’hui plus que jamais un enjeu de gouvernance mondiale.

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

Pierre JACQUET, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.)

Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ?

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25,40 € Prix TTC France6951305ISBN : 978-2-200-27528-0

Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le gouvernement français. Présente

sur le terrain dans plus de 50 pays et dans 9 départements et collectivités d’outre-mer, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agri-culteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2010, l’AFD a consacré plus de 6,8 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en développement et en faveur de l’outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 13 millions d’enfants, l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 33 millions de personnes et l’octroi de microcrédits bénéficiant à un peu plus de 700 000 personnes. Les projets d’efficacité énergétique sur la même année permettront d’économiser près de 5 millions de tonnes de CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transver-salement autour de cinq programmes thématiques : gouvernance, climat, biodiversité, fabrique urbaine et agriculture. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin de traiter les enjeux du développement durable, de

l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Pierre JACQUET, ingénieur des Ponts, des eaux et forêts et membre du Cercle des économistes, est chef écono-miste de l’Agence française de développement (AFD). Il est aussi président du département d’économie, gestion, finances et professeur d’économie internatio-nale à l’École des Ponts-ParisTech. Il est notamment administrateur de l’Institut français des relations inter-

nationales (IFRI), de l’Institut de la gestion déléguée (IGD) et de Proparco. Il a appartenu entre 1997 et 2006 au Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre. Il écrit une chronique mensuelle sur les acteurs du développement dans Le Monde de l’économie.

Laurence TUBIANA, économiste, a fondé et dirige l’Ins-titut du développement durable et des relations inter-nationales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions de l’environnement de 1997 à 2002, elle a

été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étran-gères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute at Columbia University, Oxford Martin School). Elle est également membre de l’India Council for Sustainable Development et du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du Conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies e.V. (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PACHAURI est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

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Chapitre 5Terre, paysanset migrants : au cœur du développement chinois

La réforme rurale a façonné le modèle de développement chinois, en contribuant au faible coût de la main-d’œuvre non qualifi ée, et donc à la compétitivité de l’industrie d’exportation. De nombreux défi s restent à relever pour assurer la modernisation des campagnes, alors que l’agriculture doit nourrir une population croissante et de plus en plus riche.

Au cours des trois dernières décen-nies, la Chine s’est développée à un rythme rapide. Entre 1981 et 2001, le nombre d’individus vivant avec moins d’un dollar par jour a

diminué de 400 millions [Chen et Ravallion, 2004]. Ce succès est en grande partie dû à la réforme rurale. Alors que le pays était en pleine croissance, la production agricole et les droits fonciers ont subi des changements profonds. Dans le même temps, l’exode rural est resté strictement réglementé, ce qui a conféré aux personnes migrant des campagnes vers les villes un rôle économique et social très particu-lier, et a façonné le modèle de développement chinois, en contribuant au faible coût de la main-d’œuvre non qualifi ée, et donc à l’attrac-tivité de l’industrie d’exportation. Cependant, de nombreux défi s restent à relever dans les campagnes en raison de ces contraintes sur les migrations vers les villes, qui ont pour consé-quences de limiter les envois de fonds vers les campagnes et la modernisation des zones

rurales, tandis que simultanément, l’agricul-ture doit nourrir une population croissante et de plus en plus riche.

Dans ce chapitre, nous décrivons l’agriculture et les terres agricoles en Chine, et analysons leurs liens avec le modèle de développement chinois.

Nous commencerons par présenter les traits caractéristiques de l’agriculture et des cam-pagnes chinoises, avant de nous intéresser au phénomène de l’exode rural, puis aux tensions foncières générées par le développement. Nous conclurons par l’évocation des défi s auxquels les politiques agricoles chinoises sont aujourd’hui confrontées.

L’agriculture chinoise : géographie, histoire et institutionsAprès des siècles d’évolution progressive, l’agri-culture chinoise a fait l’objet d’une expérience radicale de collectivisme à partir de 1949. Une décollectivisation partielle a débuté en 1978, créant un système institutionnel unique.

Maëlys DE LA RUPELLE, facultés universitaires Notre-Dame de la Paix, BelgiqueLi SHI, université normale de Pékin, ChineThomas VENDRYES, université Paris-Sud, France

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Les campagnes chinoises traditionnellesÀ partir de la dynastie des Han (de 206 av. J.-C. à 220 ap. J.-C.), structure de la Chine impériale correspond assez bien au concept de « despo-tisme oriental » [Wittfogel, 1957] : une société agricole organisée par un État bureaucratique.

Cela peut paraître paradoxal, car les carac-téristiques géographiques et climatiques de la Chine ne sont pas particulièrement favorables à l’agriculture. Seulement 15 % de la superfi cie totale est cultivable [Naughton, 2007], dont la majeure partie se situe à l’est, où la terre est de faible altitude et exposée à l’air humide de la « mousson » des mers asiatiques. Malgré ces conditions diffi ciles, la Chine a été et reste l’une des régions les plus densément peuplées au monde. À l’est, la densité de population atteint aujourd’hui 260 habitants par km2, soit six fois la moyenne mondiale [Naughton, 2007]. Un travailleur agricole cultive seulement cinq mu en moyenne, l’équivalent du tiers d’un hectare [Maddison, 2007]. Cette exploitation intensive des rares terres agricoles nécessite des inves-tissements massifs dans les infrastructures et l’utilisation de techniques très intensives en main-d’œuvre [Naughton, 2007]. On considère généralement que l’agriculture chinoise a béné-fi cié de l’émergence précoce d’une bureaucratie centralisée [Maddison, 2007]. En effet, comme l’agriculture constituait la principale base de la fi scalité, elle a été fortement soutenue par les fonctionnaires à travers, par exemple, des pro-jets hydrauliques ou la diffusion de nouvelles techniques. Le développement des échanges à l’échelle de la Chine explique également le caractère fortement commercialisé de l’agricul-ture [ibid.]. Toutefois, les agriculteurs chinois n’étaient pas plus riches que leurs homologues d’autres régions du monde [ibid.] et ce n’est qu’au prix d’un travail laborieux qu’ils pou-vaient gagner un revenu de subsistance. Dans un contexte de misère généralisée, les paysans étaient souvent endettés auprès des proprié-taires locaux et la propriété foncière était généralement concentrée [Naughton, 2007].

L’expérience maoïsteC’est dans ce contexte, et après des décen-nies de guerres civiles et étrangères, que le

Parti communiste chinois (PCC) a fondé la République populaire en 1949, grâce à des straté-gies de soutien du milieu rural plutôt qu’urbain.

Les premières politiques ont été très favo-rables aux citoyens des campagnes. Une vaste réforme foncière a permis la redistribution de la moitié de la superfi cie totale des terres [Lardy, 1987] à 300 millions de paysans pauvres, et les agriculteurs ont reçu des droits privés étendus sur leurs parcelles. La stabilisation politique a également entraîné une augmentation signifi -cative de la production agricole [ibid.].

Mais cette embellie a été de courte durée et le PCC, sous l’impulsion de Mao Zedong, a ensuite décidé d’accélérer radicalement la collectivisation de l’agriculture et d’établir une planifi cation économique de style soviétique, visant à transférer un maximum de ressources de l’agriculture vers les secteurs industriels [ibid.]. Le pic de cette politique a été atteint pendant le Grand Bond en avant (1958-1961). La société a été organisée en Communes popu-laires, rassemblant en moyenne 5 500 ménages. Dans les zones rurales, les règlements des com-munes couvraient les menus détails de la vie quotidienne, à tel point que même la possession d’ustensiles de cuisine privés était interdite. Les résultats ont été catastrophiques, et la famine consécutive a tué entre 25 et 30 millions de personnes [Naughton, 2007].

Des ajustements majeurs du système ont alors été décidés. Les « 60 articles sur l’agri-culture », approuvés par le PCC en 1961 et qui ont prévalu jusqu’en 1978, ont mis en place une collectivisation à petite échelle centrée autour de brigades de production, regroupant de 45 à 50 ménages, avec une tolérance pour l’existence de parcelles individuelles et de marchés privés [Lardy, 1987].

Ces réformes ont permis de stabiliser la situation dans les zones rurales, mais toujours en favorisant l’industrie et les zones urbaines. En 1978, l’industrie lourde était nettement plus développée que les autres secteurs, notamment l’industrie légère, les services et, surtout, l’agriculture. Le statut des travailleurs des usines d’État et des entreprises urbaines était favorisé de façon disproportionnée. Au début de l’ère de la réforme, la structure duale de

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l’économie et de la société chinoises était donc très prononcée.

Les réformes et le « système de responsabilité des ménages »En 1978, lorsque Deng Xiaoping est devenu chef de l’État, la Chine était encore un pays essen-tiellement rural (82 % de la population) et agri-cole (70 % des actifs) [Naughton, 2007]. Mais les revenus réels en milieu rural étaient très faibles, surtout par rapport aux zones urbaines.

Des politiques visant à accroître les revenus en milieu rural ont donc été adoptées [Vendryes, 2010] : les prix des produits agricoles fi xés par l’État ainsi que la production d’intrants agri-coles ont été augmentés, tandis que le champ de l’économie privée a été étendu.

La principale évolution, cependant, est venue d’expériences locales : certaines localités ont accordé aux ménages ruraux des droits d’usage sur des parcelles spécifi ques, posant ainsi le principe du « système de responsabilité des ménages » [ibid.], qui s’est rapidement propagé à travers la Chine et prévaut encore aujourd’hui. Ce système a été offi ciellement reconnu dans la Constitution de 1982, la loi de 1986 sur la ges-tion des terres et une série de documents no 1 de 1982 à 1986 1. Une deuxième vague de lois et de règlements sur cette question a été mise en place avec la révision de la loi sur la gestion des terres en 1998, suivie par la loi de 2002 sur les contrats fonciers en zones rurales et la loi de propriété de 2007, avec en parallèle une série de documents no 1 de 2004 à 2011.

Le principe du système est simple : les terres agricoles restent la propriété des collectivités locales, et les ménages ruraux se voient accorder des droits d’usage des terres. Offi ciellement, ces droits d’usage individuels sont sûrs et stables sur le long terme. Leur durée, qui était initia-lement fi xée à 15 ans, a été prolongée à 30 ans en 1997 et, depuis la loi de propriété de 2007, elle est devenue perpétuelle. La seule limitation offi cielle est que les agriculteurs ne peuvent pas

1. Les documents SCNPC et CCPCC sont publiés chaque année par les autorités centrales, indiquant des directives politiques et admi-nistratives. Le « document n° 1 », premier publié, indique la priorité politique de l’année.

utiliser leurs parcelles pour des activités non agricoles.

Deux réformes institutionnelles connexes ont été réalisées à la fi n des années 1990 et au début des années 2000 [ibid.]. Premièrement, la révi-sion, en 1998, de la loi organique sur les comités villageois a permis d’organiser des votes au niveau des villages, les autorités élues étant chargées des affaires locales, en particulier de la gestion des terres. Deuxièmement, entre 1998 et 2002, la fi scalité agricole a été mise sous contrôle strict par la réforme « Fei Gai Shui » (« transformer les frais en taxes »), avant d’être supprimée en 2005-2006. Ces réformes ont eu pour but de limiter la puissance des cadres locaux et leur incitation à contrôler l’attribution des terres.

Cependant, malgré ces améliorations, les saisies administratives de parcelles et les réallocations collectives de terres sont restées fréquentes, tandis que les marchés fonciers demeurent très limités. Ainsi, les droits d’usage individuels des terres sont beaucoup moins sûrs et durables que le gouvernement central ne le projette.

Depuis 1978, les politiques agro-industrielles ont été profondément modifi ées pour soutenir le développement agricole, donnant un nouvel élan spectaculaire à la révolution verte initiée au milieu des années 1970 [Naughton, 2007]. Ainsi, les travaux d’irrigation ont été considé-rablement étendus, l’utilisation de produits chimiques et d’engrais fortement développée, tandis que la mécanisation et l’usage de nou-velles graines hybrides à haut rendement se sont généralisés dans toute la Chine. À la fi n des années 1990, les bases de la modernisation de l’agriculture chinoise, c’est-à-dire son insertion dans un vaste secteur agro-industriel, sont solidement posées.

« Quitter l’agriculture, mais pas la campagne » : les contraintes pesant sur les citoyens rurauxÀ partir de 1978, la Chine a encouragé l’in-dustrialisation rurale, incitant les paysans à « quitter la terre, mais pas la campagne » et appli-quant des limites strictes à l’exode rural vers les grandes villes. Cependant, le ralentissement du

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développement des « entreprises de bourgs et de villages » depuis le milieu des années 1990 remet en question les politiques de migration.

Contraintes sur la migration ruraleLe démantèlement des Communes populaires rurales en 1984 a allégé les contraintes sur l’allo-cation du travail des habitants des campagnes, permettant ainsi l’émergence de l’exode rural. En 1989, le nombre de travailleurs migrants s’élevait à 30 millions et ils étaient 145 millions en 2009 [Chan, à paraître], soit un quart de la population active rurale 2. De manière prévi-sible, le fl ux migratoire s’est surtout dirigé vers les villes de la Chine orientale, plus industria-lisée et développée [ibid.].

Cependant, la majorité des migrants ne s’ins-talle pas de manière permanente. Tout d’abord, en l’espace d’une année, la plupart d’entre eux changent de destination, ou reviennent chez eux pour participer aux activités familiales. Ensuite, ils retournent généralement dans leur village d’origine après quelques années de migration. En effet, un ensemble de mesures politiques a été mis en place pour empêcher les populations rurales de s’installer défi niti-vement dans les zones urbaines, ce qui limite l’urbanisation d’une manière unique. Bien que le taux d’urbanisation chinois soit passé de 29 % en 1978 à 49,7 % en 2010 [Bureau national des statistiques de Chine, 2010], il reste beaucoup plus faible que dans les autres pays au même niveau de développement [Chang et Brada, 2006]. Ce « paradoxe de la sous-urbanisation croissante de la Chine » [ibid.] doit beaucoup au système d’enregistre-ment des ménages chinois, ou hukou. Depuis les années 1950, le hukou classe la population chinoise selon deux critères : l’activité et le lieu de résidence [Naughton, 2007]. En ce qui concerne l’activité, les ménages peuvent avoir un statut agricole ou non-agricole. Les ménages agricoles ont le droit d’exploiter des parcelles de terre, tandis que les ménages non agricoles

2. Liés aux déséquilibres en matière de développement, les flux migratoires relient les régions pauvres de l’Ouest aux zones urbaines et dynamiques de l’Est. Par ailleurs, d’importantes migrations ont aussi lieu à l’intérieur des régions.

bénéfi cient d’un accès subventionné à l’éduca-tion, la santé, l’emploi et le logement dans les villes. Le lieu de résidence défi nit l’endroit où ces bénéfi ces peuvent être obtenus. Dans les années 1960 et 1970, le hukou était une des pierres angulaires de la collectivisation et de la planifi cation économique, rendant impossible les migrations individuelles. Après 1978, le démantèlement des Communes populaires rurales et la mise en place d’un permis de résidence temporaire et d’une carte d’identité ont conféré un statut juridique aux travailleurs ruraux présents dans les villes (1984-1985), tan-dis que la fi n du rationnement des céréales en 1992 a progressivement atténué les contraintes en matière de migration. Pourtant, les droits et devoirs encore associés au hukou rendent la vie urbaine extrêmement diffi cile et coûteuse pour les travailleurs ruraux. En outre, il est toujours très diffi cile pour un travailleur agricole d’obte-nir un hukou urbain et les candidatures sont soumises à des quotas à l’échelon municipal.

Outre le hukou, les droits fonciers limitent aussi l’exode rural. Comme les agriculteurs ne peuvent pas vendre leurs terres ou les utiliser comme garantie pour emprunter, il est diffi cile pour ceux qui n’ont pas de capital de quitter l’agriculture et de démarrer une activité non agricole. Par ailleurs, les émigrants risquent de perdre certaines de leurs parcelles, car les collectivités ont le droit de redistribuer les terres des agriculteurs absents aux villageois présents, ou même de s’en emparer pour leur propre bénéfi ce. Cette insécurité sur les droits fonciers freine la migration, car les travailleurs migrants craignent de perdre leurs terres et ont donc tendance à limiter leurs absences [de la Rupelle et alii, 2009].

Conséquences pour le développementLes institutions chinoises de réglementation du foncier et des migrations ont façonné le déve-loppement du pays : les populations rurales ont tendance à migrer peu et pour de courtes périodes, les ménages peuvent diffi cilement quitter l’agriculture et le rythme d’urbanisation est relativement lent. Le transfert de la popula-tion active du secteur agricole vers des activités urbaines est donc rendu possible, sans pour

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autant générer une urbanisation incontrôlée ou une chute soudaine de la production agricole. Le hukou segmente aussi le marché du travail, car les détenteurs d’un hukou agricole travail-lant dans les villes n’ont pas les mêmes droits que leurs homologues urbains. Cela a contribué à limiter l’augmentation des salaires et à main-tenir la compétitivité des secteurs orientés vers l’exportation [Chan, à paraître].

Le système de propriété collective des terres, avec redistributions périodiques, joue par ail-leurs un rôle d’assurance pour les travailleurs migrants qui n’ont qu’un accès limité au système d’assurance sociale ou au marché du crédit [Murphy, 2002]. Bien que l’agriculture ne soit pas très rentable, l’accès à la terre garantit au moins un revenu de subsistance aux ménages ruraux. Par exemple, après la crise fi nancière, de nombreux travailleurs licenciés sont tout simplement retournés dans leurs foyers en milieu rural [Kong, Meng et Zhang, 2009].

Ces institutions, en limitant l’émigration et les droits des migrants ruraux, ont cependant des effets négatifs sur le développement rural. Premièrement, l’industrialisation rurale ayant ralenti depuis le milieu des années 1990 et les marchés du crédit ruraux demeurant sous-développés, la migration constitue une voie d’accès essentielle aux emplois non agricoles et au capital [Murphy, 2002]. Deuxièmement, les migrants de retour deviennent des acteurs clés du développement rural, apportant non seulement de l’argent mais aussi compétences et réseaux [ibid.]. Troisièmement, comme les migrants ruraux sont limités aux emplois « 3-D » (pour dirty, dangerous and diffi cult, c’est-à-dire « sales, dangereux et diffi ciles ») et n’ont pas accès à l’enseignement public des villes, ils ont tendance à réduire leurs investis-sements dans l’éducation des enfants [Chan, à paraître]. Quatrièmement, l’insécurité liée aux droits fonciers freine l’investissement productif dans l’agriculture [Vendryes, 2010]. Enfi n, et c’est peut-être le plus important, les confl its sur les terres agricoles et le statut de « seconde classe » des populations rurales ont suscité de profonds sentiments d’injustice menant à des troubles sociaux [Ding, 2007 ; Chan, à paraître]. Ces tensions renvoient à

un problème beaucoup plus important auquel l’agriculture doit faire face : une pression foncière multiforme.

Tensions sur les terres agricolesLe développement très rapide de la Chine a considérablement amplifi é les enjeux pesant sur l’utilisation des terres. Les pressions indus-trielles et commerciales, ainsi que les préoc-cupations écologiques, remettent en cause le développement de l’agriculture, même si la production agricole est un objectif politique essentiel.

Une pression double : développement industriel et préoccupations écologiquesAu cours des trente dernières années, la Chine a connu un développement économique très rapide et une proportion importante de la population active a quitté l’agriculture : 70 % des actifs travaillaient dans le secteur primaire en 1978, contre bien moins de 50 % depuis 2004 [Naughton, 2007].

Ce développement industriel et urbain a généré une très grande demande en terres, exerçant une forte pression sur les terres agricoles, en particulier en périphérie des villes les plus développées. Le développement de l’imagerie satellitaire dans les années 1990 a permis d’observer de près les changements d’utilisation des terres, révélant sans surprise une augmentation considérable des terrains construits. On estime que la superfi cie totale de terrains bâtis en Chine a augmenté d’un quart entre 1986 et 2000 [Deng et alii, 2006].

Cette tendance a réduit la surface des terres arables et créé des tensions sociales intenses, car les agriculteurs n’ont pas le droit de modifi er l’uti-lisation des parcelles agricoles qui leur sont attri-buées. Seul l’État peut offi ciellement posséder des terres non agricoles, et donc une modifi cation de l’utilisation des terres implique un changement de propriété foncière [Ding, 2007].

Le cœur du problème est le fait que la compen-sation offerte aux agriculteurs dont les parcelles sont saisies est souvent bien inférieure aux bénéfi ces tirés du changement d’utilisation des sols [ibid.], phénomène responsable de la multi-plication récente des confl its en milieu rural.

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La réponse légale à ces confl its a jusqu’ici été très insuffi sante. La loi sur la gestion des terres de 1998 exige que les saisies se fassent « dans l’intérêt public » (article 2), et la loi de 2002 sur les contrats fonciers en milieu rural oblige les autorités à donner une « juste compensation » aux agriculteurs expropriés (article 16). Ces deux lois, pas suffi samment précises, laissent la porte ouverte à de nombreux abus locaux. C’est probablement aujourd’hui le problème le plus important pour la soutenabilité sociale et éco-nomique du développement agricole en Chine.

Des préoccupations écologiques croissantes ont par ailleurs conduit les autorités à prendre des mesures de protection des sols, en particu-lier pour compenser la perte de terres agricoles dues à l’érosion et à la désertifi cation. Les don-nées montrent que ces préoccupations ont une base bien réelle : par exemple, sur la période 1991-2002, on estime que la dégradation des

ressources foncières a conduit à une perte nette de 19,66 millions d’hectares de terres agricoles [Qu et alii, à paraître].

Depuis le début des années 1990, d’impor-tantes mesures politiques ont été mises en œuvre pour lutter contre ce phénomène. La loi sur l’eau et la conservation des sols de 1991 interdit l’exploitation des terres ayant une pente supérieure à 25°. Elle a été suivie en 1998 et 1999 par deux programmes extrêmement ambitieux : le Programme de protection des forêts naturelles (Natural Forest Protection Project, NFPP) et le Programme sur la conversion des terres en pente3 (Sloping Land Conversion Program, SLCP) [ibid.]. Le NFPP a permis une aug-mentation de 1,72 million d’hectares de forêt, tandis que le SLCP vise à reconvertir toutes les terres en pente et à aider les agri-culteurs à adopter des modes de production plus durables. Contrairement au NFPP, la participation des ménages à la SLCP est volontaire, et les agriculteurs qui conver-tissent des parcelles en forêt ou en prairies reçoivent une indemnisation importante. L’indemnisation proposée par l’État est signi-ficative, et suffisamment élevée pour avoir attiré le consentement volontaire de plus de 32 millions de ménages entre 1999 et 2006 [ibid.]. Les résultats ont été satisfaisants : fin 2006, 9 millions d’hectares avaient été convertis dans le cadre de la SLCP. Les conséquences écologiques ont également été encourageantes, avec une réduction de l’érosion, une amélioration de la qualité du sol et une protection des ressources en eau.

Cependant, ce succès s’est fait au prix d’une pression croissante sur les sols agricoles, car les parcelles sont reconverties en forêts et prairies.

Diminution des surfaces agricoles et réaction de l’ÉtatLe développement industriel et urbain et les programmes écologiques augmentent consi-dérablement la pression sur la disponibilité des terres. À mesure que celle-ci diminue, la valeur

3. Avec une pente supérieure à 15° dans le nord-ouest de la Chine et supérieure à 25° ailleurs.

Source : FAOStat.

Importer pour économiser les terres

La Chine importe principalement des produits agricoles demandant la mobili-sation de grandes étendues de terres : soja et dérivés, huile de palme, coton, colza, produits d’élevage. Les terres nationales sont en effet réservées à la production de céréales.

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des terres augmente pour les utilisations non agricoles, commerciales ou industrielles.

Les études basées sur l’imagerie satellitaire mentionnées plus haut confi rment que les terres agricoles sont confrontées à de fortes pressions. Si la superfi cie totale des terres agricoles n’a pas forcément diminué, c’est uniquement parce que les activités agricoles ont été déplacées sur des sols moins produc-tifs. Certaines études [Deng et alii, 2006] estiment que la baisse de qualité des terres agricoles a été pratiquement compensée par l’augmentation des surfaces entre 1986 et 2000. Cependant, la plupart des études plus récentes [Vendryes, 2010] montrent que la diminution de la superfi cie des terres agricoles s’est accélérée depuis le début du xxie siècle, malgré l’exploitation de nouvelles ressources dans des régions agricoles marginales. Il est donc probable que les futures pertes de qua-lité des terres ne seront plus compensées par les augmentations de surfaces.

En raison des préoccupations sur ce sujet, les autorités chinoises ont lancé au milieu des années 1990 des mesures de protection des terres agricoles afi n de limiter la diminution de la superfi cie de terres arables cultivées [Vendryes, 2010]. En 1994, les règlements sur la protection des « terres agricoles de base » visaient à identifi er les terres de qualité supérieure à la moyenne et à les protéger en soumettant tout changement d’utilisation à l’approbation des autorités provinciales ou nationales. En 1998, la portée de ces règle-ments a été élargie pour inclure toutes les terres agricoles soumises à la loi révisée de gestion des terres, avec pour objectif contrai-gnant une absence de diminution nette des terres agricoles. Enfi n, en 2008, le ministère du Territoire et des Ressources a fi xé pour les terres arables chinoises un seuil minimal de 1,8 milliard de mu (120 millions d’hectares) 4. Cependant, en termes de ressources foncières réelles, la Chine se rapproche déjà dangereu-sement de cette « ligne rouge ».

4. Ministère du Territoire et des Ressources de la RPC, Communiqué on Land Ressources of China 2007. Disponible en ligne sur : www.mlr.gov.cn/mlrenglish/communique/2007/

Production agricole actuelle et défis à venirLa production agricole aujourd’huiAu cours du xixe siècle, la Chine a connu telle-ment de famines et de crises alimentaires que dans les années 1920, les géographes l’ont baptisée la « terre de la famine » [Mallory, 1926]. Un siècle plus tard, la Chine semble bien loin de cette description. Néanmoins, l’approvi-sionnement en nourriture et l’autosuffi sance en céréales, en particulier, demeurent des priorités nationales. Le gouvernement chinois a constam-ment souligné que le pays devait rester indépen-dant des marchés mondiaux en ce qui concerne l’alimentation de sa population. Cette intention a été encore rappelée en mars 2011, lorsque le vice-Premier ministre chinois Hui Liangyu a déclaré que la Chine devait défendre sa poli-tique d’autosuffi sance alimentaire5. En consé-quence, l’accent est fortement mis sur la produc-tion de céréales, comme l’illustre le repère 1.

Avec cette volonté politique, la Chine a été capable d’atteindre un niveau limité d’autosuf-fi sance [United States International Trade

5. Xinhua, “China upholds policy of food self-sufficiency”, China Daily, 26 mars 2011.

Les exportations agricoles chinoises sont constituées avant tout de produits intensifs en travail : conserves, préparations, produits transformés.

Exporter du travail agricole

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2Source : FAOStat.

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Commission, 2011]. Cependant, après son accession à l’OMC en 2001, le pays a été obligé d’ouvrir, dans une certaine mesure, son marché agricole, et depuis lors, le niveau de libéralisation a considérablement augmenté. Le commerce a, sans surprise, suivi la loi de l’avantage compara-tif : les repères 1 et 2 montrent que la Chine, qui dispose d’une main-d’œuvre abondante mais de ressources foncières limitées, a importé des produits nécessitant beaucoup de terre (le soja par exemple) et exporté des produits à forte intensité de main-d’œuvre (par exemple, les aliments préparés, les fruits et légumes). Les seules exceptions à cette tendance générale sont les céréales, dont le commerce est strictement contrôlé en raison de la pression politique pour l’autosuffi sance. Les importations de céréales restent donc fortement dépendantes des politiques gouvernementales. Par exemple, en 2010, la Chine a pour la première fois importé environ 2 millions de tonnes de maïs et de blé des États-Unis, puis 116 000 tonnes de maïs supplémentaires en mars 2011, provoquant une augmentation de 11 % des prix mondiaux 6. Cette augmentation des importations peut s’expliquer en partie par la faiblesse des prix internationaux, mais d’autres facteurs, comme la croissance de la production chinoise de porcs, sont aussi responsables.

Les défis à venirL’agriculture doit répondre aux objectifs contradictoires de l’augmentation de la produc-tivité et de la protection de l’environnement. Tandis que le revenu par habitant chinois ne cesse d’augmenter, les habitudes alimentaires changent et la demande en viande et en poisson s’accroît. En 1980, la consommation moyenne de viande par habitant était de 20 kg par an [Fuller, Tuan et Wailes, 2002], un chiffre qui avait atteint 52,4 kg par habitant 7 au début des années 2000.

Ces changements augmentent également la demande en céréales et en eau pour le bétail, ce

6. “China buys corn after long break”, The Wall Street Journal, 19 mars 2011.

7. En 2002, la consommation de viande par habitant était de 13 kg en Afrique subsaharienne, de 27,8 kg en Asie (Moyen-Orient exclu), de 82 kg au Brésil et de 124,8 kg aux États-Unis (source : FAO).

qui rend plus diffi cile l’objectif d’autosuffi sance alimentaire et intensifi e la pression déjà très forte sur les ressources en eau [Naughton, 2007].

L’augmentation de la productivité agricole est aussi problématique car la Chine dépend déjà beaucoup des engrais – le pays utilise 35 % des engrais azotés appliqués dans le monde [Greenpeace, 2010] –, contribuant ainsi à augmenter de manière préoccupante le niveau de pollution. En témoigne le premier recensement national des sources de pollution effectué en 2010 qui, pour la première fois, a pris en compte les effl uents agricoles et les rejets d’enfouissement. Il est apparu que la contamination en milieu rural 8 était beaucoup plus élevée que précédemment estimé. Ainsi, le recensement a montré que la pollution de l’eau est en réalité deux fois plus importante que les chiffres jusqu’alors avancés. L’agriculture s’avère responsable de 67 % des rejets de phos-phore et de 57 % des rejets d’azote à l’échelle nationale 9.

Les pénuries d’eau et les incidents de pollu-tion soulèvent des questions complexes, liées à la fois à l’application des réglementations environnementales, aux tensions entre les différents niveaux de gouvernement et, plus généralement, à la lutte contre la corruption.

Des problèmes similaires se posent dans l’industrie alimentaire, qui a connu ces der-nières années une multiplication des scan-dales de contamination [Ni et Zeng, 2009]. L’exemple le plus spectaculaire s’est produit en 2008 lorsque de la mélamine ajoutée au lait a intoxiqué 300 000 enfants, entraînant six décès. Des politiques plus strictes ont par la suite été adoptées : depuis mai 2011, une directive de la Cour suprême punit de la peine de mort les cas de contamination alimentaire mortelle 10. Néanmoins, des contrôles de qua-lité plus effi caces sont nécessaires, d’autant que les restrictions auxquelles les médias

8. “China says water pollution doubles official figures”, China Daily, 10 février 2010.

9. Watts J., “Chinese farms cause more pollution than factories, says official survey”, The Guardian, 9 février 2010.

10. Demick B., “China wrestles with food safety problems”, Los Angeles Times, 26 juin 2011.

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sont confrontés entravent la diffusion de l’information sur les scandales sanitaires 11.

La demande chinoise accrue en terres et en eau soulèvera certainement de nombreuses questions géopolitiques, qui auront à l’ave-nir des implications dans le monde entier. Au moins trois enjeux devraient fi gurer à l’agenda international : l’extension de la

11. Fangshuo B.,“Food won’t be safe unless journalists are”, Econo-mic Observer, 22 juin 2011. L’auteur présente le projet du ministère de la Santé de « mettre sur liste noire les journalistes qui trompent le public sur les problèmes de santé » tandis que les ministères de la Sécurité alimentaire et de la Santé organisaient une conférence sur les additifs alimentaires.

superfi cie disponible pour la Chine par l’achat de terres agricoles à l’étranger, en particulier en Afrique ; l’impact de l’augmentation de la consommation chinoise de viande sur les ressources mondiales en eau (en 2008, la Chine était déjà le premier importateur d’eau virtuelle [Chenoweth, 2008], c’est-à-dire d’eau utilisée pour produire des denrées alimentaires et des marchandises importées) ; et, enfi n, dans le cas d’une demande croissante en céréales se traduisant par des importations accrues, les répercussions d’une augmentation globale des prix des céréales sur l’équilibre socio-économique mondial. ■

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R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

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Regards sur la Terre décrypte la complexité des processus qui composent le développe-ment durable et en révèle toute la richesse.

La première partie dresse le bilan de l’année 2011 : retour sur les dates qui ont marqué l’avancée des connaissances et la construction de l’action dans les domaines du climat, de la biodiversité, des ressources naturelles, de la gouvernance, de l’énergie, de la santé ou du développement ; analyse des événements clés et des tendances émergentes, identifi cation des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives.

Le Dossier 2012 interroge l’un des enjeux majeurs de nos sociétés contemporaines : l’agri-culture. Longtemps restée écartée des politiques de développement, celle-ci fait un retour en force sur le devant de la scène internationale. Mais si l’évidence d’un besoin d’investissements massifs dans le secteur agricole est aujourd’hui reconnue, d’im-portantes controverses demeurent. L’agriculture peut-elle être un moteur du déve-loppement ? Peut-elle assurer la sécurité alimentaire d’une population mondiale qui vient de franchir le cap des 7 milliards d’individus ? Comment concilier la produc-tion agricole avec les exigences du développement durable ? Un nouveau modèle doit-il être inventé ? Entre intérêt récent des investisseurs, débat sur les modèles de productions inscrits dans des réalités physiques, climatiques, environnementales et sociales et réflexion sur nos modes de consommation et d’alimentation, l’agri-culture, qui cristallise tant les espoirs que les résistances à la mondialisation, est aujourd’hui plus que jamais un enjeu de gouvernance mondiale.

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

Pierre JACQUET, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.)

Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ?

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25,40 € Prix TTC France6951305ISBN : 978-2-200-27528-0

Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le gouvernement français. Présente

sur le terrain dans plus de 50 pays et dans 9 départements et collectivités d’outre-mer, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agri-culteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2010, l’AFD a consacré plus de 6,8 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en développement et en faveur de l’outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 13 millions d’enfants, l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 33 millions de personnes et l’octroi de microcrédits bénéficiant à un peu plus de 700 000 personnes. Les projets d’efficacité énergétique sur la même année permettront d’économiser près de 5 millions de tonnes de CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transver-salement autour de cinq programmes thématiques : gouvernance, climat, biodiversité, fabrique urbaine et agriculture. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin de traiter les enjeux du développement durable, de

l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Pierre JACQUET, ingénieur des Ponts, des eaux et forêts et membre du Cercle des économistes, est chef écono-miste de l’Agence française de développement (AFD). Il est aussi président du département d’économie, gestion, finances et professeur d’économie internatio-nale à l’École des Ponts-ParisTech. Il est notamment administrateur de l’Institut français des relations inter-

nationales (IFRI), de l’Institut de la gestion déléguée (IGD) et de Proparco. Il a appartenu entre 1997 et 2006 au Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre. Il écrit une chronique mensuelle sur les acteurs du développement dans Le Monde de l’économie.

Laurence TUBIANA, économiste, a fondé et dirige l’Ins-titut du développement durable et des relations inter-nationales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions de l’environnement de 1997 à 2002, elle a

été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étran-gères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute at Columbia University, Oxford Martin School). Elle est également membre de l’India Council for Sustainable Development et du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du Conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies e.V. (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PACHAURI est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

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