Transcript of Berthier Laurent
FACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES ÉCONOMIQUES Observatoire des
mutations institutionnelles et juridiques
THÈSE POUR L’OBTENTION DU GRADE DE
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE LIMOGES
Discipline : Droit public
Laurent BERTHIER
Thèse dirigée par
Mme Hélène PAULIAT, Professeur à l’Université de Limoges M.
Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, Professeur à l’Université de La
Rochelle
JURY
Rapporteurs
M. Dominique ROUSSEAU, Professeur à l'Ecole de droit de la
Sorbonne, Université
Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Membre de l'Institut Universitaire de
France M. Michel PAILLET, Professeur à l’Université de Toulon et du
Var
Examinateurs
M. Philippe RAIMBAULT, Professeur à l’Institut d’Etudes Politiques
de Toulouse, Directeur de l'IEP
M. Daniel LABETOULLE, Président de section honoraire au Conseil
d’Etat, Vice-
président de la Commission supérieure de codification
8/18/2019 Berthier Laurent
L’Université de Limoges n’entend donner aucune approbation ni
improbation aux opinions émises dans les thèses ; ces opinons
doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.
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DÉDICACES
À Sophie, à qui je dédie la totalité de ce travail,
pour la liberté qu’elle m’inspire à chaque instant,
À Fayez,
À mon père, ma mère, ma sœur, Philip, Eliott et Rose,
pour leur amour, leur soutien, leur extrême patience
… et leurs éclats de rire,
À mes camarades de la Salle des doc’,
véritables compagnons de voyage,
éternellement solidaires dans les épreuves.
8/18/2019 Berthier Laurent
REMERCIEMENTS
J’adresse mes premiers remerciements à mes directeurs de thèse. A
Madame le professeur Hélène Pauliat pour sa disponibilité
permanente, son soutien perpétuel, et son art de la remise en
cause, indispensables pour ce travail, nécessaires à
l’épanouissement personnel. A monsieur le professeur Joël
Andriantsimbazovina pour ses conseils avisés, et ses
encouragements. A tous deux pour la confiance et la liberté qu’ils
m’ont sans cesse accordées,
le temps du doctorat, mais aussi durant toutes mes études de
droit.
Je remercie également tous ceux qui, amis, professionnels du droit,
informaticiens, personnel administratif et des bibliothèques, m’ont
supporté et accompagné, de quelque manière que ce soit, durant
toutes ces années.
Enfin, j’adresse mes plus vifs remerciements à mon « Comité de
relecture», en commençant par mon père, véritable troisième
directeur de recherche, Sophie Demonfort, Caroline Foulquier,
Walter Jean-Baptiste et son frère Gerson, Pauline Lagarde, Romuald
Pierre et Marie Prokopiak ; à tous les autres, illustres anonymes,
pour leurs éclairages, survenus, sans le vouloir, le temps d’une
rencontre, ou d’un échange.
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AJDA Actualité juridique – droit administratif
AJ pén. Actualité juridique - pénal
Al. Alinéa
Art. Article Ass. Assemblée du contentieux du Conseil
d’Etat
Bull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation,
chambres civiles
BO Bulletin officiel
Cass., Ass. Plén. Assemblée plénière de la Cour de
cassation
Cass. civ. Cour de cassation, chambre civile
Cass. com. Cour de cassation, chambre commerciale
Cass. crim. Cour de cassation, chambre criminelle
Cass. soc. Cour de cassation, chambre sociale
CJA Code de justice administrative
CE Conseil d’Etat
CE, Sect. Section du contentieux du Conseil d’Etat
CEDH Cour européenne des droits de l’Homme
CEPEJ Commission européenne pour l’efficacité de la
justice
Cf. Confer
Chron. Chronique
Coll. Collection
Concl. Conclusions
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RA Revue administrative
RDP Revue du droit public et de la science politique
Rec. Recueil
RJC Recueil de jurisprudence constitutionnelle
RRJ Revue de la recherche juridique, Droit prospectif
RSC Revue de science criminelle
RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil
RTDE Revue trimestrielle de droit européen
RTDH Revue trimestrielle des droits de l’homme
RUDH Revue universelle des droits de l’homme
S. Sirey
s. Suivant(s)
Spéc. Spécialement
UE Union européenne
La qualité comme valeur
TITRE 1ER – LA QUALITÉ DE L’ADMINISTRATION DE LA
JUSTICE
Chapitre 1er – L’organisation de la justice
Chapitre 2nd – La légitimité de la justice
TITRE 2ND – LA QUALITÉ DES DÉCISIONS DE JUSTICE
Chapitre 1er – L’élaboration des décisions de justice –
l’exclusivité de l’approche
procédurale
Chapitre 2ème – La motivation des décisions de justice – de
l’approche formelle à
l’approche matérielle de la qualité des décision de justice
Chapitre 3ème – L’effectivité des décisions de justice
SECONDE PARTIE
La qualité comme technique
Chapitre 1er – La performance du juge
Chapitre 2nd – La performance du système judiciaire
TITRE 2ND – RESPONSABILITÉ DE LA JUSTICE ET DEMANDES
SOCIALES
Chapitre 1er – La responsabilité du système judiciaire
Chapitre 2
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« Comme il disait tels mots, de Justice entourna
Les yeux d’un bandeau noir, et puis il lui donna
Une balance d’or dedans la main senestre,
Le glaive, pour punir ceux qui sont mauvais ;
La balance, à poiser également les faits
Des grands et des petits, comme équité l’ordonne ;
Le bandeau, pour ne voir en jugement personne. »
Pierre Ronsard, Hymnes, 1556, I, « De la Justice »
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1. L’expression laisse songeur… La justice, à la fois vertu,
sentiment, morale, est ici précédée
d’un adjectif. L’expression suppose l’existence d’une mauvaise
justice. N’est-ce pas
effrayant, car au fond, peut-il exister une justice qui ne soit pas
bonne ? La seule institution à
porter le nom d’une vertu pourrait faillir, comme si elle était
désormais décomposable en une
bonne et une mauvaise justice. Traditionnellement auréolée de
prestige, d’une autorité quasi
divine, la justice peut désormais être dépréciée. Cette possibilité
inquiète autant qu’elle
augure de la nécessaire évolution que doit désormais suivre
l’institution. Les fréquents séismes judiciaires français et
internationaux, tels que l’affaire Dutroux ou celle
d’Outreau,
rappellent avec fracas que le juge3, et le système judiciaire dans
son ensemble, peuvent se
tromper, entrainant avec eux des conséquences parfois
irrémédiables. Quel drame que celui de
subir l’injustice de la part d’une institution dont le but est
justement de la condamner ! Quelle
angoisse que celle de se retrouver démuni après avoir pourtant
sollicité de cette vertu
institutionnalisée qu’elle répare les maux ! La recherche de la
qualité de la justice est alors
pleinement justifiée. Elle devient un objectif vers lequel il faut
tendre pour panser les plaies causées par une institution en crise.
Il ne saurait ainsi être contesté que, dès lors qu’elle est
une espérance, parfois même un dernier recours, la justice ne doit
pas décevoir. Car
l’opposition traditionnelle de la justice est l’injustice,
c'est-à-dire, littéralement, ce qui n’est
pas du ressort de la justice, ce que la justice condamne comme
l’inégalité, le crime ou la
barbarie. La mauvaise justice est l’injustice, la bonne justice
n’est que…justice. La justice est
donc une qualité en soi. C’est du moins ce qu’on en attend.
Supposer, en la qualifiant, qu’elle
peut être bonne ou mauvaise semble constitutif d’un affront pour
l’institution, pour les valeurs
qu’elle défend. « Et ferez bonne justice… »4, par cet intitulé,
Jean-Louis Bergel stimule la
curiosité du lecteur, sinon la déclenche, en insistant sur le
sentiment d’angoisse, de profonde
remise en question qu’elle suscite. Il faut désormais composer avec
la réalité d’une justice qui
2 J.-L. Bergel, « Et ferez bonne justice…
», RRJ 2002, n° 17, p 2203. 3 Les termes «
juge » et « magistrat » pourront être utilisés indifféremment
malgré certaines distinctions. En effet, il y a, en théorie, lieu
de distinguer les juges exerçant une fonction effective de jugement
(les juges du siège ou juges administratifs) et les magistrats,
terme global regroupant un ensemble contenant juges du siège,
juges du parquet et juges administratifs. Dès lors, la
distinction entre juges et magistrats traduit, théoriquement,celle
entre les juges du siège et les juges du parquet. 4 J.-L.
Bergel, ibid .
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ne soit pas bonne, c'est-à-dire qui ne soit pas de qualité, qui
s’est trompée dans son jugement
ou bien qui a failli, plus généralement, dans son fonctionnement.
La formulation même de
cette situation plonge la réflexion dans un vide abyssal. Elle
désarme, détonne tant elle paraît
disconvenue. Les réactions qu’elle suscite prennent des allures de
fuite, balayées par
l’absurdité, l’inconvenance voire l’arrogance de telles
circonstances. Le sentiment qui s’en
dégage est celui de l’incompréhension, voire de l’étonnement.
Jean-Louis Bergel essaie-t-il,
en vain, de valoriser le procédé pléonastique, perçu, parfois,
comme une « véritable
méconnaissance de la langue française »5 ? Du grec πλεονασµς
6 signifiant « surabondance »,
« profusion », le pléonasme constitue une accumulation fâcheuse
sinon excessive7 de mots du
même sens. Il est, par ailleurs, le plus souvent combattu par les
canons grammaticaux car,
d’une certaine manière, il conduit à la périssologie8, véritable
défaut de langage plus
perceptible9 que manifeste l’emploi successif de termes
équivalents. Le pléonasme n’en peut
pas moins devenir une figure de style, fréquemment utilisée dans
l’art du discours. Il bénéficie
alors d’une acception plus positive en ce sens qu’il exprime mieux
l’idée de « plénitude »10. Il
est une « figure de construction par exubérance »11 à défaut
d’être une « redondance
maladroite »12. Il mérite que l’on s’y attache tant il est parfois
porteur de sens. Art de la
rhétorique, ou vice d’élocution, la valeur et l’intérêt du
pléonasme, autrement appelé
tautologie13, dépendront de l’effet qu’il ou elle induira. Le
procédé peut donc être apprécié et
déprécié tout à la fois, au gré de l’intention de son auteur, de
l’effet recherché par ce dernier
mais aussi, et surtout, de la manière dont il est perçu par le
lecteur ou l’auditoire14.
5 P. Bacry, Les figures de style et autres procédés
stylistiques, Belin, 1992, p 109. 6 pleonasmós 7
On pense notamment, ici, à la fameuse réplique d’Orgon à Madame
Pernelle dans le célèbre Tartuffe de Molière : « Je l’ai vu,
dis-je, vu, de mes propres yeux vu. Ce qu’on appelle vu. Faut-il
vous le rebattre aux
oreilles cent fois et crier comme quatre ? », Acte V, Scène
III.8 Du grec Περισσολογα , en grec, qui signifie
excès de minutie, de verbiage ou de subtilité. 9 On
pense notamment aux expressions : « monter en haut », ou « vivre sa
vie » du langage courant. 10 P. Fontanier, Les figures
du discours, Flammarion, 1968, p 299. 11 Ibid .
12 H. Suhamy, Les figures de style, PUF, Que sais-je,
1981, p 68. 13 Du grec ταυτς λγος, signifiant le
fait de répéter la même chose. Fréquemment utilisée en
mathématique, la logique tautologique bénéficie alors d’une
approche plus positive. 14 « Le pléonasme est le contraire de
l’ellipse ; comme son nom l’indique (…), c’est une superfluité de
mots. S’il ne s’agissait là que d’une surabondance arbitraire et
stérile, la grammaire n’aurait à connaître du pléonasme que pour le
proscrire. Mais il a aussi son usage légitime. Il peut être une
compensation nécessaire à l’usure sémantique, à l’affaiblissement
de tel ou tel élément du langage ; il peut être, d’autre part, un
utile renforcement de l’expression, à cette fin de mettre dans un
plus grand relief, tel ou tel élément de la pensée », G. et R. Le
Bidois, Syntaxe du français moderne, ses fondements historiques et
psychologiques, Paris, Picard, 1938.
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2. L’association de la « qualité » à la « justice » peut alors
être vue comme une redite, sinon
une répétition malheureuse, tant la succession de ces deux termes,
en une seule et même
expression, manifeste l’évidence15. Il ne peut y avoir de justice
qui ne soit de qualité. Le
rassemblement de ces deux termes en une seule et même expression
fait alors office de cliché.
Avant d’être une institution, la justice est une vertu ; or,
rechercher la qualité d’une vertu
confine à la tautologie la plus aboutie16… Au plan institutionnel
également, nul n’est besoin
en effet de prouver en quoi « justice » et « qualité »
entretiennent des rapports très ténus.
Roger Perrot débute d’ailleurs l’un de ses ouvrages ainsi : « Dans
toutes sociétés, il y a des
gens chargés de rendre des jugements : l’existence de la fonction
de juger est inhérente à toute
société, si rudimentaire soit-elle. Il en fut toujours ainsi.
L’histoire nous révèle que, dans les
temps les plus reculés, au cœur même du Royaume d’Egypte, trente
juges étaient choisis au
sein des principales villes pour composer la compagnie chargée de
juger dans tout le
Royaume. Dès qu’une société se forme, la fonction de juger apparaît
à peu près spontanément,
comme une nécessité »17. La naissance de la justice ne procède pas
du miracle, au contraire
correspond-elle à une aspiration, presqu’instinctive, à l’harmonie
sociale, la société étant
inéluctablement source de conflits entre les hommes. Ce besoin
positif de régulation révèle
ainsi l’importance d’une justice confiée à l’Etat sans laquelle il
n’y aurait que des justices
privées et incontrôlables. La confrontation des deux termes
positifs que sont la « qualité » et
la « justice » illustre alors avec force et vigueur cette première
évidence sociologique. Si la
qualité est une fin, la justice poursuit cette fin. En d’autres
termes, qualité et justice sont
intimement liées dès lors qu’à partir du moment où l’on a recours à
la seconde, la première est
nécessairement attendue, présumée. Le sujet proposé consacre une
telle évidence. Ainsi
entendu, il peut toutefois faire office d’échappatoire. La qualité
de la justice suppose tout
autre chose. Elle ne peut être contenue dans la seule évidence
théorique des liens entretenus
entre les différents termes du sujet. Evoquer la qualité de la
justice, c’est d’abord supposer
qu’elle peut être mauvaise. Or cette possibilité est une réalité.
Les affaires Dutroux et d’Outreau en attestent. Les injustices –
entendues comme l’absence de justice, et, d’une
certaine manière les dysfonctionnements du système judiciaire -
dont elles furent à l’origine
15 C’est ainsi d’ailleurs que Jacques Chevallier préface la
thèse de Lucie Cluzel-Métayer : « Sans doute, le service public
est-il tenu d’être « de qualité » : mais ne s’agit-il pas là d’une
évidence, voire d’un truisme ? L’accent mis sur une exigence, qui
est au fondement même de l’institution des services publics,
traduirait tout au plus le besoin de consolider un bien-fondé qui
ne va pas de soi. », J. Chevallier, Préface, in L.
Cluzel-Métayer,
Le service public et l’exigence de qualité , Dalloz
2006, XIII. 16 V., notamment, S. Renaud, « Amélioration de la
qualité de la justice : difficultés théoriques et pratiques
», RRJ 2002, p. 2211. 17 R.
Perrot, Institutions judiciaires, Montchrestien,
14ème éd. (2010), p 7.
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sclérosant la pensée. La justice est de qualité parce qu’elle est,
ses décisions le sont également
car elles sont sollicitées. Ainsi invitée, la justice ne peut
qu’exceller. Le sujet prend alors la
forme d’un postulat, par définition indémontrable. Il surprend par
son évidence. La vérité
supposée par la combinaison d’une variété d’éléments irréfutables
ne pose pas la question de
son éventuelle démonstration. Face aux évidences, les mots et
opinions se mêlent, se
bousculent et confinent ainsi au mutisme. Le paradoxe est, lui,
plus loquace. La justice doit
donc être de qualité. Mais l’est-elle pour autant ?
4. Curieusement, l’évidence du sujet proposé suppose, au-delà
de toute l’exhaustivité et de
toutes les déclinaisons qu’il suggère, un meilleur encadrement que
celui nécessaire à la
comparaison des contraires. En découle l’emploi d’une méthode
fragmentaire qui consiste,
pour tout exercice de type argumentatif, à définir, isolément, les
termes du présupposé malgré l’évidence intrinsèque de leur
association. Partant, peut-être que de cette décomposition
permise par la polysémie des termes « qualité » et « justice »
découleront des paradoxes, des
intérêts, des difficultés, voire des rivalités, autant de pistes
d’une réflexion plus déraisonnée,
sinon moins raisonnable. L’intérêt réside dans la dislocation des
évidences davantage que
dans leur rapprochement. En définitive, il convient de dépasser
l’évidence originelle
entretenue par la combinaison des termes « qualité » et « justice »
pour revisiter la qualité du
service public de la justice, à l’aune, inéluctablement, des
aspirations citoyennes contemporaines. L’intérêt du raisonnement
par association commandé par la succession des
termes contenus dans l’expression « qualité de la justice » et,
plus généralement, l’intérêt de
cette étude est alors de proposer une lecture de l’institution
judiciaire à la lumière du concept
de qualité, en en déclinant les principales manifestations. Cela
suppose, au préalable, de
donner une définition de la qualité (§ 1) avant d’en expliquer
l’intrusion dans la sphère
régalienne du service public de la justice (§ 2), préalables
nécessaires à la détermination des
enjeux d’une telle recherche (§ 3).
§ 1 – DÉFINITION DE LA QUALITÉ
5. Reflétant son caractère éminemment dynamique, la qualité
bénéficie d’une variété de
significations. Le dictionnaire de la langue française lui donne, à
ce titre, un double sens22.
22 Les définitions qui vont suivre sont issues du Petit
Robert de la langue française.
8/18/2019 Berthier Laurent
Elle est d’abord une « manière d’être, bonne ou mauvaise, de
quelque chose ». La qualité
d’une entité résiderait alors dans l’ensemble de ses
caractéristiques, par opposition à la
quantité qui ne comporte aucun jugement de valeurs. Elle est aussi
gage de « supériorité », ou
d’« excellence ». Ce second sens implique qu’une appréciation
positive ou négative soit
portée sur l’entité en question, en référence à des critères
objectifs préalablement définis. En
d’autres termes, au-delà du caractère « intrinsèque » inhérent à la
qualité, cette dernière
revêtirait une forme extérieure, dépendante cette fois-ci du regard
qu’on lui porte23. Aux côtés
d’une qualité induite, résiderait une qualité déduite, ne vivant
qu’au travers des appréciations
provenant de l’extérieur. A l’origine d’un rapprochement entre son
« créateur » et son
« spectateur » ou « évaluateur », la qualité est, bien entendu,
d’abord un concept mercantile
dès lors qu’elle est perçue comme « l’aptitude d’un produit à
satisfaire le client »24. Elle est
donc tout naturellement issue du secteur privé dont elle est le
paradigme (A). Le succès du
concept profitera également à l’espace public si bien que la
qualité fait figure de panacée face
aux mouvements de défiance sans cesse plus énergiques dirigés
contre les services publics
(B).
A) La qualité, paradigme du secteur privé
6. L’International Standard Organisation définit la qualité
comme un « ensemble de
caractéristiques d’une entité qui lui confère l’aptitude à
satisfaire des besoins exprimés et
implicites »25. Cette dernière définition ne vise que l’acception
externalisée de la qualité prise
alors au sens de valeur attendue, de résultat recherché. C’est
l’idée de qualité externe,
exclusivement destinée à la satisfaction du client. La qualité
implique ainsi l’établissement
d’un rapport de confiance autant qu’elle permet la mesure du degré
de satisfaction recherché.
Elle constitue alors un standard. Traditionnellement issue du
secteur privé, la qualité concourt
en outre à « l’amélioration des prestations offertes aux termes
d’efforts en matière de
23 « Les objets n’ont pas de qualités « intrinsèques »
éternelles, pas de qualités « en soi », mais des qualités
attribuées, construites, rectifiées (…). La qualité existe toujours
en situation, au sein d’une grille de lecture, eu égard à une
préoccupation, en fonction des rapports qu’un objet ou un être
entretient avec d’autres », F. Mispelblom, Au-delà de la
qualité , Syros, 1995, p 64, relevé par, L. Cluzel-Métayer, «
La promotion de la qualité dans les services publics, un précédent
pour la justice ? », in E. Breen (dir.), Evaluer la justice,
PUF 2002, p 57. 24 L. Cluzel-Métayer, Le service public
et l’exigence de qualité , Dalloz 2006, p 2. 25 Norme
ISO 8402-94.
8/18/2019 Berthier Laurent
productivité et d’efficacité »26. La qualité, au-delà de son
analogie avec les caractéristiques
inhérentes à une entité, est donc porteuse d’un sens plus général,
plus opératif, équivalent à la
recherche de l’amélioration par la productivité et la performance.
Non attachée au seul
résultat, la qualité implique également la recherche du meilleur
processus y aboutissant. C’est
l’idée de qualité interne, sa finalité résidant dans la recherche
permanente de l’amélioration
des processus. La qualité revêtirait alors un second sens, plus
technique, conforme, toutefois,
à la polysémie originelle du terme : la qualité est la
caractéristique plus ou moins attendue
d’une entité ; c’est également un ensemble de procédures qui,
orienté par une logique de
performance, est destiné à garantir la qualité du produit fini. La
qualité « finie » serait en
définitive permise par une qualité « méthodique », la méthode
servant, bien sûr, le fond.
L’appréhension du concept de qualité suppose ainsi d’opérer une
distinction entre le produit et
le processus de production, entre valeur et démarche. C’est là une
distinction fondamentale
qu’il faudra retenir dès lors qu’il s’agira d’appliquer le concept
et la démarche qualité au sein
du service public de la justice.
7. Porteuse de nombreuses acceptions, la qualité peut faire
l’objet d’une « science »,
communément appelée la qualitique27. Cette « science » tente alors
de regrouper « les
méthodes et techniques destinées à faciliter l’obtention de la
qualité des produits et services à
coût minimal en maîtrisant les risques »28. Le développement de la
qualitique fut permis par
l’instauration de techniques de contrôle qualité29 et de
normalisation ou certification30, ou
moins formellement, la création de cercles de qualité. La qualité
peut donc impliquer une
logique hiérarchique de contrôle ou une logique plus participative,
consistant en la mise en
place d’outils moins contraignants destinés à éveiller la
conscience professionnelle des
salariés ou agents d’une organisation, de façon à améliorer les
méthodes de travail. Les
méthodes proposées par la qualitique sont diverses. L’édit du 3
août 1664 signé par Colbert
disposait déjà que : « Si nos usines, par un travail soigné,
assurent la qualité de nos produits, il
26 N. Poulet, « Le concept de qualité », in La qualité : une
exigence pour l’action publique en Europe, Colloque EUROPA, PULIM,
p 18. 27 La Qualitique est en outre une revue destinée
aux managers et aux organisations responsables ; v.,
notamment, J.Clavier, Qualité et qualitique, 1997, version en ligne
: http://didyi.free.fr/Techniqued'ingenieur
Qualité/TechniquesDeL'ingénieur-Qualité Et Qualitique.pdf ;
également J.-M. Gogue, Management de la qualité ,
Economica, 1997. 28 C. Doucet, La qualité , PUF,
Que sais-je, 2007, p 10. 29 L’EFQM (European Fundation for
Quality Management ) ; le “6 sigma” ou le “ Lean” sont
des outils de mesure des défauts permettant leur analyse,
développés au sein des entreprises. 30 Les normes ISO 9000 en
sont le meilleur exemple, encore aujourd’hui. Elles définissent
d’ailleurs un système qualité, le « Système de management de la
qualité », ISO 9001-2000.
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sera de l’intérêt des étrangers de s’approvisionner chez nous et
l’argent affluera dans le
royaume ». L’intérêt d’une science de la qualité apparaît ici comme
permettant la prospérité
économique. La qualitique est toutefois mieux systématisée entre
1920 et 1980, époque de ses
« pères fondateurs ». Elle serait alors la sœur jumelle des
révolutions industrielles. La
première logique suivie est celle du contrôle nécessaire du niveau
de qualité. Ainsi Edwards,
de la Western Electric fut l’un de ses précurseurs. En 1924,
fut ensuite mis en place le premier
service de contrôle qualité au sein des Belle Telephone
Laboratories, grâce à Shewart et son
contrôle statistique des productions suivant ainsi l’idée que la
maîtrise de la qualité suppose
au premier chef la mise en place d’outils statistiques. Dans les
années 1950, sortiront deux
principaux ouvrages de référence, le Quality Handbook
Control de Joseph M. Juran31 et le
Quality Control : Principles, Practice, and Administration de
A. V. Feigenbaum32. Ces
« bibles » de la qualitique tendent alors à dépasser la seule
logique de contrôle pour mettre en
place d’autres types de démarches qualité, partant du constat que
le contrôle est « mal accepté
par le personnel et contrarie la motivation et la
responsabilisation »33. La qualitique dérive
alors vers une logique de prévention des risques. Est alors
instaurée la règle des « Cinq
zéros »34, véritable doctrine, initiée par Ph. B. Crosby dans les
Etats-Unis des années 1960, à
l’origine de l’extraordinaire succès des missions ou programmes
tels que Saturne V et Apollo.
Le Japon, de son côté, devait aussi, sous l’influence de Deming35,
véritable disciple de
Shewart, connaître un succès planétaire avec une vision toutefois
différente de la qualité. Elle
repose en effet, dans ce pays, sur une forte implication du
personnel et est à l’origine de la
mise en place de cercles de qualité permettant d’analyser les
causes des dysfonctionnements
relevés. Avec la doctrine des « Cinq zéros », la qualité devient
l’affaire de tous, elle devient
« totale »36. Le management participatif est alors promu au rang
d’outil principal de
développement des démarches qualité, la doctrine de la qualité
totale devenant la « nouvelle
religion d’un management qui se voudrait avancé »37. Le
développement, en France, des
31 J. M. Juran, and A. Blanton Godfrey, Juran’s Quality
Hanbook , McGraw-Hill Professional, 5th edition (1998).
32 A. V. Feigenbaum, Feigenbaum, Quality control: principles,
practice and administration; an industrial management tool for
improving product quality and design and for reducing operating
costs and losses , McGraw-Hill industrial organization and
management series, New York, McGraw-Hill, 1951. 33 C.
Doucet, La qualité , PUF, Que sais-je, 2007, p 19.
34 Zéro panne, zéro délai, zéro défaut, zéro stock et zéro
papier. 35 A l’origine de la création du Deming
Prize récompensant les compagnies japonaises pour leurs
avances principales dans l'amélioration de la qualité ; aux
Etats-Unis, il s’agit du prix Malcolm Balbridge. 36 A. V.
Feigenbaum, Total Quality Control, McGraw-Hill, 1961. 37 G.
Raveleau, « La qualité totale : une nouvelle conception de
l’entreprise », Préfaces, in M. Périgord,
Réussir la qualité totale, Les éditions d’organisation, 1987,
p 23.
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démarches qualité est notable dès la fin des années 1920 avec la
création de l’AFNOR,
Agence Française de NORmalisation. A la suite de cours dispensés
par le Professeur Darmois
dès le début des années 1950, ses « disciples », comme pour lui
rendre hommage, furent à
l’origine de la création de nombreuses associations dont l’objet
porte toujours sur la recherche
et le développement d’outils pour améliorer la qualité. Furent
ainsi fondées l’AFCIQ38,
l’AFQ39, ou encore l’AFCERQ40. Les décrets du 14 juin 1938 et du 12
juin 1946 avaient,
entre temps, entraîné la mise en place d’un label d’exportation
pour améliorer la qualité des
produits importés tout en imposant le respect des spécifications de
qualité. Fut ensuite fondée
une nouvelle association l’AFAQ, Association Française de
l’Assurance qualité. Le
Mouvement Français pour la Qualité (MFQ) assurera, au début des
années 1990, la fusion de
l’AFCIQ, de l’AFQ et de l’AFAQ.
8. La qualité, relevant d’abord des discours politique et
économique, est ensuite davantage
institutionnalisée. Elle est une réalité de l’entreprise, au
quotidien, cette dernière ne pouvant
plus fonctionner ni être compétitive, sans un « service qualité »
ou sans la mise en place d’une
telle démarche. A travers ses évolutions, la qualité devient une
méthode de gestion interne à
l’entreprise. Le client n’est donc plus le seul à l’apprécier. Il
n’est plus le destinataire exclusif.
Au contraire, les salariés de l’entreprise sont-ils ses nouveaux
responsables, le management
par la qualité se chargeant de les rassembler pour les motiver. La
qualité ne se contente donc
plus du seul objet « produit ». Elle irrigue tous les processus de
production, toutes les
activités, tous les services et donc, toutes les personnes. En
définitive, ne retenir de la qualité
qu’une approche « client » en réduit le sens. La qualité doit être
totale. Elle consiste alors en
une méthodologie : la qualité s’apprend, se diffuse, s’organise,
s’anticipe et se maîtrise. Elle
suppose alors, pour être effective, sa systématisation que le
management, par la qualité,
facilite, ce dernier entraînant la mobilisation par la motivation
de tous et l’optimisation des
ressources. Doivent ainsi être clairement définis les
responsabilités, les processus et les outils de contrôle et
d’évaluation. En d’autres termes, la qualité interne vise la chaîne
de production
dans sa totalité, et est à l’origine de la qualité externe orientée
vers la satisfaction du client. De
la qualité, il faut avoir une vision décomposée - elle est un
résultat et une démarche – en
même temps qu’il faut en conserver l’homogénéité, les défaillances
des processus entrainant
38 Association Française pour le Contrôle Industriel.
39 Association Française des Qualiticiens. 40
Association Française des Cercles de Qualité ; v. notamment, H.
Sérieyx, Mobiliser l’intelligence de l’entreprise : cercles
de qualité et cercles de pilotage, Paris, éd. EME, 1982.
8/18/2019 Berthier Laurent
nécessairement des répercussions sur la qualité finale du produit.
Elle est, de fait, une logique
inhérente à la compétitivité des entreprises sur le marché car elle
leur fournit des outils
nécessaires au développement de leur performance. Dès lors, il y a
tout lieu d’imaginer son
irruption dans la sphère publique.
B) La qualité, panacée du secteur public
9. Forte de son contenu méthodologique et du succès qu’elle
induit dans le secteur
économique, l’applicabilité de la qualité ne circule pas que dans
l’enceinte de l’entreprise.
Elle a au contraire, du fait de sa dimension universelle, tendance
à vouloir s’en échapper pour
se diffuser au sein du secteur public. La qualité constitue même
l’âme des services publics
qui, créés dans un but d’intérêt général, doivent assurer de
manière continuelle et égalitaire,
un certain nombre de prestations contribuant à la satisfaction de
l’ensemble des usagers. L’on
s’étonnera alors de la paternité privée du concept de qualité
réservé au secteur de l’entreprise
tant il paraît naturel de la reconnaître aux services publics. Le
vent de la diffusion du concept
ne devrait-il pas tourner ? La qualité spéculative est
nécessairement une préoccupation
originelle inhérente à la philosophie des services publics. Dans
son acception opérative, la
qualité, perçue alors non comme une aspiration mais comme une
méthode, s’applique plus
difficilement dans les services publics. Si la raison d’être est la
même – la satisfaction du
client ou de l’usager -, la technique et les stratégies concrètes
d’établissement diffèrent d’un
secteur à l’autre. Réservée, par principe, au secteur marchand,
l’applicabilité de la « méthode
qualité » est alors confrontée aux spécificités fonctionnelles du
secteur public. Il a fallu
toutefois, dans un contexte de crise, en rechercher la
compatibilité. Ce que le secteur public
n’arrive pas à gérer, les méthodes issues du privé le permettront
peut-être. Envisager l’applicabilité de la qualité au sein des
services publics ne conduit pas à la redéfinir, ni à
oublier les valeurs fondamentales ou les logiques de performance,
productivité ou rentabilité.
Elle suppose seulement de les adapter aux particularités du secteur
public.
10. La qualité « n’est plus l’apanage du secteur privé »41.
Contre toute attente42, elle bénéficie
d’un formidable essor dans la sphère publique43, favorisant même sa
systématisation44. La
41 L. Cluzel-Métayer, Le service public et l’exigence de
qualité , Dalloz 2006, p 3. 42 J. Caillosse, « Le droit
administratif contre la performance publique ?
», AJDA 1999, p 195.
8/18/2019 Berthier Laurent
reconnaissance généralisée de son possible apport à la sphère
public reflète plus que jamais la
profondeur de la crise de ce dernier, en proie à des difficultés
économiques analogues à celles
rencontrées dans le secteur privé. Dès lors, « la soumission à des
contraintes similaires peut
laisser envisager des solutions identiques »45. La qualité intègre
donc, paradoxalement, plutôt
facilement la sphère publique46. Elle est ainsi perçue comme une
arme efficace de lutte contre
les crises généralisées que traversent les services publics en
intégrant une série de discours
modernisateurs et réformateurs. Sur un plan strictement
stratégique, l’applicabilité de la
qualité au secteur public ne paraît poser aucune espèce de
difficultés. Cependant, si la qualité
est source de rapprochement entre un prestataire, public ou privé,
vers un client ou usager, par
la recherche permanente d’une plus grande satisfaction, la
spécificité originelle des services
publics, à savoir leur création dans un but d’intérêt général,
s’accommode mal d’une
recherche plus libérale de la satisfaction des intérêts
particuliers additionnés. L’intérêt
général, pierre angulaire des services publics, ne peut « être
abandonné au profit d’une
logique purement consumériste »47. Mais la poursuite de l’intérêt
général ne doit pas être un
prétexte à l’immobilisme ; la qualité, au-delà de son acception
mercantile, réside
nécessairement en toile de fond. En d’autres termes, si la qualité
et ses éléments ne peuvent
être « plaqués » dans le secteur public, les services publics n’y
sont pas moins réceptifs dès
lors qu’il en est fait une application raisonnée.
11. La nécessaire adaptation du concept reflète la réception,
dans l’espace public, de la
« qualité méthodique », c'est-à-dire conçue comme un instrument au
service de la recherche
de l’amélioration. Aussi vrai que « La poursuite des
perfectionnements exclut la recherche de
la perfection [et que] perfectionner s'oppose à parfaire »48,
l’application de la qualité dans la
sphère publique révèle la dimension opérative de la qualité. Elle
est un outil avant d’être une
fin, qui vise à relégitimer l’activité publique face aux attentes
des citoyens. C’est ainsi que le
gouvernement Chirac de 1986 mit en place une Commission
interministérielle qualité
43 M. Voisset, « La reconnaissance, en France, d’un droit des
citoyens à la qualité dans les services publics
», RFDA 1999, p 743. 44 J. Chevallier, « Le
discours de la qualité administrative », RFAP 1988, p 287
; N. Poulet, « Le concept de qualité », in La qualité : une
exigence pour l’action publique en Europe , Colloque EUROPA, PULIM,
p 17. 45 N. Poulet, op. cit ., p 19. 46 J.
Chevallier, « La gestion publique à l’heure de la banalisation
», Revue française de gestion, 1997, n° 115, p 26. 47 L.
Cluzel-Métayer, « La promotion de la qualité dans les services
publics, un précédent pour la
justice ? », in E. Breen (dir.), Evaluer la justice, PUF
2002, p 59. 48 P. Valéry, Variété , Gallimard,
1998.
8/18/2019 Berthier Laurent
accompagnée d’un Comité de pilotage. Le gouvernement Rocard prit la
suite49. Plus tard, la
qualité se pourvut d’allures réformistes, le gouvernement Juppé se
lançant dans un vaste
mouvement de réforme de l’Etat et des services publics50. Le
contenu de ces élans
réformistes51 est alors très variable, les implications de la
qualité gravitant autour de thèmes
comme l’accessibilité, l’amélioration des services, la
participation, la transparence…etc52. Ces
dernières revêtent alors différentes formes : des chartes qualité
sont « signées » entre l’Etat et
les usagers53, des projets de service permis par le développement
de cercles de qualité
favorisant les efforts de responsabilisation, ou encore des
normalisations par l’accréditation
ou la certification. De manière moins évidente, la qualité peut
également faire irruption dans
un domaine plus inhabituel comme l’attestent la promotion du
principe de sécurité juridique54
et, plus vastement, l’émergence progressive d’un principe
d’accessibilité de l’activité
administrative sur fond de rapprochement entre l’administration et
ses usagers55, le Conseil
constitutionnel ayant eu l’occasion, à plusieurs reprises,
d’affirmer son attachement aux
objectifs constitutionnels d’accessibilité et d’intelligibilité de
la loi56. Une loi très récente
49 V., notamment, Circ. du 23 février 1989 relative au
renouveau du service public, JO 24 février 1989, p 2526. 50
Circ. du 26 juillet 1995 relative à la mise en œuvre de la réforme
de l’Etat et des services publics, JO,
28 juillet 1995, p 11217.51 La « réforme qualité » a conduit
à la création d’une administration de mission, la Direction
Générale de la Modernisation de l’Etat (DGME), créée par le décret
du 30 décembre 2005 dont le but est de transformer l’Etat afin de
rationaliser la dépense publique tout en améliorant la qualité des
politiques publiques et les services rendus aux usagers. La DGME
est aujourd’hui un soutien indispensable à la réforme générale des
politiques publiques lancée en juin 2007. 52 Pour une étude
détaillée du contenu de l’exigence de qualité appliquée aux
services publics, v. L. Cluzel-Métayer, Le service public et
l’exigence de qualité , Dalloz 2006. 53 B. Delaunay, «
Chartes usagers et engagements qualité dans le secteur public en
France », in Y. Fortin (dir.), La contractualisation
dans le secteur public des pays industrialisés depuis 1980,
L’Harmattan, 1999, p 147. La Charte Marianne fut
expérimentée en 2004 dans six départements (Ain, Charente,
Eure-et-Loir, Hautes-
Pyrénées, Loiret et Moselle) avant d’être généralisée à l’ensemble
du territoire dès janvier 2005. Elle comporteune série
d’engagements tels que l’accès facilité aux services, l’accès
attentif et courtois, une réponse compréhensible dans un délai
annoncé, une réponse systématique aux réclamations…etc. 54
Conseil d’Etat, Sécurité juridique et complexité du droit ,
Rapport public, La documentation française, 2006. 55 Loi n°
79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes
administratifs et à l’amélioration des relations entre
administration et public ; Lois n° 78-17 du 6 janvier 1978, n°
78-753 du 17 juillet 1978 et n° 78- 18 du 3 janvier 1979 consacrant
le droit à la communication des documents administratifs ; Décret
n° 83-1025 du 28 novembre 1983 relatif aux relations entre
l’administration et ses usagers ; Loi du 12 avril 2000 relative aux
droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration ;
Loi du 27 février 2000 sur la démocratie de proximité…etc. 56
Déc. n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, Loi portant
habilitation du gouvernement à procéder, par ordonnance, à
l’adoption de la partie législative de certains codes ; n°
2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative aux droits
d’auteur et aux droits voisins dans la société de
l’information.
8/18/2019 Berthier Laurent
place même le concept de qualité en tête de ses dispositions57. La
qualité fait
incontestablement partie du décor administratif actuel, teinté de
performance, de satisfaction,
et d’écoute de l’usager. Le service public de la justice ne peut
pas l’ignorer.
§ 2 – IRRUPTION AU SEIN DU SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE
12. « Appliqué à la justice, le mot [qualité], renvoie à une
démarche qui plonge ses racines
dans un passé fort lointain pour englober dans une même
appréciation l’institution, les juges
eux-mêmes et les jugements qu’ils rendent »58, l’historien du droit
Bernard Durand manifeste
ici l’évidence sémantique inhérente à l’association de la qualité
et de la justice. Il en révèle également toutes les dimensions. Au
premier abord donc, la qualité s’imposerait tout
naturellement à la justice. Elle serait une évidence historique
consubstantielle à l’idée de
justice. En d’autres termes, le but poursuivi par la justice
attesterait de ce que la qualité de la
justice est née en même temps que l’idée même de justice.
L’expression n’apparaît pourtant
que tardivement, en réaction, essentiellement, aux célèbres
affaires judiciaires mettant en
scène l’erreur du juge, puis, plus vastement, les errements du
système judiciaire dans son
ensemble.
13. Dans l’Antiquité, la justice est davantage présentée comme
une vertu institutionnalisée. La
pensée de Platon et Socrate en témoigne59. Selon Socrate, la
justice est alors une « activité
cognitive qui a pour effet de maintenir en l’âme l’état optimal qui
correspond à son bien et
d’inspirer les actions destinées à le consolider »60. Au-delà même
de sa dimension
métaphysique, la justice est également perçue, par Platon
notamment, comme un instrument
d’égalité et de régulation politique au nom de ce qu’ « on ne
saurait être juste dans une cité
injuste ». Justice et connaissance du Bien forment un tout homogène
et acquérir ses vertus
permet au corps social de vivre en paix collectivement. D’ailleurs,
pour Aristote, cet idéal
participe de la démocratie définie comme « l’accès de tous aux
fonctions judiciaires et le
choix, dans l’ensemble du corps civique, de juges ayant une
compétence universelle ou la plus
57 Loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et
d’amélioration de la qualité du droit. 58 B. Durand, « Propos
introductifs », RRJ 2002-5, p 2145 ; J.-P. Jean, V°
« Evaluation et qualité », in L. Cadiet
(dir.), Dictionnaire de la justice, PUF 2004, p 481. 59
Platon, La République, Flammarion, 2002 ; Gorgias, Belles
Lettres, 1997. 60 J. Cantegreil, « Formes du politique et
fonction de la justice », in E. Breen (dir.), Evaluer la
justice, PUF 2002, p 152.
8/18/2019 Berthier Laurent
large possible pour les affaires importantes ou vraiment
primordiales »61. Justice et prudence
se rapprochent alors, cette dernière impliquant un calcul
raisonnable, une maîtrise des
passions personnelles, au regard des circonstances62. Dépassant la
seule vertu individuelle, la
justice serait même une obligation « puisqu’elle constitue un
lien entre les individus, un lien
social »63. Forte de ces différentes approches, la justice semble
être une qualité qui
s’imposerait pour soi et pour les autres64. L’institutionnalisation
de la justice, le fait de ne la
confier qu’à un groupe restreint de « professionnels » reflèterait
alors l’échec de son
autorégulation par les hommes65, la justice constituant ici une
sorte d’ « obligation
impossible »66. La recherche de la qualité de la justice participe
de cette ambigüité, la justice
instituée révélant tant l’échec que, pourtant, la nécessité. Car la
justice est une nécessité. Elle
est au cœur d’un contrat de confiance passé avec le corps social
qui attend d’elle qu’elle
rétablisse l’égalité, la vérité. L’on s’adresse à la justice pour
obtenir « la décision exécutoire
qu’elle paraît seule en mesure de [nous] apporter »67. La justice
doit donc être de qualité car
elle est attendue et dispose, seule, des moyens de lutter contre
les injustices.
14. Cependant, au regard de l’intrusion du concept de qualité
au sein des services publics plus
traditionnels, la question de son application au sein du service
régalien de la justice est
nécessairement reposée. Elle conduira, peut-être, à une nouvelle
lecture de l’institution. La
justice ne semble pas pouvoir échapper à la règle, cachée
qu’elle est derrière des présupposés d’ordre philosophique et
autres évidences. La justice est en crise. Elle peut même
faillir68. Les
voies de l’opinion publique s’élèvent69. Le contexte social est en
pleine mutation. Face à
l’extrême médiatisation des scandales judiciaires, les
revendications de l’opinion se font plus
vigoureuses. La mise en cause récente d’un célèbre homme politique
en témoigne, chacun se
61 Aristote, Politique, VI, 1317b 26 sqq ; v. notamment, N.
Loraux, « Le procès athénien et la justice comme division
», Arch. Ph. Dr ., 1995, t. 39, p 25. 62 « De
l’avis général, le propre de l’homme prudent c’est d’être capable
de délibérer correctement sur ce
qui est bon et avantageux pour lui-même, non pas sur un point
partiel (…), mais d’une façon générale [pouraccéder] à la vie
heureuse », Aristote, Ethique à Nicomaque, VI, 5, 1140 a 27.
63 W. Baranès et M.-A. Frison-Roche, La justice,
Autrement, 2002, préface, p 11. 64 « La justice est donc non
seulement une obligation envers autrui mais encore envers soi-même,
dès lors que la vie morale nous pousse à penser notre être, et les
devoirs que nous devons envers lui », W. Baranès et M.- A.
Frison-Roche, La justice, Autrement, 2002, préface, p 12.
65 « Le recours à la justice n’est jamais que la conséquence
d’un échec », P. Truche, Juger, être jugé , Fayard,
2001, p 138. 66 W. Baranès et M.-A. Frison-Roche, La
justice : l’obligation impossible, Autrement, 2009, cet ouvrage
constituant une réédition de l’édition précédente de 2002. 67
Ch. Attias, Philosophie du droit , PUF 2004, p 212. 68
D. Inchauspé, L’erreur judiciaire, PUF 2010. 69 M.-L.
Cavrois, H. Dalle et J.-P. Jean (dir.), La qualité de la
justice, La documentation française, 2002, spéc., pp 21-51.
8/18/2019 Berthier Laurent
faisant, au gré des sondages proposés par les médias, le propre
juge de cette affaire, le
jugement de chacun pouvant être altéré par les nombreux
rebondissements. L’un défendra la
présomption d’innocence, l’autre voudra croire hâtivement à
l’accusation, au nom d’un
certain sensationnalisme médiatique. L’opinion est nécessairement
partagée, plus ou moins
affectée par de tels scandales, ce qui rend la détermination des
valeurs attendues de justice
difficilement perceptibles. La justice va mal et ses
dysfonctionnements sont « vendeurs ». Les
pouvoirs publics tentent de réagir mais la pression semble trop
forte, ce qui justifie une vague
de réformes successives, mais hâtives. Revendiquant, face au
sensationnalisme, plus de
sévérité de la part de la justice, il semble que l’opinion ait
obtenu gain de cause, par
l’instauration des jurys populaires au sein des affaires
correctionnelles70. C’est en somme, une
façon de rendre la justice aux citoyens mais aussi de rappeler
qu’elle est exercée en leur nom.
L’opinion publique fait pression. La qualité peut être une réponse.
La qualité de la justice est
même un enjeu politique. Elle reflète en effet une prise de
conscience de la vulnérabilité de
l’institution judiciaire, sur fond de sensationnalisme médiatique.
L’erreur judiciaire n’est plus
un fantasme, la qualité de la justice est, elle, une nouvelle
réalité. Cette dernière bénéficie en
outre d’une assise internationale, l’ensemble des pays européens,
tels que, par exemple, la
Belgique et les Pays-Bas, font en effet de la qualité de la justice
un élément très important des
politiques de réforme des institutions. La recherche de la qualité
de la justice en France devra
donc nécessairement tenir compte de ces avancées internationales.
Ce fut notamment le cas
après l’affaire d’Outreau, sorte de « Dutroux à la française ». Les
méthodes du juge Burgaud
dans le traitement d’un dossier relatif à des abus sexuels sur
mineurs furent l’occasion d’une
réflexion d’ensemble sur les dysfonctionnements de l’institution
judiciaire. Une commission
parlementaire fut mandatée se voyant ainsi confiée la délicate
mission d’auditionner, devant,
parfois, les caméras et aux yeux donc de l’opinion publique, les
différents responsables et
protagonistes de ce séisme judiciaire. La commission devait ensuite
rendre un rapport
formulant des propositions pour éviter le renouvellement d’une
telle catastrophe judiciaire71. Pour la première fois, l’erreur du
juge et, partant, la vulnérabilité de l’institution
judiciaire
furent largement médiatisées, la représentation nationale se
saisissant du « dossier » comme
pour rappeler que la justice est rendue au nom du peuple français.
Si le rétablissement d’une
justice de qualité fut l’objectif général poursuivi par la
Commission parlementaire, cette
70 Loi n° 2011-639 du 10 août 2011 sur la participation des
citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des
mineurs. 71
Rapport A.N. n° 3125 fait au nom de la Commission d’enquête
chargée de rechercher les causes desdysfonctionnements de la
justice dans l’affaire d’Outreau et de formuler des propositions
pour éviter leur renouvellement.
8/18/2019 Berthier Laurent
situation suscita un vif débat autour, essentiellement, du respect
de la séparation des pouvoirs.
Elle donne alors lieu à de nombreux débats politiques, chacun des
pouvoirs tentant de
s’approprier « l’affaire » pour assoir une nouvelle légitimité
construite autour de la recherche
de la qualité de la justice. Si les juges, pour se faire une place
sur l’échiquier institutionnel,
tentent de malmener le pouvoir politique en place par la révélation
de certains scandales
politico-financiers, les dysfonctionnements du système judiciaire
sont autant de prétextes pour
les deux autres pouvoirs de se les approprier pour augmenter leur
légitimité aux yeux de
l’opinion. Les scandales où sont en cause les juges sont donc
l’occasion pour les pouvoirs
exécutif et/ou législatif de faire une « cure » d’opinion
favorable. La qualité de la justice fait
alors partie intégrante du discours politique, les yeux de
l’opinion publique étant rivés sur les
propositions avancées d’amélioration de son fonctionnement et de
son organisation. Trop
souvent absente du débat politique et social, la justice revient au
cœur de ce dernier et fait
l’objet de tous les intérêts. Les différents scandales relayés
médiatiquement révèlent
l’exigence d’un rééquilibrage au sein d’un système composé des
différents pouvoirs publics et
de l’opinion publique. La recherche de la qualité de la justice
devra tenir compte de toutes les
« forces » en présence.
15. Le sujet prend alors une nouvelle ampleur qui justifie la
nécessité d’appliquer la qualité,
dans toutes ses dimensions, dans la sphère du service public de la
justice, dans toutes ses composantes. Parce que la justice est
décriée, la qualité pourrait sortir cette dernière de la
crise. Les pouvoirs publics ne s’y sont d’ailleurs pas trompés qui,
face à la critique,
notamment, de la lenteur des procédures juridictionnelles, ont déjà
proposé des solutions.
Sont en effet encouragés les modes alternatifs de règlement des
litiges72, le développement du
juge unique73, ou encore les mesures d’urgence74. Plus
spécifiquement, la justice doit être
« productive ». Si elle n’y est pas réductible, la qualité implique
en effet la performance. La
justice intègre, de ce fait, un mouvement global de réformes
financières des pouvoirs publics
au sein d’un nouveau cadre budgétaire - la LOLF75- illustrant le
passage d’une logique de
moyens à une logique de résultats. L’occasion, une nouvelle fois,
pour le Parlement de se
72 V., p. ex., les deux rapports du Conseil d’Etat consacrés
à cette question, Conseil d’Etat, Régler autrement les
conflits – Conciliation, transaction et arbitrage en matière
administrative, La documentation française, 1993 ; Développer
la médiation dans le cadre de l’Union européenne, La documentation
française, 2010. 73 V., p. ex., Loi du 8 février 1995
relative à l’organisation des juridictions et à la procédure
civile, pénale et administrative. 74 V., notamment, Loi n°
2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant la juridiction
administrative. 75 Loi organique n° 2001-692 du 1er août
2001 relative aux lois de finances dite LOLF.
8/18/2019 Berthier Laurent
saisir du « dossier justice » pour accroître sa légitimité et son
contrôle démocratique. La
nouvelle présentation de l’ossature budgétaire de l’Etat fait de la
justice une « mission »,
divisée en programmes et actions. Chaque programme est alors géré
par un responsable
désigné par le ministre compétent, sa mission résidant dans la
poursuite des objectifs définis
par le Parlement. En guise d’exemple, au sein du programme «
justice judiciaire », l’un des
principaux objectifs est de rendre des décisions de qualité dans un
délai raisonnable en
matière civile. Pour s’en rendre compte, des indicateurs, tels que
le délai moyen de traitement,
sont instaurés. La qualité de la justice implique donc qu’elle soit
évaluée, confrontée aux
nouveaux enjeux contemporains. La spécificité fonctionnelle de la
justice, service régalien
indépendant, ne justifie plus la traditionnelle barrière à la
diffusion de la logique qualité. Elle
y est, comme les autres services publics, nécessairement
soumise.
§ 3 – ENJEUX DE L’ÉTUDE
16. La qualité, dans toutes ses composantes, semble donc
pouvoir être intégrée sans trop de
difficultés au sein du service public de la justice. Elle renvoie
d’ailleurs inéluctablement,
presqu’instinctivement, à une série de référentiels auxquels la
justice ne peut échapper. Sans
ces référentiels, la justice ne serait même pas la justice. Les
qualités d’indépendance et
d’impartialité, dans toutes leurs déclinaisons en sont les plus
illustres exemples. Ce sont là des
qualités naturelles, originelles de la justice. Ainsi, en tant que
valeur, la qualité s’impose tout
naturellement, car elle implique l’existence de caractéristiques
inhérentes à la fonction de
juger, sorte de qualités premières. En tant que concept
dynamique, la qualité suppose
également de ne pas se satisfaire de ces qualités premières, mais
au contraire d’en envisager
d’autres qui correspondraient à de nouvelles aspirations,
répondraient à de nouvelles critiques. En cela, le concept de
qualité stigmatise les critiques récurrentes adressées à
l’institution
judiciaire76. On pense alors à la proximité, la
compréhension, la célérité…etc. Aux qualités
présupposées s’ajouteraient ainsi des qualités espérées, voire
revendiquées, lesquelles
paraissent déclinables indéfiniment. La qualité fait ici figure
d’innovations, sinon de
renouvellement des acceptions traditionnelles des caractéristiques
du service public de la
76 « Il est dans la nature des choses que la justice soit
critiquée. Pour tout plaideur, une bonne justice est celle qui lui
donne raison ! Et cette définition lapidaire vaut aussi bien pour
le particulier que pour le Pouvoir… », S. Rozès, Le juge et
l’avocat, Dialogue sur la justice, R. Laffont, 1992, p 21.
8/18/2019 Berthier Laurent
justice. Partant, son irruption au sein dudit service
contribue à le relégitimer en l’adaptant à
ces exigences contemporaines, en l’accompagnant dans ces nouvelles
démarches. En tant que
démarche, la qualité doit également être reçue par l’enceinte
judiciaire. Par l’intégration de
nouvelles techniques d’administration orientées vers, notamment,
une logique de
performance, la justice doit trouver sa place au sein du nouveau
contexte économique que ses
qualités premières ne suffisent pas à maîtriser. C’est là
qu’intervient la qualité méthodique en
proposant son arsenal d’instruments destinés à combattre cette
crise. La qualité est ici un
outil, elle fournit une méthode rationnalisante. Le management, la
participation, la
responsabilisation font désormais partie du vocabulaire judiciaire.
L’applicabilité du concept
de qualité au service public de la justice illustre ainsi la
dualité sémantique du concept de
qualité : comme valeur présupposée ou revendiquée et comme méthode.
Parfois, ces
différentes qualités pourront entrer en collision. Il suffit, pour
s’en rendre compte, de se poser
une simple question : une justice de qualité est-elle celle qui
prend le temps de juger, ou celle
qui, au détriment d’une certaine qualité substantielle des
décisions juridictionnelles, jugerait
plus vite ? Comment être performant tout en maintenant un bon
niveau de qualité ? La
conceptualisation de la qualité de la justice paraît alors
relativement difficile. Le paradoxe fait
que la qualité est, pourtant, presqu’inéluctablement, une
préoccupation inhérente à l’activité
« justice ». Le caractère indéfinissable de la qualité autrement
que par la considération qu’elle
est une exigence, un standard, son caractère éminemment subjectif
font d’elle l’une de ses
notions qualifiées de « fonctionnelles »77, dès lors qu’elles ne
peuvent être définies que par
l’utilisation que l’on peut en faire, le sens que l’on veut bien
leur donner.
17. Partant, le concept de qualité appliqué à la justice revêt un
nombre indéfinissable
d’acceptions, parfois en contradiction. De la qualité de la justice
il est possible de dire tout et
son contraire si bien que toute démarche de systématisation serait
vaine, rendant la tâche de la
recherche compliquée. Elle lui impose de verser dans sa propre
subjectivité, dès lors que la
qualité ne bénéficierait d’aucune réelle acception objective, car «
il ne peut y avoir de
discours sur la qualité de la justice sans prise de position, au
moins implicite, sur la fonction
77 R. Chapus, « Georges Vedel et l’actualité d’une « notion
fonctionnelle » : l’intérêt d’une bonne administration de la
justice », RDP 2003, I, p 3 ; P. Yolka, « La bonne
administration de la justice : une notion fonctionnelle ? »,
AJDA 2005, p 233 ; v. également R. Bousta, Essai sur la
notion de bonne administration en droit public, L’Harmattan, 2010
et E. Chevallier, Bonne administration et Union européenne,
contribution à l’étude de l’espace administratif européen, Thèse,
Université de Limoges, 2010.
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et les fins de la justice »78. Le sujet mériterait presque d’être
précédé de la mention : « ce qui
va suivre n’engage la responsabilité que de son auteur ». Car la
qualité souffre, de manière
antinomique, d’un défaut de systématisation par l’hétérogénéité et
le dynamisme de ces
possibles acceptions. Il a pourtant été possible d’en déterminer
deux perspectives principales,
en tant que valeur, et en tant que méthode. Il reste qu’une
véritable pléiade de conceptions
hétérogènes de la qualité de la justice peut émerger, au gré des
inspirations, des
revendications. La question posée de la qualité de la justice se
gardera bien d’obtenir des
réponses similaires, conformes voire unanimes dès lors qu’elle
ouvre la voie à une
appréciation personnelle et qu’ainsi les éléments qui en ressortent
souffriraient, presque
d’emblée, d’une critique légitime car fondée sur une perception
différente. Il y aurait, pour
ainsi dire, autant de conceptions de la qualité de la justice que
de conceptions de la seule
justice. C’est peut-être à cela que se réduit l’intérêt d’une
approche sur la qualité de la justice.
Aussi relatif soit-il, cet intérêt mérite toutefois d’être soulevé
pour qu’il soit éventuellement
possible, dans l’addition des conceptions de la qualité de la
justice, que se forme une
perception homogénéisée de cette dernière, de sorte que la qualité
de la justice puisse un jour
devenir un véritable standard juridique, au-delà d’une simple
exigence politique. Elle reste
néanmoins un objectif clairement affiché, la recherche de ses
acceptions imposant de
nombreuses lectures, de nature différente. A cet égard, la qualité
est souvent explicite, parfois
vaporeuse, rarement absente des études. Du champ d’étude parcouru,
l’on pourrait presque
dire qu’elle est en tout, ce qui rend la tâche encore plus
malaisée, le concept de qualité
pouvant se situer aux frontières du droit et impliquant souvent
d’employer la démarche
sociologique. Difficile opération que celle qui consiste à
regrouper l’hétérogénéité des
conceptions de la qualité de la justice en un tout homogène
servant, éventuellement, de
modèle !
18. Appliqué à la justice, le concept de qualité n’en est pas
moins porteur de sens ; il implique
inéluctablement que soient prises en considération les spécificités
du service public de la
justice79. Car il demeure impensable, si la qualité semble
constituer une exigence commune à
l’ensemble des services publics plus « traditionnels », qu’elle ne
s’adapte pas aux
particularismes organisationnels et fonctionnels de la justice. La
qualité ne peut toutefois être
vue comme le remède universel à tous les maux. Elle n’efface pas,
d’une simple incantation,
78 J.-M. Sauvé, « Les critères de la qualité de la justice »,
discours prononcé à l’occasion de la célébration des vingt ans du
Tribunal de première instance des Communautés européennes,
Luxembourg, le 25 septembre 2009. 79 E. Guigou
(dir.), Le service public de la justice, O. Jacob 1998.
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la profondeur de la crise actuelle. Si l’on retient toutefois que
la justice est, avant tout, un
service public, c’est pour mieux l’englober dans une perspective
générale de recherche de la
satisfaction de ses usagers. Dès lors, la qualité semble pouvoir
s’appliquer sans qu’elle pose
de réelles difficultés en termes de compatibilité. Les difficultés
surviennent si l’on expose en
premier la dimension « extraordinaire », au sens littéral du terme,
de l’institution judiciaire,
ses particularités fonctionnelles et organisationnelles. Si tel est
le cas, le concept de qualité se
greffe difficilement, peut même être rejeté tant il entraîne avec
lui une sorte de banalisation de
l’action publique. Soumettre la justice à l’exigence de qualité la
réduirait ainsi au prosaïsme
des services publics communs. En définitive, si la banalisation de
la justice en un service
public ordinaire permet une applicabilité facilitée des exigences
de qualité communes à
l’ensemble du secteur public, il ne peut être fait de la qualité
une application si globalisante.
Car dans le terme même de « qualité » résonne l’écho de la
performance, de la rentabilité, de
la satisfaction, du consumérisme, etc… Or, ce qui peut être valable
pour un service public de
prestations marchandes ne peut l’être pour un service public de
prestations « immatérielles »
ou « intellectuelles » dont le « processus de production » doit
nécessairement être protégé.
Dès lors, l’application du concept de qualité dépendra du rapport
qui sera entretenu avec
l’institution judiciaire. La qualité du service public de la
justice, en relation donc, avec ses
« usagers », ne peut être que celle de son organisation, de son
accessibilité. La qualité de la
fonction juridictionnelle, en relation, cette fois-ci, avec les
justiciables parties au procès, mais
aussi les juges, ne peut être perçue dans les mêmes termes. En
découlent différentes modalités
d’appréciation de la qualité de la justice : en tant que système,
administration organisée,
hiérarchisée et en tant qu’ « organisme indépendant de production
». La qualité dépendra du
mode d’administration retenu ; elle dépendra aussi, et surtout, des
traditions, de la culture de
l’Etat.
19. La justice sera ainsi comprise, dans le cadre de cette étude,
dans une perspective de droit
public. Elle sera, de fait, davantage perçue comme institution, la
majeure partie des
développements visant son fonctionnement général et, surtout, son
administration. Parce que
la justice est ainsi perçue au sens institutionnel, de service
public, l’étude s’appuira largement
sur toutes ses formes, qu’il s’agisse de la justice civile, pénale
ou administrative. La qualité de
la justice n’exclut aucune juridiction. Elle les concerne toutes.
La qualité est, quant à elle,
envisagée comme une politique publique décidée, « d’en haut »,
c'est-à-dire par l’Etat.
L’intérêt d’une telle étude résidera principalement,
presqu’exclusivement, dans la réception
des exigences de la qualité par les responsables directs du service
public de la justice, à savoir
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les magistrats. Ce sont évidemment eux les principaux concernés par
la qualité de la justice.
Ils en sont les garants. C’est donc leur indépendance
fonctionnelle, leur mission et leurs
méthodes qui sont d’abord directement affectées ou, à l’inverse,
revalorisées par la logique
qualité. Les magistrats sont les principaux acteurs du service
public de la justice, ils doivent
donc accepter, les premiers, les perspectives dessinées par la
recherche de la qualité de la
justice. Car sans « bons » magistrats, il ne peut y avoir de
« bonne » justice. Dans un sens plus
large, les auxiliaires de justice et, au premier chef, les avocats,
auraient pu intégrer le champ
de l’étude. Il est en effet inutile de démontrer en quoi leur
mission contribue à la qualité de la
justice et en quoi, eux aussi, certes de manière spécifique,
sont animés par une logique de
qualité. Ils sont des collaborateurs du bon fonctionnement du
service public de la justice. Par
leur professionnalisme, ils proposent un soutien important aux
justiciables, leur ministère
étant parfois obligatoire. Sans cette collaboration, la mission
régalienne de rendre la justice
peut effectivement en pâtir. Ils contribuent, d’une certaine
manière, à la bonne marche du
procès. Ils peuvent ainsi révéler d’éventuels dysfonctionnements
dans l’exercice de la
fonction juridictionnelle. Ils sont en outre, plus
substantiellement, des acteurs essentiels dans
le processus de décision des magistrats dès lors que, par la
contradiction qu’ils apportent, la
« vérité » judiciaire se fait plus précise. Ils participent, de ce
point de vue, à la construction de
la décision juridictionnelle. De même, les règles spécifiques de la
profession en font des
collaborateurs de qualité. Leur formation, l’encadrement strict de
la profession par des règles
déontologiques concourent finalement à en faire des acteurs
importants de la bonne marche de
l’institution. Des rapprochements sont alors inévitables avec les
magistrats, sous l’angle
notamment de l’éthique professionnelle. Des interactions sont
également possibles tant il est
vrai qu’un bon avocat doit appréhender le rôle du juge, l’étendue
de sa mission. A plus forte
raison, l’inverse est de rigueur : n’est-il pas vrai qu’un bon
magistrat est d’abord un bon
« avocat du droit » ? Il reste que la spécificité inhérente à la
profession d’avocat, le
libéralisme de la profession conduiraient, s’ils étaient intégrés
au champ de l’étude, à trop de digressions processualistes,
s’éloignant ainsi de